Tadam ! Je vous avais déjà fait le coup il y a quelques temps avec Ernest et Rebecca. En tant qu’abonné au magazine Spirou, je reçois mon exemplaire une semaine à l’avance. Et dans le numéro daté du 2 mai, c’est le grand retour de Seuls !
A la fin du sixième volume, une partie de la ville s’est enfoncée. Les enfants sont maintenant prisonniers de la zone rouge et doivent à tout prix trouver un moyen d’escalader la falaise de gravats qui les entoure….
Onze planches seulement dans cette première livraison, la prépublication de l’ensemble de l’album devant s’étaler sur six semaines. Bon je ne vais pas spolier plus que ça mais disons que ça démarre sur les chapeaux de roue : la tension entre Saul et Dodji est encore très palpable, une créature étrange apparaît et la série prend quelques airs de Walking dead…
Toujours aussi bien foutue, quoi. Vivement donc le 1er juin et la sortie officielle de l’album. D’ici là je vais guetter avec impatience mon Spirou chaque semaine dans la boîte aux lettres.
Seuls T7 : Les terres basses de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti. Dupuis, 2012. 46 pages. 10.60 euros.
Gill Castle a perdu sa femme dans les attentats du 11 septembre. Incapable de surmonter sa peine, ce financier New Yorkais aux revenus très confortables décide de tout plaquer pour partir s’installer sur le ranch de son cousin Blaine, au fin fond de l’Arizona. A quelques kilomètres à peine de la frontière mexicaine, Castle tente de se reconstruire dans la solitude et l’isolement. Mais le jour où il sauve d’une mort certaine un mexicain ayant franchi la frontière clandestinement, il ne se doute pas que cette rencontre va changer sa vie…
Des années que je n’avais pas lu un tel pavé ! Je suis plutôt un adepte des écritures minuscules, des recueils de nouvelles et des courts romans. J’aime les auteurs capables de dire beaucoup en peu de mots, ceux qui vous installent une ambiance avec un minimum de moyens. Là pour le coup, c’est tout le contraire. Clandestin est un roman ambitieux, ample, très construit, où plusieurs histoires s’entremêlent allègrement. Le propos de Caputo pousse à la réflexion. Dans cette Amérique violente où la frontière mexicaine ressemble de plus en plus à une ligne de front, il est temps de s’interroger. Sur la condition des migrants, sur la position défendue par les propriétaires terriens américains, sur les motivations purement financières des passeurs et des narcotrafiquants, sur le rôle ambigu joué par la police… Beaucoup de questions qui n’appellent au final aucune prise de position franchement tranchée. « Certains de ces immigrants ont des histoires qui font passer Les raisins de la colère pour une comédie », déclare l’un des personnages. Castle porte également un regard plein d’humanité sur le clandestin qu’il vient de sauver : « Miguel était une victime-née […] Il y avait en lui quelque chose de doux, de triste, de malheureux, qui éveillait des sentiments de tendresse […] en même temps que ça invitait, presque inexorablement, la cruauté aveugle du monde à s’abattre sur lui. » Mais quand ces mêmes clandestins saccagent vos terres, votre perception évolue rapidement : « Je comprends les mexicains. […] Ils n’ont qu’à ramper sous une clôture ou escalader un mur pour gagner dix dollars de l’heure en passant le balai chez Wal-Mart (contre dix dollars par jour chez eux). Y a pas photo. Je ferais pareil. Mais on m’a découpé mes clôtures. Et il y a deux ans Mc Intyre a attrapé un clandestin qui essayait de piquer ma camionnette. Je suis désolée pour ces gens, mais en même temps il me font vraiment chier, et je crois que je ne devrais pas avoir de scrupules. » C’est cette ambivalence des sentiments qui fait à mes yeux tout le sel du récit. Non, ce n’est pas tout blanc ou tout noir, ce n’est pas si simple.
Le point de vue tout en finesse pousse le lecteur à la réflexion mais au final Clandestin reste avant tout un roman plein de souffle, une saga familiale aux nombreux rebondissements qui se lit d’une traite. A recommander sans réserve !
Clandestin de Philip Caputo, Le Cherche Midi, 2012. 732 pages. 22,00 euros.
L’homme qui marche, c’est l’histoire d’un homme… qui marche. Il marche en promenant son chien, il marche en rentrant du bureau, il marche sous la pluie, il marche quand il fait nuit, il marche dans la ville après une tempête, bref, il marche tout le temps. Quoi d’autre me direz-vous ? Et bien rien, strictement rien. Il marche, un point c’est tout.
Pourquoi j’adore ce manga ? Parce qu’il ne s’y passe rien justement. C’est le registre de Taniguchi que je préfère, celui de l’intime et du contemplatif, de la solitude et de l’oisiveté. Marcher sans but, se perdre dans une flânerie où le chemin compte plus que la destination, c’est une attitude qui me parle. Je suis moi-même un gros marcheur. Pas de voiture, pas de transport en commun. Je marche pour aller ou pour revenir du boulot quel que soit le temps. J’adore marcher dans le froid glacial ou sous le soleil radieux de l’été. Même marcher sous la pluie ne me déplait pas. Alors oui, ce personnage de marcheur solitaire me plait. J’aime sa simplicité, le coté méditatif de sa marche, son sens de l’observation, le fait qu’il prenne son temps, qu’il ne se balade pas avec des écouteurs sur les oreilles ou les yeux rivés à l’écran de son smartphone.
Le trait du mangaka est pour beaucoup dans le charme qui se dégage de ce titre. Les décors sont magnifiques de précision, les perspectives, nombreuses, sont d’une grande minutie. L’attention portée aux expressions du visage est également à signaler. Tout est dit dans ce port de tête légèrement incliné vers le haut, ce regard pétillant du marcheur attentif à l’environnement qui l’entoure.
