jeudi 24 novembre 2016

Mauvais coûts - Jacky Schwartzmann

« Je suis acheteur chez Arema. Je passe mon temps à gratter des pourcentages sur des fournisseurs souvent pris à la gorge qui ne peuvent pas lutter contre un grand groupe et qui s’allongent, toujours, systématiquement. C’en est presque fatigant. Je suis comme un putain de chat qui s’amuse avec une souris avant de la zigouiller. Je passe mon temps à rencontrer des commerciaux qui portent des costumes à six cents euros achetés sur Zalando et qui roulent en C4 de fonction. Ils arrivent avec le sourire mielleux d’un vendeur de parfum tunisien et ils repartent avec six pour cent dans le fion. C’est trop facile. »

Gaby je t’aime. Pas parce que tu es un fieffé salopard, un enfoiré de première même. Encore moins parce qu’on se ressemble, en fait toi et moi on se ressemble autant qu’une chaise et une tasse à café. Je crois que je t’aime parce qu’à travers toi j’ai l’impression de regarder le monde comme il est, les gens comme ils sont. Sans filtre. Forcément c’est pas beau à voir. Mais je t’aime parce que tu n’en rajoutes pas, tu n’en fais pas des caisses et surtout tu ne te mets pas au-dessus de la mêlée. Ok, les syndicalistes et les patrons sont des cons, ta N+1 est une conne, les rugbymen sont des cons, les bobos sont des cons, ton ex est une conne, on est tous des cons, c’est une évidence et tu n’oublies pas de t’inclure dans le lot. Du coup tu es dans l’autodérision, tu frôles le néant niveau estime de soi et tu n’as aucun amour propre. Et là j’avoue que, sur ces points précis, on se ressemble pas mal.

Je t’aime aussi parce que quand tu tombes dans un plan à trois, ça vire minable et la chair devient triste, parce que la pauvre fille que tu compares à une otarie, tu te la tapes sans remords ni regrets, parce que tes problèmes d’aérophagie te mettent dans l’embarras au pire moment, parce que quand ton père meurt, tu ne la joues pas drama queen, parce que la seule fois où tu baisses la garde, où tu fends l’armure et tu mets ton cœur à nu, tu prends le taquet du siècle. Je t’aime parce que t’es athée, célibataire endurci, misanthrope, parce que tu te fous de tout, tu picoles, tu écris comme je parle, tu donnes dans le vulgaire, mais du vulgaire qui s’assume sans forcer le trait, sans artifices inutiles et gratuits, sans sombrer dans l’outrance.

Finalement je crois que je t’aime parce que je te comprends et parce que tu as tout compris. T’es un résigné lucide, tu ne dénonces pas, tu constates, et tu ne te fais pas la moindre illusion. Ta haine, tu la transformes en humour grinçant. Et puis tu es un pur produit de notre époque où l’individualisme est roi. A ce titre, j’ai adoré la façon dont ton histoire se termine. Je n’ai rien vu venir. Je me suis dit, le baiseur va finir par se faire baiser, pas possible autrement. Que va-t-il nous rester si à la fin la bien-pensance ne triomphe pas ? Et bien il nous reste un pur concentré de cynisme d’une noirceur absolue, amorale, qui se révèle paradoxalement d’une totale et incontestable limpidité.

Je conclurais en saluant l’audace (l’inconscience !) de La fosse aux ours. Que l’éditeur de Thomas Vinau et Antoine Choplin (entre autres) sorte de sa « zone de confort » et ose publier un roman aussi politiquement incorrect, aussi « invendable », aussi « détestable », je trouve cela courageux et j’admire sans réserve cette prise de risque.

Voilà. C’était ma petite déclaration d’amour de la rentrée littéraire. Pas certain pour autant de vous avoir donné envie de découvrir Gaby. Pas grave, je le garderais pour moi et rien que pour moi, mon Gaby.

