mercredi 7 novembre 2018

Le reste du monde T3 : Les frontières - Jean-Christophe Chauzy

Trois ans ont passé depuis la catastrophe. La terre n’est plus qu’un champ de ruines, une épidémie fait des ravages, des clans utlra-violents terrorisent les survivants. De l’autre côté des Pyrénées, une frontière a été construite, empêchant toute intrusion. Au moment du premier séisme Marie, prof de français en vacances à Bagnères-de-Luchon, souhaitait rejoindre son ex-époux en Espagne avec ses deux fils. Mais ces derniers avaient dû abandonner leur mère et s’enfuir après une mauvaise rencontre. Depuis, Jules et Hugo vivent dans une communauté où règne un semblant de paix. Pensant se reconstruire dans un environnement relativement serein, les frangins déchantent quand une attaque nocturne de leur campement les remet sur les routes et les ramène à une insupportable réalité.

Ça devait être un diptyque à la base mais Jean-Christophe Chauzy a décidé d’en faire une tétralogie. Choix judicieux ? Pourquoi pas, il faudra juste que le dernier tome soit aussi tendu et efficace que les trois premiers. Parce que le post-apocalyptique, c’est du vu et revu, c’est même la grande mode du moment, tant en littérature qu’en BD. Et Chauzy ne se démarque pas du lot pour ce qui est de l’intrigue. Sa singularité s’exprime dans le rythme de son histoire, l’alternance des temps calmes et des tempêtes, la succession de paysages somptueux et de scènes de désolation, le pessimisme absolu d’un scénario auquel on ne peut imaginer une issue positive.

Franchement, je me demande comment il va s’en sortir : laisser ses personnages en plan avec une fin ouverte et un lecteur réduit à imaginer lui-même la suite des événements ? Une happy-end tellement en décalage avec le reste qu’elle en deviendrait ridicule ? Ou le nihilisme poussé à son paroxysme avec une fin du monde en bonne et due forme ? Il y a évidemment bien d’autres options, je laisse le soin à ce conteur émérite de mener sa barque à bon port avec le talent qui le caractérise. J’espère juste qu’il sait où il va… Personnellement, je sais que je serai au rendez-vous pour la sortie du dernier volume, tiraillé entre l’appréhension d’une conclusion décevante et l’impatience de savoir comment tout cela va se terminer.

Le reste du monde T3 : Les frontières de Jean-Christophe Chauzy. Casterman, 2018. 112 pages. 18,00 euros.

Mon avis sur le Tome 1 et le Tome 2

mardi 6 novembre 2018

Loukoum mayonnaise - Olivier Ka

Avant de partir travailler en Égypte, son pays d’origine, le père de Victor le confie à ses grands-parents maternels, en pleine campagne belge. Ses grands-parents paternels, vexés de ne pas en avoir eu la garde, viennent souvent lui rendre visite et finissent par s’installer dans la maison juste en face. Les relations entre les deux grands-mères deviennent vite exécrables, les exactions se multiplient, la guerre est déclarée. Pris entre deux feux, Victor ne sait pas dans quel camp se ranger et vit de plus en plus difficilement sa double origine. Belge ou arabe, peu lui importe finalement, tout ce qu’il veut, c’est la paix !

Un roman qui m’a fait passer par plusieurs phases. D’abord un brin de scepticisme devant une intrigue cousue de fil blanc déjà vue cent fois. Un poil d’ennui aussi face à des situations répétitives et une intrigue qui semblait tourner en rond. La surprise ensuite en découvrant la tournure prise par les événements. La stupéfaction, enfin, en constatant à quel point Olivier Ka a su mener sa barque pour emporter mon adhésion.

Ce roman qui aborde avec une rare finesse les questions du racisme et de la haine ordinaire montre à quel point la bêtise des adultes peut briser une enfance. D’abord otage de cette guerre des grands-mères à laquelle il ne comprend pas grand-chose, Victor en devient une victime. Finalement, il se rend compte qu’il n’était qu’une excuse pour déclencher les hostilités et qu’une fois ces dernières lancées, son cas personnel n’intéresse plus grand monde.

Il aurait été tellement plus simple, après le point culminant de l’affrontement,  d’entrer dans une phase d’apaisement. Olivier Ka ne cède pas à cette facilité. Les points de vue demeurent irréconciliables et Victor comprend que chaque camp l’a manipulé, qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Le cheminement de sa réflexion est superbement construit, la naïveté des premiers temps laissant place à la colère et à une forme de maturité qui force l’admiration. Surprenant et rondement mené.