Grâce à cette réédition somptueuse célébrant les 10 ans de la collection Écritures de Casterman, ce volume entre enfin sur les rayonnages de ma bibliothèque. L’objet en lui-même est magnifique : un tirage limité à 3000 exemplaires avec couverture imprimée sur papier métallique, tranche-fil, signet et bord des pages dorées (je vous avais parlé de cette opération anniversaire ici). Petit bémol tout de même pour les collectionneurs obsédés par l’état parfait des BD qu’ils achètent (ce n’est pas mon cas mais ils sont plus nombreux qu’on ne le croit) : la couverture métallique est tellement fragile qu’elle marque au moindre petit coup. Chez mon libraire, aucun exemplaire n’était exempt de défaut (trace de frottement ou léger enfoncement). Bon courage, donc si vous vous lancer dans la quête d’un volume à l’état absolument impeccable ! Si vous êtes moins pointilleux et que cet inclassable manga vous tente, laissez vous embarquer, vous ne devriez pas le regretter.
L’homme qui marche, de Jirô Taniguchi. Édition spéciale, Caterman 2012. 155 pages. 18.50 euros.
« Lorsque j’étais
enfant, je voulais être pauvre et écrivain ». Comme quoi, les rêves d’enfance
se réalisent parfois. Elise, double littéraire de l’auteur, ne peut plus payer
son loyer. Elle décide donc se débarrasser de tout ce qui se trouve dans son
logement avant de le quitter et elle commence par les livres. Ne souhaitant pas
les vendre, elle les descend en bas de chez elle et les offre aux passants :
« Donner mes livres, c’était comme offrir un mari qu’on ne regarde plus à
une femme qui le désire… ». Après les livres, ce sera au tour de la
vaisselle, des vêtements et des meubles. Au final, il ne restera plus rien. « A
ma grande surprise, moi qui ne suis pas d’un naturel généreux, loin de là –
plutôt d’un égoïsme total et décomplexé : après moi le déluge -, je me
découvrais heureuse de donner, de tout donner. » En rendant les clés de
son appartement, Élise sait qu’elle entame une période de précarité et de
nomadisme. Des amis lui prêtent une maison à St Nazaire. Un atelier d’écriture
l’emmène pour quelques temps en Guyane. Le retour à Paris est difficile, la
marchande de sommeil qui lui loue une chambre de bonne insalubre est un odieux
personnage. Après quelques détours en Corse et dans le Tarn elle trouve enfin
un vrai studio dans ses modestes moyens en face de l’hôpital Saint-Louis. L’écrivain
nomade se sédentarise et semble retrouver un certain équilibre…
J’aime bien Élise
Fontenaille. Je vous en ai parlé ici et ici. Ma vie précaire tient presque du
journal intime. Difficile de démêler le vrai du faux mais il semble bien que la
plupart des événements relatés se sont vraiment déroulés. Les premiers
chapitres sont excellents, de l’installation de sa « bibliothèque sauvage »
en bas de chez elle à son voyage en Guyane, les anecdotes sont savoureuses et
traitées sans pathos. Le problème, c’est que par la suite, l’empilement des
saynètes et des portraits plutôt fades a sérieusement entamé mon intérêt pour le
texte. Le pire, (pour moi) ce sont tous ces chapitres où elle s’attarde sur ses
nombreuses conquêtes, le plus souvent des jeunes gens d’origines exotiques qui
ne font que défiler dans sa vie (et dans son lit) les uns après les autres. Du
récit léger et émouvant on passe à cette autofiction pure et dure que je ne
supporte pas. Franchement, les nombreux succès de la narratrice sur les sites
de rencontres m’ont laissés totalement de marbre.
Au final, ce roman
autofictionnel m’est apparu bancal. Des débuts franchement réussis et une fin
laborieuse, limite pénible. Heureusement qu’il n’y avait pas 50 pages de plus,
je crois que j’aurais abandonné en route. Une relative déception donc, qui ne m’empêchera
cependant pas de m’intéresser aux futures publications de cette auteure
attachante.
Ma
vie précaire, d’Élise Fontenaille. Calmann-lévy, 2012.
206 pages. 15,50 euros.
Au secours, Wilt revient ! Pour ceux qui ne le connaissent pas, Henry Wilt est professeur à l’université britannique de Fenland. Il a en charge l’enseignement des techniques de la communication, une matière qui n’attire que des élèves de piètre qualité. Malgré son statut, le salaire du professeur ne suffit pas à faire bouillir la marmite. Il faut dire que sa femme, Eva, a souhaité inscrire leurs quadruplées dans une école privée dont les frais de scolarités sont exorbitants. En plus, les quatre gamines sont ingérables et rendent folles les responsables de l’établissement qui n’ont qu’une envie, les virer. Jamais avare de fausses bonnes idées, Eva pense avoir trouvé une solution aux problèmes financiers du ménage : pendant les vacances d’été, son mari va donner des cours particuliers à Edward Gadsley, un gosse de riches décervelé dont la mère pense qu’il peut intégrer la prestigieuse faculté de Cambridge grâce à une solide remise à niveau. Problème, Edward est un crétin fini, sa mère une nymphomane alcoolique et son beau-père un richissime aristocrate imbuvable. Wilt le sait, il va s’embarquer dans une sacrée galère. Mais il ne se doute pas du cauchemar qui l’attend dans le manoir des Gadsley…
Pour le cinquième épisode des aventures de son loser préféré, Tom Sharpe frappe fort. Son petit prof sans envergure, toujours affublé d’une femme tenant plus du dragon que de la tendre épouse et de quadruplées aussi odieuses que douées pour inventer les pires catastrophes, se fourre une fois de plus dans un inextricable guêpier. En anglais, Wilt signifie « dégonflé ». Un qualificatif parfait pour un antihéros dont le courage n’est certes pas la qualité première.
