mercredi 20 mars 2019

Bolchoi arena T1 : Caelum incognito - Boulet et Aseyn

Imaginez un lieu où à peu près tout est possible, un lieu peuplé de planètes lointaines, d’inventions futuristes, de vaisseaux spatiaux et de villes tentaculaires dans lequel vous pouvez naviguer à votre guise depuis votre lit ou votre canapé, en enfilant un casque virtuel. Ce lieu s’appelle Bolchoi Arena et est devenu l’espace de jeu le plus populaire du monde. Marje, étudiante en astrophysique, va y faire ses premiers pas, guidée par son amie Dana. Très vite elle comprend à quel point l’univers de Bolchoi Arena constitue un champ d’exploration sans limite à la hauteur de sa passion pour les astres. Elle y fait d’emblée preuve d’une dextérité surprenante, quitte à s’attirer les foudres de joueurs chevronnés voyant d’un mauvais œil débarquer cette novice aux dents longues.
Évidemment, un monde virtuel aussi fascinant rend vite les utilisateurs accros, les coupant chaque jour davantage de la réalité quotidienne. Pour Marje, cela signifie moins de temps pour les études et moins de temps pour son amoureux Colin...

Boulet s’amuse comme un fou avec ce Bolchoi Arena. Il faut dire qu’une telle invention lui offre un terrain de jeu sans limite. C’est d’ailleurs le petit bémol de ce premier tome qui ne fait que mettre en place les éléments : on s’éparpille pas mal et on laisse en suspens bien des questions sans trop creuser la psychologie des personnages. Logique pour un tome d’exposition mais la série étant prévue pour être une trilogie, il va falloir se recentrer sur un fil conducteur plus épais pour ne pas rester dans l’anecdotique. Heureusement la toute fin de ce premier opus semble aller dans ce sens.

Niveau dessin, je suis fan du trait de Aseyn, clairement inspiré de Katsuhiro Otomo, le dessinateur d’Akira et de Masamune Shirow, celui de Ghost in the Shell et Appleseed. Les couleurs pastel et le petit côté vintage de son univers graphique ont un charme fou qui me ramène à ma découverte émerveillée du manga au début des années 90 (ben oui, ça remonte à loin, je ne suis plus tout jeune que voulez-vous).

Une nouvelle série SF prometteuse où la réalité virtuelle vient télescoper le réel. Si le scénario se densifie et que le dessin reste à un tel niveau, la trilogie à venir s’annonce comme une incontournable du genre !

Bolchoi arena T1 : Caelum incognito de Boulet et Aseyn. Delcourt, 2018. 164 pages. 23,95 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Stephie.










mardi 19 mars 2019

Mamie fait sa valise - Gwladys Constant

Mamie n’en peut plus de sa vie planplan avec pépé Hubert. Du coup c’est décidé, elle le quitte. Et quand elle débarque chez Armand et ses parents pour s’installer quelques temps, la surprise est totale et plutôt mauvaise, tant pour son gendre que pour sa fille. Armand voit les choses d’un autre œil. Avoir sa mamie à demeure c’est une bonne chose vu qu’avec elle il peut faire tout ce qu’il n’a pas le droit de faire habituellement. Mais en même temps le petit garçon s’interroge. Il voudrait savoir d’où vient le problème, savoir si les morceaux peuvent être recollés et savoir comment aider pépé à reconquérir le cœur de sa femme.

Un roman rigolo et plein de fraîcheur. La mamie qui n’a pas sa langue dans sa poche, le pépé largué, la fille qui supporte difficilement sa mère, le gendre qui veut donner le change mais peine à garder son calme et le petit fils au regard aussi naïf que malicieux forment un casting haut en couleur. L’humour est bien présent, les dialogues dépotent et les échanges entre Armand et sa grand-mère valent leur pesant de cacahuètes, même s’il est difficile d’imaginer un enfant de six ans avoir autant de réflexion et de réparti.

