« Un menu constitué de la somme des angoisses de mon existence m’avait été attribué avant même que je ne sois capable de le lire. Il me suffisait de m’asseoir à table, une serviette autour du cou ».
Il y a deux parties bien distinctes dans cette
autobiographie publiée en 1949 alors que Mishima n’avait que 24 ans. La
première revient sur son enfance passée auprès d’une grand-mère tyrannique, la
seconde s’attarde davantage sur son quotidien d’étudiant et de jeune adulte
alors que le Japon subit les bombardements américains, à la fin de la seconde
guerre mondiale.
L’enfance reste pour lui le moment clé de la formation de sa personnalité. Une
époque où il découvre son attirance pour les garçons. Son trouble est grand
face à la figure androgyne de Jeanne d’Arc ou face au martyre de Saint
Sebastien, représenté par le peintre italien Guido Reni torse nu, les mains
liées dans le dos. Perturbé par l’odeur de la sueur de ses camarades de classe,
irrésistiblement attiré par l’un d’eux plus âgé que lui, il comprend très tôt que
son existence ne rentrera jamais dans les normes.
En grandissant, il n’aura pourtant de cesse de vouloir s’intégrer à la société
qui l’entoure, se persuadant même qu’une relation hétérosexuelle est
envisageable avec la belle Sonoko, sœur de son meilleur ami Kusano. Malheureusement,
leur premier baiser le ramène à son indifférence pour la gent féminine. Une
indifférence confirmée lors d’une lamentable tentative de relation tarifée avec
une prostituée.
Le masque du titre est l’artifice qui cache aux yeux du monde la véritable
personnalité de Mishima. Une posture de façade devant lui permettre d’avoir une
vie sociale « normale » alors que bouillonne en lui « le
désordre des sens ». Un texte forcément introspectif, même si l’autobiographie
semble parfois avoir été très romancée. Quoi qu’il en soit, la désillusion est
au cœur du récit, couplée à une impitoyable lucidité. Au final, celui qui deviendra
l'un des plus grands écrivains japonais de l'après-guerre prend conscience avec
résignation qu’il ne pourra échapper à une vie en marge.
Confessions d’un masque de Yukio Mishima (traduit du japonais
par Dominique Palmé). Folio, 2020. 285 pages. 8,30 euros.