L’humour en littérature est un exercice des plus difficiles. Sharpe est passé maître en la matière, c’est indéniable. Franchement, je me suis régalé. Les aventures de Wilt sont à la fois rocambolesques et désopilantes. Les personnages semblent tous complètement cintrés, pervers, grossiers et abrutis. De l’humour, donc mais de l’humour très vache et une plume trempée dans l’acide qui dresse un impitoyable portrait d’aristos dégénérés. Un roman déjanté mais qui reste pétri de finesse, humour anglais oblige. So british !
Comment enseigner l'histoire à un ado dégénéré en repoussant les assauts d'une nymphomane alcoolique, de Tom Sharpe. Belfond, 2012. 276 pages. 19 euros.
Décembre 1606. Trois navires quittèrent Londres avec pour mission d’établir une colonie en Amérique du Nord. Trois cents hommes en tout, espérant que cette aventure leur permettrait de faire fortune rapidement. Parmi eux, le capitaine John Smith, un officier expérimenté ayant notamment prouvé sa bravoure en méditerranée. Après quelques escales aux Antilles, les navires remontèrent toujours plus vers le nord. C’est finalement le 24 mai 1607, sur les cotes de la Virginie que fut officiellement fondée la colonie de Jamestown, baptisée ainsi en l’honneur du roi James. Jusqu’à son retour forcé en Grande Bretagne à l’automne 1609, John Smith fut un des membres les plus importants de la communauté. Aujourd’hui encore, il reste considéré comme un héraut de la colonisation anglaise en Amérique du Nord.
Le projet de Chrisopher Hittinger était au départ assez simple. Son but ? Raconter l’aventure de Smith et de ses camarades en respectant au maximum la réalité historique, loin de toutes les versions romancées proposées habituellement. Certes, Smtih a rencontré Pocahnontas. Il se pourrait même qu’elle lui ait sauvé la vie. Mais point d’histoire d’amour entre eux, on n’est pas chez Disney !
L’histoire de Jamestown, c’est celle d’une installation éprouvante pour des hommes pas du tout préparés à affronter un tel environnement. Il y a d’abord eu la difficile cohabitation avec les indiens, ponctuée d’épisodes très violents. Puis survinrent les dissensions internes, la maladie, la faim, la rudesse du climat… Pour couronner le tout, un incendie ravagea la ville.
L’auteur insiste sur les luttes intestines qui ont gravement mis en danger la cohésion du groupe et sur l’attitude ambiguë des colons vis-à-vis des autochtones. Smith, notamment, n’hésitait pas à utiliser la force si nécessaire et il savait par ailleurs faire preuve de bonne volonté lorsque cela s’avérait utile, surtout quand il avait besoin de indiens pour se procurer de la nourriture. Vous avez-dit opportuniste ?
La vraie originalité de l’album réside dans le style très particulier de l’auteur, fortement influencé par l’œuvre d’Edward Gorey, un illustrateur américain proche des surréalistes. L’éditeur qualifie à juste titre ce style « d’allégorique ». Plutôt que de proposer un trait ultra-réaliste, Hittinger donne à chaque personnage une forme très particulière (voir extrait ci-dessous). Rajouter à cela une absence totale de dialogues (les événements sont uniquement relatés dans des récitatifs), un découpage se limitant à des doubles illustrations pleine page ainsi qu’une utilisation du noir et blanc plutôt anxiogène et vous vous retrouvez avec une sorte d’OVNI inclassable d’un point de vue graphique.
Je ne suis d’ordinaire pas fan de la BD underground, je préfère de loin le classicisme aux expérimentations parfois incontrôlables. Je me suis donc surpris à éprouver un réel plaisir à la lecture de cet album. Sans doute parce que le sujet m’a beaucoup intéressé mais aussi parce que, malgré les apparences, il se dégage du dessin une surprenante cohérence.
Ceux qui passent régulièrement par ici connaissent ma passion pour les schtroumpfs. J’en ai déjà parlé ici, là, là, là, là et là. Comme chaque année dès que le printemps arrive, je file chez mon libraire acheter le nouvel album. Pour le 30ème volume, Thierry Culliford, le fils de Peyo, a choisi de faire rentrer les forces de l’ordre dans le village des schtroumpfs.
Lassé de devoir régler les petites querelles quotidiennes qui empoisonnent la vie de la communauté, le grand schtroumpf décide de rédiger un livre des lois. Tous les habitants sont invités à participer à la création de ce « code schtroumpf de bonne conduite ». Chacun voyant midi à sa porte, les petits hommes bleus transforment le code en une longue liste d’interdictions : pour le schtroumpf jardinier, il faudrait interdire la traversée de son champ. Pour le pêcheur, il faudrait interdire de « schtroumpfer n’importe quoi dans la rivière » alors que pour le paresseux, il faudrait interdire de faire du bruit pendant sa sieste. Au final, le code schtroumpf s’apparente à une longue liste d’interdits. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et l’application du code s’avère bien plus délicate que sa rédaction. D’où la décision de créer des « schtroumpfs de l’ordre » chargés de faire appliquer les lois...
