vendredi 5 mars 2010

Du sang dans la sciure

Texas, années 30. Sunset explose la cervelle de son mari à coup de calibre 38 pendant qu’il essaie une fois de plus de la violer. Femme battue et trompée, elle ne supportait plus une situation devenue invivable. Le problème, c’est que ce mari est aussi le shérif du coin et le fils des propriétaires de la plus grande scierie de la région.

En apprenant la nouvelle sa belle mère, d’abord effondrée et vindicative, finit par excuser son geste. Elle-même doit subir la violence quasi quotidienne de son époux. Comprenant qu’elle est quelque part responsable de la situation puisqu’elle a laissé son fils grandir avec l’impression que battre une femme est un comportement naturel pour un homme, elle chasse son propre mari qui se suicidera quelques jours plus tard.

Sunset tente quand à elle de se remettre tant bien que mal du meurtre qu’elle a commis. Nommée shérif à la place de celui qu’elle a tuée, elle éprouve les pires difficultés à se faire respecter dans cette région de l’East Texas machiste où le Ku Klux Klan règne en maître. C’est en enquêtant sur un double meurtre particulièrement atroce qu’elle va mettre à l’épreuve ses convictions et le peu d’amour propre qui lui reste.

Du sang dans la sciure, c’est avant tout le combat d’une femme dans un monde d’hommes qui ne lui reconnaissent aucune légitimité. Mais c’est aussi une plongée ultra réaliste dans l’Amérique profonde de la grande dépression. On y croise des hobos, des saisonniers qui vivent au jour le jour dans une misère totale et des noirs qui ont bien du mal à croire à la fin de l’esclavage.

Décidément, Joe R. Lansdale est un sacré bon écrivain de polars. Certes, Du sang dans la sciure n’est pas son meilleur roman. Juillet de sang, Un froid d’enfer ou Les marécages restent ses productions les plus abouties. Il n’empêche. Il est dans la lignée du très grand Pelecanos. Rajoutez Ed Mc Bain et Chester Himes et vous aurez mon quatuor majeur de la littérature policière version US.

Une dernière recommandation : ce roman n’est pas destiné aux lecteurs qui ont les oreilles chastes. On est dans le Texas profond, chez les rednecks les plus rustres et la prose reflète bien l’ambiance générale. C’est vulgaire, bien gras et sans fioriture. Personnellement, j’avoue que j'adore ça !

Du sang dans la sciure, de Joe R. Lansdale, éditions Gallimard (Folio policier), 2010. 480 pages. 8,20 euros.

L’info en plus : Joe R. Lansdale n’est pas seulement un auteur de polar. Il a également publié quelques textes dans un genre bien particulier : le roman d’horreur. Les éditions Milady ont notamment réédité l’année dernière dans leur collection Poche Terreur un roman intitulé Les enfants du rasoir. Un petit résumé pour se faire une idée plus précise : « Becky et Monty partent en vacances dans une cabane située au bord d'un lac, pour tenter d'oublier le drame qui a secoué leur couple : le viol de Becky sous les yeux de Monty, son mair, qui n'a rien fait pour la défendre. Une explosion de violence et de terreur les guette ».


mercredi 3 mars 2010

Scalped T1 : Pays indien

Les coins pourris ont souvent des noms bucoliques. Prenez Prairie Rose, une réserve indienne du Dakota du Sud. Une nation du tiers monde au cœur de l’Amérique : 80% de chômeurs, à peu près autant d’alcooliques.

Red Crow, ancien activiste pro indien est devenu président du conseil tribal de la réserve. Il est aussi shérif de la police locale, président du comité de gestion de Prairie Rose, trésorier du programme de sécurité routière et PDG du Crazy Horse, le casino qui doit ouvrir dans quelques jours. Comme il le dit lui-même, il est « le père, le fils et cet enfoiré de Saint Esprit réunis ».

Dashiell Bad Horse a quitté la réserve il y a 15 ans. Pourquoi revient-il aujourd’hui ? Engagé par Red Crow dans la police tribale, ce « sociopathe borderline guidé par une colère profonde et peut-être même un désir de mort inconscient est un volcan de violence pouvant à tout moment entrer en éruption, un danger évident pour quiconque l’entoure. » C’est un fait, Bad Horse a des comptes à régler. Et l’addition va être salée pour ceux qui se mettent en travers de sa route.

