mardi 30 mars 2021

Lancelot Dulac - Victor Pouchet

Sa mère a beau lui jurer que le choix de son prénom est dû à celui de son grand-père, Lancelot a du mal à la croire. Se prénommer Lancelot alors que votre nom de famille est Dulac, avouez que ce n’est pas facile à gérer. Pas étonnant que le jeune Lancelot finisse par se prendre pour un chevalier. Au collège où il vient d’entrer, un certain Atrhur règne sur la cour de récré. Et dans sa classe, la belle Jennifer l’ensorcèle. Fou amoureux, Lancelot se désespère lorsque Jennifer disparaît. N’écoutant que son courage, l’apprenti chevalier part à sa recherche, bravant mille dangers. 

Tel son illustre ainé, Lancelot va devoir affronter bien des épreuves pour mener à bien sa quête. Le tournoi de chevalerie devient un match de foot, la forêt souterraine a des allures de couloirs du métro et Viviane la fée du lac est une SDF habillée de sacs plastique mais au final son comportement valeureux n’a qu’une seule motivation : l’Amour. Et comme son célèbre prédécesseur, notre Lancelot des temps modernes n’écoute que son cœur. Un brin naïf, il fonce tête baissée du haut de son un mètre trente-cinq et de ses trente et un kilos virgule cinq, uniquement guidé par la noblesse de ses actes. 

Victor Pouchet propose une réécriture de la légende arthurienne pleine de tendresse et d’empathie. Le roman initiatique prend des allures de conte un poil foutraque, vif, malicieux et enjoué. Les aventures de notre Lancelot collégien sont rythmées, magnifiquement enluminées par les illustrations du talentueux Killoffer. Un petit plaisir de lecture parfait pour affronter la morosité ambiante.

Lancelot Dulac de Victor Pouchet (Ill. Killoffer). L’école des loisirs, 2020. 110 pages. 11,00 euros. A partir de 9-10 ans.



Une pépite jeunesse partagée avec Noukette





mardi 16 mars 2021

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle - Jo Witek

« J’ai quatorze ans et ce n’est pas une bonne nouvelle. On va me marier et ce n’est pas une bonne nouvelle. Je suis une fille et ce n’est pas une bonne nouvelle. »

Efi rentre du collège pour les vacances scolaires persuadée que rien n’a changé, que son village, ses copines, ses frères et sœurs et ses parents vont être fiers de ses bons résultats. Seule enfant de sa famille étudiant en ville, elle se voit déjà ingénieure. Malheureusement, à 14 ans, les choses changent pour les filles de sa communauté. Finies les études, finies les bons moments entre amies, finie la liberté, Efi est bonne à marier. Surveillée en permanence, elle découvre que son avenir s’écrira auprès d’un époux que l’on a choisi pour elle. Sa vie tient entre les mains des hommes, elle comprend qu’elle n’aura jamais son mot à dire, qu’elle n’est qu’un objet, une marchandise de valeur à échanger, une esclave juste bonne à enfanter et à devenir une maîtresse de maison. 

« Les filles ne doivent pas penser à leur bonheur personnel, mais d’abord à celui de la famille. » Tout est dit, ce qui compte c’est la famille. Ne pas faire honte, suivre le chemin imposé sans avoir été concertée, se taire, baisser la tête et accepter sans broncher : « Chez nous, il faut montrer aux voisins comment on sait tenir les filles, les éduquer dans la crainte des hommes, contrôler leur intimité et les préparer dès la naissance à la soumission aux pères, aux frères et aux maris. Et tout cela bien sûr comme si nous, les filles, étions d’accord, partantes et heureuses de cette monstrueuse destinée. »

Un texte sans concession qui résonne comme un plaidoyer et offre une voix à celles qui en sont privées par un système patriarcal archaïque. Arrachée à l’enfance, plongée dans un cauchemar, Efi exprime son désespoir avec force et lucidité. Un texte à la première personne forcément engagé qui ne peut qu’indigner et révolter. Tout simplement indispensable.  