Au final l’amour triomphera. Mais avant cette heureuse issue les obstacles seront nombreux. Et Armand comprendra que l’amour est comme un jardin, il faut l’entretenir et lui accorder beaucoup d’attention pour ne pas le voir dépérir.

Mamie fait sa valise de Gwladys Constant. Rouergue, 2019. 75 pages. 8,50 euros. A partir de 8 ans.



Une pépite jeunesse partagée avec Noukette








mercredi 13 mars 2019

Les brûlures - Zidrou et Laurent Bonneau

Nutella et Light. Le premier est noir mais doit son surnom à un concours gagné durant son enfance. Le second est obèse mais ses collègues lui ont donné ce sobriquet parce que ce n’est pas une lumière. Nutella et Light ou un duo de flics mal assorti chargé d’enquêter sur les meurtres atroces de prostituées dans une station balnéaire. Des flics de nuit dont la vie privée est loin de briller de mille éclats qui savent depuis longtemps que la nature humaine n’a rien de bon à offrir. Pour se changer les idées, Nutella passe beaucoup de temps à la piscine. Nager pour ne pas sombrer. Et pour faire des rencontres. Des rencontres aussi inattendues qu’excitantes qui pourraient s’avérer toxiques…

Zidrou et Laurent Bonneau, en voilà un joli duo. Ils troussent ici un polar se focalisant davantage sur l’intimité de l’un des protagonistes que sur l’enquête en cours. Un polar qui ne donne pas dans l’action mais joue plutôt sur les dialogues, les petits riens, les attitudes. Un peu comme ce que Tardi a fait en adaptant les romans de Jean-Patrick Manchette : on s’attarde beaucoup plus sur les comportements que sur la psychologie des personnages, on multiplie les silences, les non-dits, et on laisse le lecteur les interpréter à sa guise. C’est particulier mais personnellement j’adore.

Le découpage est simple et les cadrages très travaillés, d’une précision clinique. Le dessin de Laurent Bonneau, parfois proche du photomontage, donne une impression assez statique, s’attardant souvent sur l’expression des visages en gros plan. Un parti pris graphique qui donne au déroulement du récit une froideur à la fois étrange et hypnotique. Un léger bémol tout de même, j’ai trouvé que l’album se lisait trop vite et se refermait avec un petit goût de trop peu un poil frustrant. Pas de quoi bouder mon plaisir néanmoins, le résultat reste à la hauteur de mes espérances.

Les brûlures de Zidrou et Laurent Bonneau. Grand Angle, 2019. 120 pages. 19,90 euros.  











mardi 12 mars 2019

La première fois - Agnès de Lestrade

Trois semaines que Rose aurait dû avoir ses règles. Évidemment, il y a de quoi s’inquiéter. Surtout vu ce qu’il s’est passé pendant les vacances avec Paolo. Rose est perdue. Elle aimerait tout raconter à sa mère. « Mais comment lui dire qu’à seulement quatorze ans, j’avais peut-être un têtard dans le ventre, future grenouille géante. Comment lui dire qu’elle était une future mémé en puissance ? »

Elle ne l’a pas vu venir, sa première fois. Un coup de foudre. Inexplicable. Incontrôlable. Un séjour en Corse qui ne se déroule pas comme prévu, une cohabitation forcée avec un garçon inconnu dont elle tombe d’emblée follement amoureuse mais qui ne semble faire aucun cas d’elle. Difficile de comprendre que les apparences sont trompeuses quand on est une ado sans expérience de l’amour. Difficile d’accepter les secousses engendrées par ce coup de foudre, difficile d’y résister et de ne pas en souffrir.

Au fil des chapitres Rose égrène ses premières fois : le premier regard, les premières paroles échangées, le premier contact physique, la première caresse, le premier baiser. Et cette inoubliable première fois : « Je ne sais pas comment j’ai fait, mais je l’ai fait. M’emmêler. Me fondre. Me mélanger. Ses yeux dans les miens, sa bouche dans ma bouche. Et son reste dans mon reste. C’était la première fois. »

Un roman court, percutant. La voix de Rose touche en plein cœur, sa sincérité fait mouche, ses mots résonnent, son angoisse et ses questionnements ébranlent. Un petit roman simple, direct, universel.

