« Les noirs sont costauds, les
noirs sont forts, les noirs sont obéissants, les noirs font peur.
Impossible de ne pas penser à ce ramassis de clichés du bon sauvage
qui sommeillent de façon atavique à la fois dans chacun des blancs
chargés du recrutement et dans chacun des noirs venus exploiter ces
clichés en sa faveur. » La longue file d'hommes noirs qui
montent les escaliers ce matin-là est venue chercher un job. Ils
seront tous vigiles. Formation minimaliste, aucune expérience
exigée, regard volontairement bienveillant sur les situations
administratives, devenir vigile est le moyen le plus simple de
décrocher un CDI pour les africains de Paris. « Ceux qui déjà
ont une expérience du métier savent ce qui les attend les prochains
jours : rester debout toute la journée dans un magasin, répéter
cet ennuyeux exploit de l'ennui, tous les jours, jusqu'à être payé
à la fin du mois. Debout-payé. »
Gauz raconte dans ce premier roman très
autobiographique l'itinéraire d'Ossiri, étudiant ivoirien sans
papiers devenu vigile dans le Paris des années 90. Il retrace aussi
à travers lui l'histoire d'une communauté et l'évolution de ce
métier particulier depuis la Françafrique jusqu'à l'après 11
septembre. On trouve entre chaque chapitre des interludes, sortes
d'instantanées croqués sur le vif par Gauz lui-même lorsqu'il
travaillait comme vigile dans un magasin de fringues de Bastille puis
dans la plus grande parfumerie des Champs-Élysées. Autant de
réflexions sur la société de consommation ou sur son travail, de
portraits de clients et d'aphorismes particulièrement bien troussés.
Exemples :
« Les jeunes de banlieue à qui
l'on donne le titre abusif et arbitraire de racailles viennent se
parfumer systématiquement au rayon Hugo Boss, ou avec One Million de
Paco Rabanne, une bouteille forme de lingot d'or. Il y a du rêve
dans la symbolique et de la symbolique dans le rêve. »
« Ennui, sentiment d'inutilité et de gâchis, impossible créativité, agressivité surjouée, manque d'imagination, infantilisation, etc., sont les corollaires du métier de vigile. Or, militaire est une forme très exagérée de vigile. »
« Une théorie lie l'altitude relative du coccyx par rapport à l'assise d'un siège et la qualité de la paie. Elle peut être énoncée comme suit : Dans un travail, plus le coccyx est éloignée de l'assise d'une chaise, moins le salaire est important.
Autrement dit, le salaire est inversement proportionnel au temps de station debout. Les fiches de salaire du vigile illustrent cette théorie. »
C'est très bien écrit, c'est drôle,
empreint d'une ironie mordante qui fait mouche. Le regard porté par
Gauz sur sa communauté est aussi tendre que lucide. Cette lucidité
permanente, cette fausse légèreté, cette causticité exempte de
toute méchanceté donnent au récit une atmosphère douce-amère
pleine de sensibilité. Une excellente surprise parmi les nombreux
premiers romans de la rentrée et un auteur à la plume singulière
qui mérite vraiment que l'on s'attarde sur son cas.
Debout-payé de Gauz. Le nouvel Attila,
2014. 172 pages. 17,00 euros.
Un billet qui signe mon entrée dans le challenge tous risques d'Aaliz |
Et une troisième participation au challenge 1% de la rentrée littéraire |