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lundi 11 novembre 2024

Le gars qui allait quelque part - Michel Bezbakh

« Ça fait six mois que j’essaie de regarder la vérité en face et je crois bien y être parvenu, sinon je ne serais pas dans cette voiture ».

Difficile de trouver un titre plus explicite. Tout le long du texte, nous sommes dans la tête d’un gars qui va quelque part. Où ? On n’en sait rien. Pour quoi faire ? On n’en sait rien non plus. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il est sur la route. Au volant, il pense à ce qui va se passer lorsqu’il sera arrivé à destination et il ressasse les événements qui l’ont poussé à être dans cette situation. Petit à petit, un portrait du bonhomme prend forme, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’est pas reluisant. 

On comprend qu’il vit à Paris, qu’il est supporter du PSG, qu’il a eu un enfant avec Clara. On comprend que pour lui l’existence était simple : le PMU, les copains, le parc des princes, les parties de jambes en l’air sur le parking du cinéma. Et que les problèmes sont venus avec l’arrivée de son fils. Un gamin qui préférait Cendrillon à Mowgli. Un gamin qui ne s’intéressait pas au foot. Qui a chialé comme une gonzesse dans le tunnel des fauves à Thoiry quand une lionne a sauté sur la vitre. Bref, un gamin qui ne ressemblait pas à ce qu’il s’imaginait, un gamin qu’il ne pourrait jamais reconnaître comme son « héritier ».

L’esprit vagabonde, les pensées s’enchaînent, entre anecdotes et réflexions quasi philosophiques (toutes proportions gardées). C’est décousu et en même temps on sent qu’un fil ténu offre une colonne vertébrale à ce monologue. Dès le départ, on découvre que le gars qui va quelque part est sans filtre. Punchline, vulgarité crasse, coup de gueule, mauvaise foi évidente et quelques éclairs de lucidité en de (trop) rares moments… le narrateur est en roue libre, incapable de remettre en cause ses convictions d’un autre âge. 

Un portrait de beauf bien plus subtil qu’il en a l’air. Pour son premier roman Michel Bezbakh démontre une grande maîtrise de la langue orale. Son personnage réussit le tour de force d’être à la fois attachant et à vomir. Finalement, on n’a pas envie de le juger. Juste de l’écouter nous raconter sa vie, partager ses pensées intimes, aussi drôles que dérangeantes. 

Le gars qui allait quelque part de Michel Bezbakh. Buchet Chastel 2024. 140 pages. 17,50 euros.









mercredi 30 octobre 2024

Cœur-d’amande - Yasmina Khadra

Nestor vient de perdre son emploi de vendeur de chaussures dans un magasin de Barbes. Rejeté à la naissance par sa mère après confirmation de son nanisme, le trentenaire a toujours vécu chez sa grand-mère, à Montmartre. Sans emploi et sans occupation, Nestor déambule dans les rues du quartier où ils croisent ses potes Kader, Bébert, Mouss, Nanar, Grand frère Frédo et Pap’Daw le Marabout. Tous le connaissent et louent sa gentillesse. Mais quand, en plus de son job, Nestor risque de perdre son toit  et sa grand-mère suite au placement de cette dernière en Ephad, son monde s’écroule . Pour se relever, il va trouver la force de lutter auprès de Léon, un ami tombé du ciel, qui n’aura de cesse de l’encourager à concrétiser son rêve le plus fou : devenir écrivain, connaître le succès et gagner une indépendance financière lui permettant de mettre un terme à tous ses problèmes.

Il y a tellement de choses que je n’ai pas aimées dans ce roman !
En premier lieu les dialogues, bien trop nombreux et qui sonnent bien trop faux :
- J’aimerais avoir ta naïveté, Nestor.
- Qu’as-tu fait de la tienne ?
- Le réalisme me l’a confisquée.
Sérieusement, qui dirait ça dans une vraie conversation !!! Il n’y a vraiment rien de naturel dans les discussions entre Nestor et Léon, surtout lorsqu’elles sont ponctuées d’aphorismes que ne renierait pas le premier guide de développement personnel venu : « Qui veut accéder au nirvana doit commencer par accéder à lui-même » ou encore « Le monde est une combinaison de hauts et de bas et nous en faisons partie. Personne ne peut y changer grand-chose mais chacun doit faire avec ». Ensuite, le trop plein de bons sentiments, l’excès de sucre et de guimauve qui finit par devenir écœurant. Enfin l’histoire en elle-même, tellement improbable qu’on se croirait parfois dans un téléfilm de Noël (et encore plus avec les deux dernières pages !). Bref, j’ai trouvé que c’était un roman « facile », facile à lire et qui use aussi de bien trop de facilités dans son écriture et dans l’avancée de son intrigue.