Scalped est un polar crépusculaire ultra violent. Entre agents du FBI, labos de métamphétamines et crime organisé, la décrépitude de la nation indienne est montrée dans sa réalité la plus crue. Les personnages principaux sont tourmentés à souhait et portent en eux de douloureux stigmates. De nombreux flashbacks viennent illustrer le récit, mais ils ne nuisent pas à la fluidité de l’ensemble. Les événements s’enchaînent avec limpidité et la narration est parfaitement maîtrisée.

Le dessin de RM Guéra illustre quand à lui à merveille la tension qui règne sur la réserve. La violence est à la fois très présente et très bien orchestrée : on ne tombe jamais dans le gore étalé gratuitement. Les couleurs, dominées par les tons ocres et sombres, renforcent le coté désespéré et tragique de l’histoire.

Ultra réaliste, politiquement incorrect, Scalped électrise comme un uppercut à la pointe du menton. Je suis sorti sacrément secoué par la lecture de ce comics et diablement impatient de dévorer la suite.


Scalped T1 : Pays indien, de Jason Aaron et RM Guéra, Éditions Panini comics, 2010. 13,00 euros.

L’info en plus : Le dessinateur RM Guéra a fait une incursion dans la BD franco-belge en illustrant notamment les deux derniers volumes de la série Le lièvre de mars, scénarisée par Patrick Cothias (édition Glénat).

lundi 1 mars 2010

Les étranges sœurs Wilcox T1 : Les vampires de Londres

Londres, 1888. Les sœurs Wilcox, Amber et Luna, se réveillent dans un cercueil capitonné. Elles découvrent avec horreur qu’elles ont été enterrées vivantes dans un cimetière misérable. Complètement perdues, elles déambulent, hagardes, dans les rues de la capitale anglaise. De retour chez elles, elles constatent que leur maison est partie en fumée et que leur père et leur belle-mère ont disparu. Prises en charge par l’étrange docteur Watson, elles sont placées sous la protection de Sherlock Holmes et d’un ministère secret directement rattaché à la couronne : les Invisibles. Ces magiciens, dont personne à part la Reine ne connaît l’existence, luttent depuis des siècles contre les Drakuls, un clan de vampires avide de pouvoir qui menace l’Empire britannique. Amber et Luna apprennent alors qu’elles sont elles-mêmes devenues de puissants vampires après avoir été mordues par l’une de ces créatures maléfiques. Les Invisibles souhaitent utiliser leurs pouvoirs pour lutter contre leurs ennemis séculaires. Légitimement perturbées par ces révélations en cascade, les deux sœurs vont devoir prendre la décision la plus importante de leur jeune existence…

Encore une histoire de vampires, se diront les grincheux. Certes, la bit-lit envahit chaque jour davantage les rayons de nos librairies. Mais l’univers mis en place par Fabrice Colin, s’il n’est pas d’une folle originalité, ne manque cependant pas de charme. L’auteur de La malédiction d'Old Haven nous entraîne avec délectation dans l’Angleterre Victorienne en convoquant les personnages littéraires ou réels les plus célèbres de cette époque : Sherlock Holmes, Moriarty et le Docteur Watson, Jack l’éventreur, Abraham Stoker, la Reine Victoria… Il n’oublie pas de rajouter Dracula, Nosferatu ou Elizabeth Bathory, soit quelques références historiques incontournables en matière de vampirisme. Les descriptions sont parfaitement maîtrisées : les rues de Londres perdues dans le brouillard, les intérieurs cossus des maisons bourgeoises, les cimetières balayés par les vents glacés… Les personnages sont nombreux, parfois trop stéréotypés, mais l’intrigue avance relativement vite et l’alternance entre les nombreuses phases de dialogues et les scènes d’action évite que l’ennui s’installe chez le lecteur.

Il ne faut par ailleurs pas oublier que nous sommes ici en présence d’un ouvrage de littérature jeunesse. Et si le vieux schnock que je suis se mettait dans la peau d’un ado aimant ce genre de récit, nul doute que je serais comblé par cette première aventure des sœurs Wilcox.

