mardi 20 novembre 2018

Vue sur mer - Jo Hoestlandt

Romuald tourne en rond dans sa cité de Valence. Entre sa mère handicapée, son petit frère collant et les services sociaux qui surveillent la famille de près, le garçon n’a pas souvent l’occasion de se réjouir. Alors quand le secours populaire lui propose de partir en vacances dans une famille d’accueil, il se dit que ça ne peut pas lui faire de mal. En plus, chez Papy Guy et Mamie Juliette, il va voir la mer pour la première fois de sa vie. Arrivé sur place, les premiers pas sont difficiles. On lui impose des règles qu’il a du mal à accepter et les activités qu’on lui propose ne sont guère plus excitantes que celles de la cité. Mais au fil des jours, Romuald finit par apprécier son séjour et se fondre naturellement dans un environnement pourtant très éloigné de celui qu’il connait. 

Il y a tout Jo Hoestlandt dans ce texte. Une humanité à fleur de peau, une tendresse débordante pour les personnages, une justesse de ton sans la moindre fausse note, une facilité à peindre avec beaucoup de sensibilité des scènes à première vue anodines. Pas la peine de sortir les violons, l’auteure de Géant n’est pas là pour faire pleurer dans les chaumières. Son truc à elle, c’est de faire surgir l’émotion de tout petits riens, sans jamais forcer le trait. Par petites touches elle tisse les relations entre Romuald et ses hôtes avec tout ce qu’une telle « rencontre » engendre d’interrogations et d’hésitations. Le garçon, d’abord sur la défensive, va finir par trouver ses marques et surtout sa place auprès de ce couple de retraités dont la gentillesse ne cache aucun piège.

Une belle histoire intergénérationnelle ou la différence de milieu sociale n’apparaît à aucun moment comme un obstacle, mais bien davantage comme une richesse. Un roman simple et généreux, à l’image de Jo Hoestlandt et de son univers.

Vue sur mer de Jo Hoestlandt. Magnard jeunesse, 2018. 175 pages. 12,90 euros. A partir de 9 ans.











mercredi 14 novembre 2018

Le Complot : L’histoire secrète des Protocoles des Sages - Sion de Will Eisner

« Chaque fois qu’on apprend à un groupe à en haïr un autre, on forge un mensonge pour attiser la haine et justifier un complot. La cible est facile à trouver parce que l’ennemi est toujours l’autre. »

Will Eisner retrace l’histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion, un document créé de toutes pièces au début du 20ème siècle en Russie pour attiser l’antisémitisme et écarter du tsar Nicolas II un conseiller (juif) trop réformiste pour les conservateurs. De sa rédaction à nos jours, cet opuscule prétendument écrit par des dirigeants juifs et relatant avec précision la façon dont ces derniers projettent de diriger le monde a suivi un chemin tortueux et reste une source d’inspiration majeure pour les antisémites de tous poils malgré les éléments indiscutables prouvant qu’il n’est qu’un faux grossier.

En 1905, première publication. En 1921, un article du Times démontre la supercherie. En 1923, les partisans d’Hitler utilisent les protocoles pour diffuser leur propagande haineuse dans l’opinion publique. En 1935, un tribunal suisse condamne les nazis pour diffamation et qualifie le texte « d’imbécilités dont la seule fin est d’inspirer le mépris et la haine des juifs ». En 1964, le sénat américain publie un rapport qualifiant les protocoles de documents frauduleux. En 1993, un tribunal russe reconnaît à son tour que le document est un faux. En 1999, le magazine l’Express apporte grâce à des historiens la preuve irréfutable et définitive que le protocole n’est qu’un complot antisémite. Et pourtant…

Et pourtant le texte n’a cessé d’être diffusé et traduit. En Italie et en Argentine dans les années 30, en Égypte, en Inde, en Espagne, aux États-Unis et en Angleterre dans les années 70. Et encore aujourd’hui, partout dans le monde, des islamistes au Ku Klux Klan, des catholiques espagnols aux néofascistes italiens. A chaque fois, malgré l’évidence de son caractère fallacieux, on encourage les lecteurs des protocoles à découvrir « la vérité sur les juifs ». A chaque fois, malgré la vérité, rien ni fait. Comme l’hydre de Lerne qui se multiplie quand on lui coupe la tête, les protocoles ne cessent de ressurgir pour développer un antisémitisme galopant que rien ne semble pouvoir arrêter. 