J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle de Jo Witek. Actes Sud junior, 2021. 120 pages. 13,50 euros. A partir de 14 ans.















mardi 9 mars 2021

Plein gris - Marion Brunet


Les premières lignes plongent d’emblée le lecteur dans le bain. Un corps apparaît à la surface de l’eau, contre la coque du bateau, un corps d’ado, repêché par ses amis. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi sont-ils seuls en mer avec un cadavre sur les bras et une tempête qui s’annonce ?

Rembobinage immédiat dès le deuxième chapitre et retour sur le déroulement des faits. Emma, Élise, Sam, Clarence et Victor. Une bande de lycéens passionnés par la navigation. Emma et Clarence en sont les éléments moteur, ils se connaissent depuis l’enfance et ont une relation quasi fusionnelle. Clarence dégage une aura de leader, charismatique et fascinant. Un peu autoritaire aussi, et souvent moqueur, rarement bienveillant. Mais peu importe, l’amitié qui soude le groupe semble inébranlable et tous se réjouissent de pouvoir enfin utiliser le voilier des grands-parents d’Élise sans la présence d’adultes. Une traversée vers l’Irlande qui s’annonce au mieux, mais qui va virer au cauchemar absolu.

Quelle tension, quelle angoisse ! Le huis clos marin est irrespirable, d’un réalisme implacable. La tempête, les éléments déchaînés, les secours ne pouvant se déplacer, la radio qui tombe en rade, le bateau qui prend l’eau… les catastrophes s’enchaînent et la conclusion apparaît de plus en plus inéluctable. Heureusement Marion Brunet à l’intelligence d’offrir des respirations à son récit en alternant le présent du naufrage et l’histoire commune des ados avant le départ en mer. Au-delà de la construction, les flashbacks permettent de mieux comprendre les interactions, les sentiments et les frictions qui tissent le complexe canevas ayant abouti à la situation désespérée dans laquelle les naufragés se trouvent.

C’est trépidant, prenant, effrayant, mais on ne joue pas uniquement à se faire peur, on ne se cantonne pas au registre du survivalisme anxiogène. Loin de l’exercice de style, l’autrice de l’excellent Sans foi ni loi mêle le spectaculaire et l’intime, les déchainements de la nature et les méandres de la nature humaine.

Au final c’est incroyablement réaliste. Les descriptions hyper visuelles, les échanges entre ados, leurs réactions face au danger, tout est précis, criant de vérité, sans la moindre fausse note. Un roman aussi impressionnant que fascinant.

Plein gris de Marion Brunet. PKJ, 2021. 200 pages. 16,90 euros. A partir de 15 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette










vendredi 5 mars 2021

La république du bonheur - Ito Ogawa

On a tous nos faiblesses, nos zones d’ombres, nos jardins secrets. On a tous du mal à assumer des lectures qui sortent du cadre que l’on s’est fixé, de l’image que l’on souhaite renvoyer. Moi par exemple je donne en général dans le gros dur tatoué, dans le glauque, dans le viril, dans l’alcool fort et la gueule de bois sévère. J’aime quand ça sent le sexe et la sueur, la pisse et le vomi. Du coup j’ai toujours dit que le feelgood ne serait jamais pour moi, que ce genre mielleux et dégoulinant de bons sentiments enrobé de titres à la mords-moi le nœud me filait des boutons. Ben j’ai menti. Parce que du feelgood, j’en lis. Et j’aime ça. Du moins quand il est signé Ito Ogawa. Avec Aki Shimazaki elle fait partie des rares autrices doudous dont les livres me remontent le moral quand tout vire au gris. Ce fut donc un vrai plaisir de me plonger dans cette République du bonheur (quel titre cucul soit dit en passant), suite directe de La papeterie Tsubaki.