Voila donc un roman qui constitue une belle introduction à la littérature fantastique pour les jeunes lecteurs qui souhaitent découvrir le genre. Ni révolutionnaire, ni incontournable, c’est juste un excellent divertissement et un agréable moment de lecture. Que demander de plus ?

Les étranges sœurs Wilcox T1 : Les vampires de Londres, de Fabrice Colin, Éditions Gallimard Jeunesse, 2009. 284 pages. 13,50 euros. Dès 12 ans.

L’info en plus : L’histoire racontée dans le roman par Abraham Stoker à Hyde Park est celle des Amants papillons, un magnifique album de Benjamin Lacombe paru aux éditions du Seuil en octobre 2007. On comprend mieux la dédicace de Fabrice Colin à son ami au début du livre : « Révérence et gratitude à Benjamin Lacombe sans qui [ce livre] n’aurait sans doute jamais existé. »

Livre lu dans le cadre du Prix Littéraire des Bloggeurs 2010 - sélection ados
http://prixlitterairedesblogueurs.hautetfort.com/


mercredi 24 février 2010

Mélusine T1 : sortilèges

Mélusine est une jeune sorcière de 119 ans qui, pour arrondir ses fins de mois et payer ses études, trouve une place de femme de ménage dans un manoir digne de celui de la famille Adams. Les travaux qu’elle doit effectuer sont à la fois variés et insolites : briquer les armures, récurer les oubliettes, épousseter le cercueil qui sert de lit à son vampire de patron, nettoyer des tapisseries enchantées… Chaque situation est prétexte à un gag en une ou deux planche dans la grande tradition des séries franco belges comme Gaston Lagaffe, Boule et Bill ou encore Kid Paddle.

L’originalité réside dans le fait que la série met en scène une galerie de personnages qui tient d’habitude plus du registre de l’horreur que de celui de l’humour. Ce bestiaire fantastique permet aux jeunes lecteurs de découvrir « en douceur » les grandes figures d’un genre littéraire majeur : sorcières, fantômes, momies, dragons, vampires, squelettes, loup-garou, Frankenstein, prêtres exorcistes… La petite Mélusine est pour sa part loin de l’image traditionnelle propre aux sorcières des contes de fées. La jeune fille aux cheveux roux possède un charme certain et ses formes généreuses sont d’ailleurs plusieurs fois mises en valeur dans l’album.

Un univers riche et des personnages haut en couleur, voila donc les principaux atouts de cette BD. C’est malheureusement trop peu à mon goût. Aucun gag ne m’a arraché ne serait-ce qu’un sourire. De plus, le lettrage est parfois difficile à déchiffrer pour un élève de CE2 qui aurait quelques difficultés en lecture. Finalement, l’ensemble m’est apparu bien fade et sans grand intérêt.

En choisissant ce titre, la commission chargée de créer la liste officielle pour le cycle 3 a sans doute voulu faire découvrir aux élèves une BD d’humour classique. C’est une intention louable, mais il me semble qu’il existe des séries du même genre d’une qualité bien supérieure. Je citerais par exemple Léonard, de Turk et De Groot ou encore Parker et Badger de Cuadrado. Mélusine est donc pour moi une déception. Mais puisque seize autres tomes sont parus depuis ce premier volume, je dois bien reconnaître que la série a connu un certain succès. Et c’est tant mieux pour la petite sorcière et ses deux créateurs !

Mélusine T1 : de Clarke et Gilson, éditions Dupuis, 1995. 48 pages. 9,95 euros. Dès 8-9 ans.

L’info en plus : le dessinateur Clarke réalise seul une série humoristique pour les plus grands qui met en scène un président américain ressemblant comme deux gouttes d’eau à Georges W. Busch. Mister President narre en effet les aventures cocasses d’un chef d’état fraîchement nommé à la Maison blanche dont le QI est proche de celui d’une tasse à café ! Une caricature caustique et très drôle à découvrir tout au long des 5 albums publiés aux éditions du Lombard.