Loukoum mayonnaise d’Olivier Ka. Le Rouergue, 2018. 150 pages. 12,00 euros. A partir de 11 ans.



















samedi 3 novembre 2018

Pension complète - Jacky Schwartzmann

On prend les mêmes et on recommence. Après le gars de cité et la banquière (Demain c'est loin), Jacky Schwartzmann enchaîne avec le gars de cité, la rentière et l'ex-Goncourt. Ou comment marier des personnages qui ne devraient rien avoir à faire ensemble. L'idée est sympa, cette volonté de frotter des caractères et des mondes à milles lieux les uns des autres ne peut que faire des étincelles. Surtout quand on a le flow de Schwartzmann, son bagout et son art de forcer le trait avec un naturel renversant.

Rien de surprenant donc à le voir mettre en scène Dino, venu de sa cité lyonnaise pour s'installer au Luxembourg et se mettre à la colle avec une millionnaire de près de 80 balais alors que lui approche doucement la cinquantaine. Un gigolo me direz-vous ? Que nenni ! Sa Lucienne, il l'aime d'amour. L'appartement XXL, la vie fastueuse du grand duché et sa Mercedes GT ne font pas de lui un glandouilleur entretenu, il le jurerait sur la tête des enfants qu'il n'aura jamais. Seulement voilà, le Luxembourg est un village et un coup de boule asséné à un banquier dans un bar à putes suffit pour vous marquer au fer rouge. Après ce regrettable incident, et pour éviter de faire des vagues, Dino accepte de s'exiler temporairement. A Saint-Tropez, sur le yacht de madame. Mais une panne sur l'autoroute l'oblige à prendre ses quartiers dans un camping de La Ciotat. Un camping où les meurtres s'enchaînent et où son voisin de bungalow, écrivain célèbre et goncourisé, va devenir un compagnon de vacances aussi affable que flippant.

Verdict ? J’aurais dû adorer mais j'en resterai à un petit « sympa sans plus ». Il est étonnant de constater que les romans d'un auteur baissent en qualité à chaque nouvelle parution. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu avec les trois titres publiés en trois ans par Jacky Scwartzmann. Le premier (Mauvais coûts) reste de loin mon préféré. Le second était très bon aussi mais un ton en dessous. Celui-ci descend encore un échelon en terme de plaisir de lecture. J'y ai retrouvé le cynisme et la noirceur qui caractérisent son univers mais les punchlines mordantes et les dialogues enlevés ont quasiment disparu. Résultat, le texte m'a semblé bien fade et sans surprises, à part dans les toutes dernières pages. Pas suffisant pour emporter mon adhésion. Dommage, c'est un des rares romans de la rentrée que j'attendais avec impatience.

Pension complète de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2018. 185 pages. 18,00 euros.   





mercredi 31 octobre 2018

Valentin le vagabond, l'intégrale volume 1 - Gosccinny et Tabary

Je suis bien trop jeune pour avoir connu Valentin le vagabond au moment de sa création en 1962 (ben oui, quand même!) mais je me rappelle l'avoir découvert dans les vieux magazines Pilote de mon père quand j'avais une douzaine d'années (il n'y a donc pas si longtemps que ça^^). Quoi qu'il en soit, c'est un plaisir de le retrouver aujourd'hui dans le premier tome de cette intégrale qui en comptera au total deux.

Valentin est une création de Jean Tabary et René Goscinny. D'emblée, ce dernier précise à son dessinateur que « Valentin doit plutôt être du genre Charlot que clodo sous les ponts ». Le ton est donné, Valentin sera un vagabond naïf, épris de liberté, rêveur et poète à ses heures. Un vagabond qui ne se plaint pas de son sort et aime les arbres, les fleurs et le grand air. Un vagabond qui va où ses pas le mènent, nez au vent, son baluchon sur l'épaule, le port altier et les poches trouées. Le personnage est sympathique en diable mais il a la sale habitude de se fourrer dans des situations difficiles. Goscinny ne scénarisera que quatre mini-récits, Tabary prenant sa suite pour commettre en tout sept albums, publiés entre 1973 et 1977.

Bien sûr, c'est de la BD à l'ancienne qu'il faut lire en gardant en tête le contexte de l'époque mais contrairement à bien d'autres personnages, Valentin a plutôt bien vieilli. L'humour porte la marque de Goscinny, même dans les histoires qu'il n'a pas lui-même scénarisées. Quiproquos, comique de situation et de répétition, méchants toujours crétins qui finissent par boire le calice jusqu'à la lie, les « marqueurs » propres au papa d'Astérix se reconnaissent au premier coup d’œil. Il y a en plus chez Valentin une présence récurrentes des forces de l'ordre, toujours tournées en dérision. Le gendarme est dans chaque récit un benêt au QI de tasse à café dont la bêtise n'a d'égale que l'incompétence.