Je suis rentré dans cet album sur la pointe des pieds. Comme c’est une réédition (il a été publié pour la première fois en 2005) j’ai pu lire pas mal d’avis et beaucoup insistaient sur la complexité du propos, sur la difficulté à s’y retrouver parmi tous les noms cités et une chronologie pas forcément évidente à appréhender. Et bien au final j’ai surmonté sans problème les obstacles et j’ai même trouvé le récit d’une grande lisibilité. Alors oui, mieux vaut être frais, dispo et concentré avant de se lancer mais franchement, si on reste attentif du début à la fin, la démonstration d’Eisner est aussi limpide qu’imparable. Et l’on referme ce livre terrifiant de lucidité en ayant compris, comme le dit si bien Umberto Eco en introduction, que « ce ne sont pas les Protocoles qui produisent l’antisémitisme : C’est le besoin profond de désigner un Ennemi qui mène les gens à y croire ». 

Le Complot : L’histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion de Will Eisner (traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat). Grasset, 2018. 145 pages. 20,90 euros.






mardi 13 novembre 2018

Le mot d’Abel - Véronique Petit

Dans le monde d’Abel chacun, à l’adolescence, se lève un matin avec en tête « son » mot. Un mot obsédant, chevillé au corps et à l’esprit, qui va forcément conditionner l’avenir professionnel et personnel. Abel est inquiet car il n’a pas encore eu la révélation de son mot. Il rêve d’un grand mot mais craint de ne recevoir qu’un mot insipide qui lui réservera un futur sans saveur. Pire encore, il espère que son mot ne sera pas un mot noir, un de ses mots maudits qui font de vous un tueur, un fou ou un délinquant en puissance.

Depuis que le mot de Clara, la fille la plus populaire du collège, a été inscrit sur le mur des toilettes, l’angoisse d’Abel ne fait qu’augmenter. Révéler le mot de quelqu’un à son insu est une violation de son intimité, un crime sévèrement puni. Pendant que la police mène l’enquête, Abel attend anxieusement son mot. Le jour où il arrive enfin, le jeune garçon comprend que ses rêves de gloire risquent fort de ne jamais se concrétiser... 

Je n’ai pas tout compris. Enfin si, j’ai compris le propos, j’ai compris la façon dont cette société où le destin de chacun est façonné par la révélation de son mot fonctionne, mais je n’ai pas compris où l’on voulait m’emmener, je n’ai pas vu l’intérêt. Sans doute parce que je ne suis ni spécialiste ni fan de dystopie. Du coup les inquiétudes et les questionnements existentiels d’Abel me sont passé au-dessus de la tête. Et puis j’ai eu l’impression que le récit ouvrait un tas de portes sans jamais les refermer, que la boucle n’était pas bouclée au final, à tel point que j’ai quitté ce livre en me disant « tout ça pour ça » ?

Le mot d’Abel vient de remporter le prix Gulli, un prix jeunesse décerné par huit personnalités. Des adultes dont le regard d’adulte a pu saisir les enjeux politiques et les références à notre société actuelle. Je me demande si les ados, public cible de ce roman, seront à même d’avoir un regard aussi pertinent sur les différents niveaux de lecture. Pour tout dire j’en doute. Et pour tout dire je ne considère pas vraiment ce titre comme une pépite jeunesse. Ma complice Noukette n’est pas du même avis. Pour une fois nos avis divergent et finalement, ce n’est pas pour nous déplaire.

