jeudi 30 novembre 2023

Les infortunes de la vertu - Sade

Les infortunes de la vertu est un conte philosophique écrit par Sade en 1787, pendant son emprisonnement à la bastille. Il y aura deux variations postérieures à cette première mouture. La seconde date de 1791 et s’intitule Justine ou Les malheurs de la vertu. La dernière est publiée en 1797 sous le titre La nouvelle Justine ou les Malheurs de la vertu. Chaque nouvelle version gagne en épaisseur et en détails sordides. Il faut dire que la pauvre Justine en subit des outrages. Contrairement à sa sœur Juliette, libertine et immorale, elle souhaite par-dessus tout rester vertueuse. Dénuée de toutes ressources suite au décès de ses parents, elle va successivement tomber entre les mains d’un marchand cruel, d’une mère maquerelle, d’un adepte de la luxure parricide, d’un chirurgien sadique, de prêtres libidineux amateurs d’orgies et d’un faux-monnayeur esclavagiste. Rien que ça !

A chaque rencontre, la jeune femme creuse un peu plus le sillon de l’infortune, à chaque rencontre elle veut mettre en application une forme de vertu (pudeur, pitié, honnêteté, bienfaisance) et s’en trouve punie. Le texte se répète de façon mécanique et le lecteur sait d’avance qu’en sortant d’une terrible épreuve Justine va plonger la tête la première dans une nouvelle séquence encore plus traumatisante. Le message est clair, la vertu est une soumission à Dieu et aux hommes qui n’apporte dans son sillage que le malheur. 

Cette redondance dans les situations rend la lecture monotone et sans surprise, à tel point que l'on finit par ne plus éprouver la moindre compassion à l'égard de cette cruche de Justine dont l'obstination à vouloir le bien exprime une candeur godiche. Devant tant de naïveté et de manque de lucidité face aux réalités d'un monde sans pitié pour les vertueux, le lecteur n'a qu'une seule envie, lancer avec force et conviction un tonitruant : Voyons Justine, un peu de vice, que diable !

Les infortunes de la vertu de Sade. 10-18, 1993. 186 pages. 7,00 euros.



le rendez-vous des Classiques c'est fantastique s'invite ce mois-ci au 18e siècle.
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mercredi 22 novembre 2023

The Big Wall - Yoji Kamata et Kunihiko Yokomizo

Un homme souhaite déposer les cendres de sa femme au pied des cascades de glace du Mont Fuji. Une mère veut à tout prix accéder à l’endroit où un torrent déchaîné a emporté son fils. Un photographe spécialiste des prises de vue en haute altitude s’apprête à changer de vie pour voir son enfant grandir. Le seul survivant d’une tempête subie sur les contreforts de l’Himalaya retourne sur les lieux de la tragédie. Un secouriste doit quitter sa famille la veille du nouvel an pour franchir le Mont Yari, à plus de 3000 mètres d’altitude, afin de répondre à un appel de détresse.

Toutes ces histoires ont pour point commun la présence de Yasushi Senju, alpiniste de renom. Les clients font appel à ses services pour profiter de ses exceptionnelles compétences en haut altitude. Dans chacune des ses missions, la vie et la mort se côtoient. Et au-delà des conditions extrêmes dans lesquelles les personnages se retrouvent, le recueil donne à voir les motivations qui poussent chacun à mettre son existence en danger, pourquoi la haute-montagne fascine, enivre et pousse les hommes dans leurs retranchements les plus profonds, tant physiques que psychologiques. 

Chaque nouveau chapitre met en scène des personnages différents mais Yasushi donne à l’ensemble une ligne directrice cohérente. Surtout que la dernière histoire permet de comprendre les raisons qui poussent cet alpiniste de l’extrême à multiplier les contrats tous plus dangereux les uns que les autres. Ses motivations, comme d’ailleurs celles de ses « clients » relèvent de l’intime et puisent leurs sources dans une histoire personnelle souvent chaotique.

Le dessin est parfait pour ce genre de récit, épuré, hyper lisible, sans la moindre surcharge graphique. Les visages rappellent parfois le trait du grand maître Naoki Urasawa période Monster, autant dire une sacrée référence !