Mauvais coûts de Jacky Schwartzmann. La Fosse aux ours, 2016. 198 pages. 17,00 euros.





mercredi 23 novembre 2016

Spirou : La lumière de Bornéo - Frank Pé et Zidrou

Il aura suffi d’un article trop compromettant pour une firme internationale refusé par son journal pour que Spirou donne sa démission. Au chômage, le rouquin le plus célèbre de la bande dessinée entend pouvoir souffler un peu et se consacrer à des activités « peinardes », loin de toute aventure au bout du monde. Mais c’est sans compter sur son vieil ami Noé (le dresseur de cirque apparu dans « Bravo les brothers », une histoire courte de 20 pages dessinée par Franquin en 1965), qui lui confie sa fille adolescente tout juste débarquée de Montréal. Au même moment, une galerie bruxelloise reçoit d’un peintre anonyme de somptueux tableaux dont la beauté bouleverse le monde de l’art. En plus d’une ado rebelle à gérer, Spirou va, bien malgré lui, être impliqué dans le mystère des chefs d’œuvre inconnus. Il n’en fallait évidemment pas plus pour contrarier ses projets de repos et de farniente…

Un Spirou par Zidrou, je ne pouvais pas passer à côté. Au départ, il n’était d’ailleurs pas associé au projet. Mais le dessinateur Frank Pé, après avoir essayé en vain d’élaborer le scénario tout seul, l’a appelé à l’aide. Et il a bien fait. Résultat, une tuerie graphique et une histoire riche, aux multiples entrées, qui tisse au final un imparable canevas. Les auteurs parviennent à sortir le personnage du pur divertissement pour aborder avec finesse des thèmes aussi variés que le rapport de l’homme à la nature, la filiation, l’ultra-libéralisme ou les liens trop étroits unissant les médias et leurs actionnaires. Spirou reste Spirou, positif, intègre et fonceur, mais il apparaît aussi capable de s’indigner et de défendre ses convictions avec autorité. Un Spirou engagé, quoi !

Ceux qui connaissent la merveilleuse série « Broussaille » savent à quel point il se dégage du trait de Frank Pé une poésie unique en son genre. Il alterne ici avec brio mise en scène spectaculaire et plans rapprochés avec un souci permanent du mouvement que n’aurait pas renié Franquin.

Une revisite respectueuse et moderne, drôle et ambitieuse. L’ensemble est parfaitement équilibré, sans la moindre fausse note. Magistral.

Spirou : La lumière de Bornéo de Frank Pé et Zidrou. Dupuis, 2016. 92 pages. 16,50 euros.















mardi 22 novembre 2016

Les chroniques d’Hurluberland - Olivier Ka

Il s’en passe de drôles de choses à Hurluberland. On peut y croiser des chanteuses qui font pousser des fleurs avec leurs voix, un poulet mécanique, une couturière dont les larmes sont des diamants, des chevaux minuscules, une porte au fond des bois, une échelle sans fin, un brouillard tenace, un cerf-volant géant ou encore un chêne savant. Des bizarreries qui n’étonnent personne ou presque, tant les habitants ont appris au fil du temps que, dans leur contrée, chaque jour pouvait révéler son lot de surprises inattendues.

Quel plaisir de parcourir ces chroniques d’Hurbuberland ! Plaisir d’évoluer dans un univers gentiment loufoque, plaisir de découvrir une écriture fluide et des dialogues savoureux, plaisir de rencontrer des personnages hauts en couleur aux noms improbables (Alphonse Sauçobeurre l’aubergiste, Philémon Truitansel le poissonnier, Auguste Barbefolle le Bourgmestre ou encore le roi Honoruste) que l’on retrouve parfois d’une histoire à l’autre.

Dix contes où l’apparition d’un élément perturbateur permet souvent d’ouvrir de nouveaux horizons, où les péchés d’orgueil ou d’envie aboutiront à de cuisants échecs, où la beauté va de pair avec la rareté et où les esprits encombrés d’arrière-pensées n’ont pas leur place. Des contes légers et drôles au charme désuet dont les chutes poussent à la réflexion sans jamais tomber dans la sentence moralisatrice.

Au final, le ton décalé et l’atmosphère inclassable de ce recueil aux différents niveaux de lecture offrent à chacun, petit ou grand, l’occasion de sortir des sentiers battus. Une totale réussite donc, qui fait partie des 36 ouvrages sélectionnés pour les Pépites 2016 du salon du livre de Montreuil. Une sélection totalement méritée, qu’on se le dise !

Les chroniques d’Hurluberland d’Olivier Ka. Rouergue, 2016. 96 pages. 8,00 euros. A partir de 8 ans.