Le mot d’Abel de Véronique Petit. Rageot, 2018. 190 pages. 12,90 euros. A partir de 14 ans.   





jeudi 8 novembre 2018

Au loin - Hernan Diaz

Il est sympa ce roman. Il offre un bol d’air vivifiant sur les traces des pionniers du nouveau monde. On y suit le parcours d’Hakan, jeune paysan suédois débarquant à San Francisco seul, sans argent et sans parler la langue. En cette fin de 19ème siècle, si la ruée vers l’Ouest aimante des colons en quête d’une nouvelle vie, Hakan navigue pour sa part à contre-courant. Son but est de rejoindre New-York pour y retrouver son frère. Mais les embûches vont se succéder, les mauvaises rencontres s’accumuler, l’hostilité des hommes et de l’environnement se faire trop prégnante. Malgré lui, Hakan va devenir une légende et trouver son salut dans la solitude et l’isolement, loin de la folie d’un monde en pleine mutation.

Roman d’apprentissage, roman d’aventure, hymne à la nature, il y a un peu de tout dans ce texte. On ne peut pas dire que le sujet déborde d’originalité mais il est bien traité. Les codes du western sont revisités à travers le cheminement d’Hakan, du chercheur d’or à la tenancière de bordel en passant par l’explorateur scientifique, l’arnaqueur ou le shérif crapuleux. C’est rythmé sans excès, on alterne les phases quasi contemplatives et les scènes d’action, on avance doucement aux côtés de ce personnage étrange, clairement pas à son aise entouré d’une telle cour des miracles. Hakan l’âme pure est en quelque sorte le révélateur de la nature humaine,  chacun tombe le masque à son contact, et ce n’est en général pas beau à voir. D’ailleurs, malgré sa naïveté de façade, le jeune homme comprend vite que si l’homme est capable du meilleur comme du pire, c’est très souvent pour le pire qu’il est le meilleur. D’où sa volonté de trouver refuge loin de toute civilisation.

J’ai vraiment passé un bon moment avec ce roman mais davantage grâce à son ambiance générale et à sa galerie de personnages secondaires que grâce à Hakan. Difficile de ressentir de l’empathie pour un tel taiseux, difficile de trouver sa légitime misanthropie touchante. Recroquevillé dans une coquille fermée à double tour, le garçon ne se livre pour ainsi dire jamais, il subit les choses plus qu’il ne les vit, dans une forme d’indifférence qui nous éloigne de lui au fur et à mesure que lui-même s’éloigne du monde. Après, si tel était le but d’Hernan Diaz, il faut reconnaître que le contrat est parfaitement rempli.

Au loin d’Hernan Diaz (traduit de l’anglais par Christine Barbaste). Delcourt, 2018. 335 pages. 21,50 euros.





mercredi 7 novembre 2018

Le reste du monde T3 : Les frontières - Jean-Christophe Chauzy

Trois ans ont passé depuis la catastrophe. La terre n’est plus qu’un champ de ruines, une épidémie fait des ravages, des clans utlra-violents terrorisent les survivants. De l’autre côté des Pyrénées, une frontière a été construite, empêchant toute intrusion. Au moment du premier séisme Marie, prof de français en vacances à Bagnères-de-Luchon, souhaitait rejoindre son ex-époux en Espagne avec ses deux fils. Mais ces derniers avaient dû abandonner leur mère et s’enfuir après une mauvaise rencontre. Depuis, Jules et Hugo vivent dans une communauté où règne un semblant de paix. Pensant se reconstruire dans un environnement relativement serein, les frangins déchantent quand une attaque nocturne de leur campement les remet sur les routes et les ramène à une insupportable réalité.

Ça devait être un diptyque à la base mais Jean-Christophe Chauzy a décidé d’en faire une tétralogie. Choix judicieux ? Pourquoi pas, il faudra juste que le dernier tome soit aussi tendu et efficace que les trois premiers. Parce que le post-apocalyptique, c’est du vu et revu, c’est même la grande mode du moment, tant en littérature qu’en BD. Et Chauzy ne se démarque pas du lot pour ce qui est de l’intrigue. Sa singularité s’exprime dans le rythme de son histoire, l’alternance des temps calmes et des tempêtes, la succession de paysages somptueux et de scènes de désolation, le pessimisme absolu d’un scénario auquel on ne peut imaginer une issue positive.