La première fois d’Agnès de Lestrade. Talents Hauts, 2018. 62 pages. 7,00 euros. A partir de 13 ans.  




Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette








mercredi 6 mars 2019

Malaterre - Pierre-Henry Gomont

Après le gentil, gros, placide et mollasson personnage de Pereira dans son album précédent, Pierre-Henry Gomont met cette fois-ci  en scène un grand sec nerveux et antipathique père de famille. Gabriel, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas grand-chose pour lui. Menteur, colérique, flambeur, alcoolique, méprisant, imbu de lui-même, faisant passer son intérêt personnel  avant tout autre considération, ce rustre n’hésite pas à faire exploser sa famille pour mener à bien ses projets.

Cinq ans après avoir disparu des radars sans donner la moindre nouvelle à sa femme et à ses trois enfants, le bonhomme réapparaît soudain pour obtenir la garde des deux aînés. Son but ? Les emmener avec lui en Afrique équatoriale pour leur faire découvrir la maison coloniale, la scierie et le pan de forêt perdus par ses ancêtres pendant la crise de 29 qu’il vient de racheter au prix fort.  Trop occupé à mener ses affaires, Gabriel laisse ses enfants livrés à eux-mêmes. Les ados ne s’en plaignent pas vraiment, profitant d’une liberté inattendue pour enchaîner les virés entre copains et les transgressions plus ou moins avouables.

Gomont propose une jolie réflexion sur l’adolescence, ses questionnements et ses turpitudes tout en dressant le portrait d’un père aussi incompétent qu’imprévisible. Difficile de trouver la moindre circonstance atténuante à un pervers narcissique tel que Gabriel dont l’emprise sur les siens ne fait que distendre les liens. Mais à aucun moment le narrateur n’exprime le moindre jugement. C’est là toute la force du récit que de laisser le lecteur se faire son propre point de vue sur cet homme finalement très fragile dont le comportement déplorable peut trouver une éventuelle explication dans sa soif délirante de reconnaissance et de préservation d’un patrimoine familial forcément voué à disparaître malgré ses nombreuses gesticulations.

Le dessin tout en souplesse rappelle le trait de Christophe Blain (Isaac le pirate), les couleurs sont somptueuses et la jungle africaine magnifiquement restituée. Le découpage est quant à lui limpide, d’une grande maîtrise, il donne une surprenante impression de facilité. Cerise sur le gâteau, j’ai trouvé le texte extrêmement bien écrit. C’est la quatrième fois que je lis un album de Pierre-Henry Gomont  et il ne fait aucun doute que ce Malaterre restera à mes yeux comme celui de la maturité.

Un petit bijou qui a remporté le prix RTL de la BD 2018 et que l’adorable Moka a eu la gentillesse de m’offrir à Angoulême en janvier dernier. Merci à toi pour ce choix parfait !

Malaterre de Pierre-Henry Gomont. Dargaud, 2018. 190 pages. 24,00 euros.














mardi 5 mars 2019

La tribu des Zippoli - David Nel-Lo

« Avec un livre, on ne joue pas au ballon, on ne fait des batailles de boules de neige, mais avec un livre, on peut rire ou pleurer, et parfois on connaît tellement les personnages que c'est comme si on les avait vus ou qu'on avait rêvé d'eux. »

Le passage obligatoire à la bibliothèque de l’école quand on n’aime pas lire, c’est comme l’heure de piscine quand on ne sait pas nager : un calvaire. Ce calvaire, Guillem le vit difficilement. Chaque mercredi il se rend avec sa classe dans la bibliothèque de Mme Milstein et à chaque fois il doit en ressortir avec un livre. Un livre qu’il va laisser traîner jusqu’à la semaine suivante sans même l’ouvrir.