Ouvrage lu dans le cadre du challenge Lectures d'école


dimanche 21 février 2010

Ma voie de père

Hiroshi Hirata est un auteur de Gekiga (mangas traitant de sujets graves) dont les séries mettent en scène des samouraïs évoluant dans le japon médiéval. A la fin des années 80, Hirata quitte Tokyo avec sa femme et ses cinq enfants pour s’installer à Izu (un archipel d’une centaine d’îles situé au large de Tokyo). A cette époque, le mangaka est en pleine panne d’inspiration. Il ne parvient plus à mettre en route le moindre projet et plonge sa famille dans de graves difficultés financières.

Pour tenter de se remettre en selle, il démarre de petites histoires autobiographiques dans lesquelles il expose ses conceptions de la vie et de la philosophie. Il soumet son travail à l’un de ses anciens éditeurs qui accepte de le publier dans une revue pour ados et jeunes adultes, Youg Magazine. A raison de quatre pages hebdomadaires, cette œuvre inclassable va paraître pendant 31 semaines en 1990 avant de sortir sous forme de recueil à la fin de cette même année.

Pourquoi Ma voie de père peut être considérée comme inclassable ? La forme est originale : quatre pages, jamais une de plus. A chaque fois, un thème particulier est abordé, sans aucun lien avec l’épisode précédent ni le suivant. Quelques exemples : le manque d’inspiration, la musique, la sexualité, l’éducation des enfants, le travail, la confiance en soi, le sens de la vie… Un commentaire de sa femme vient ouvrir ou conclure chaque épisode. Là encore, le procédé apparaît singulier. Sur le fond, les réflexions d’Hirata ne sont pas celles d’un philosophe. C’est du brut de décoffrage avec des mots simples et un style très direct mais non dénué d’humour.

C’est un fait, Ma voie de père peut sans conteste être considérée comme une œuvre expérimentale, un ovni dans le monde très catégorisé des mangas. Seulement, cet aspect expérimental pose problème dans la mesure où tout cela semble fort décousu. Difficile parfois de suivre les digressions de l’auteur, surtout lorsqu’il multiplie les références à la langue japonaise et à ses finesses étymologiques. Pour le lecteur français, et malgré l’incroyable travail effectué par les traducteurs, il est très facile de perdre le fil.

Finalement, c’est Hirata lui-même qui définit le mieux la finalité de son propos en introduction à l’ouvrage : « Mon vœu le plus cher, si vous arrivez à lire [ce volume] jusqu’au bout, serait qu’au détour d’une page vous y trouviez à votre tour une pensée nouvelle, qui puisse vous aider d’une façon ou d’une autre dans votre propre vie, vous apporter confiance et détermination. »

Un dernier petit conseil si vous souhaitez vous lancer dans la lecture de ce manga : ne partez pas bille en tête avec l’idée de tout lire d’une traite. Choisissez plutôt de lire ses différentes historiettes de manière épisodique. Cela évitera que le recueil vous semble ennuyeux à mourir et finisse par vous tomber des mains.

Ma voie de père, d’Hiroshi Hirata, Éditions Delcourt, 2010. 15,00 euros.

L’info en plus : Pour découvrir le travail d’Hirata dans le genre Gekiga, je ne peux que vous conseiller la lecture de la série Satsuma, l’honneur des samouraïs. Six volumes en tout pour cette superbe histoire sombre et poignante mettant en scène des samouraïs devenus extrêmement pauvres dans le Japon du XVIIIe siècle.


mercredi 17 février 2010

Fantastique Maître Renard

Maître Renard vit paisiblement dans les bois avec sa femme et ses quatre enfants. Chaque soir, il part chercher le dîner dans les trois fermes de la vallée où sont élevées des poules, des dindes et autres canards dodus à souhait. Ne supportant plus de se voir quotidiennement délestés de leurs plus belles bêtes, les trois ignobles fermiers propriétaires des volailles décident de s’allier pour éliminer définitivement maître renard et sa famille. Le problème, c’est que Boggis, Bunce et Bean ne sont pas seulement laids et méchants. Ils sont également très bêtes. Et face à un renard trop malin pour eux, ils ont bien plus à perdre qu’à gagner en se lançant dans une telle chasse…