Franchement, je me demande comment il va s’en sortir : laisser ses personnages en plan avec une fin ouverte et un lecteur réduit à imaginer lui-même la suite des événements ? Une happy-end tellement en décalage avec le reste qu’elle en deviendrait ridicule ? Ou le nihilisme poussé à son paroxysme avec une fin du monde en bonne et due forme ? Il y a évidemment bien d’autres options, je laisse le soin à ce conteur émérite de mener sa barque à bon port avec le talent qui le caractérise. J’espère juste qu’il sait où il va… Personnellement, je sais que je serai au rendez-vous pour la sortie du dernier volume, tiraillé entre l’appréhension d’une conclusion décevante et l’impatience de savoir comment tout cela va se terminer.

Le reste du monde T3 : Les frontières de Jean-Christophe Chauzy. Casterman, 2018. 112 pages. 18,00 euros.

Mon avis sur le Tome 1 et le Tome 2

mardi 6 novembre 2018

Loukoum mayonnaise - Olivier Ka

Avant de partir travailler en Égypte, son pays d’origine, le père de Victor le confie à ses grands-parents maternels, en pleine campagne belge. Ses grands-parents paternels, vexés de ne pas en avoir eu la garde, viennent souvent lui rendre visite et finissent par s’installer dans la maison juste en face. Les relations entre les deux grands-mères deviennent vite exécrables, les exactions se multiplient, la guerre est déclarée. Pris entre deux feux, Victor ne sait pas dans quel camp se ranger et vit de plus en plus difficilement sa double origine. Belge ou arabe, peu lui importe finalement, tout ce qu’il veut, c’est la paix !

Un roman qui m’a fait passer par plusieurs phases. D’abord un brin de scepticisme devant une intrigue cousue de fil blanc déjà vue cent fois. Un poil d’ennui aussi face à des situations répétitives et une intrigue qui semblait tourner en rond. La surprise ensuite en découvrant la tournure prise par les événements. La stupéfaction, enfin, en constatant à quel point Olivier Ka a su mener sa barque pour emporter mon adhésion.

Ce roman qui aborde avec une rare finesse les questions du racisme et de la haine ordinaire montre à quel point la bêtise des adultes peut briser une enfance. D’abord otage de cette guerre des grands-mères à laquelle il ne comprend pas grand-chose, Victor en devient une victime. Finalement, il se rend compte qu’il n’était qu’une excuse pour déclencher les hostilités et qu’une fois ces dernières lancées, son cas personnel n’intéresse plus grand monde.

Il aurait été tellement plus simple, après le point culminant de l’affrontement,  d’entrer dans une phase d’apaisement. Olivier Ka ne cède pas à cette facilité. Les points de vue demeurent irréconciliables et Victor comprend que chaque camp l’a manipulé, qu’il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Le cheminement de sa réflexion est superbement construit, la naïveté des premiers temps laissant place à la colère et à une forme de maturité qui force l’admiration. Surprenant et rondement mené.

Loukoum mayonnaise d’Olivier Ka. Le Rouergue, 2018. 150 pages. 12,00 euros. A partir de 11 ans.



















samedi 3 novembre 2018

Pension complète - Jacky Schwartzmann

On prend les mêmes et on recommence. Après le gars de cité et la banquière (Demain c'est loin), Jacky Schwartzmann enchaîne avec le gars de cité, la rentière et l'ex-Goncourt. Ou comment marier des personnages qui ne devraient rien avoir à faire ensemble. L'idée est sympa, cette volonté de frotter des caractères et des mondes à milles lieux les uns des autres ne peut que faire des étincelles. Surtout quand on a le flow de Schwartzmann, son bagout et son art de forcer le trait avec un naturel renversant.

Rien de surprenant donc à le voir mettre en scène Dino, venu de sa cité lyonnaise pour s'installer au Luxembourg et se mettre à la colle avec une millionnaire de près de 80 balais alors que lui approche doucement la cinquantaine. Un gigolo me direz-vous ? Que nenni ! Sa Lucienne, il l'aime d'amour. L'appartement XXL, la vie fastueuse du grand duché et sa Mercedes GT ne font pas de lui un glandouilleur entretenu, il le jurerait sur la tête des enfants qu'il n'aura jamais. Seulement voilà, le Luxembourg est un village et un coup de boule asséné à un banquier dans un bar à putes suffit pour vous marquer au fer rouge. Après ce regrettable incident, et pour éviter de faire des vagues, Dino accepte de s'exiler temporairement. A Saint-Tropez, sur le yacht de madame. Mais une panne sur l'autoroute l'oblige à prendre ses quartiers dans un camping de La Ciotat. Un camping où les meurtres s'enchaînent et où son voisin de bungalow, écrivain célèbre et goncourisé, va devenir un compagnon de vacances aussi affable que flippant.