Comme d’habitude depuis maintenant quelques albums, Culliford s’amuse à brocarder les travers de notre société en les appliquant à l’univers des schtroumpfs. Après les superstitions, le tourisme de masse et le machisme, place au « tout sécuritaire ». Rien de bien original au fond même si le traitement humoristique de la question rend la lecture plutôt légère. Sans évidemment exprimer une quelconque position politique, le scénariste égratigne à la fois la police et les schtroumpfs lambda, décrits comme râleurs, égoïstes et procéduriers. Une simple transposition des travers humains qui se révèle au final assez fade.
Pour valider mon impression mitigée, j’ai donné l’album à un juge aussi impartial qu’impitoyable, ma fille de 9 ans. Elle a eu une attitude que je trouve assez saine quand je lui propose une lecture, à savoir qu’elle est toujours partante pour se lancer sans à priori mais qu’elle parvient très rapidement à se forger un avis. En fait, il n’y a que deux solutions : ou bien le livre lui plaît et elle le dévore, ou bien elle n’accroche pas et elle l’abandonne comme une vieille chaussette pour passer au suivant. C’est assez radical et je ne doute pas qu’en grandissant elle saura faire preuve de plus de mesure mais pour l’instant son attitude face à la lecture me convient. Bref tout ça pour vous dire que ces « schtroumpfs de l’ordre » n’ont pas fait long feu. A peine 20 pages avant qu’elle ne revienne vers moi en prononçant la sentence définitive : « Tiens, je te le rends, j’aime pas. » Je ne fais pas partie (loin de là !) de ceux qui pensent que la vérité sort de la bouche des enfants mais pour le coup je ne suis pas loin d’être d’accord avec elle : le 30ème album des schtroumpfs est un petit cru qui tombe dans une coupable facilité et n’apporte strictement rien de nouveau à la série.
Mais bon, je ne suis pas rancunier et je serais fidèle au rendez-vous l’année prochaine pour découvrir la nouvelle aventure des petits hommes bleus.
Les schtroumpfs T30 : Les schtroumpfs de l’ordre de Culliford, Jost et De Coninck. Le Lombard, 2012. 48 pages. 10,60 euros.
Huck et Charley étaient partis pour la Californie. Le gamin blanc s’était fait passer pour mort afin d’éviter un placement en famille d’accueil et le journalier noir, accusé à tort de meurtre, cherchait à échapper au terrible shériff Bisley. Mais en chemin leurs routes se sont séparées. Charley a vendu son âme au diable pour devenir Lucius no Fingers, un joueur de blues incroyablement talentueux, et il a quitté Huck pour se lancer dans une carrière musicale des plus aléatoires. Incapable d’imaginer la vie sans son ami, le jeune garçon, accompagné de la jolie Suzy, retrouve sa trace à Memphis mais il découvre que Bisley et ses sbires sont eux aussi à la recherche de Charley et veulent le récupérer plutôt mort que vif…
Enfin ! Après trois ans d’attente, Steve Cuzor clôt la première partie de cette série ô combien prometteuse. S’il a perdu en route son co-scénariste Philippe Thirault, remplacé par Stépan Colman, il ne s’est pas pour autant écarté de son objectif de départ, à savoir transposer l’histoire d’Huckleberry Finn dans l’Amérique des années 30. Ce troisième volume laisse de coté l’univers ferroviaire des hobos et recentre l’intrigue dans un décor purement urbain. Au menu, l’envoutante Memphis : « point de liaison entre le Sud sauvage et le Nord paternaliste, c’était d’ici que partaient tous les trains musicaux, blues, jazz, swing, western-counrtry… Memphis allait également inventer le barbecue, les supermarchés, les chaines hôtelières, les transports express et la nostalgie infinie… » Pour Huck, la visite de la ville va se circonscrire aux quartiers noirs et aux junk joints, ses bouges infâmes où les musiciens de passage jouaient chaque soir pour quelques dollars et où l’alcool coulait à flot. Cette Amérique de la grande dépression est ici parfaitement retranscrite par le trait dense et précis de Cuzor. Il me rappelle encore et toujours par moments le Blueberry de Giraud, ce qui est quand même LA référence ultime. En dehors du dessin, l’autre qualité majeure de l’album (selon moi) réside dans le clin d'oeil fait à l'histoire du légendaire bluesman Robert Johnson. Charley vend son âme au diable et cherche le Crossroad, ce carrefour mythique où l’on doit faire des choix qui vont sceller notre destin. Selon la légende, Robert Johnson aurait rencontré le malin alors qu’il s’était assoupi au bord d’un Crossroad. Une entité surgit de nulle part lui apparut et, en échange de son âme, elle accorda sa guitare. Suite à cette rencontre, Johnson, musicien sans talent, devint l’un des plus grands bluesmen de tous les temps. Mais quand on passe un tel pacte, il faut s’attendre à payer l’addition un jour ou l’autre. Charley, comme Robert Johnson (empoisonné par un mari jaloux, il mourut dans d’atroces souffrances), l’apprendra bien assez tôt…
L‘ambiance et les références à la musique, voila tout ce que je retiendrais de cet album. Pour le reste, la platitude de l’intrigue est flagrante et les personnages (notamment Huck) n’attirent aucune empathie particulière, contrairement aux volumes précédents. J’ai survolé les événements sans jamais me sentir vraiment concerné. Une impression assez désagréable, heureusement en partie compensée par la qualité du dessin.
Il n’empêche, cette fin de cycle est pour moi une déception. C’était bien la peine d’attendre si longtemps !
Allez, pour ne pas finir sur une fausse note, je vous propose d’écouter Rambling on my mind version Robert Johnson, un enregistrement datant de 1936. Clapton a repris ce titre sur son album Blues Breakers.
