Pike est un gros dur qui s’est rangé des voitures. Depuis son retour à Cincinnati, il vit de petits boulots qu’il effectue avec son pote Rory. Sa fille Sarah, qu’il n’a pas vue depuis qu’elle avait six ans, vient de mourir d’une overdose. Sarah a eu une fille, Wendy. La gamine d’une dizaine d’années débarque chez son grand-père, qu’elle ne connait pas, avec pour seul bagage un chaton prénommé Monster. Pike savait que Sarah se prostituait pour payer ses doses, mais il voudrait retrouver les vrais responsables de sa mort. Pour cela, il va devoir s’immerger dans les pires quartiers de Cincinnati, de squats de junkies en motels miteux. Une plongée effroyable dont il ne sortira pas indemne…
Pour un premier roman, Benjamin Whitmer fait fort, très fort, et nous plonge dans cette Amérique où "on se fait grossir à la bière jusqu'à ce que le cœur lâche définitivement". Lire Pike, c’est comme avaler une cuillère à soupe de Tabasco cul-sec. Ça gratte, ça brûle, ça vous donne envie de hurler. On à beau se dire qu’à un moment où l’autre les choses vont s’adoucir, on se trompe lourdement et l’effet reste hautement abrasif. Des années que je n’avais pas lu un roman aussi noir. La tension et la violence permanentes vous laissent au bord de la nausée. L’écriture de Whitmer, très visuelle, offre des descriptions d’une froideur clinique. Les pires exactions sont exposées sans aucun jugement, comme si tout cela était absolument naturel.
Pike n’est pas un polar. Au-delà de son effet coup de poing évident, de sa grossièreté, de son coté sordide, de ses dialogues au couteau, c’est un texte d’une infinie tristesse dans lequel il ne faut se lancer que si l’on a le cœur bien accroché.
Pour l’écrivain Stephen Graham Jones, « voici le noir dans toute sa splendeur, ce que le genre devient lorsqu’il renonce à se montrer gentil – une force dramatique brutale rongée jusqu’à l’os qui vous promène de page en page. » Pas mieux.
Pike, de Benjamin Whitmer, éditions Gallmeister, 2015 (1ère édition en 2012). 288 pages. 16,00 euros.
Extrait : "Il est possible de tellement s'éloigner du lieu d'où l'on vient que tout retour est impossible. Tout vrai retour. On peut briser tous les ponts avec son passé, il suffit d'être prêt à s'amputer d'un bout de soi-même que l'on ne craindra pas de regretter le reste de sa vie. Et il faut se préparer à accepter la merde, quelle qu'elle soit, qui viendra combler le trou."
Les avis de From the Avenue et Keisha