Trêve de méchanceté, je devrais peut-être simplement reconnaître que ce n’est pas un roman pour moi. Je suis devenu bien trop cynique pour croire aux contes de fées, bien trop désabusé face à la nature humaine pour croire à la solidarité et à la fraternité que Khadra met en scène dans son récit. Désolé si je persiste à penser qu’aujourd’hui les dystopies pleines de noirceur sont bien plus réalistes que ce genre de fiction positive et lumineuse.

Cœur-d’amande de Yasmina Khadra. Editions Mialet-Barrault, 2024. 315 pages. 21,00 euros.






jeudi 24 octobre 2024

Les sentiers de neige - Kevin Lambert

« La frontière qui sépare le monde des enfants de celui des plus vieux est imperceptible, difficile à situer. Zoey croise les doigts en espérant qu’Émie-Anne ne l’a pas encore franchie, qu’elle n’a pas reçu sa lettre de convocation pour la préadolescence. »

2004, veille de Noël. Zoey, huit ans, se réjouit de retrouver sa cousine Émie-Anne pour le réveillon. À peine plus vieille que lui, elle incarne à ses yeux l’intelligence, l’intrépidité et une forme de sagesse qui le fascine. La jeune fille partage avec Zoey un imaginaire foisonnant qui leur permet de s’extraire de la présence envahissante et ennuyeuse des adultes. Dans leur monde à eux tous les rêves sont permis et les angoisses peuvent s’affronter la tête haute. En ce soir de Noël les deux enfants vont devoir se charger d’une mission aussi périlleuse qu’importante. Skyd, personnage échappé d’un jeu vidéo, a besoin d’être sauvé. Pour lui venir en aide, Zoey et Émie-Anne vont braver le froid d’une nuit d’hiver, au cœur d’une forêt croulant sous la neige.   

Le récit navigue sans cesse entre rêve et réalité, à hauteur d’enfant. Ces derniers ne supportent pas les adultes et s’accrochent à la fraîcheur de leurs tendres années avant de basculer définitivement dans un âge qui les privera de ce royaume merveilleux où ils peuvent s’enfuir à volonté. L’évasion est pour eux l’occasion d’affronter leurs peurs, de vaincre leurs traumas. Émie-Anne la petite chinoise adoptée et Zoey l’enfant unique de parents divorcés ont besoin de croire encore à une forme de magie, à un espace à part et rien qu’à eux auquel les « vieux » ne peuvent accéder.

Soyons clair, je n’ai quasiment rien aimé dans ce texte dont la lecture n’aura été qu’un interminable chemin de croix. J’adore pourtant Kevin Lambert mais j’avoue que ce roman, loin de la fureur et de l’outrance habituel de l’auteur de Querelle, m’a laissé de glace (en même temps c’était de circonstance vu la saison et le décor). J’ai apprécié les premières pages où l’on retrouve Zoey dans son environnement scolaire, ainsi que la charge frontale et violente contre l’image sacrée de la famille réunie le temps des fêtes mais pour le reste, je n’ai pas réussi à accéder à « l’autre monde » des enfants. Leur périple auprès de Skyd, dans ce monde imaginaire plutôt anxiogène et en même tellement plus accueillant que la réalité, ne m’a pas intéressé une seconde, au point que j’ai lu en diagonale la plupart des passages oniriques du roman (et ils sont nombreux). Je pense avoir compris le message, avoir cerné les enjeux et la démarche de l’auteur mais je n’y ai pris aucun plaisir, c’est rien de le dire !