Au sommaire de ce septième numéro,
un focus sur le dernier ouvrage d'Isabelle Marsay consacré à Jean-Jacques Rousseau, des portraits de Pascale Arguedas, d'Alban Liechti et du dramaturge Jean-Pierre Canet, une nouvelle de Mario Lucas, la chronique du professeur Hernandez et la présentation de recueils de nouvelles de
Pierre Autin-Grenier. De mon coté, je vous parle de la Kililana Song de Benjamin Flao.
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1979. Dans le quartier, quelqu’un s’en prend aux animaux : écureuils, chats, chiens. On les retrouve lardés de coups de couteau. Calvin, 8 ans, connaît l’identité du coupable. Il l’accompagne dans ses pérégrinations nocturnes à la recherche de ses proies. L’assassin, c’est Molly, une gamine à peine plus âgée que lui dont les parents sont morts dans un accident de voiture. Molly va crescendo. Après les petits animaux, elle s’attaque aux plus gros : vache, cheval, etc. Calvin le sait, elle va finir par s’attaquer à un être humain, c’est inéluctable…
La première nouvelle de ce recueil donne le ton. Le lecteur est sonné, envoûté par la prose au cordeau. Dans les huit autres textes, on croisera une femme dans le coma dont l’esprit vagabonde dans les couloirs de l’hôpital, un « toubib bousillé », cocaïnomane notoire, qui se rend au chevet de son père mourant, un garçon dont le frère est cinglé ou encore une ado, née grande prématurée, qui passe sa vie à l’hosto et tombe amoureuse d’un interne incompétent. On tourne la dernière page de l’ultime nouvelle qui met en scène la naissance du futur Antéchrist et on se dit : quel culot ! L’univers de Chris Adrian est sombre, torturé, unique. Oncologue spécialisé en pédiatrie, il a dû vivre des moments sacrément difficiles au cours de sa carrière pour imaginer des situations aussi tordues. Ce n’est sans doute pas pour rien que la plupart de ses personnages sont des enfants en souffrance, des écorchés vifs.
Cet auteur parle de la vie, la mort, la maladie, la fratrie, le deuil. Il semble aussi avoir été profondément marqué par les événements du 11 septembre 2001 (trois nouvelles y font directement référence). Ce qui est incroyable c’est que la construction de chaque texte, pourtant assez complexe, est parfaitement maîtrisée.
Encensé par le New York Times et le Boston Globe, classé par le prestigieux New Yorker parmi les 20 meilleurs jeunes écrivains américains, Chris Adrian propose avec Un Ange meilleur un recueil dérangeant et intense qui ne laissera aucun lecteur indifférent. Je ne pense pas que tout le monde adhère à cet univers si particulier mais il est évident que l’on ne tombe pas tous les jours sur un auteur débutant qui possède autant de talent. Je vous aurais prévenu.
Un ange meilleur, de Chris Adrian, Albin Michel, 2012. 284 pages. 22 euros.
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux ». Ainsi commence cet inclassable opuscule d’à peine 20 pages. Stig Dagerman, écrivain suédois anarchiste, a rédigé ce texte en 1952. Le propos est d’une insondable noirceur. Où trouver la consolation ? Dans les bras d’une femme ? Dans la compagnie d’un ami ? Dans l’écriture ? Une certitude (pour lui), l’existence est « un duel entre les fausses consolations qui ne font qu’accroître mon impuissance et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies, qui me mènent vers une libération temporaire. […] il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. » Pourtant, Dagerman reste persuadé que la liberté n’est qu’un leurre. « Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. […] Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société. »
Autre constatation lucide : « Rien de ce qui est humain ne dure. » Le propos vise ici à souligner la relativité du temps et le fait que rien, au cours de notre fulgurant passage sur cette terre ne pourra jamais nous apporter une réelle consolation. La conclusion devient alors inéluctable : « Il me semble comprendre que le suicide est la seule preuve de liberté humaine. »
Stig Dagerman s’est donné la mort le 4 novembre 1954. Il avait 31 ans.
Ça va, je vous ai bien plombé le weekend à venir ? Sérieusement, ce texte d’un incroyable pessimisme m’a beaucoup touché. C’est en quelque sorte le testament philosophique d’un homme profondément dépressif (il parle d’ailleurs de la dépression dans plusieurs paragraphes) arrivé à une conclusion inéluctable. L’écriture est magnifique, les arguments avancés sont solidement charpentés et le titre est tout simplement superbe.
Les Têtes raides ont mis l’ensemble du texte en musique. Vous pouvez l’écouter ci-dessous même si, franchement, cette « lecture musicale » ne rend pas hommage à la qualité de la prose de Dagerman.
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, Actes Sud, 1989. 24 pages. 4,10 euros.
Ariol, c’est le copain que tous les enfants rêvent d’avoir. Farceur, joueur, parfois chahuteur, fidèle en amitié, jamais méchant, il a tout pour plaire. Et ce n’est pas ses parents qui diront le contraire. Eux aussi adorent ce petit âne malicieux. Dans chaque volume sont regroupées des historiettes d’une dizaine de pages abordant tous les sujets : Ariol à l’école, Ariol à la maison, Ariol dans la rue, Ariol en vacances, Ariol avec ses grands-parents… Les petits bouts peuvent sans problème se projeter dans les situations imaginées par les auteurs car tout est raconté à hauteur d’enfant.
J’adore Ariol, un point c’est tout. Vous voulez vraiment savoir pourquoi ?
- Parce que la série s’adresse aux enfants avec humour et intelligence.
- Parce qu’Ariol et ses copains sont des gamins attachants.
- Parce que les adultes occupent une place importante dans la majeure partie des histoires. Ils ne sont pas là pour boucher les trous, ils sont vraiment dans une situation de communication crédible avec les enfants.