Une pépite de Montreuil, logique que Noukette et moi
en fassions notre pépite jeunesse de la semaine !






dimanche 20 novembre 2016

Le garçon qui n'existait pas - Sjón

Ainsi sont nos amours
brêves et brûlantes
à nous qui sommes les enfants chéris
 de l’inconvenance

Octobre 1918. Alors que la fin de la guerre s’annonce, l’Islande craint qu’un front scandinave atteigne ses côtes. A Reykjavik, une autre menace étend son ombre. La grippe espagnole gagne chaque jour du terrain et laisse derrière elle un nombre effarant de victimes. Dans cette ambiance crépusculaire, Manni Steinn tente de garder le cap. A seize ans, le garçon, homosexuel, multiplie les aventures et monnaie ses faveurs auprès de ceux qu’ils qualifient de « clients », du marin danois de passage au mutilé de guerre en passant par quelques notables. Amoureux d’art et de cinéma, Manni l’orphelin trace son chemin alors qu’autour de lui le monde s’écroule, jusqu’au jour où, surpris en plein ébat puis accusé de dépravation, d’anormalité et d’abomination, il est contraint de partir pour l’Angleterre.

Le garçon qui n’existait pas, c’est le portrait d’un gamin rêveur, sensible et insoumis dans une ville fantôme dont il arpente les rues brumeuses la fièvre au corps et des rêves de cinéma plein la tête. Touché lui aussi par la grippe, il survivra grâce à sa constitution robuste après avoir traversé cauchemars et hallucinations. Condamné à l’exil à cause de son « vice contre nature », celui que certains voulaient « noyer comme un chien enragé » tant il fait honte à son pays y retournera dix ans plus tard, devenu majordome d’un groupe d’artistes souhaitant tourner un film avant-gardiste dans des décors volcaniques.

Un roman à la beauté étrange et à l’écriture changeante, épurée, poétique, crue (à ce titre, la scène d’ouverture est saisissante). La langue de Sjón, parolier de Björk, est à la fois âpre et délicate. Il nimbe son récit d’un voile cotonneux qu’il déchire à coups de fulgurances aussi lapidaires qu’électriques. Imparable !

Décidément, la littérature islandaise ne cessera de me surprendre, et c’est tant mieux.

Le garçon qui n'existait pas de Sjón (traduit de l'islandais par Éric Boury). Rivages, 2016. 150 pages. 16,50 euros.




samedi 19 novembre 2016

Les lectures de Charlotte (27) : Hou ! Hou ! Prince charmant ?

Rose et Joséphine sont sœurs. Et princesses. Comme toutes princesses qui se respectent, elles attendent le prince charmant. Mais à force de ne rien voir venir, elles décident d’aller le chercher elles-mêmes. Les voilà donc parties à travers la forêt. Seulement, le chemin jusqu’au prince est long et dangereux alors Rose et Joséphine vont avoir besoin de l’aide du petit lecteur pour mener leur mission à bien.

Un album dont on est le héros. A chaque fin de double page, l’enfant doit faire un choix qui influencera la suite de l’aventure. Grâce à un système d’onglets agrémentés d’un idéogramme, on accède à la page correspondant au choix. Première tentative, Charlotte emmène les princesses au bord d’un ruisseau puis jusqu’au château de l’ours. Elle décide de les faire rentrer dans le bâtiment par la fenêtre plutôt que par les souterrains. Rose et Joséphine se retrouvent dans la chambre d’un prince qu’elles réveillent d’un baiser mais le jeune homme se sauve en courant car il doit se marier et il est en retard. Tout est à refaire ! Retour à la case départ donc et nouvelle tentative qui s’avérera elle aussi infructueuse. Pas simple de trouver un prince charmant !



Franchement, c’est bluffant. Intelligent, drôle, décalé. Et surtout ludique. On peut rouvrir le livre des tas fois et ne jamais lire la même histoire. Les onglets s’utilisent de manière intuitive, le texte est rigolo et les dessins, pleins de fraîcheur, fourmillent de détails. Un album aussi original que savoureux.