Verdict ? J’aurais dû adorer mais j'en resterai à un petit « sympa sans plus ». Il est étonnant de constater que les romans d'un auteur baissent en qualité à chaque nouvelle parution. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu avec les trois titres publiés en trois ans par Jacky Scwartzmann. Le premier (Mauvais coûts) reste de loin mon préféré. Le second était très bon aussi mais un ton en dessous. Celui-ci descend encore un échelon en terme de plaisir de lecture. J'y ai retrouvé le cynisme et la noirceur qui caractérisent son univers mais les punchlines mordantes et les dialogues enlevés ont quasiment disparu. Résultat, le texte m'a semblé bien fade et sans surprises, à part dans les toutes dernières pages. Pas suffisant pour emporter mon adhésion. Dommage, c'est un des rares romans de la rentrée que j'attendais avec impatience.

Pension complète de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2018. 185 pages. 18,00 euros.   





mercredi 31 octobre 2018

Valentin le vagabond, l'intégrale volume 1 - Gosccinny et Tabary

Je suis bien trop jeune pour avoir connu Valentin le vagabond au moment de sa création en 1962 (ben oui, quand même!) mais je me rappelle l'avoir découvert dans les vieux magazines Pilote de mon père quand j'avais une douzaine d'années (il n'y a donc pas si longtemps que ça^^). Quoi qu'il en soit, c'est un plaisir de le retrouver aujourd'hui dans le premier tome de cette intégrale qui en comptera au total deux.

Valentin est une création de Jean Tabary et René Goscinny. D'emblée, ce dernier précise à son dessinateur que « Valentin doit plutôt être du genre Charlot que clodo sous les ponts ». Le ton est donné, Valentin sera un vagabond naïf, épris de liberté, rêveur et poète à ses heures. Un vagabond qui ne se plaint pas de son sort et aime les arbres, les fleurs et le grand air. Un vagabond qui va où ses pas le mènent, nez au vent, son baluchon sur l'épaule, le port altier et les poches trouées. Le personnage est sympathique en diable mais il a la sale habitude de se fourrer dans des situations difficiles. Goscinny ne scénarisera que quatre mini-récits, Tabary prenant sa suite pour commettre en tout sept albums, publiés entre 1973 et 1977.

Bien sûr, c'est de la BD à l'ancienne qu'il faut lire en gardant en tête le contexte de l'époque mais contrairement à bien d'autres personnages, Valentin a plutôt bien vieilli. L'humour porte la marque de Goscinny, même dans les histoires qu'il n'a pas lui-même scénarisées. Quiproquos, comique de situation et de répétition, méchants toujours crétins qui finissent par boire le calice jusqu'à la lie, les « marqueurs » propres au papa d'Astérix se reconnaissent au premier coup d’œil. Il y a en plus chez Valentin une présence récurrentes des forces de l'ordre, toujours tournées en dérision. Le gendarme est dans chaque récit un benêt au QI de tasse à café dont la bêtise n'a d'égale que l'incompétence.

Valentin, c'est du franco-belge old school comme j'aime, un personnage injustement méconnu qui trouve dans cette réédition l'occasion de revenir sur le devant de la scène. L'intégrale est en plus somptueuse, regorgeant d'infos et d'anecdotes avec, cerise sur le gâteau, une histoire de 28 pages  inédite en album. Le second tome est prévu pour le 14 février 2019. Si, pour une fois, ma femme souhaite me faire un cadeau de Saint Valentin, il est tout trouvé ! 