Pour leurs premiers pas dans le monde du manga les éditions Paulsen, spécialisées en littérature de voyage et d'exploration, signent avec ce one shot un coup de maître. Je me suis régalé du début à la fin, charmé à la fois par le traitement graphique du sujet et par la profondeur de réflexion philosophique. Une totale réussite.

The Big Wall de Yoji Kamata et  Kunihiko Yokomizo. Paulsen, 2023. 250 pages. 20,00 euros.



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lundi 13 novembre 2023

Niré - Aki Shimazaki

Niré est le quatrième tome de la dernière pentalogie d’Aki Shimazaki, qui a pour titre général « Une clochette sans battant ». L’avantage avec les pentalogies de Shimazaki c’est que, même si chaque nouvelle histoire fait partie d’un grand tout, elle peut se lire indépendamment des autres.

Après les deux sœurs et le père, le narrateur est cette fois-ci Nobuki, le petit dernier et unique fils de la famille Niré. Marié, Papa de deux fillettes, il se désole de voir Fujiko, sa mère frappée d’Alzheimer, ne pas le reconnaître lorsqu’il lui rend visite à la maison de retraite. Quand les premiers symptômes de la maladie son apparus, Fujiko avait commencé à tenir un journal intime qu’elle avait pris soin de cacher dans le double fond d’un bureau. En trouvant par hasard ce journal, Nobuki découvre sa mère comme il ne l’a jamais connue, révélant des secrets qui vont éclairer d’une manière inattendue sa propre histoire. 

Aki Shimazaki respecte toujours le même schéma : un texte court, un narrateur forcément en lien avec ceux des tomes précédents, des secrets de famille qui refont surface, un questionnement sur la mémoire et la place de la femme dans une société japonaise où le patriarcat ne cesse de l’étouffer. Le style reste minimaliste, épuré, tout en retenu. Et quand la quiétude se trouble, les vagues de ressentiment ne débordent jamais dans l’outrance, la pudeur et l’introspection restant les maîtres mots. 

J’aime retrouver l’univers de cette auteure à chaque nouvelle publication. Il y a quelque chose de rassurant dans ses ouvrages, l’impression de se sentir en terrain connu, d’avoir ses repères, d’être un peu comme à la maison. Seul bémol récurrent, ces coïncidences un peu trop grossières qui font avancer l’intrigue de manière pas franchement subtile.

Mais peu importe, c’est un détail qui ne m’empêchera pas de savourer comme il se doit la conclusion de cette pentalogie. Vivement le printemps prochain !

Niré d’Aki Shimazaki. Actes Sud, 2023. 135 pages. 16,00 euros. 






mercredi 8 novembre 2023

Maltempo - Alfred

Mimmo traîne son ennui dans une petite bourgade du sud de l'Italie. Entre la Méditerranée et la garigue, entre les journée passées à arpenter les rues poussiéreuses et à fuir les ados de son âge délinquants en devenir, ses perspectives d'avenir sont bien maigres. A 15 ans, Mimmo rêve de musique et gloire. Sa guitare ne le quitte jamais, elle est selon lui son passeport pour un ailleurs meilleur. Il faudra juste ne pas rater l'occasion quand elle se présentera... 

Je me réjouissais de revenir sous le soleil brûlant de l’Italie avec Alfred tant j’avais adoré Come Prima et Senso. La déception est malheureusement à la hauteur de mes attentes. La veine est moins poétique, moins philosophique, plus réaliste que dans les deux albums précédents de sa trilogie italienne. Les thèmes abordés sont d’actualité mais la touche sociale ne sonne que comme une partie du décor, rien de plus. Et puis cette histoire « adolescente » m’a moins touché que les récits mettant en scène les adultes. On a l’impression de rester à la surface, de ne pas creuser la psychologie des personnages, d’en être maintenu à distance. Ici il n’y a pas de surprise, tout est convenu, même la fin.

Heureusement il reste la patte d’Alfred, sa capacité à faire ressortir avec un minimalisme bluffant la chaleur étouffante, cette espèce de langueur qui emprisonne des village paumés et isolés du reste du monde. Les cases muettes sont paradoxalement les plus parlantes et le « lâcher-prise graphique » choisi pour montrer les musiciens en pleine répétition est aussi surprenant que réjouissant.