Les sentiers de neige de Kevin Lambert. Le nouvel Attila, 2024. 425 pages. 21,90 euros.





jeudi 17 octobre 2024

Dire Babylone - Safiya Sinclair

 « Il finirait par se plonger dans les principes inflexibles de l’ascétisme, qui lui apprendraient quoi manger, comment vivre et comment fortifier son esprit contre « les ismes et les schismes » de Babylone : le colonialisme, le racisme, le capitalisme, les tentations de la cupidité dans la culture blanche américaine et européenne, les chaînes mentales du christianisme et tous les régimes maléfiques de l’idéologie occidentale qui cherchent à détruire l’homme noir. »

Le rêve rasta, c’est d’abord et avant tout celui de ses parents. Un rêve d’affirmation du peuple noir face à l’infâme Babylone. Évidemment, Safiya a suivi le mouvement. Née en 1984, aînée d’une fratrie de quatre enfants, elle a vécu au sein d’un mouvement rastafari en déclin, relégué aux marges de la société jamaïcaine. Une enfance miséreuse avec une maman au foyer et un père chanteur de reggae pour touristes en mal d’exotisme. Surtout, Safiya a subi le rigorisme de ce père appliquant à la lettre la doctrine rasta la plus radicale, imposant notamment aux filles de rester « pures » : La fille parfaite « ne suivait d’autre Dieu que son père, jusqu’à ce que son mari en prenne la place ». 

Safiya a d’abord idolâtré ce papa surprotecteur mais en grandissant elle a compris qu’il la privait de tout espoir d’indépendance. Il lui faudra se tourner vers l’éducation, la littérature et les arts pour s’affranchir d'une l’étouffante tutelle paternelle devenue dès son adolescence d’une infinie violence. 

Dans ce premier roman fortement autobiographique, Safiya Sinclair raconte son long chemin vers la liberté. Un chemin douloureux, semé d’embûches, où rien n’est simple, rien n’est acquis, où la moindre petite victoire sur le tyran domestique peut être remise en cause à tout moment. Son histoire, très personnelle, mêle l’intime et l’universel. Elle dit la volonté d’émancipation sans cesse contrariée, le carcan du patriarcat, la contradiction de la philosophie rasta qui ne cesse de prôner la liberté de l’homme noir tout en cultivant l’asservissement de la femme noire.

Malgré l’inacceptable rabaissement imposé aux filles par leur père, ce Dire Babylone reste un livre d’amour sur la famille où est notamment célébrée une figure maternelle lumineuse, déterminée à offrir à ses enfants l’instruction qui leur permettra de ne pas subir l’existence misérable qui a été la sienne. La langue est magnifique, engagée et enragée, poétique et politique, aussi vibrante que viscérale. Quelque part, Safiya Sinclair relate le cheminement d’un transfuge de classe, l’extraction d’une forme de marginalité pour s'élever vers un accomplissement culturel et social. Un transfuge de classe relaté dans une prose d’une beauté saisissante, extraordinairement littéraire. Prends-en de la graine, Edouard Louis !

Dire Babylone de Safiya Sinclair (traduit de l’anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj). Buchet Chastel, 2024. 520 pages. 25,50 euros.


Extrait :

"Je crois que mon père s’en est rendu compte à ce moment-là. Plus rien de Rastafari ne me traversait. J’avais combattu et complètement éliminé cette femme, hors du monde. Celle qu’il voulait que je sois. Je lui avais tranché la gorge. J’ai regardé cette femme porter les mains à ce cou tranché, essayant encore de parler, sans émettre un son. Sa silhouette pâle se fondait dans le mur, emportant avec elle cet avenir abandonné."







lundi 7 octobre 2024

La barque de Masao - Antoine Choplin

Un soir, en quittant l’usine, Asao se retrouve face à sa fille, qu’il n’a pas vue depuis dix ans. Sortie de l’université avec un diplôme d’architecte, Harumi a en charge la construction d’un musée sur l’île de Teshima, en face de celle de Naoshima, où vit et travaille son père. Les retrouvailles sont difficiles, maladroites, forcément distantes. Mais peu à peu Masao va s’ouvrir, se confier, raconter à sa fille la disparition de sa mère, le jour de sa naissance, et son « placement » chez ses grands-parents maternels. Lui rappeler également un souvenir d’enfance, dans un phare, et parler de ses emplois successifs et de la satisfaction qui est la sienne aujourd’hui d’occuper un emploi qui lui convient parfaitement. La jeune fille n’a aucune rancœur, elle garde à l’évidence un attachement fort pour ce papa qu’elle n’a pour ainsi dire jamais connu. Pour tous les deux, cette reprise de contact aura des allures de renaissance…

C'est un livre où tout est calme, apaisé. Pas de tension, pas de rebondissements anxiogènes, juste une forme de lenteur sereine, sans heurts ni grand bruit. Entendons-nous, Antoine Choplin ne donne pas dans le feelgood pour autant. Son truc, c'est une mise en place tranquille de son récit, avec certes quelques points obscurs au départ mais qui très vite vont s'éclaircir, avec limpidité. Comme s'il prenait son lecteur par la main en lui disant " ne t'inquiète pas, tu vas tout comprendre, laisse-moi juste le temps de t'expliquer".