Si cela ne tenait qu’à lui il n’emprunterait que des BD mais Mme Milstein oblige les élèves à choisir un livre sans illustration. Un jour, pressé de faire son choix, il sort au hasard de derrière une étagère un vieil ouvrage poussiéreux ayant pour titre « La tribu des Zippoli ». Trois jours plus tard, en retrouvant le livre près de son lit, Guillem se décide à y jeter un œil. Et ce qu’il découvre en lisant les premières lignes le laisse sans voix. Il ne le sait pas encore, mais « La tribu des Zippoli » va changer sa vie…

Un livre sur les livres, sur la force de l’imaginaire, sur la magie de la lecture. Il serait dommage de trop en dévoiler sur le pouvoir de cette tribu vivant sur une île microscopique. Le catalan David Nel-Lo déroule une histoire certes pleine de fantaisie mais qui reste du début à la fin solidement charpentée et facile à comprendre. Surtout, il montre à quel point un livre peut procurer plaisir et évasion à celui qui s’y plonge. Un message simple, qui coule de source et qui prouve une fois encore qu’une vie de lecteur passionné démarre (presque) toujours par la rencontre magique entre un enfant et LE livre qui va faire résonner en lui une corde sensible dont il ignorait jusqu’alors l’existence.

La tribu des Zippoli de David Nel-Lo (traduit du catalan par Edmond Raillard). Actes Sud junior, 2019. 132 pages. 13,80 euros. A partir de 10 ans.










mercredi 27 février 2019

Portrait d’un buveur - Florent Ruppert, Jérôme Mulot et Olivier Schrauwen

Le sérieux du titre est trompeur. Et ne vous fiez pas à la figure avenante du portrait se trouvant sur la couverture car vous partiriez sur une sacrée fausse piste. Le buveur dont on parle s’appelle Guy. Charpentier de marine, il vit à la glorieuse époque de la piraterie et se comporte en vrai sans foi ni loi. Ses actions sont uniquement guidées par son besoin ou ses excès d’alcool. D’un bout à l’autre des 200 pages de l’album, il ne dessaoulera pas. Sa dépendance à la boisson fait de lui, en fonction de la situation, un lâche, un fainéant, un menteur ou un tueur sans scrupule. De ses larcins sur la terre ferme à la trahison de ses camarades marins en plein abordage par des pirates, Guy cumule les méfaits et passe miraculeusement entre les gouttes.

Décoiffant portrait d’un salopard en puissance. Ne cherchez aucune morale à cette fable cynique, la seule chose à en retenir est que la probité ne paie pas et qu’il vaut mieux avoir l’alcool mauvais qu’être un modèle de vertu. J’aime  cette prise de parti totalement amorale. Guy est délicieusement détestable, divinement médiocre. Un enfoiré de première qui se fout de tout, n’a pas de limites et est aussi méchant que dangereux, j’adore !

Graphiquement, c’est totalement dingue. Le duo Ruppert et Mulot est connu pour son audace depuis des albums tels que Soirée d’un faune mais l'association avec le belge Olivier Schrauwen, réputé pour son avant-gardisme décapant, donne un résultat incroyable. Au-delà des mésaventures de notre affreux jojo, ce portrait de buveur offre une expérience de lecture unique. Découpage surprenant passant de l’ultra classique gaufrier de six cases à des compositions dignes du surréalisme, jeu de couleurs désarçonnant, rupture brutale du rythme de la narration, les trouvailles se multiplient mais restent au service du récit sans jamais tomber dans de la pure expérimentation. Certes, il faut un peu s’accrocher au début pour trouver ses marques mais une fois le projet des auteurs bien cerné, on s’embarque  pour un voyage au long cours qui revisite avec virtuosité les codes de la bande dessinée.

