Patte © Gallimard 2012 |
Geneviève Patte est la fondatrice de La joie par les livres et de la bibliothèque de Clamart. Depuis les années 60, elle parcourt le monde pour exposer et partager son point de vue sur la lecture et les bibliothèques pour enfants. « Donner à la lecture un visage irrésistible », tel doit être pour elle le but de chaque adulte s’engageant à éveiller chez l’enfant le goût de lire.
Publié pour la 1ère fois à la fin des années 70, son ouvrage Laissez-les lire, devenu un classique pour la majorité des bibliothécaires jeunesse, est aujourd’hui réédité dans une édition actualisée, revue et augmentée. Quel bonheur de replonger dans la prose vivifiante de cette passionnée !
Si le courage vous manque de parcourir les 340 pages de cet incontournable (c’est une honte mais je sais rester magnanime et je respecte les droits imprescriptibles du lecteur selon Pennac), contentez-vous de la seconde partie consacrée à la place de la lecture dans la vie de l’enfant. Tout y est : le rôle de la bibliothèque bien sûr, mais aussi l’entrée de l’enfant en littérature ou encore le choix des fictions, des albums ou de la poésie et la place à accorder aux documentaires. Passionnant également le chapitre consacré à l’importance de la mise en œuvre d’une lecture critique permettant à l’enfant de développer une compréhension fine des textes, de hiérarchiser ses lectures et de ne pas tout mettre sur un même plan. C’est dans ces mêmes pages que Geneviève Patte s’attarde sur les lectures « traumatisantes », un sujet qui m’intéresse particulièrement. Pour elle, « Rien n’est plus difficile pour un adulte que d’affirmer que telle ou telle image, telle ou telle histoire va effrayer les enfants, les enfants en général. Souvent ce sont les adultes qui se bloquent sur leur propre frayeur. […] Chacun a sa lecture. Ne craignons pas trop vite de traumatiser les enfants. Le danger est bien plus dans ce qui est faux, mièvre et ennuyeux, que dans ce qui est trop fort dans sa vérité.» Un point de vue que je partage totalement et qui m’a déjà valu quelques ennuis avec certains parents…
Cette seconde partie intitulée « Dans la forêt des livres » relève pour moi, vous l’aurez compris, de la lecture indispensable pour peu que l’on s’intéresse de près ou de loin à la transmission du plaisir de lire chez l’enfant. Le reste de l’ouvrage, plus spécifiquement centré sur le rôle du bibliothécaire, m’a moins emballé mais les expériences relatées restent néanmoins particulièrement instructives.
Laissez-les lire ! est un manifeste qui m’avait beaucoup marqué lorsque je l’ai découvert il y a une quinzaine d’année en préparant le CAPES de doc. Aujourd’hui, je tiens modestement le rôle du « prescripteur / tentateur » auprès d’élèves de 9 à 12 ans pas spécialement intéressés par la lecture et je me rends compte que si l’investissement de l’adulte est sincère et passionné, une majorité d’enfants adhèrent aux lectures qu’on leur propose et se laissent au moins séduire au départ. Le rôle de la communauté éducative est important mais celui des parents l’est encore plus. Lorsqu’ils sont associés aux activités de lecture de leurs enfants, beaucoup découvrent que la littérature jeunesse est un vaste champ des possibles ou chacun doit pouvoir trouver le livre qui lui convient à partir du moment où il est bien conseillé. Geneviève Patte ne dit rien d’autre. Je reconnais que son discours peut parfois sembler un peu daté et je regrette l’absence d’une réflexion profonde sur l’avènement du numérique mais je reste malgré tout sous le charme de son argumentation.
Une bien belle réédition, donc. Indispensable si la question de la transmission du goût de lire chez l’enfant vous intéresse.
Laissez-les lire ! de Geneviève Patte. Gallimard jeunesse, 2012. 348 pages. 20 euros.
oh sublime! Exactement ce dont j'avais besoin ( honte à moi je ne connaissais pas :( )
RépondreSupprimerOui ça pourrait vraiment être pour toi une lecture intéressante, pas de doute là-dessus !
