En Irlande, les blanchisseries de Magdalen étaient des institutions dans lesquelles furent enfermées des adolescentes et des jeunes femmes considérées comme des filles de petite vertu. Ces blanchisseries, tenues d’une main de fer par des sœurs autoritaires et brutales, étaient le royaume de l'arbitraire et de l'injustice, où l'on se tuait au travail, entre prières et humiliations. Administrées par l’église catholique et l’état irlandais, ces prisons qui n’en portaient pas le nom exploitèrent plus de 10 000 femmes jusqu’en 1996. Il fallut attendre 2013 et un rapport sénatorial de plus de 1000 pages pour que le gouvernement présente ses excuses pour les maltraitances causées, tout en refusant d’assumer les réparations financières demandées par les victimes.
De ce fait de société effarant Claire Keegan aurait pu faire un mélo dégoulinant de larmes et de douleur. Elle a préféré opter pour un conte de Noël aux accents Dicskensiens mettant en scène un brave homme au grand cœur. L’action se passe au cours de l’hiver 1985. Bill, petit patron d’un commerce de charbon, s’apprête à passer Noël en famille avec sa femme et ses trois filles. Au cours d’une livraison à la blanchisserie des Sœurs du Bon Pasteur, il découvre dans la cave de l’institution une jeune fille grelottant, pieds nus et en guenilles. Plutôt que de fermer les yeux et de rentrer chez lui auprès des siens pour le réveillon, il prend une décision risquant de lui coûter cher mais qui s’impose comme la seule issue possible.
Claire Keegan publie peu mais toujours à bon escient. Huit ans après l’excellent recueil de nouvelles A travers les champs bleus elle revient avec un court récit débordant d’humanité. Tout en délicatesse, elle dresse le portrait d’un homme sensible, magnanime, altruiste, se demandant, « à quoi bon être en vie si l’on ne s’entraide pas ». Un catholique pratiquant qui, en découvrant la condition des prisonnières du couvent, se projette sur ses propres filles, sur leur avenir, sur leur futur statut de femme dans un pays corseté par la religion.
Un très beau texte, à la fois âpre et plein de bonté, porté par une écriture ciselée, limpide, sans un mot de trop. Un petit bonheur de lecture à déguster bien au chaud sous un plaid, une tasse de thé à la main (enfin plutôt une tasse de café en ce qui me concerne parce que le thé, y a pas moyen !).
Ce genre de petites choses de Claire Keegan (traduit de l’anglais par Jacqueline Odin). Sabine Wespieser éditeur, 2020. 120 pages. 15,00 euros.