Portrait d’un buveur de Florent Ruppert, Jérôme Mulot et Olivier Schrauwen. Dupuis, 2019. 184 pages. 28,95 euros.




















mardi 26 février 2019

Le bungalow a les crocs - Annabelle Fati

Les vacances s’annonçaient parfaites pour Amélie. Une location isolée à la lisière des bois, sa cousine Chloé, un bungalow rien que pour les enfants à côté de celui des parents, tout était réuni pour que la jeune fille passe un séjour inoubliable.
Au final inoubliable il l’a été, mais dans le mauvais sens du terme. Parce que dès le premier soir, il s’est passé des choses étranges. Du bruit à l’extérieur, son frère Guylain qui disparaît et des loups garous qui viennent  frapper au carreau de la baie vitrée. Des loups garous oui, d’affreuses bestioles affamées, les crocs acérés, des poils partout et une irrépressible envie de faire un gueuleton digne de ce nom. Pour Chloé, l’horrible évidence saute aux yeux : impossible de fuir, impossible de leur échapper, les vacances tournent au cauchemar.

Un roman jeunesse pour frissonner en partageant la nuit infernale vécue par Chloé et les siens. Les loups garous ne sortent pas d’un rêve, ils sont bien réels et assoiffés de sang. Pour ne pas finir dans leurs estomacs, les enfants vont devoir improviser, ruser, prendre tous les risques. Heureusement les monstres ne sont pas très futés et leur cruauté n’a d’égale que leur stupidité.

C’est rigolo, c’est rythmé, c’est bien mené, ça fait un peu peur mais pas trop non plus. Avec le récit à la première personne de Chloé, Annabelle Fati a trouvé la bonne formule pour augmenter la tension sans jamais basculer dans le trop plein d’angoisse. A chaque moment de frayeur succède un épisode faisant redescendre la pression, ce qui évite tout risque d’escalade. Ce juste dosage permet d’agripper le lecteur et de faire en sorte qu’il se passionne pour l’histoire sans pour autant le confronter à des scènes traumatisantes.

Une fois encore la collection Pépix (qui accueille notamment en son sein la star Gurty !) prouve qu’elle est parfaite pour convaincre les plus réfractaires que la lecture peut facilement devenir un plaisir. Il suffit juste de trouver chaussure à son pied.

Le bungalow a les crocs d’Annabelle Fati (ill. de Qin Leng). Sarbacane, 2019. 236 pages. 10,90 euros. A partir de 9-10 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette








dimanche 24 février 2019

Mrs Flectcher ou les tribulations d’une MILF - Tom Perrotta

Cadeau d’anniversaire d’une collègue. C’est super gentil de sa part mais dès le départ j’ai flairé la mauvaise pioche. Le titre, le pitch, la quatrième de couv et ses citations élogieuses, tout concordait pour annoncer la catastrophe à venir.

L’histoire est digne d’une (mauvaise) série télé. Une quadra divorcée, plutôt aisée, s’abime dans son boulot de directrice de maison de retraite pour oublier qu’en rentrant le soir personne ne l’attend depuis que son crétin de fiston est rentré à la fac. Week-end en pyjama devant Netflix, repas en solitaire dans une maison devenue bien trop grande pour elle et vie sentimentale désertique sont le lot quotidien d’Eve Fletcher. Elle a pourtant de beaux restes, Mrs Fletcher. D’ailleurs elle reçoit un jour le SMS d’un admirateur anonyme lui annonçant qu’elle est sa MILF (une mère sexuellement très attirante pour dire les choses sobrement). A partir de là, tout bascule. La prude Eve s’intéresse à la question des MILF et découvre sur un site coquin les exploits sexuels de femmes de son âge. Fascinée par ce qu’elle voit, notre quadra devient accro aux sites porno et se lâche peu à peu. Drague d’une collègue, rapprochement avec un prof de fac transgenre ou plan à trois, elle multiplie les expériences et s’émancipe comme elle peut, sans assumer vraiment.