Roald Dahl met en scène un combat inégal. D’un coté, trois fermiers stupides persuadés à tort d’arriver à leurs fins. De l’autre, un digne héritier du héros du Roman de Renart, rusé et parvenant toujours à rouler ses adversaires dans la farine. Après les deux premiers chapitres de présentation des différents protagonistes, le lecteur prend obligatoirement parti pour le goupil. L’apparition des autres animaux de la forêt venant aider Renard dans sa quête pour trouver de la nourriture renforce l’impression de solidarité et d’altruisme qui émane de ses familles devant se serrer les coudes pour survivre dans une situation difficile. Le schéma classique des bons contre les méchants est ici parfaitement reproduit, même si les bons se transforment pour l’occasion en voleurs.

Le texte, découpé en courts chapitres, est facile à lire. Les dialogues sont nombreux et l’humour très présent. Les péripéties s’enchaînent rapidement jusqu’au dénouement en forme de happy end. Les illustrations de Quentin Blake apportent un plus indéniable : elles aèrent la mise en page et permettent de mieux visualiser les éléments clés du récit.

Ce petit roman bourré d’humour est devenu un classique régulièrement étudié à l’école primaire. Seule la fin pourra ne pas paraître satisfaisante aux yeux de certains lecteurs. Vivre sous terre, ne plus jamais mettre le nez dehors, n’est-ce pas là perdre sa liberté ? A chacun d’imaginer une suite à l’histoire et de proposer des solutions pour rendre la situation de ces sympathiques animaux plus « vivable ».

Fantastique maître Renard, de Roald Dahl (illustrations de Quentin Blake), édition Gallimard (Folio cadet), 2003. 118 pages. 8 euros. A partir de 8 ans.

L’info en plus : le film Fantastic Mr Fox est sorti en France le 17 février 2010. Il a été réalisé en utilisant une technique vieille de plus d’un siècle : l’animation image par image en volume (stop motion en anglais). A la manière d’un appareil photo, la caméra capture les images les unes à la suite des autres. Chaque image est légèrement différente de la précédente pour créer l’illusion du mouvement. 535 marionnettes ont été réalisées à 6 échelles différentes suivant les besoins de l’animation. Le film dure 86 minutes, ce qui représente la capture de près de 62 000 images.

Livre lu dans le cadre du Challenge Lectures d'école.
 
 

dimanche 14 février 2010

Le narval T1 : l'homme de fond

Son nom, c’est Robert. Mais appelez-le bob. Son boulot ? Plongeur. Pas dans un restaurant. Dans tous les océans et les mers du monde. De la méditerranée à la Polynésie, de l’océan indien à l’arctique, le Narval est l’un des meilleurs plongeurs en activité. Il travaille pour son père, un drôle de personnage qui a fondé l’agence Bloodshift en 1954. L’agence répond aux missions les plus délicates : récupérer un container radioactif, retrouver l’épave d’un galion qui a disparu depuis des siècles, plonger sous la banquise pour des expériences scientifiques… Le problème, c’est que si le Narval est à l’aise comme personne au fond de l’eau, en surface, les choses sont souvent plus compliquées.

L’album contient cinq histoires différentes d’une dizaine de pages chacune. C’est un recueil de nouvelles, mais en BD. Beuzelin et Supiot ont créé un héros qui s’inspire de quelques grands anciens : un soupçon de Spirou, une bonne rasade de Gil Jourdan, et même une petite dose de Natacha, l’égérie hyper sexy de Walthéry (surtout pour les similitudes avec les scènes sous-marines du Treizième apôtre, un des meilleures albums de la série). Certes, leur Bob est plus dans l’air du temps. Ce n’est pas le héros indestructible qui s’en sort toujours sans encombre. Il a un coté loser qui est une marque de modernité en bande dessinée.

