Avec des « si » on mettrait Paris en bouteille. Avec des « si » on refait le monde. Avec des « si » on s’invente des vies. Avec des « si » on réécrit l’histoire. C’est ce que fait Brigitte Giraud dans ce court texte auréolé du prix Goncourt 2022. Avec des « si » elle imagine que les choses se seraient passées différemment, que son mari n’aurait pas perdu la vie au guidon d’une moto le 22 juin 1999. Au-delà de réécrire le drame, elle tente de le comprendre. Comment en est-on arrivé là ? Comment les événements se sont enchaînés ? Pourquoi cette issue fatale ? Chaque chapitre commence par un « si ». Le récit repose sur ce mélange entre les hypothèses et la réalité des faits, entre le constat dressé avec du recul, loin d’une émotion à chaud, et le nombre incalculable de questions restées sans réponse.
Brigitte Giraud ne s’érige pas en porte-parole des familles
victimes de la perte d’un proche dans un accident de la route. Sa perspective
est individuelle, elle ne se veut pas universelle, elle touche à l’intime. Avec
pudeur, sans pathos, sans chercher à se victimiser ou à tirer les larmes du
lecteur. L’exercice était périlleux, voire casse-gueule, mais j’ai trouvé le ton
juste, il m’a permis d’être impliqué tout en restant à une certaine distance
« de sécurité », sauf peut-être au moment où elle se met dans la tête
de son mari juste avant le drame. C’est le seul passage où je me suis senti
« voyeur » et mal à l’aise avec ce que je lisais.
La rédaction d’un tel texte était à l’évidence nécessaire.
Cathartique ? Ce n’est pas à moi de le dire. Je constate juste que ce
retour sur la chronologie de la journée et des semaines qui l’ont précédée a
permis à Brigitte Giraud de mieux cerner les choses, notamment d’écarter une
forme de culpabilité aussi inévitable que pesante. Surtout, elle finit par se
persuader qu’« il n’y a que des mauvaises questions » et que, (et
c’est à l’évidence le plus important pour pouvoir avancer), « il n’y a pas
de si ».
Vivre vite de Brigitte Giraud. J’ai lu, 2024. 190 pages.
7,40 euros.