Valentin, c'est du franco-belge old school comme j'aime, un personnage injustement méconnu qui trouve dans cette réédition l'occasion de revenir sur le devant de la scène. L'intégrale est en plus somptueuse, regorgeant d'infos et d'anecdotes avec, cerise sur le gâteau, une histoire de 28 pages  inédite en album. Le second tome est prévu pour le 14 février 2019. Si, pour une fois, ma femme souhaite me faire un cadeau de Saint Valentin, il est tout trouvé ! 

Valentin le vagabond, l'intégrale volume 1 de Gosccinny et Tabary. Imav éditions, 2018. 250 pages. 29,90 euros. 






mardi 30 octobre 2018

Dans la gueule du Loup - Michael Morpurgo et Barroux

Au crépuscule de sa vie, Francis Cammaerts se souvient. De sa jeunesse en Angleterre, de la seconde guerre mondiale à laquelle il n'a pas voulu prendre part par conviction pacifiste et qu'il a fini par vivre au sein de la résistance française après la mort de son frère aviateur abattu par l'armée allemande. Une période sombre passée à fuir, à se cacher, à coordonner les actions de sabotage. Le jour des 90 ans il repense aux années de clandestinité, aux rencontres inoubliables, aux camarades arrêtés et fusillés, aux combats menés dans l'ombre, la peur au ventre, jusqu'à la libération.

Francis Cammaerts a vraiment existé, c'est un oncle de Michael Morpurgo. Ce dernier donne l'impression de se glisser dans la peau de son aïeul avec une certaine forme de retenue. On ne bascule pas dans un torrent d'émotion malgré l'emploi récurrent de la première personne. Le récit des événements peut paraître uniquement factuel mais il gagne en force en refusant de jouer sur la corde sensible. Surtout, la voix de Francis s'attarde moins sur son propre cas que sur ceux de ses proches, de Pieter le frère adoré à Nancy, sa femme aimante, en passant par son père, philosophe anarchiste lui ayant enseigné très tôt les vertus du pacifisme. 

Son rôle de résistant, sans être minimisé, ne donne pas dans l'héroïsme. Là encore le narrateur préfère s'attarder sur ses camarades de lutte qui, à ses yeux du moins, méritent bien plus d'éloges et de gloire que lui. Le texte montre également la difficulté de concilier ses convictions d'homme de paix avec sa volonté de venger la mémoire de son frère et la certitude que l'inaction ne peut que servir les intérêts de l'ennemi.

Superbement illustré par l'excellent Barroux, Dans la gueule du loup est un roman jeunesse porteur de valeurs d'amitiés et de solidarité doublé d'une belle déclaration d'amour aux femmes engagées dans la résistance. Un texte par ailleurs plein de respect et d'admiration pour Francis Cammaerts qui a néanmoins l'intelligence de ne pas tomber dans l'hagiographie.

Dans la gueule du Loup de Michael Morpurgo et Barroux (traduit de l'anglais par Diane Ménard). Gallimard jeunesse, 2018. 176 pages. 14,50 euros. A partir de 10 ans.










vendredi 26 octobre 2018

Sakari traverse les nuages - Jan Costin Wagner

J’ai voulu tenter le polar allemand, j’aurais dû m’abstenir. En fait ce polar est comme un épisode de l’inspecteur Derrick : il ne se passe rien, les dialogues sont soporifiques, les personnages sonnent creux, on dirait qu’ils s’ennuient autant que nous. Une scène avec des gens coincés dans une maison en feu est aussi excitante qu’une tranche de foie de veau grésillant dans une poêle à frire, une autre où un flic tue à bout portant un jeune homme nu dans une fontaine laisse l’encéphalogramme du lecteur totalement plat. Vous voyez le genre, quoi…

L’intrigue est vraiment mollassonne, elle s’ouvre sur le meurtre perpétré par le flic (légitime défense, évidemment) et s’enchaîne avec l’enquête menée sur la victime et ses proches. Il en ressort que le gamin était dérangé (tu m’étonnes) et qu’un sombre drame de voisinage serait la cause de tous ses maux. Les chapitres s’attardent l’un après l’autre sur un personnage différent, c’est le seul vrai point positif car cette construction du récit donne un peu de rythme et évite l’essoufflement complet.