Hou ! Hou ! Prince charmant ? de Sylvie Misselin et Amandine Piu. Amaterra, 2016. 44 pages. 14,90 euros. A partir de 3 ans.



vendredi 18 novembre 2016

Là où vont les fourmis - Plessix et Le Gall

Est-ce si important de savoir où vont les fourmis ?
Bien sûr, puisqu’elles vont ailleurs !
Ailleurs… et c’est là que tu voudrais être, ailleurs, n’est-ce pas ?
N’importe où sauf ici !
Pourquoi, que crois-tu qu’il y ait de plus ailleurs ?
Mais tout ! Tout ! Il le faut bien puisqu’ici il n’y a rien !

Saïd est en colère. Depuis que son grand-père l’a abandonné en plein désert en lui confiant la garde de son troupeau, le garçon navigue entre peur et ennui. Autour de lui, « il y a des cailloux, des chèvres imbéciles, des serpents cachés et des arbres rabougris, un soleil brûlant et une lune glacée ! ».  Il y a aussi Zakia la chèvre qui parle. Une biquette qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui va devenir l’amie et la confidente de Saïd. Mais une chèvre qui parle attire les convoitises. Pour lui éviter de devenir un animal de cirque exposé sur les places publiques par l’affreux Zoubayini, Saïd entraîne Zakia dans une fuite éperdue. Sur les traces des fourmis, ils vont voguer vers de nouveaux horizons, en quête du bonheur.

Ceux qui connaissent mes goûts en matière de BD savent que Michel Plessix est mon auteur chouchou par excellence. Depuis la lecture de son adaptation du Vent dans les saules, je suis tombé amoureux de son trait fin et précis et de la virtuosité de son découpage. C’est un dessinateur qui me touche en plein cœur et me ramène vers mes plus beaux souvenirs de lectures d’enfance. Autant vous dire que j’attendais de pied ferme sa collaboration avec Frank Le Gall, autre auteur mythique s’il en est puisqu’on lui doit notamment la formidable série « Théodore Poussin ».

Un duo de rêve donc, pour un album tout en douceur et en poésie. Aventure et magie sont au programme de ce conte initiatique porté par des dialogues savoureux et un décor digne des milles-et-une nuits. C’est drôle et touchant, tendre et enchanteur. Cerise sur le gâteau, le récit met en lumière l’infinie richesse de la culture orientale, un clin d’œil bienvenue à l’heure où cette culture ne cesse d’être injustement stigmatisée. Une magnifique BD jeunesse que je recommande donc chaudement, en toute objectivité.

Là où vont les fourmis de Plessix et Le Gall. Casterman, 2016. 64 pages. 18,00 euros.

PS : l’album existe aussi dans une version de luxe en noir et blanc. Pour les amateurs de noir et blanc (comme moi) et de Michel Plessix (encore moi), la tentation est grande, bien trop grande…


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Framboise.





jeudi 17 novembre 2016

7 ans et des cadeaux : les gagnantes

C’est rien de dire que les petits mots laissés dans les commentaires du billet anniversaire m’ont fait chaud au cœur. Rester le même, continuer à échanger, partager, découvrir et faire découvrir, mon programme pour les années à venir est simple mais au moins il me ressemble. En tout cas un grand merci aux fidèles et aux visiteurs de passage sans qui cet espace aurait bien peu de raisons d’être.

Allez, ne faisons pas durer le suspense plus longtemps. J’ai mis soixante noms dans le chapeau. J’avais annoncé trois gagnants mais vu le nombre de participants, j’ai décidé de tirer au sort quatre personnes et non trois. Je me suis donc amusé à faire un tirage par jour depuis dimanche. Roulement de tambour…




La gagnante de dimanche : Laure



La gagnante de lundi : Antigone



La gagnante de mardi : Une Comète



La gagnante de mercredi : Nadine




Bravo aux gagnantes, j’attends vos adresses par mail. Pour le reste, je m’occupe de tout, vous n’aurez qu’à surveiller vos boîtes aux lettres.












mercredi 16 novembre 2016

Le dernier assaut - Tardi, Dominique Grange et Accordzéâme

Tardi l’a promis, cet album sera son dernier sur la grande boucherie de 14. Tant mieux. Et j’espère qu’il tiendra parole. Putain de guerre était remarquable, C’était la guerre des tranchées restera comme son chef d’œuvre. Ce dernier assaut sera (pour moi en tout cas) l’album de trop.