- Parce que des chapitres de 10 pages, c’est idéal pour ceux qui débutent en lecture.
- Parce que le recours très fréquent au gaufrier (quatre cases identiques par page, voir exemple ci-dessous) permet aux lecteurs peu habitués à la BD de bien saisir la façon dont s’appréhende la narration particulière de ce média.
- Parce que les albums sont jolis avec des rabats sur chaque couverture et un format carré qui tient bien dans les petites mimines.
- Parce qu’Ariol restera la première BD que ma fille de 6 ans aura lu toute seule. En plus, elle a adoré et elle a lu tous les albums en un temps record. Avouez que c’est l’argument ultime, non ?
Pas la peine d’aller plus loin, je ne cherche pas forcément à vous convaincre (quoique…). Disons que si vous avez des enfants qui lisent depuis peu et qui souhaitent découvrir la BD, je ne connais rien de mieux qu’Ariol pour leur mettre le pied à l’étrier. Testé et approuvé, comme dirait l’autre…
Ariol d’Emmanuel Guibert et Marc Boutavant. Bayard. 124 pages par volume. 11,50 euros. Dès 7 ans.
L’odyssée de Zozimos, c’est pas de la petite bière. Jugez plutôt : manipulé par son oncle, le garçon décide de se venger de la sorcière qui a assassiné son père et lui a volé la couronne du royaume de Sticatha. Au moment où commence ce second tome, Zozimos et ses compagnons atteignent enfin Sticatha après avoir survécu à une forêt enchantée et à un désert sans fin. Pour retrouver son trône, le jeune héros et ses amis les Zozinautes doivent se lancer dans une nouvelle quête : aller jusqu’au bout du monde et rapporter la légendaire plume d’or. Mais leur chemin sera pavé d’embûches et les épreuves à surmonter ne cesseront de devenir plus dangereuses les unes que les autres. Coté cœur, Zozimos va découvrir que sa promise, la belle et farouche Alexa, n’est autre que sa propre sœur. Apprenant la vérité, Alexa se crève les yeux pour ne plus jamais avoir à regarder en face son bienaimé. Une vraie tragédie, je vous dis !
Voila enfin la suite (et peut-être la fin) des aventures de Zozimos dont le premier volume faisait partie de la sélection jeunesse du festival d’Angoulême 2012. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le problème de Zozimos, c’est qu’il tient plus du loser que du héros. Une sorte d’ado qui se cherche et doit affronter chaque nouvelle épreuve avec un évident manque de confiance en lui. Tout l’intérêt de l’album tient dans ce numéro d’équilibriste permanent entre la présence d’épreuves dignes de l’odyssée d’Ulysse, de figures mythologiques classiques (Athéna, zéphyr, Hélios, Nix, les Dryades, les sirènes…) et le traitement très moderne de l’intrigue.
A part ça, vous êtes sûrs qu’il faut aborder la question du dessin ? Si je me la pétais, je pourrais (sans préciser ma source, évidemment) vous citer un extrait du magazine Casemate parlant du travail de Mathieu Sapin sur la série Akissi : « Si l’on considère le dessin avant tout comme un outil de narration censé porter une histoire hors de toute considération esthétique, alors le trait de Sapin est parfaitement adapté à la vivacité et la fraîcheur du personnage-titre. » Remplacez juste Sapin par Ford et le tour est joué. Plus simplement, de mon coté, je comparerais le trait de Ford à ces pubs de la MAIF mettant en scène des bonhommes fil de fer (je sais, c’est moyen comme référence mais que voulez-vous on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…). Une certitude tout de même, malgré la simplicité du dessin et l’absence de couleur, la fluidité et la lisibilité sont de mises. A noter également la qualité des dialogues qui ne sont par pour rien dans l’aspect moderne de cette agréable comédie d’aventure.
Au final, les clins d’œil à Homère disséminés par Christopher Ford tout au long de l’album feront le délice des enfants qui connaissent la mythologie sur le bout des doigts. Pour les autres, pas de panique, l’Odyssée de Zozimos peut aussi se déguster sans compétences particulières dans le domaine. L’auteur a su mixer les genres. Entre récit légendaire et roman d’apprentissage, il ratisse large, mais toujours avec finesse et intelligence, c’est bien là l’essentiel.
Affublé d’un grelot par un chasseur cruel, le renard Goupil va connaître un sort pitoyable. Nyctalette la taupe va quant à elle subir la brutalité du viol commis par l’un des siens. Fuseline la petite fouine doit s’amputer elle-même la patte qui la retient prisonnière d’un piège avant de livrer un dramatique combat avec un busard. Et que dire de Margot la pie, tombée entre les mains d’un homme qui, après l’avoir mise en cage, lui rognera les ailes pour l’empêcher de s’échapper et la poussera vers une mort aussi ignoble que libératrice. Huit nouvelles en tout, terribles et belles. Autant de petits drames où l’on découvre les mœurs des animaux de la forêt.
On réduit trop souvent la bibliographie de Louis Pergaud à la seule Guerre des boutons. Mais le célèbre écrivain francomtois, mort dans le charnier de Verdun en 1915 à l’âge de 33 ans, avait accédé au succès dès en 1910 en remportant le prix Goncourt avec ce recueil de nouvelles où ses talents d’écrivain animalier furent reconnus à leur juste valeur.
Ces récits poignants ont tout des contes tragiques. Naturaliste convaincu, Pergaud est parvenu à retranscrire le comportement des animaux dans leur milieu naturel. Aucun anthropomorphisme chez les bêtes qu’il met en scène. Les attitudes sont décrites avec une précision à l’évidence riche des expériences vécues par l’auteur.
