Pas la peine de tourner autour du pot, je ne suis pas tombé sous le charme du séducteur. Pourtant, un tel bourreau des cœurs doté d’un «
pénis miraculeux », un pénis qui peut «
grossir ou mincir, rétrécir ou s’allonger selon les besoins, à la façon d’une longue vue », avait tout pour me plaire. Pourquoi ça a coincé alors ? Parce que je me suis ennuyé à parcourir les nombreux épisodes d’une vie foisonnante. Le narrateur ne cesse d’ailleurs de se poser la même question, sans doute pour justifier la construction anarchique d’un récit pour le moins décousu : «
Qu’est-ce qui relie entre eux les événements d’une vie ? ». J’ai eu l’impression que répondre à cette interrogation l’intéressait moins que de dérouler ces événements comme une constellation de satellites en orbite autour de l’épisode qui ouvre le roman et revient de manière récurrente, à savoir l’assassinat de la femme de Jonas Wergeland, le fameux séducteur.
Jonas rentre donc chez lui et trouve sa chère Margrete étendue sur une peau d’ours blanc, baignant dans son sang. A partir de là, le narrateur, aussi mystérieux qu’omniscient, tisse une toile complexe où la biographie de Jonas apparaît de façon tout sauf chronologique, oscillant entre le présent, l’enfance, l’adolescence et la période la plus glorieuse de cette star de la télé norvégienne, célèbre pour sa série documentaire «
Thinking Big ». Les histoires s’enchaînent, certaines restant en suspens pour être reprises cent pages plus tard, on passe du coq à l’âne, d’anecdote en anecdote. On voyage, on s’aventure dans des contrées lointaines, on sourit parfois, on s’agace souvent et, en ce qui me concerne, on baille à s’en décrocher la mâchoire encore plus souvent.
Alors oui, c’est ambitieux. J’admire l'audace, la prise de risque, la maîtrise totale du canevas sous le bordel apparent, et je dois reconnaître que la construction m’a parfois rappelé
Confiteor, ce qui n’est quand même pas rien comme référence. Mais punaise, il aurait fallu élaguer l’ensemble à grands coups de hache ! La créativité littéraire affichée ici a tout d’une sophistication un peu artificielle, conceptuelle même. Tout ce que je déteste en fait. Aller au bout des 600 pages a été un long chemin de croix. Pourquoi m’infliger une telle punition ? Par respect pour le travail de l’écrivain, parce que je voulais voir jusqu’où la barque allait être menée, savoir comment tout cela allait se conclure, et surtout savoir qui avait tué Margrete. Après coup, je me dis que je n’avais pas besoin d’être aussi curieux…
Finir un roman et se sentir soulagé, se dire qu’on va enfin pouvoir passer à autre chose, c’est toujours très mauvais signe. Le séducteur m’a fait cet effet, malheureusement. Ce roman est le premier tome d’une trilogie, il ne faudra pas compter sur moi pour la suite.
Le séducteur de Jan Kjaerstad (traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon. Monsieur Toussaint Louverture, 2017.
600 pages. 23,00 euros.