SupprimerVoilà un sujet qui m'intéresse beaucoup! Encore un titre que je m'empresse de noter. Ce que tu dis sur les lectures traumatisantes m'intéresse car c'est un sujet qui me travaille. J'ai lu la Psychanalyse des contes de fée quand j'étais jeune et j'avais trouvé ça très intéressant. Plus tard je me suis rendu compte que, entre la théorie et la pratique, il y avait un monde, même si mon expérience se limite à mon fils. Des fois j'ai effectivement peur de trop le protéger en lui proposant des lectures trop lisses, mais force est de reconnaître qu'il y a des trucs qui ne passent pas. Quand il était plus petit, il a eu de grosses angoisses à propos de la mort, j'ai donc écumé tous les bouquins pour les petits qui traitaient du sujet (il faudra que je fasse un billet dessus un jour) mais même le plus soft, c'était trop pour lui, ça ne passait pas. Quand on a lu le premier tome de Chi, il ya quelques semaines, il était au bord des larmes et est encore reparti dans des angoisses existentielles. Heureusement il a surmonté ça et adore la série mais je pensais que si je lui avais proposé le manga plus tôt, ça ne serait pas passé et je crois que j'ai eu raison. Là je viens d'acheter La carotte aux étoiles, repérée chez Mo', et je pense que ce sera une expérience intéressante de voir comment il y réagit. Tout ça pour dire... pas grand chose! Je crois que chaque enfant a sa sensibilité et qu'on ne peut pas tirer de règles générales. J'avais trouvé génial, quand il était en maternelle, que l'école emmène régulièrement les enfants à la bibliothèque pour emprunter des livres, mais j'ai beaucoup regretté que, les deux premières années, il revienne à chaque fois avec des livres qui ne lui correspondaient pas (trop bébés ou trop compliqués et sur des sujets qui ne l'intéressaient pas) et qu'il n'a jamais eu envie d'ouvrir... et qu'on n'a jamais ouverts. Il n'y a qu'en grande section, où il a pu choisir lui-même, qu'il a eu envie de lire les livres qu'il rapportait. Je me suis toujours demandé comment les bibliothécaires de ma ville choisissaient pour les enfants ou si c'était les instituteurs qui choisissaient et s'ils étaient autant à côté de la plaque pour tous les enfants.
RépondreSupprimerEn tout cas, l'opinion de professionnels du sujet m'intéresse beaucoup. Je suis sûre que j'y glânerai des infos et des idées intéressantes, quitte à m'en affranchir ensuite! :-)
Disons qu'il faut séparer l'aspect individuel et le collectif. Quand on choisit pour son enfant, on a tendance à choisir des lectures "soft" qui ne vont pas le bousculer. C'est normal et c'est logique et je suis le 1er à le faire. Pour autant il me semble que les lectures "traumatisantes" sont bénéfiques sur le long terme si bien sûr le traumatisme reste raisonnable. La première chose que je fais systématiquement avant d'offrir un livre à mes filles, c'est de le lire avant elles. Pas pour les protéger, juste pour pouvoir en discuter avec elles, confronter les points de vue et le plus souvent faire sortir des éléments importants qu'elles n'auraient pas perçues. Sans compter que c'est un bonheur pour l'enfant de voir ses parents lire son livre !
SupprimerAprès, à l'école, les choses sont très différentes. Rien de plus difficile que de choisir un livre pour un groupe d'élèves. Certains se contentent de piocher dans les listes officielles, ce qui est très bien. Si l'enseignant n'est pas plus sensible que cela à la lecture, les enfants vont le ressentir. A l'inverse, quand un prof est passionné par les livres, les enfants adhèrent de façon incroyable à son enthousiasme, je l'ai constaté des dizaines de fois. Si ton fils à la chance de tomber sur un tel enseignant avant la fin du CM2, il risque de s'en souvenir toute sa vie !
Bref tout ça pour dire qu'il me semble important que ce soit l'école qui prenne quelques risques en proposant des lectures que les parents n'oseraient jamais offrir à leurs enfants. J'ai déjà eu une pétition sur facebook de parents qui refusaient de lire un titre du prix littéraire (un journal intime trop violent, bourré de fautes d'orthographe et au graphisme très puissant). Tout s'est bien terminé parce que personne ne les a suivi (ils étaient deux et ils n'ont récolté aucune autre signature) et que j'ai été soutenu par ma hiérarchie. Cerise sur le gâteau, c'est ce titre qui a remporté le prix, les élèves l'ayant adoré ! Dans le cadre du prix, on a fait lire des ouvrages assez durs sur l'esclavage ou le ku klux klan. Je me rappelle d'élèves qui avaient eu du mal à s'endormir après avoir lu certains passages. Pour autant lorsque j'en reparlais avec eux ils ne considéraient pas cela comme un mauvais souvenir, juste une lecture marquante. On a eu un débat il y a peu au sein du comité de sélection sur un titre de Marcus Malte abordant la question du cancer chez l'enfant. Un très beau texte mais pour moi impossible à faire lire à plus de 1000 élèves dont on ne connaît pas les histoires personnelles et dont certains pourraient être fortement secoués dans le mauvais sens du terme par cette lecture. Une enseignante m'a d'ailleurs dit que si nous le choisissions elle ne se sentait pas capable de le "défendre" en classe face aux élèves. Nous avons préféré ne pas le retenir mais j'ai vu qu'il fait partie de la sélection du prix des incorruptibles de l'année prochaine, je suis curieux de voir comment il va être reçu par les enfants.