Pour une fois l’auteur d’Une forêt d’arbres creux ne fait pas de lien entre la Grande Histoire et une petite histoire individuelle. Par contre son obsession pour l’art est bien présente, comme sa plume tout en sobriété. Finalement, il lui va comme un gant ce texte plein de silence(s), à la fois sensible et pudique, peuplé de personnages qui, à leur manière, cherchent à se tenir à l’écart du monde. Après le décevant « Partiellement nuageux », je suis ravi de retrouver un Antoine Choplin au meilleur de sa forme.

La barque de Masao d’Antoine Choplin. Buchet Chastel, 2024. 200 pages. 19,50 euros.







lundi 23 septembre 2024

Only lovers left alive - Dave Wallis

En Angleterre, tous les adultes se sont suicidés. Incapables de prendre la relève pour assurer un fonctionnement « normal » de la société, les enfants et les ados s’organisent en bandes où seuls les plus forts survivent. Voilà donc le pitch ultra-court et ultra simple de ce roman culte publié en 1964, tellement sulfureux qu’il a été interdit en Irlande.

Dave Wallis y raconte le parcours de Kathie, Ernie, Charlie et quelques autres, quittant Londres pour voyager vers le nord dans un pays en perdition. Un voyage semé d’embûches, de rencontres et de coups durs où rien ne leur sera épargné. Accusé de Nihilisme et d’opportunisme (notamment de surfer sur la vague d’affrontements entre gangs qui ont choqué l’Angleterre conservatrice dans les années 60), Wallis est avant tout un incompris. Son propos n’est pas de dénoncer la stupidité et la violence aveugle d’une jeunesse incapable de « vivre ensemble ». Par définition immature, cette jeunesse essaie de faire face avec ses armes, abandonnée par des adultes dont on ne connaîtra jamais les véritables raisons de leurs suicides de masse. Pour les vivants, l’existence devient forcément chaotique, l’avenir incertain. Plus rien ne sera comme avant mais finalement, est-ce une si mauvaise chose ? N’est-ce pas l’occasion de faire table rase du passé capitaliste et industriel pour repartir sur des bases plus simples et plus saines ?

Cette lecture politique (et socialiste) du roman offre un regard différent sur les jeunes qui se débattent dans ce monde post-apocalyptique. Loin du nihilisme, les personnages cherchent à avancer ensemble, lucides sur le fait que les années à venir s’annoncent compliquées, mais également déterminés à faire en sorte que le futur reste porteur d’espoir. Malgré les apparences, un livre bien plus optimiste que désespéré. C’est en tout cas l'impression qu’il m’a laissé.

Only lovers left alive de Dave Wallis (traduit de l'anglais par Samuel Sfez). Sonatine, 2024. 270 pages. 21,50 euros.









lundi 16 septembre 2024

Kiffe kiffe hier ? - Faïza Guène

Je me réjouissais de retrouver Doria, vingt ans après. Vingt ans après son adolescence passée entre les immeubles de la cité et le lycée, entre sa maman solo, la psy, l’assistante sociale et les rares copains. Vingt après donc, Doria vit toujours à Bondy, dans le 93. Elle a maintenant 35 ans (c’est mathématique !) et un fils de 7 ans qu’elle élève seule depuis qu’elle a viré son mari et demandé le divorce. Une mère célibataire, sans emploi, qui n’a toujours pas sa langue dans sa poche. On retrouve avec plaisir les marqueurs de son univers : sa mère qu’elle idolâtre, son quartier qu’elle n’a jamais quitté, le cousin Reda ou encore l’indéfectible ami Hamoudi.  

Mettons d’emblée les choses au point et évitons les raccourcis plein de clichés : Doria, c’est de la pure fiction, elle n’est en aucun cas un double de Faïza Guène. Quand elle a mis en scène ce personnage de beurette dans Kiffe Kiffe demain, elle n’avait que 19 ans. Le succès a été foudroyant : 400 000 exemplaires vendus, traduit en 26 langues. La recette qui a fonctionné à l’époque est ici reproduite avec les mêmes ingrédients, remis au goût du jour. Doria a toujours son franc parler légendaire, fait toujours preuve d’une bonne dose d’humour, de lucidité et d’autodérision, abuse des métaphores aussi décalées que parlantes. Sa langue est très orale, sa répartie cinglante. Pas d’amertume dans son discours ni de nostalgie en mode « c’était mieux avant » mais beaucoup d’ironie et de sarcasme. Égale à elle-même, quoi.