La langue de Louis Pergaud est classique et tout simplement superbe. Jugez plutôt : « Le soir était revenu. Un soir de dégel au ciel livide chargé de gros nuages : des paquets de neige saturés s’égouttaient des grands arbres comme le linge d’une immense lessive, où s’abimaient sur le sol avec le bruit gras de poches qui crèvent en tombant ; des filets d’eau susurraient de partout ; la terre semblait couvée par une grande aile mystérieuse faite de tiédeurs et de bruissements, et il planait sur tout ceci l’angoisse d’une genèse ou d’une agonie. »
Pergaud a su saisir l’âme des petits habitants de la forêt. De Goupil à Margot propose une évocation réaliste de la vie animale d’une grande dureté. La prose est magnifique mais les situations dramatiques décrites mettront à mal la sensibilité des amoureux des animaux. Je vous aurais prévenu !
De Goupil à Margot de Louis Pergaud, Folio, 2006. 180 pages. 5.95 euros.
Vous savez quoi ? C’est Marie qui m’a donné envie de retourner voir Balzac. Son enthousiasme pour cet auteur est tel qu’il m’a convaincu. Pour moi, Balzac, c’est typiquement un écrivain du Bac. D’ailleurs je n’ai pas rouvert un de ses romans depuis cette époque fort lointaine (1992 pour tout vous dire).
Courageux mais pas téméraire, j’ai préféré replonger dans La comédie humaine par le prisme de la BD. Téméraire, je le serai un peu plus tard dans l’année en m’attaquant à La Duchesse de Langeais pour une lecture commune. Pour l’instant donc, j’en reste au Père Goriot en bande dessinée.
Le père Goriot s’ouvre sur la description de la Maison Vauquer, une sordide pension du quartier latin regroupant une galerie de personnages hauts en couleur. Il y a là l’inquiétant Vautrin, ancien forçat échappé du bagne, le jeune et désargenté Eugène de Rastignac, la timide Mlle Taillefer et bien sûr le fameux Père Goriot, pitoyable vieillard se ruinant pour satisfaire les caprices de ses deux filles, Delphine et Anastasie. Rastignac est la pierre angulaire du récit, c’est autour de lui que les intrigues et les relations entre les personnages se nouent. C’est lui qui, peu à peu, va percer les différents mystères et mettre à nu la réelle personnalité de chacun. Et pour tout dire, le tableau n’est pas reluisant. De la triste pension aux salons aristocratiques, Rastignac évolue entre deux mondes finalement pas si éloignés que cela. Partout, c’est l’égoïsme, la cupidité et les manigances qui dominent. Finalement, Le père Goriot, au-delà de l’étude de mœurs, est un roman d’initiation et de formation. Confronté à l’apprentissage du réalisme, Rastignac voit dans la mort du Père Goriot et l’absence inexcusable de ses filles à son enterrement, l’achèvement de son éducation : « A nous deux maintenant ! » lance-t-il en contemplant Paris, prêt à défier cette société qu'il méprise et dont il a compris le fonctionnement.
Faire tenir le texte de Balzac en 95 planches, voila un pari délicat à relever. L’adaptation est-elle réussie ? Je ne pourrais pas me prononcer car je n’ai gardé aucun souvenir du roman. Ce que je peux constater c’est que le déroulement de l’intrigue reste limpide malgré la multiplicité des personnages et des événements. Bruno Duhamel restitue avec talent le Paris du 18ème siècle. Il se révèle aussi à l’aise pour représenter la triste pension que les maisons bourgeoises ou l’opéra. Son travail sur les costumes et le mobilier est par ailleurs remarquable.
Qui l’eut cru, j’ai dévoré cette intégrale d’un seul trait. Un vrai plaisir de lecture aussi inattendu qu'agréable. Marie, je crois que je suis prêt à passer à la suite, La duchesse de Langeais n'a qu'à bien se tenir !
Le père Goriot : l’intégrale de Lamy, Thirault et Duhamel, d’après Balzac. Delcourt, 2012. 96 pages. 16,95 euros.
Vous saviez que le début des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient remonte au 18ème siècle ? Moi pas. En même temps je ne suis pas du tout un spécialiste de la question. Pour tout dire, le sujet m’intéresse moyennement. Heureusement, j’ai gagné le Loto BD de Mo’ et c’est elle qui m’a fait parvenir cet ouvrage. Je dis heureusement car sans cela je ne me serais jamais lancé dans la lecture de cet album et j’aurais perdu l’occasion d’approfondir mes connaissances en géopolitique qui sont pour le moins médiocres.
Tout commence avec Gilgamesh. Les points communs entre son épopée il y a 2400 ans et l’invasion américaine en Irak en 2003 y sont soulignés de manière stupéfiante. Dans le second chapitre est abordée la guerre menée par la flotte américaine contre la piraterie « barbaresque » en méditerranée. Les premières captures de bateaux de commerces américains par les musulmans datent de 1785. A cette époque, 20% du budget de l’état est consacré à l’achat de la paix avec les barbaresques. Difficile de comprendre pourquoi la jeune nation américaine emploie autant d’énergie (et d’argent) pour régler un conflit relativement mineur se déroulant à des milliers de kilomètres de son sol. Une question d’orgueil, déjà !
Le troisième chapitre est sobrement intitulé « Pétrole ». Il revient sur l’alliance entre l’Arabie saoudite et l’Amérique de Roosevelt en 1939 qui sera le point de départ de l’exportation du pétrole saoudien vers le pays de l’Oncle Sam. Le dernier chapitre se focalise sur la question iranienne et se déroule entre l’immédiat après-guerre et le coup d’état contre Mossadegh en 1953. La politique moderne entre en scène et les officines américaines (notamment la CIA) y jouent un rôle fondamental.