Valentin le vagabond, l'intégrale volume 1 de Gosccinny et Tabary. Imav éditions, 2018. 250 pages. 29,90 euros. 






mardi 30 octobre 2018

Dans la gueule du Loup - Michael Morpurgo et Barroux

Au crépuscule de sa vie, Francis Cammaerts se souvient. De sa jeunesse en Angleterre, de la seconde guerre mondiale à laquelle il n'a pas voulu prendre part par conviction pacifiste et qu'il a fini par vivre au sein de la résistance française après la mort de son frère aviateur abattu par l'armée allemande. Une période sombre passée à fuir, à se cacher, à coordonner les actions de sabotage. Le jour des 90 ans il repense aux années de clandestinité, aux rencontres inoubliables, aux camarades arrêtés et fusillés, aux combats menés dans l'ombre, la peur au ventre, jusqu'à la libération.

Francis Cammaerts a vraiment existé, c'est un oncle de Michael Morpurgo. Ce dernier donne l'impression de se glisser dans la peau de son aïeul avec une certaine forme de retenue. On ne bascule pas dans un torrent d'émotion malgré l'emploi récurrent de la première personne. Le récit des événements peut paraître uniquement factuel mais il gagne en force en refusant de jouer sur la corde sensible. Surtout, la voix de Francis s'attarde moins sur son propre cas que sur ceux de ses proches, de Pieter le frère adoré à Nancy, sa femme aimante, en passant par son père, philosophe anarchiste lui ayant enseigné très tôt les vertus du pacifisme. 

Son rôle de résistant, sans être minimisé, ne donne pas dans l'héroïsme. Là encore le narrateur préfère s'attarder sur ses camarades de lutte qui, à ses yeux du moins, méritent bien plus d'éloges et de gloire que lui. Le texte montre également la difficulté de concilier ses convictions d'homme de paix avec sa volonté de venger la mémoire de son frère et la certitude que l'inaction ne peut que servir les intérêts de l'ennemi.

Superbement illustré par l'excellent Barroux, Dans la gueule du loup est un roman jeunesse porteur de valeurs d'amitiés et de solidarité doublé d'une belle déclaration d'amour aux femmes engagées dans la résistance. Un texte par ailleurs plein de respect et d'admiration pour Francis Cammaerts qui a néanmoins l'intelligence de ne pas tomber dans l'hagiographie.

Dans la gueule du Loup de Michael Morpurgo et Barroux (traduit de l'anglais par Diane Ménard). Gallimard jeunesse, 2018. 176 pages. 14,50 euros. A partir de 10 ans.










vendredi 26 octobre 2018

Sakari traverse les nuages - Jan Costin Wagner

J’ai voulu tenter le polar allemand, j’aurais dû m’abstenir. En fait ce polar est comme un épisode de l’inspecteur Derrick : il ne se passe rien, les dialogues sont soporifiques, les personnages sonnent creux, on dirait qu’ils s’ennuient autant que nous. Une scène avec des gens coincés dans une maison en feu est aussi excitante qu’une tranche de foie de veau grésillant dans une poêle à frire, une autre où un flic tue à bout portant un jeune homme nu dans une fontaine laisse l’encéphalogramme du lecteur totalement plat. Vous voyez le genre, quoi…

L’intrigue est vraiment mollassonne, elle s’ouvre sur le meurtre perpétré par le flic (légitime défense, évidemment) et s’enchaîne avec l’enquête menée sur la victime et ses proches. Il en ressort que le gamin était dérangé (tu m’étonnes) et qu’un sombre drame de voisinage serait la cause de tous ses maux. Les chapitres s’attardent l’un après l’autre sur un personnage différent, c’est le seul vrai point positif car cette construction du récit donne un peu de rythme et évite l’essoufflement complet.

Je ne vais pas en rajouter des tonnes, ce n’est clairement pas un roman pour moi. Trop psychologique, pas assez descriptif, pas assez réaliste, je n’y ai pas cru une seconde en fait. Seul point positif, j’ai pu grâce à lui m’endormir chaque soir sans somnifère pendant une petite semaine, je dois au moins lui reconnaître cette qualité.

Sakari traverse les nuages de Jan Costin Wagner (traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger). Actes Sud / Jacqueline Chambon, 2018. 250 pages. 22,00 euros.