Trop bavard, trop didactique, trop lourd. L’engagement antimilitariste relaté de la sorte m’apparaît totalement contreproductif. On suit le brancardier Augustin à travers le no man’s land des tranchées. Il a perdu son binôme, il a dû étouffer son dernier « client » qui gueulait trop fort les tripes à l’air et risquait d’attirer l’attention des boches. Abandonnant son brancard, il erre, les mains dans les poches et la clope au bec. En chemin il rencontre des tirailleurs sénégalais, un bataillon de « bantam », ces soldats anglais qui avaient la particularité de mesurer moins d’un mètre soixante, des ANZAC (australiens et néo-zélandais), des Sammies américains et des canadiens. En remontant seul vers l’arrière au milieu des cadavres, de la boue et de la puanteur, Augustin marche dans des villages en ruines. Il croise des russes, des portugais et une voix off nous explique qui sont ces gens, pourquoi et comment ils ont atterri au milieu de l’enfer, pourquoi ils sont, comme tout le monde, en route vers l’abattoir.

Le témoignage à charge ne souffre d’aucune nuance, il est tellement rabâché qu’il en devient limite insupportable. Oui cette guerre était une boucherie. Oui elle a engraissé les banquiers, les commerçants, les marchands d’armes et les capitaines d’industrie. Les salauds de gradés sont tous des crevures, les cul-terreux vivant dans les patelins servant de cantonnement profitent de la situation pour gonfler le prix du pinard et des produits de base. Et quand on fait un saut chez les allemands, c’est pour tomber sur l’officier Ernst, un homme persuadé de faire partie d’un « peuple supérieur, viril et sain, avide de force et de domination », un gars qui serait forcément devenu un nazi s’il n’avait pas pris une balle dans le buffet pendant un assaut. Et la voix off de nous rassurer : « Il valait donc mieux qu’il crève dans la boue d’une tranchée française ». Lamentablement caricatural…

Un album comme un catalogue d’horreurs et d’indignations, bourré de récitatifs longs comme le bras. Un album comme une leçon d’histoire que le prof vous hurlerait dans les oreilles pour être bien certain que vous n’allez rien perdre de ce qu’il a à vous dire. Zéro plaisir de lecture, un moment pénible à passer dont la forme m’a empêché de retenir ne serait-ce que l’essentiel parmi la foultitude d’informations dont on a voulu me bourrer le crâne. Un ratage total, en ce qui me concerne du moins. Le livre s’accompagne d’un CD de chansons de Dominique Grange, la compagne du dessinateur. On nous prévient au départ que l’un ne va pas sans l’autre. Mais vu l’effet que m’a fait l’un, pas de danger que j’écoute l’autre.

Le dernier assaut de Tardi. Casterman, 2016. 92 pages. 23,00 euros (BD + CD-audio).




La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui encore chez Noukette










mardi 15 novembre 2016

Le journal de Gurty : Parée pour l’hiver - Bertrand Santini

Rien ne va plus pour Gurty. Gaspard est amoureux et sa petite amie a bien l’intention de s’installer avec lui. Autant vous dire que l’affrontement va être sévère entre la chienne et sa rivale, surtout que ladite rivale, allergique au poil de chien, va tout mettre en œuvre pour se débarrasser du toutou préféré de son chéri. La guerre est déclarée, tous les coups sont permis !

Un vrai bonheur de retrouver Gurty et ses inénarrables comparses, Fleur, la copine un peu crétine, Tête de fesses l’affreux matou, ses congénères du Club Atroce des Chats Abruti (aussi dit le C.A.CA.), José l’écureuil (ou Sandrine l’écureuil, on ne sait plus à force…) et Pépé Narbier, le maître de Fleur qui perd la boule. Au menu, des vacances d’hiver en Provence et une succession de scénettes plus hilarantes les unes que les autres. La mécanique de ce journal intime fonctionne toujours à merveille, le récit à la première personne et à hauteur de chien oscillant entre rire potache et humour absurde, dialogues improbables et situations rocambolesques.