Si j’ai apprécié de retrouver le ton de Doria, sa gouaille et ses fulgurances, j’avoue que j’ai eu du mal à m’intéresser vraiment au fond de son discours. Le monologue part dans tous les sens, il n’y a pas de véritable histoire, on passe du coq à l’âne sans prévenir, ça finit par devenir à la fois confus et anecdotique. Entendons-nous, j’ai pris plaisir à retrouver une vieille copine qui m’a bien fait marrer avec ses saillies verbales n’appartenant qu’à elle mais je préfère quand Faïza Guène propose des romans plus « structurés », plus classiques (Les gens du Balto ou Du rêve pour les oufs par exemple). Chacun ses goûts.

Kiffe kiffe hier ? de Faïza Guène. Fayard, 2024. 250 pages. 20,90 euros.

« Laissez-moi vous exposer ma théorie : la raison pour laquelle vos bébés disent d’abord papa, c’est tout simplement parce qu’on appelle les absents. On dit le nom de celui qui ne se trouve pas dans le même espace que soi parce qu’on se demande naturellement où il est passé. Ils ne sont pas débiles les bébés. Faut pas croire. Malgré leur entêtement à ne rien faire d’autre que chier et baver, ils ont du bon sens. Ils disent majoritairement papa parce que vous n’êtes jamais foutus d’être auprès d’eux comme nous le sommes. »





lundi 9 septembre 2024

L’appelé - Guillaume Viry

C’est l’histoire de Jean, le fils, mort le 28 mars 1969. C’est l’histoire de Louis, le père, qui a brûlé toutes les affaires de Jean le 28 mars 1970. C’est l’histoire de Joseph, le frère, qui n’a jamais parlé de Jean après sa mort. C’est l’histoire de Julien, le fils de Joseph, le petit-fils de Louis, qui échappe à la conscription en racontant au médecin que le service militaire de son oncle ne s’est pas bien passé en Algérie. Julien, qui va chercher à remonter le fil d’une mémoire familiale effacée après le retour de « l’appelé » Jean. Trois mois passés au début de l’année 1961 en tant que troufion, dont il reviendra dévasté, anéanti, bon pour l’asile.    

Avec Où j’ai laissé mon âme, Jérôme Ferrari a sans doute écrit le roman le plus puissant et le plus inégalable sur la guerre d’Algérie. Il n’empêche que bien d’autres auteurs continuent à se frotter à ce sujet brûlant (Michel Serfati et Joseph Andras par exemple). Guillaume Viry apporte à son tour sa pierre à l’édifice, choisissant pour se faire l’entrelacement des points de vue. Jean, Louis, Joseph et Julien. Ils prennent tour à tour la parole, recollant les morceaux d’une mosaïque éparpillés au fil des décennies. La voix de l’Appelé est celle qui porte le plus. Elle dit l’horreur de la guerre, le comportement barbare de son régiment, les meurtres, les viols, la torture. Elle dit la chaleur, la promiscuité, la fatigue, la peur permanente, les officiers qui humilient, l’évacuation sanitaire au bout de quelques mois seulement, les traumatismes psychologiques qui empêcheront tout retour à la normalité.

Un premier roman épuré à l’extrême, sans majuscules ni ponctuation, dans une forme de versification libre qui n’est pas sans rappeler les feuillets d’usine de Joseph Pontus. C’est court, intense, habité, le texte respirant au rythme du phrasé syncopé de chaque narrateur. Une superbe découverte !

L’appelé de Guillaume Viry. Éditions du Canoë, 2024. 120 pages. 16,00 euros.

