Pas un mot sur la 4
ème de couv. Pas le moindre
résumé à l’intérieur du bouquin. Aucune pagination, pas de chapitres. Une
couverture aussi énigmatique que le reste avec deux personnages marchant sur
l’eau au milieu de nulle part. Bienvenue dans l’album le plus étrange que j’ai
lu depuis des années. On est à Celestia, une île apparemment. Une île qui
ressemble à une Venise à l’abandon, une île presque vide, avec quelques
habitants masqués, inquiétants. Et d’autres sans masques, beaucoup plus rares.
Parmi eux, Pierrot et Dora. L’homme et la femme de la couverture. Ils ont des
pouvoirs de télépathie. Ils cherchent à échapper à on ne sait trop qui. Le père
de Pierrot voudrait à tout prix mettre la main sur Dora. Dans quel but ?
Aucune idée.
Celestia était reliée au continent par un pont. Ce pont, un
groupuscule l’a fait sauter pour se protéger de l’invasion. Quelle
invasion ? Aucune idée. A un moment, Pierrot et Dora s’enfuient, en
bateau. Ils accostent près d’un château occupé par un gardien, la propriétaire
et le fils de cette dernière. Ils vivent reclus, se sentent en sécurité, affirment
qu’ils n’ont pas peur. Peur de quoi ? Aucune idée.
Quand Pierrot et Dora ont quitté Celestia, j’ai eu
l’impression de tenir un truc. Le début de quelque chose de compréhensible.
Mais quand le gamin de la proprio, du haut de ses 3 ans, leur a proposé de
monter en voiture et de les conduire vers une destination inconnue, j’ai à
nouveau perdu pied. Je ne vais pas aller plus loin dans ce résumé décousu, il
dit la difficulté de trouver ses marques dans cette histoire dépourvue du
moindre repère pour le lecteur. Un lecteur à qui il ne reste pas trente-six options
après avoir entamé l’album. Première option : l’abandon. Deuxième
option : s’accrocher et chercher absolument à comprendre. Dernière option :
se laisse porter, naviguer à vue, accepter le côté irrationnel et se dire qu’on
est face à une proposition intellectuelle et artistique difficilement cernable,
dans son intégralité en tout cas.
C’est cette dernière option qui s’est imposée à moi au fil des pages. Ok j’ai pas tout compris. Pour être honnête j’ai
peut-être même rien compris. Mais le voyage auprès de Pierrot et Dora n’a pas
pour autant été désagréable. L’atmosphère vaporeuse, l’ambiance onirique et
souvent contemplative, la luminosité du dessin… il se dégage de l’ensemble un
charme presque envoutant et assez inexplicable. Impossible de dire si j’ai aimé
ou pas, impossible de le recommander à qui que ce soit mais au final impossible
de ne pas reconnaître que j’ai vécu une sacrée expérience de lecture.
Celestia de Manuele Fior. Atrabile, 2020. 272 pages. 30,00
euros.