Gurty, c’est la raison incarnée, une experte ès aphorismes doublée d’une philosophe qui s’ignore. Exemples :

« Certes, le monde est vaste, et le chemin de la vie est parsemé de trous, de pièges et de crevasses. Il faut faire gaffes ! Mais pour les éviter, rien de plus facile : il suffit de ne pas tomber dedans. »

« L’amour, c’est comme le chocolat ou des Knackis. Au moment de les manger, on est content, mais ensuite, on a mal au cœur, le ventre qui gargouille, et conclusion générale : on se retrouve tout seul dans un coin avec la colique ».

Gurty, c’est un bonbon doux et sucré qui donne le sourire et offre un plaisir de lecture rare et précieux à toute personne qui a la chance de mettre le nez dans son journal.

D’ailleurs, je vais la laisser conclure, je n’aurais pas dit mieux de toute façon :
« Conclusion générale : si vous tenez vraiment à vivre à deux, choisissez plutôt quelqu’un de super plutôt que nul, parce qu’avec les gens nuls, ça finit toujours par des ennuis. En revanche, si vous appréciez la sagesse, le rire, la joie ainsi que les soirées grignotage au coin du feu, adoptez donc chien, car là, au moins, vous êtes certain de vivre avec quelqu’un de bien ».

Merci Gurty, si tu n’étais pas là, il faudrait t’inventer.

Le journal de Gurty : Parée pour l’hiver de Bertrand Santini. Sarbacane, 2016. 176 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.

Une pépite jeunesse savoureuse que je partage non seulement avec Noukette (comme d'habitude), mais aussi avec la merveilleuse Framboise.





dimanche 13 novembre 2016

L’homme qui fouettait les enfants - Ernest J. Gaines

Le procès venait de se terminer au tribunal de Bayonne, Louisiane. Il s’est avancé dans l’allée centrale le pistolet à la main, a crié haut et fort « Fils ! », et a tiré. Le prisonnier s’est écroulé, tué sur le coup. Ensuite le vieux Brady Sims a demandé au shérif de lui laisser deux heures. Après, il pourrait venir l’arrêter. Il est ressorti du tribunal, est monté dans son camion et a démarré sur les chapeaux de roue.

Le narrateur, jeune reporter du journal local revenu depuis peu dans sa ville natale après ses études, a assisté à toute la scène. Arrivé sur place après coup, son chef lui demande de rédiger un « article à résonance humaine » sur ce qui vient de se passer.  Pour mieux comprendre les faits, la serveuse d’un restaurant du coin lui conseille de se rendre au salon de coiffure de Felix. Les vieux qui y discutent toute la journée sauront lui dire pourquoi Brady, l’homme qui fouettait les enfants, a tué son propre fils.

Je retrouve toujours Ernest J. Gaines avec le même bonheur. Depuis « Une longue journée de novembre », depuis la magnifique « Autobiographie de Miss Jane Pittman », depuis son chef d’œuvre « Dites-leur que je suis un homme ». J’ai aussi lu son premier roman « Catherine Carmier », « D’amour et de poussière », « Colère en Louisianne », « Par la petite porte », « Quatre heures du matin », « Mozart est un joueur de blues » et « Au nom du fils ». En fait j’ai lu absolument tous ses livres. Né en 1933 sur une plantation de coton, il est pour moi l’écrivain noir du Sud profond le plus emblématique, celui qui parle le mieux de ce qu’il appelle « son monde », celui des afro-américains bien conscients du fait qu’ils vivent dans une région où l’égalité entre noirs et blancs n’existera jamais.

Qui aime bien châtie bien alors force est de reconnaître que cette novella ne restera pas comme son meilleur texte. La faute sans doute au décor choisi, à savoir ce salon de coiffure où l’histoire de Brady racontée par les habitués des lieux prend des airs de discussion de comptoir. Toute la verve de Gaines, sa maîtrise de l’oralité et la fluidité de ses dialogues s’y exercent mais la réflexion y perd en profondeur. Le parcours du tueur donne l’impression d’être survolé et la conclusion s’avère aussi inéluctable que prévisible. Dommage. Pour autant Gaines est et restera ce grand auteur américain pour lequel je garderai à jamais une admiration sans borne.

L’homme qui fouettait les enfants d’Ernest J. Gaines. Liana Levi, 2016. 110 pages. 12,00 euros.