Je ne vais pas en rajouter des tonnes, ce n’est clairement pas un roman pour moi. Trop psychologique, pas assez descriptif, pas assez réaliste, je n’y ai pas cru une seconde en fait. Seul point positif, j’ai pu grâce à lui m’endormir chaque soir sans somnifère pendant une petite semaine, je dois au moins lui reconnaître cette qualité.

Sakari traverse les nuages de Jan Costin Wagner (traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger). Actes Sud / Jacqueline Chambon, 2018. 250 pages. 22,00 euros.





mercredi 24 octobre 2018

La Croisade des Innocents - Chloé Cruchaudet

Fuyant son foyer pour éviter le courroux paternel, Colas trouve refuge dans une sinistre taverne où il est employé à des tâches ingrates avec d'autres enfants. Après avoir découvert sous la glace d'un étang un visage qu'il prend pour celui de Jésus, le jeune garçon s'imagine investi d'une mission divine et il convainc ses camarades de le suivre jusqu'à Jérusalem pour délivrer le tombeau du Christ. Commence alors un périple de plusieurs mois où la caravane des enfants gueux, ne cessant de grossir au fil de ses étapes, va devoir affronter mille défis pour poursuivre sa route.

L'innocence ne dure qu'un temps, voilà sans doute la morale à retenir de cette fable cruelle concoctée de main de maître par une Chloé Cruchaudet au sommet de son art. S'inspirant d'une histoire vraie datant de 1212, elle propose ici un roman graphique initiatique puissant, porté par un sens du récit d'une grande maîtrise et un trait nerveux, sans fioriture, laissant les décors à leur strict minimum pour concentrer son attention sur les mimiques des personnages. Le jeu des couleurs, nuances de marron, gris, bleu et violet ne laisse passer que peu de lumière et renforce l'ambiance crépusculaire qui traverse tout l'album.

La croisade de ces miséreux avance au gré des obstacles rencontrés sur des chemins aussi tortueux que les esprits du Moyen-âge. Le froid, la faim, la promiscuité, l'altruisme, la solidarité et la débrouillardise forment un mélange détonnant, oscillant entre réalisme cradingue, mélancolie, douceur et poésie. L'évolution des relations entre les enfants à l'intérieur du groupe est fascinante et n'est pas sans rappeler par moment l'esprit du terrible « Sa majesté des mouches ».

La conclusion, empreinte de pessimisme et d'une douloureuse lucidité, signe la fin de l'insouciance et plonge les âmes pures dans ce que l'humanité peut révéler de plus impitoyable. Un roman graphique magistral !






mardi 23 octobre 2018

Jefferson de Jean-Claude Mourlevat

A quoi ça tient une vie paisible ? A un rendez-vous chez le coiffeur qui tourne à l’accusation de meurtre par exemple. C’est la terrible mésaventure que va connaître le hérisson Jefferson au cours d’une belle matinée d’automne. Trouvant la porte du salon close mais distinguant derrière les rideaux une chèvre assoupie sous son casque à permanente, Jefferson décide de passer par une fenêtre ouverte. Une fois à l’intérieur, il découvre le corps du coiffeur sur le sol de la boutique, des ciseaux enfoncés dans la poitrine. Formellement identifié par la chèvre comme le meurtrier, le hérisson s’enfuit. Aidé par son ami Gilbert, le placide animal va devoir se faire violence pour prouver son innocence en se lançant dans une enquête dont il ne soupçonne pas la dangerosité.

Pauvre petit Jefferson ! Embarqué malgré lui dans une histoire qui le dépasse, sa naïveté et sa maladresse sont aussi touchantes que sa détermination. Jean-Claude Mourlevat ne se contente pas d’un polar animalier mignon et sans enjeu. A travers les malheurs de Jefferson il aborde la question du droit des animaux et de leur rapport aux humains. Sa prise de position est claire mais son apologie de la cause animale se fait en finesse, avec le talent de conteur qui le caractérise, associant une touche de romance à un zeste d’humour et une énorme dose d’entraide à une grosse pincée d’amitié.

Autant d’ingrédients qui, au-delà du message engagé, permettront aux jeunes lecteurs de passer un excellent moment en compagnie de Jefferson et de ses acolytes à poils et à plumes. Un régal de roman jeunesse, parfait pour les vacances qui s’annoncent.