Malgré le charme des dessins, je sors de cette lecture déçu. Essentiellement à cause du manque de profondeur du propos et du manque d’épaisseur des personnages. Mais aussi et surtout parce qu’Alfred est un de mes auteurs préférés et que chacun de ses albums doit forcément être pour moi une grande claque et un immense plaisir. Ce n’est pas le cas cette fois, vivement la prochaine !

Maltempo d’Alfred. Delcourt, 2023. 185 pages. 23,95 euros.




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lundi 6 novembre 2023

Mississippi - Sophie G. Lucas

De 1839 à 2006. D’Impatient Lansard le vigneron à Odessa la photographe. De la Haute-Saône à La Nouvelle Orléans en passant par Paris et New-york. De la Commune à l’ouragan Katrina en passant par la première Guerre Mondiale et la colonisation. Sophie G. Lucas déploie une destinée familiale sur plus de cent soixante ans. D’une période à l’autre, d’un lieu à l’autre, elle parcourt l’arbre généalogique comme on descend un fleuve au cours tumultueux. 

« La Geste des ordinaires ». Ce sous-titre résume à merveille l’enchevêtrement de ces destins individuels dans la grande Histoire collective du monde, un monde où les aspirations à l’émancipation se heurtent, quelles que soient les époques, à d’insurmontables obstacles. 

Un premier roman culotté. Culotté parce qu’il ne va pas vers la facilité. Les voix qui s’expriment dans chaque chapitre ont toutes un timbre différent, on navigue entre des récits à la première et à la troisième personne, le rythme change sans cesse, déstabilise parfois, l’usage excessif des parenthèses agace souvent mais participe à cette forme d’exigence dans l’écriture qui ne sonne jamais artificiellement. Sophie G. Lucas ne se regarde pas écrire, elle ne donne pas dans l’emphase, dans la démonstration littéraire sans âme. Exigeant mais accessible, son texte est une grande réussite, de celles qui lancent une carrière d’écrivain sur les meilleurs rails possibles.

Mississippi de Sophie G. Lucas. Éditions La Contre Allée, 2023. 180 pages. 18,00 euros.








mercredi 1 novembre 2023

Les royaumes muets - Séverine Gauthier et Jérémie Almanza

Après avoir trouvé des squelettes dans le placard de sa chambre, Perséphone descend malgré elle jusqu’aux Royaumes Muets, là où règne La Mort. Dis comme ça, le pitch peut surprendre. Pour être plus clair, disons que Perséphone est une enfant bien vivante qui se retrouve un soir nez à nez avec Charles et Théophile, des collecteurs de soupirs au service de la Grande Faucheuse. Ils sont venus récupérer le dernier souffle du voisin de la petite fille, récemment décédé, mais ils sont en retard de deux jours, ce qui risque de faire échouer leur mission et de condamner le défunt à une errance éternelle. Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas forcément plus clair mais finalement tant mieux, je m’en voudrais de déflorer une intrigue aussi surprenante.

Leur Cœur de pierre m’avait enchanté il y a dix ans, c’est donc avec un plaisir non dissimulé que je retrouve aujourd’hui le duo Séverine Gauthier/Jérémie Almanza. Leur nouvel album aborde les thématiques de l’enfance et de la mort avec une forme de poésie qui n’a rien de macabre. L’univers des Royaumes muets est fascinant et la représentation de l’au-delà déborde d’originalité. Les dialogues fonctionnent à merveille et malgré un sujet pesant, la lecture n’aura jamais rien d’anxiogène ou d’effrayant pour les jeunes lecteurs. 

Graphiquement, le trait de Jérémie Almanza possède toujours ce charme indéfinissable qui fait mouche à chaque page. On pense bien sûr à Tim Burton mais, au-delà de cette évidente référence, son style créé une atmosphère assez unique, entre le gothique victorien et une esthétique qui tire souvent vers le baroque. Les couleurs, les jeux de lumière, tout est pensé pour rendre au mieux les ambiances propres à chaque lieu et à chaque partie de l’histoire.

La fin laisse penser qu’une suite est plus que probable. J’espère vraiment que ce sera le cas, je me réjouis d’avance de retrouver Perséphone et ses drôles d’acolytes !

Les royaumes muets de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza. Éditions Oxymore, 2023. 80 pages. 18,95 euros.



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