C’est ce dernier chapitre qui m’a le plus intéressé. On découvre l’intelligence avec laquelle les américains ont mené leur barque pour apparaître comme des alliés du Moyen-Orient en opposition aux grandes puissances coloniales honnies (France et Grande-Bretagne). Évidemment, il ne faut donner à cette bonne volonté de façade aucune dimension philanthropique. Si les américains sont autant actifs dans la région, c’est, d’une part, pour le pétrole, et, d’autre part, pour développer une politique impérialiste qui va peu à peu les entraîner dans un engrenage dont ils ne sortiront pas indemnes.
Jean-Pierre Filiu, professeur à sciences po, est un spécialiste du monde arabo-musulman. Autant vous dire que son texte allie rigueur historique et clarté. C’est en rencontrant David B. au festival de Blois que l’idée lui est venue de mettre en images une histoire des relations entre l’Amérique et le Moyen-Orient.
Niveau dessin, il n’est pas évident de représenter autant d’événements et de situations d’un simple coup de crayon. David B. suggère, il illustre, sans jamais vraiment être dans la narration. Il y a quelques trouvailles graphiques intéressantes et de superbes scènes de bataille mais j’avoue que je me suis davantage focalisé sur le propos de Jean-Pierre Filiu et que j’ai parfois eu quelques difficultés à bien cerner la relation texte/image.
Au final, j’ai beaucoup apprécié cette traversée de quelques siècles focalisée sur l’évolution de la politique américaine au Moyen-Orient. Surtout, cette BD m’a rendu moins ignorant que je ne l’étais sur la question. Et rien que pour ça, je remercie chaleureusement Mo' pour la pertinence de son choix.
Les meilleurs ennemis de Jean-Pierre Filiu et David B. Futuropolis, 2011. 116 pages. 20 euros.
Me voila donc avec entre les mains Un goût d’interdit (c’est le titre du livre, commencez pas à vous faire des films). Premier réflexe, j’ausculte la bête. La couverture est bof, on dirait un vieux Harlequin de ma grand-mère. La 4ème de couv est plus intéressante. J’apprends que je vais découvrir l’histoire de Bettina, une romancière passant ses vacances dans une superbe villa au bord de l’océan avec un groupe d’écrivains branchouilles. Parmi eux, il y a la sulfureuse Audrey et surtout le beau Jack, un séducteur auquel personne ne résiste... Le premier paragraphe ? « Des mains inconnues me caressent dans le noir. L’air sent le sexe, l’encens et la sueur. Des bouches sans visage dévorent de baisers mon ventre et mes seins nus, et je me cambre pour offrir mes mamelons affamés à ces lèvres chaudes et audacieuses. Oh oui... La tension monte entre mes jambes. Un souffle chaud effleure mes cuisses ouvertes, s’approche de ma chair frissonnante. Des doigts écartent mes replis les plus intimes et le plaisir se répand dans mes veines comme du feu liquide. Je tremble de la tête aux pieds, brûlante, haletante. »
Alors, ça le fait non ? Au moins, on est tout de suite dans le bain. Et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. J’ai assez persiflé sur la mollesse du pompier névrosé dont je vous narrais les aventures il y a deux mois. Là, pour le coup, on sait où on met les pieds. Une héroïne accro à son vibromasseur, qui se découvre une attirance pour les ébats saphiques et qui finit par passer ses journées à forniquer avec un beau mec dont elle va évidemment tombée amoureuse, c’est classique mais efficace. Surtout quand on a une scène de sexe toutes les 20-30 pages. Là au moins, on en a pour son argent. Bien sûr, il ne faut pas être regardant au niveau du style, on n’est pas chez Flaubert, c’est une évidence. Pareil pour la jolie Bettina, une jeune femme naïve comme c’est pas possible. On dirait une ado qui découvre les premiers émois de la sexualité. Et puis on ne peut pas dire que la demoiselle soit frigide. Elle aurait plutôt tendance à démarrer au quart de tour : « Le plaisir m’emporte comme un raz de marée. » ; « Le plaisir me transperce comme une lame. » ; « Le plaisir et la douleur me transpercent à force égale. » ; Un éclair me transperce et je me cabre, secouée par les spasmes du plaisir. » ; « Le plaisir est une vague qui monte et reflue comme l’océan. » ; « Le plaisir me traverse de part en part et soudain tout mon corps se contracte. » Qui a dit que le champ lexical était limité ? En même temps, je vous avais prévenus, on est pas chez Flaubert.
Trêve de persiflage. L’ensemble est sans saveur mais au moins l’auteur ne se prend pas plus au sérieux que nécessaire. Et le lecteur me direz-vous ? Et bien il sait ce qu’il a entre les mains (je parle encore et toujours du livre, je préfère préciser, on ne sait jamais...) et il n'y a pas tromperie sur la marchandise, c'est déjà pas mal. De toute façon, pas la peine de jouer la vierge effarouchée qui ne savait pas à quoi s’attendre. Quand on écume les blogs qui participent au 1er mardi c’est permis, c’est qu’on a déjà une petite idée derrière la tête...
Au sommaire de ce sixième numéro, des portraits d’Alessandro
Baricco et de René Vautier, une nouvelle de Stéphane Cugnier, la chronique du
professeur Hernandez, deux chroniques
livres consacrées aux Carnets de notes de Pierre Bergounioux
et à Dans la peau d’un noir de John Howard Griffin, une réflexion sur la
place de l’adjectif dans la littérature et la présentation de recueils de
nouvelles de Marie-Hélène Laffon et de Dino Buzzatti. De mon coté, je vous
parle de la BD Milady de Winter.
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