Au niveau graphique, un nom me vient à l’esprit lorsque je regarde le travail de Boris Beuzelin : Vehlmann et son Spirou chercheur de trésors archéologiques dans Les géants pétrifiés (Dupuis, 2006). La ressemblance est surtout frappante dans l’histoire qui se déroule en Polynésie. De toute façon, il n’y a pas de doute à avoir. On est en pleine BD franco-belge. C’est du grand classique, et c’est pour cela que les amateurs ne seront pas déçus. Cet album propose du dépaysement, des rebondissements et de l’action. Un bon divertissement, rien de plus. Un souci quand même avec les dialogues. Je n’ai pas les oreilles chastes, loin de là, mais j’ai un peu été surpris par la grossièreté des dialogues dans la première histoire. Cette grossièreté un peu gratuite sonne faux et alourdit la fluidité du récit. Mais tout rentre dans l’ordre par la suite et les échanges entre les protagonistes deviennent moins artificiels.

Voila donc un premier tome qui mérite que l’on s’y attarde pour peu que l’on aime la bande dessinée classique. Vous l’aurez compris, il n’y a là rien de révolutionnaire, mais personnellement je ne regrette pas mon achat et je serais partant si un second volume voit le jour.

Le narval T1 : l'homme de fond, de Boris Beuzelin et Olivier Supiot, édition Treize étrange, 2010. 9,90 euros.

L’info en plus : Les éditions Treize étrange, qui appartenaient au groupe Milan, ont été rachetées il y a quelque temps par Glénat. Elles possèdent un catalogue qui comprend des séries de très grande qualité. Citons en particulier Achab et Ratafia qui sont les symboles d’une maison d’édition ayant toujours privilégié la qualité à la quantité. C’est suffisamment rare pour être signalé.




vendredi 12 février 2010

Tête de piaf

Il y a Mickey, nounours, Maxime et Pierre. Ceux-là se sont rencontrés par un concours de circonstances peu banal. Il y a aussi Madeleine, Paul, Azznavour et Martine. Tous se retrouvent pour une raison ou une autre chez Jeannine et Robin, au Point du Jour. Dans cette pension de famille accueillante, ces âmes en peine vont se reconstruire. Ensemble, elles vont découvrir les bonheurs simples et la notion de chaleur humaine qu’elles pensaient sans doute ne jamais plus connaître.

Philippe Crognier situe son intrigue sous les cieux bas et gris de Picardie. Entre l’Aisne et la baie de Somme, dans une région au premier abord quelque peu tristounette, il met en scène des autochtones qui ont un cœur gros comme ça. Peut-être est-ce une façon pour lui de réhabiliter cette terre trop souvent dénigrée et qui peut parfois paraître « hostile » aux yeux de ceux qui ne la connaissent pas.

On est loin cependant des poncifs du roman de terroir. L’écriture est ici très elliptique : descriptions succinctes, courts paragraphes et incessants changement de focalisation sur les nombreux personnages. Il y a une certaine exigence vis-à-vis du lecteur. A lui de rester attentif pour ne pas perdre le fil. Le roman est très court. Il se déguste plus qu’il ne se dévore. Il faut l’apprécier à sa juste mesure, avec la sérénité des gens simples et heureux.

Bien sûr, les grincheux vont trouver que ce texte dégouline de bons sentiments. Qu’ils passent leur chemin et replongent dans l’autofiction française actuelle si la neurasthénie est pour eux un gage de qualité littéraire. Pour ma part, je remercie Philippe Crognier de m’avoir fait passer un peu de temps avec des personnages d’une telle humanité.

Tête de piaf, de Philippe Crognier, Éditions Abel Bécanes, 2007. 12 euros.

L’info en plus : les éditions Abel Bécanes sont une micro-structure éditoriale basée dans l’Oise. Il n’y a que six titres au catalogue. Uniquement des écrivains Picards. Cette maison d’édition qui fait du succès commercial de ses titres le dernier de ses soucis veut avant tout permettre à des auteurs peu connus d’avoir la chance de voir leurs textes édités de manière professionnelle. Abel Bécanes n’est pas diffusée dans les librairies. Si vous souhaitez acquérir un titre du catalogue, contactez-moi, je pourrais faire suivre votre demande.



