Ferrari © Actes sud 2012 |
Au-delà des mésaventures de jeunes écervelés emportés par leur triomphe commercial, Jérôme Ferrari relate la saga en accéléré d’une famille corse sur trois générations. De Marcel le grand-père à Mathieu son petit-fils, c’est une histoire placée sous le signe de la destruction qui est offerte au lecteur.
Sans forfanterie, l’auteur du sublime Où j’ai laissé mon âme entend élever la littérature face à la bêtise. Cette dernière est ici représentée par le troquet des deux amis. Pour eux, il importe de protéger leur paradis de tout contact avec l’esprit, d’ériger un monde dans lequel la pensée n’a plus sa place : « Mathieu et Libero étaient les seuls démiurges de ce petit monde. Le démiurge n’est pas le Dieu créateur. Il ne sait même pas qu’il construit un monde, il fait une œuvre d’homme, pierre après pierre, et bientôt, sa création lui échappe et le dépasse et s’il ne la détruit pas, c’est elle qui le détruit. »
Le sermon sur la chute de Rome montre l’effondrement des rêves les plus fous et des faux espoirs, cet effondrement qui sonne le glas des désirs insatisfaits, des croyances creuses et décevantes. En filigrane, le message est clair : point de salut dans le cynisme commercial qui ne pourra, à terme, qu’entraîner ceux qui le glorifient vers le pourrissement.
Comme toujours chez Ferrari, la langue est superbe, à la fois poétique et abrupte, et l’écriture, oscillant sans cesse entre un lyrisme maîtrisé et un vocabulaire des plus crus, reste d’une incroyable fluidité.
Cette réflexion sur la disparition d’un monde n’a rien d’une lamentation et encore moins d’une quelconque leçon de morale. Ce texte magnifique est surtout empreint de pessimisme et d’une bonne dose d’humour noir. Assurément pour moi le roman français de l’année.
Le sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari. Actes Sud, 2012. 202 pages. 19 euros.