A mon avis, il n'y a pas de règles définnitves. Les seules à respecter selon moi : connaître sur le bout des doigts les ouvrages que l'on fait lire aux enfants et imaginer d'avance les questions que le texte peut soulever / avoir l'expérience nécessaire et s'appuyer en cas de doute sur des collègues qui connaissent parfaitement leurs élèves / avoir suffisamment confiance en soi pour défendre ses choix avec détermination en cas de problèmes éventuels / accepter sans sourciller que l'on peut se tromper et faire de mauvais choix. Jusqu’alors (je touche du bois) ces règles m’ont permis d’amener de nombreux enfants vers la lecture plaisir. Pas certain que l’on me donne les moyens de faire cela pendant encore longtemps mais pour l’instant je serais bien malhonnête de me plaindre…
Je te rejoins sur tous ces points et procède de même en collège. Lorsque la lecture n'a pas été accompagnée auparavant je me retrouve avec des jeunes qui disent ne pas aimer lire. Alors je reprends avec eux la bonne vieille méthode, celle que leurs parents ont abandonnée dès qu'ils ont été en âge de lire : lire pour eux. Les dernières vingt minutes de la semaine, avec toutes mes classes, de la sixième à la troisième, sont consacrées à un temps lecture et c'est moi qui lit. Jusqu'à présent je n'ai eu que des retours positifs de cette façon de faire. Ce n'est pas une perte de temps, bien au contraire. Certains empruntent par la suite le livre commencé ( que je prends soin d'arrêter à un moment crucial qui donne envie de connaitre la suite !). Parfois ils me demandent de poursuivre la lecture d'un livre jusqu'à la fin. Cela prend plusieurs semaines mais ne me dérange pas car nous sommes dans le plaisir de l'écoute, quelqu'un qui met le ton, souligne de sa voix les moments importants, chose que la plupart des jeunes ne savent pas faire. Il ne faut pas oublier que la lecture est pour eux parfois une souffrance car ils butent sur les mots, doivent revenir sur la page précédente pour comprendre ... Les accompagner dans la lecture est essentiel.Je le comprends d'autant mieux que je suis dans un DOM où le niveau de lecture est faible.Merci pour cette discussion...
SupprimerJe fais des interventions auprès de sélèves de SEGPA où pendant une heure j'essaie de leur faire comprendre que lire peut être un plaisir. J'ariive avec quelques bouquins, je leur lis des extrait, je théâtralise un peu ma présenttation et en général, une majorité a envie de lire quand je les quitte. Il faut vraiment donner de sa personne pour parvenir à les convaincre mais je constate depuis des années que cela fonctionne !
SupprimerJ'ai été bibliothécaire, c'est donc un sujet qui m'intéresse beaucoup...
RépondreSupprimerIl me semble que pour les bibliothécaires, ce devrait être un livre de chevet !
Supprimermais je les laisse lire !
RépondreSupprimerau contraire...
c'est plutôt la lecture qui aime moins mon Grand Ange !!!
Ah ça, malheureusement, il peut arriver que la lecture soit pour l'enfant un véritable ennemi !
SupprimerCe titre m'intéresse aussi beaucoup, je ne connaissais pas. Je me retrouve aussi très bien dans les propos de Marie concernant le rapport aux livres. A la maison, j'ai tendance à prolonger une discussion qu'on a eu avec les enfants (le grand surtout) par un livre sur le sujet. Ce support intermédiaire permet généralement d'aborder des choses que l'on a pas abordée ou de manière totalement différente.
RépondreSupprimerLes livres sont ici en accès libre. Chacun de mes loustics a sa bibliothèque et il n'y a aucune restriction, si ce n'est de prendre soin des ouvrages et de ne pas les laisser trainer par terre. Pour le choix des titres : j'alterne, respectant tantôt ses choix et, à d'autres moments, je l'aide à choisir voire je mise sur l'effet de surprise (en cela, les partenariats m'aident énormément... d'où les échanges avec Poisson soluble entre autre)
Il y a malheureusement trop peu de parents comme Marie ou toi ! Il y a de moins en moins de livres dans le foyers c'est une réalité indiscutable. Après quand les enfants ont leur propre bibliothèque (qui ne se limite pas à 5 ou 6 volumes) et sont capables de choisir eux mêmes les livres qui les intéressent, c'est le paradis !
SupprimerTiens ! Je l'avais bossé pour mon mémoire de M2 ce livre... Tu me rappelles de bons souvenirs ! ;)
RépondreSupprimerEt oui, c'est presque une lecture obligatoire pour certains étudiants.
RépondreSupprimerIntéressant ! Mais je crois qu'en effet, je n'aurais pas le courage de tout lire...
RépondreSupprimerJe comprends, il y a quand même quelques passages très spécifiques.
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