mercredi 10 février 2010

Collection Mini Syros Soon : des histoires de futurs

L’enfaon, d’Éric Simard

Leïla est amoureuse. Mais l’élu de son cœur n’est pas un enfant comme les autres. C’est un HGM, un Humain Génétiquement Modifié. Lorsqu’il n’était encore qu’un embryon, les scientifiques qui l’ont conçu ont détecté en lui une maladie très rare, mortelle chez l’homme mais inoffensive chez les cerfs. Ils lui ont donc injectés des gènes de cerf. Il est ainsi devenu un mélange d’enfant et de faon que l’on a baptisé L’enfaon. Mais être un élève différent dans une école « normale », c’est loin d’être un cadeau…

Robot mais pas trop, d’Éric Simard

Adam vit dans une maison entièrement robotisée : on déclenche la chasse d’eau en chantant, le lit se transforme en toboggan lorsque l’on crie « Tarzan » et un robot vous déshabille quand il est l’heure d’aller se coucher. Il y aussi Nestor, un serviteur androïde programmé pour répondre aux besoins des humains. Le problème, c’est que beaucoup d’appareils sont détraqués. Alors quand le directeur de l’école et sa femme s’invitent chez Adam pour prendre le thé, la situation devient vite incontrôlable !

Le Très Grand Vaisseau, d’Ange

Le TGV (Très Grand Vaisseau) a quitté la Terre en quête d’un monde meilleur il y a plus de 800 ans avec à son bord, 3000 « passagers ». Guillaume y est né il y a dix ans. Et comme tous ses congénères, il connaît les consignes par cœur : ne jamais poser de questions sur l’Organisation qui dirige le vaisseau ; ne jamais ouvrir les portes rouges ; ne jamais accéder au niveau 0, celui des pilotes. Mais le jour de son anniversaire, Guillaume va enfreindre ces trois consignes…

A la poursuite des Humutes, de Carina Rozenfeld

Certains humains deviennent sans raison des mutants dotés de superpouvoirs. On les reconnaît à la bosse qui s’est formée sur leur nuque. Les mutants sont pourchassés sans merci par les hommes « normaux » qui les enferment dans des prisons gigantesques dont personne ne ressort jamais. Le jeune Tommy a du mal à comprendre cette haine envers les mutants. Son incompréhension s’est peu à peu transformée en terreur depuis qu’il a senti pousser une légère excroissance à l’arrière de son cou.

Voila une nouvelle collection jeunesse franchement intéressante. La collection Soon existe chez Syros depuis 2008. Elle regroupe des romans d’anticipation en grand format pour adolescents. La collection Mini Syros Soon, qui voit le jour en ce début d’année 2010, est en quelque sorte la petite sœur de Soon. Son catalogue propose des titres destinés aux 9-10 ans dans un format poche au prix riquiqui de 2,95 €. Le cahier des charges est identique à celui des autres séries Mini Syros (Romans, Polar, paroles de conteurs) : un genre commun (la science fiction), moins de 50 pages, des chapitres très courts, un même illustrateur pour toutes les couvertures…
Et il faut bien reconnaître que cela fonctionne. Tout d’abord, c’est idéal pour les « petits lecteurs », ces enfants qui ont quelques difficultés en lecture ou qui ne voient tout simplement aucun intérêt dans cette activité. Avec un texte de 40 pages que l’on va lire en vingt minutes maximum, pas le temps de se fatiguer ou de s’ennuyer (pour peu que le contenu nous intéresse, évidemment). De plus, les thèmes abordés interpellent, ils peuvent être source de questionnements et de débats (la génétique, la différence, les évolutions technologiques, l’état de la planète…). Enfin, le coût d’achat ne devrait pas être une barrière pour les parents qui ont quelques soucis financiers. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut acheter un livre neuf qui coûte moins cher qu’un Big Mac (j’ai suffisamment dénoncé le prix excessif des livres dans certaines chroniques précédentes pour ne pas encourager l’effort qui est fait ici !).

Je salue donc avec plaisir la naissance de cette nouvelle collection de littérature jeunesse et lui souhaite une longue vie !

Collection Mini Syros Soon : des histoires de futurs, édition Syros, 2010. 2,95 euros. A partir de 9 ans.