« ils me nourrissent
de pilules bleues
des blouses blanches s’approchent
veulent calmer veulent éteindre
éteindre les cris dans la nuit dans le jour
veulent que ça cesse
les blousent blanches ne veulent pas de hurlements
mais moi Jean je crie
évacué du camp de Berrouaghia réformé de l’armée française renvoyé dans mes foyers rayé des contrôles
Marseille Dijon Metz
je suis l’homme rayé
»






jeudi 29 août 2024

Dogrun - Arthur Nersesian

Mary Bellanova, bientôt 30 ans, retrouve son petit ami Primo mort sur le canapé en rentrant chez elle après le travail. Avec dorénavant pour seul compagnon le chien de Primo, elle part à la recherche des proches de ce dernier, afin de mieux comprendre ce qu’a été sa vie avant leur rencontre. Parcourant les rues de l’East village, elle navigue comme une âme en peine dans un New-York undergound, faisant des découvertes surprenantes sur Primo, que certaines de ses anciennes conquêtes considèrent comme « la plus grosse merde que cette ville à la con ait jamais expulsée. »

J’ai découvert Arthur Nersesian avec le réjouissant « Fuck up », récit halluciné de la descente aux enfers d’un pauvre gars poursuivi par la poisse. Il réutilise ici quelques ingrédients de ce roman « culte », à savoir le New-York interlope, un protagoniste dans la dèche, qui galère pour garder un emploi stable et fricote avec tout ce que la ville semble proposer de plus tordu. Niveau changement, il met en scène une jeune femme plutôt qu’un garçon et entremêle à ses déboires sentimentalo-financiers une histoire familiale compliquée. C’est toujours à la première personne, toujours un peu crasseux et sans langue de bois, tout ce que j’aime.

 Mary est lucide sur sa situation, pleine d’autodérision, consciente de ses limites et consciente d’être dans la mouise jusqu’au cou, même si pour ses amies encore plus en galère qu’elle, tout lui sourit : elle ne s’est pas retrouvée avec un gamin sur les bras alors qu’elle n’a pas les moyens de l’élever, elle ne boit pas, elle ne se drogue pas, n’a pas besoin qu’un mec la maltraite et surtout, elle n’est pas complètement folle. Que demander de plus en effet ?

Arthur Neresian fait une fois encore de Big Apple le cœur battant de son roman. Plus apaisé, moins sombre, moins-tragi-comique et jusqu’au-boutiste que Fuck up, ce Dog Run n’en reste pas moins une lecture fort agréable, dressant le tableau haut en couleur d’une faune New-yorkaise aussi excentrique que fascinante.

Dogrun d’Arthur Nersesian (traduit de l’anglais par Charles Bonnot). La croisée, 2024. 272 pages. 21,10 euros.





lundi 26 août 2024

A l’ombre des choses - Anatole Edouard Nicolo

Anatole passe son adolescence en province. « Un enfant moyen dans une ville moyenne ». Un enfant vivant avec sa mère et son grand frère G. dans un foyer social depuis le divorce de ses parents. Pas une enfance simple mais pas de quoi sombrer non plus dans le misérabilisme. Le frangin abandonne l’école et se lance dans la chanson, devenant bientôt une star du rap qui remplit les zéniths. Anatole de son côté se cherche, s’ennuie, fait quelques bêtises, passe ses années de lycéens dans un sport étude en rêvant de devenir footballeur professionnel. Finalement il échouera à Paris, seul dans un studio, avec un job minable. C’est là que le hasard d’une rencontre va changer sa vie et faire de lui un « homme de lettres ».

 Si vous aimez l’autofiction et le transfuge de classe façon Edouard Louis, vous allez adorer. Même si l’image parentale est beaucoup moins écornée que chez Louis, même si le transfuge est moins radical,  la violence moins présente et la question de l’orientation sexuelle bien moins centrale, l’esprit, le ton, le déroulement des événements et la façon de passer de l’enfance au monde des adultes ont beaucoup de similarités. Après, niveau écriture, c’est plus littéraire, ce qui n’est pas difficile me direz-vous étant donné que même le mode d’emploi d’une cafetière électrique est plus littéraire que la prose d’Edouard Louis.

J’avoue, je  n’ai pas été emballé. Je ne me suis pas vraiment attaché à Anatole, je l’ai regardé grandir de loin, sans me sentir concerné par son parcours. Heureusement les chapitres sont courts, le rythme est bon et le narrateur n’est pas un geignard qui passe son temps à s’appesantir sur son sort. Autant de points positifs qui n’ont pas suffi à emporter mon adhésion cela dit.

Un premier roman qui ne manque pas de qualités et saura trouver son public, même si en ce qui me concerne, je risque de le ranger dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».  

A l’ombre des choses d’Anatole Edouard Nicolo. Calmann-Lévy, 2024. 155 pages. 18,00 euros.