Disons-le clairement, ce n’est pas un bon roman. Déjà vu, sans surprise, mou du genou et fade. Tom Perrotta ne lâche pas les chevaux, il décrit la vie dissolue de Mrs Fletcher avec le frein à main. Son écriture n’a aucune chaleur, les tribulations de notre MILF sont tellement mollassonnes qu’elles n’offrent rien de croustillant. Et elles restent, du début à la fin, mortellement ennuyeuses. Ça aurait pu être super drôle, ou super cynique, ou super cruel, ou superbement féministe, ou plein d’autodérision. Mais ça n’est rien de tout ça. On suggère de loin pour ne pas choquer, on dresse le portrait misérable d’une bourgeoisie blanche sans saveur mais on ne creuse pas suffisamment le sujet pour le rendre intéressant et on s’en sort avec une pirouette finale ridicule qui donne une conclusion gnangnan au possible. 

Je suis comme tout le monde, j’adore les cadeaux mais force est de reconnaître que celui-là n’était pas fait pour moi. Rien de grave cela dit, j'ai quand fait même un gros bisou à la collègue qui a eu la gentillesse de se creuser la tête pour penser à mon anniversaire.

Mrs Flectcher ou les tribulations d’une MILF… de Tom Perrotta (traduit de l’anglais par Jean Esch). Fleuve éditions, 2019. 390 pages. 20,90 euros.









vendredi 22 février 2019

Sur les routes d'Europe : souvenirs d'un vagabond - Jean Buhler

« Faut-il donc creuser sa tombe à côté de son berceau, trouver dans un devoir héréditaire une satisfaction quotidienne et se résigner sans avoir pu choisir ? »

1938. Après l’obtention de son baccalauréat à Genève, Jean Buhler refuse de s’inscrire à l’université de Neufchâtel. A ses parents consternés il annonce sa volonté de parcourir l’Europe à pied, sac sur le dos et sans un sou. Des « projets de vacances » comme il les qualifie qui ne sont pas au goût de son père pour qui Jean doit étudier dans le but de travailler, faire honneur à son nom, « fonder une famille et gagner assez d’argent pour l’entretenir dans l’aisance. »

Mais le jeune homme n’en fait qu’à sa tête. Une nuit, il part, direction l’Italie. Rome, Naples, Bari. Une traversée en bateau et c’est la découverte de l’Albanie. Pendant quelques semaines il suit une caravane de tziganes et connait nombre de péripéties avant d’échouer à Budapest. Après une dernière étape à Vienne il rentre en Suisse. Mais très vite les envies d’ailleurs ressurgissent. A Paris il s’acoquine avec un voyou qui l’envoie en mission à Bruxelles. Fuyant son mentor et ses méthodes crapuleuses il trouve refuge en Allemagne, où il travaille pendant quelques temps à la construction de chemins de fer. 

Au-delà du voyage et de ses nombreuses étapes, il y a les rencontres. Salvatrices, inquiétantes, douloureuses ou délicieuses. Et à travers le cheminement du vagabond on découvre une Europe en pleine effervescence à la veille de son effondrement. Dans les Balkans la tension est à son comble, à Paris la jeunesse voit s’étendre l’ombre de la guerre à venir et en Allemagne le discours nationaliste devient nauséabond.

Surtout, au-delà du voyage et des nombreuses étapes, il y a l’état d’esprit d’un jeune homme épris de liberté dont la crâne assurance sera vite mise à rude épreuve. L’écriture est belle, un poil datée, lyrique sans excès. Elle dit l’effort, l’abandon à la fatigue, la rage adolescente pétrie de certitudes naïves, ce besoin d’errer sans but, d’aller où ses pas le portent. Elle dit sans mièvrerie l’exaltation de celui qui a su dire non au projet de vie que l’on avait tracé à sa place, de celui qui décide de son destin en s’affranchissant de son statut social.

Un superbe récit de voyage et une totale découverte pour moi qui, dans mon ignorance crasse, réduisais les écrivains-voyageurs suisses au seul Nicolas Bouvier.

Sur les routes d'Europe : souvenirs d'un vagabond de Jean Buhler. La Baconnière, 2019. 196 pages. 16,00 euros.