J’ai donc retrouvé Hatoko, écrivaine publique ayant pris la succession de sa grand-mère dans l’échoppe familiale après le décès de cette dernière. Mariée depuis peu à un veuf tenant un petit restaurant, elle apprend le rôle de mère de substitution auprès d’une adorable fillette et continue de recevoir les demandes plus ou moins complexes de ses clients : une femme voulant écrire à son mari défunt pour lui dire à quel point il lui a pourri la vie, un garçon aveugle souhaitant dire à sa mère à quel point il est heureux de l’avoir pour maman, une vieille fille voulant se faire payer une dette par une amie malade sans la froisser, etc. 

Un roman paisible, croquant au fil des saisons les micro-événements du quotidien. On avance sereinement au rythme de la nature dans la ville balnéaire de Kamakura où la douceur de vivre n’est pas qu’un argument pour touristes. Comme toujours chez Ito Ogawa le personnage principal, féminin, est à un tournant de son existence. Comme toujours la nourriture a un rôle majeur, comme toujours la figure de la grand-mère est centrale et celle de la mère problématique. Bref on évolue en terrain connu, on sait que le sucré va se teinter d’un peu d’amertume mais qu’au final il n’y aura que du positif à retenir.   

Une lecture apaisante. J’ai quitté Hatoko et Kamakura à regret, j’espère qu’Ito Ogawa m’y ramènera bientôt. En attendant je vais relire Bukowski. 

La république du bonheur d’Ito Ogawa. Éditions Picquier, 2020. 282 pages. 19,50 euros.






mardi 2 mars 2021

Fantasmes T3 : les jeux interdits - Stefano Mazzotti

Ça ne m’est jamais arrivé d’être attiré à la cave par une voisine pour une partie de jambes en l’air (en même temps j’ai pas de cave).
Ça ne m’est jamais arrivé de profiter de la femme du conducteur après avoir été pris en stop (en même temps j’ai jamais fait de stop).
Ça ne m’est jamais arrivé d’être enfermé dans les chiottes d’un avion avec une épouse voulant faire payer à son mari ses infidélités (en même temps je ne connais pas d’endroit moins sexy que les chiottes d’un avion pour faire des cabrioles).
Ça ne m’est jamais arrivé qu’une jeune et jolie fille lavant le pare-brise de ma voiture à un feu rouge se mette à se masturber sur le capot (en même temps je suis tout le temps à pied et c’est ma femme qui a la voiture).   
Ça ne m’est jamais arrivé, un soir en rentrant du boulot, de tomber sur la jumelle de ma femme qui, se faisant passer pour sa sœur, m’entraine dans la salle de bain pour quelques galipettes (en même temps ma femme n’a pas de sœur jumelle).

© S. Mazzotti -
Delcourt 2021

Bref, toutes les situations décrites ci-dessus relèvent du fantasme, ce qui est parfaitement raccord avec le titre et le contenu de cet album. Des fantasmes donc, déclinés en historiettes de quelques pages au contenu on ne peut plus explicite. Oui, parce qu’autant le dire tout de suite, le gros plan est ici de mise et les anatomies sont visibles sous les moindres coutures. On ne perd donc pas de temps en futilité : quelques cases d’exposition et on rentre dans le vif du sujet (c’est le cas de le dire !). 

Un album résolument porno donc, à ne pas mettre entre toutes les mains. Le dessin est archi classique (pour ce genre du moins), hyper réaliste, presque froid car au bout du compte il ne laisse aucune place à la suggestion et à l’imagination. Au final rien de transcendant. Du déjà-vu, de l’anecdotique, bien réalisé mais visuellement un peu daté et sans originalité. Dernier bémol, la couverture est trompeuse pour les adeptes de sexualité entre filles car les histoires présentées sont 100% hétérosexuelles.

Fantasmes T3 : les jeux interdits de Stefano Mazzotti. Delcourt, 2021. 70 pages. 16,95 euros.



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