L’info en plus : Deux autres titres viennent compléter le lancement de la collection. Il s’agit de L’enfant-satellite de Jeanne-A. Debats et Opération « Maurice » de Claire Gratias.

mardi 9 février 2010

Les gaulois expliqués à ma fille

J’ai reçu ce livre dans le cadre de l’opération Masse critique organisée par le site Babelio. En plein débat sur l’identité nationale, une telle lecture m’apparaissait tout à fait appropriée. Bien sûr j’aurais pu craindre une présentation « vieille France » de nos ancêtres les Gaulois comme celles qui illustraient les manuels scolaires de la première moitié du XXème siècle. Mais dans une publication de 2010 éditée au Seuil, de telles craintes n’ont aucun fondement. J’aurais par contre aimé en savoir un peu plus sur l’auteur. Certes, la bibliographie présente en fin d’ouvrage ne laisse planer aucun doute sur les connaissances de Jean-Louis Brunaux en matière de civilisation gauloise, mais une petite biographie aurait néanmoins été bienvenue pour faire plus ample connaissance avec l’auteur.


Le principe de la collection « expliqué à », est extrêmement simple : tout fonctionne sous forme de questions/réponses. En l’occurrence dans ce volume, c’est une enfant qui pose des questions à un historien. Parmi les autres titres de la collection, on peut noter Les barbares expliqués à mon fils, Les origines de l’homme expliqués à nos petits enfants ou encore Les machos expliqués à mon frère.

Le découpage en chapitres permet d’organiser clairement les propos échangés. Les réponses sont courtes (rarement plus d’une page) sans être lapidaires. Le vocabulaire est précis sans être trop technique. Bref, c’est un véritable effort de vulgarisation réalisé par l’historien qui a conscience de s’adresser à une jeune fille, mais qui ne veut pas pour autant infantiliser son discours. Quelques remarques tout de même concernant la mise en page. Des illustrations disséminées au fil de l’ouvrage auraient aéré le texte qui, de prime abord, apparaît assez dense. De plus, un glossaire et un index auraient enrichis grandement l’ensemble et permis de plus facilement retrouver les différents thèmes abordés dans les chapitres. Mais ce ne sont là que quelques détails.

Alors, que retenir de cette discussion à bâtons rompus sur nos ancêtres les gaulois ? Du coté de l’anecdote, j’ai découvert la passion qu’avaient les guerriers pour les têtes de leurs ennemis tués au combat. On les accrochait à la façade des maisons, comme des trophées de chasse et on se les transmettait de père en fils, une sorte d’héritage à entretenir et une collection familiale à agrandir pour les enfants. Pour ce qui est de la grande histoire, un constat s’impose : les gaulois ont quasiment disparus de notre imaginaire collectif. D’une part, le mot « gaulois » s’est peu à peu effacé au profit de l’appellation « peuples celtes », et d’autre part, les français se considèrent plutôt comme des descendants de Charlemagne et des Mérovingiens. Vercingétorix est devenu une lointaine figure à laquelle on s’identifie de moins en moins. Bien sûr il reste Astérix pour entretenir la flamme gauloise dans la société française, mais je doute que cela soit suffisant. Quoi qu’il en soit, pour ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire gauloise, la vie quotidienne, l’art de la guerre, les druides, les dieux et la civilisation en général, la lecture de ce petit livre s’avère indispensable.

Voila un ouvrage qui a toute sa place dans un CDI de collège. Il sera fort utile pour les élèves de 6ème qui abordent ce sujet dans le programme d’histoire. Dans le cadre de la sphère familiale, l’achat de ce titre sera sans doute à réserver aux enfants passionnés par le sujet ou aux parents qui voudraient renforcer leurs connaissances sans avoir à se farcir des publications universitaires plus épaisses qu’une côte de bœuf.

Les gaulois expliqués à ma fille, de Jean-Louis Brunaux, édition Seuil Jeunesse, 2010. 8 euros.

L’info en plus : Jean-Louis Bruneaux a publié début 2009 un ouvrage au format poche intitulé Les druides : des philosophes chez les barbares dans la collection Points Histoire. Pour ceux qui voudrait approfondir leurs connaissances sur les gaulois avec un titre forcément moins vulgarisateur mais sans doute tout aussi intéressant.