Jefferson de Jean-Claude Mourlevat. Gallimard jeunesse, 2018. 264 pages. 13,50 euros. A partir de 10 ans.












vendredi 19 octobre 2018

Nirliit - Juliana Léveillé-Trudel

« Le Nord est dur pour le cœur. Le Nord est un enfant balloté d’une famille d’accueil à une autre, le Nord ne veut pas être rejeté de nouveau, le Nord te fait la vie impossible jusqu’à ce que ton cœur n’en puisse plus et que tu le quittes avant d’exploser, et il pourra te dire : voilà, je le savais, tu m’abandonnes. Parce qu’on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l’infini, des aventures que l’on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent maintenant plus alléchantes que votre exotisme du Nord. »

La narratrice sait de quoi elle parle. Venant régulièrement du Sud jusqu’à Salluit, village du grand nord canadien « roulé en boule au pied des montagnes », cette missionnaire-aventurière passe ses journées au grand air à s’occuper des enfants des rues et à constater l’état de délabrement avancé des infrastructures et des âmes. Quand l’hiver s’annonce, elle repart vers Montréal, consciente de laisser les autochtones à leurs conditions de vie difficilement supportables.

Elle s’adresse à Eva, l’amie disparue dont on n’a jamais retrouvé le corps. A Eva la « locale », qui connaissait parfaitement la situation, elle dresse le portrait sans concession d’une jeunesse perdue, d’adultes irresponsables, de familles en totale décomposition, de filles dont la beauté se fane au fil des saisons, d’enfants qu’elle « quitte heureux et libres à la fin de l’été pour les retrouver démolis et perdus l’année suivante, sans arriver à comprendre ce qui se passe entre dix et onze ans dans ce village du bout du monde. »

Il y a l’alcool, la malbouffe, la violence endémique, les cancers, les dépressions et les suicides, la natalité galopante, la rudesse du climat. Il y a les ouvriers blancs venus pour quelques mois avec lesquels on fricote en rêvant d’un avenir meilleur alors que pour eux la femme inuite n’est qu’une parenthèse refermée le jour où ils montent dans l’avion du retour.

Malgré les apparences il n’y a rien de misérabiliste dans les réflexions de la narratrice. Aucun jugement non plus, simplement un constat amer et désabusé doublé d’un regard lucide porté sur son propre statut : « nous sommes les nouveaux missionnaires blancs. Nous prêchons la bonne hygiène de vie. Ne fumez pas, ne prenez pas de drogue, ne mangez pas de fast-food, consommez plus de fruits et de légumes, dormez huit heures par nuit, […] utilisez un moyen de contraception lors de vos rapports sexuels, […] vaccinez les enfants et stérilisez les chiens. Vous devez nous trouver tellement fatigants. »

J’ai adoré ce texte elliptique où chaque chapitre tient en quelques paragraphes. Je l’ai lu comme une succession de micro-nouvelles formant un tout cohérent, même si les deux parties le constituant sont très différentes. J’ai d’ailleurs trouvé la seconde partie moins percutante que la première mais au final je suis resté sous le charme d’une écriture magnifique, rude, âpre, sincère, crue, poétique, à l’image de ce bout du monde d’une fascinante complexité.

Niirlit de Juliana Léveillé-Trudel. La peuplade, 2018. 175 pages. 18,00 euros.





mardi 16 octobre 2018

Tranquille comme Baptiste - Yaël Hassan

Baptiste est un solitaire, un rêveur incapable de se défendre dans la cour du collège. Un gamin calme, élevé par sa mère et sa grand-mère, qui passe le plus clair de son temps à lire dans l’atelier de Barnabé, son vieux voisin bricoleur. Mais le jour ou débarque Clara, qui prétend être la petite-fille de Barnabé, Baptiste se doute que les choses vont changer. Parce que du haut de ses douze ans, Clara traîne derrière elle un passé mouvementé. Sans filtre, impulsive, jurant comme un charretier, cette  incontrôlable tornade risque bien de faire voler en éclat le quotidien tranquille du pauvre garçon.

Un roman jeunesse sans prétention qui joue sur le registre de la bienveillance. Un texte plein de bons sentiments ou tout semble parfois trop beau pour être vrai mais on a envie d’y croire, envie de se persuader que de belles âmes existent, prêtes à tendre la main et à aider leur prochain sans jugement ni arrière-pensée. La différence de registre de langue entre Baptiste et Clara donne lieu à des échanges savoureux et montre à quel point il n’est pas toujours simple de se comprendre quand on ne possède pas le même niveau de vocabulaire.

Comme souvent chez Yaël Hassan les secrets de famille et une relation très forte entre enfants et personnes âgées sont au cœur du récit. Et comme toujours chez Yaël Hassan la tendresse et l’humour finissent par l’emporter sur les coups durs. Un petit livre positif qui fait du bien, il serait dommage de ne pas en profiter !

Tranquille comme Baptiste de Yaël Hassan. Syros, 2018. 175 pages. 6,95 euros. A partir de 10 ans.