mardi 28 juin 2016

Moi, Ernest - Laurent Souillé et Paul Mager

« Moi, c’est Ernest. On ne peut pas dire que je sois très beau. J’ai du bide et pas beaucoup de cheveux sur le caillou. Mes yeux ressemblent à des billes et mes dents penchent comme la tour de Pise. Et malheureusement, j’ai très souvent mauvaise haleine. Pourtant, juré, craché, je me brosse les dents trois fois par jour. En même temps, c’est bien pour faire fuir les mouches ».

Ernest  vit seul dans une vieille maison. Il est tombé des escaliers le jour de sa naissance et par miracle, il n’a pas eu de bobo : « Môman a eu très peur mais le docteur l’a rassurée en lui disant qu’à part l’anémie faciforme, l’hydrocéphalie, la bradycardie et  l’exophtalmie… tout allait bien et qu’elle avait un très beau bébé !! ». Ernest n’a jamais connu son père et n’a jamais vraiment quitté sa maison. Dehors, les autres enfants étaient trop méchants avec lui. Un matin, Ernest a trouvé sa Môman morte dans son lit. Depuis, chaque nuit, avec son chat, il va déposer un bouquet de fleurs sur sa tombe.

Il faut savoir aussi qu’Ernest n’a jamais prononcé le moindre mot. A la place, il écrit. Des centaines d’histoires, frappées lettre par lettre sur sa Remington. Les manuscrits s’empilent dans sa chambre, jusqu’au jour où il découvre à la télé un éditeur, un monsieur à qui on peut envoyer ses histoires pour qu’il en fasse des livres. Ernest tente sa chance mais il n’essuie que des refus. Il persiste pourtant, incapable de s’arrêter d’écrire…

Une jolie histoire sur le thème de la différence. Impossible d’oublier Ernest, son ton bien à lui et ses lubies. Il est à la fois drôle, naïf et attachant. Le texte ne cherche jamais à nous tirer les larmes. Malgré les épreuves, Ernest reste debout sans vaciller, avec sa façon décalée d’appréhender le monde. Et puis j’aime cette idée qu’il suffit parfois d’une rencontre inattendue pour changer la vie, que quelqu’un peut s’installer dans votre existence et exaucer vos rêves. Un album superbement illustré, au message positif et qui fait du bien. Un album d’utilité publique en quelque sorte.

Moi, Ernest de Laurent Souillé et Paul Mager. Des ronds dans l’O, 2016. 40 pages. 16,00 euros. A partir de 8 ans.


Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette lecture commune avec Noukette.








dimanche 26 juin 2016

Les lectures de Charlotte (20) : Qui quoi quoi - Olivier Tallec

Après une escapade du côté de la BD, les Qui Quoi reviennent à leurs fondamentaux avec ce livre-jeu à la mécanique toujours aussi bien huilée. Au programme donc de nouvelles énigmes, des découpes ne révélant qu’une partie des images, des gestes à effectuer pour faire « bouger » les personnages ou éteindre la lumière, etc.

Les illustrations, sans décor, permettent de se focaliser sur les actions et les attitudes de chacun. La variété des questions évite toute répétition et leur originalité déclenche le sourire : on doit ainsi se rappeler, en fonction des situations, de quelle couleur était le slip d’Olive, qui n’avait pas de pyjama ou encore qui buvait une grenadine à la page précédente.



Jeux d’observation, travail sur la mémoire et manipulations de l’objet-livre offrent une expérience de lecture drôle et ludique, portée par des dessins toujours aussi irrésistibles. Une formule qui a fait ses preuves et a le mérite de se renouveler sans jamais céder à la facilité. Chapeau bas monsieur Tallec !

Qui quoi quoi d’Olivier Tallec. Actes Sud Junior, 2016. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 3 ans.





vendredi 24 juin 2016

Et puis après - Kasumiko Murakami

11 mars 2011. « Il sentit sous ses pieds des tremblements sur le sable mouillé. Il n’y accorda que peu d’attention au début car les tremblements de terre au large des côtes de Sanriku étaient fréquents ces derniers temps. Cela allait sans doute cesser. Mais quelque chose était différent. Des poussées se suivaient avec force, les tremblements ne s’arrêtaient pas. Et cela se faisait de plus en plus violent ».

La vague, plus haute qu’un building, s’apprête à déferler. « Lorsqu’il y avait un risque de Tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. Cet enseignement était transmis entre pêcheurs dans les villages des environs depuis toujours ». Yasuo s’élance donc vers le large et passe par-dessus la vague en formation. A dix kilomètres de la côte, il coupe le moteur, jette l’ancre et se retourne pour constater les dégâts. Le paysage qu’il découvre le tétanise…

Un court roman qui insiste davantage sur la stupeur que sur la douleur. En ce sens, le titre est on ne peut plus parlant. Que faire après, quand notre monde et nos certitudes ont disparu de façon aussi soudaine ? Les réfugiés, rassemblés dans un gymnase, abasourdis, hébétés, enfermés dans leurs angoisses, cherchant à prendre des nouvelles de leurs proches, préoccupés à l'idée de se procurer le minimum vital, ne trouvent pas de réponses à leurs inquiétudes. Yasuo a eu la chance de retrouver sa femme saine et sauve mais sa maison a été rasée. Difficile d’imaginer l’avenir, impossible de savoir où aller. A quoi bon continuer, à quoi sert-il d’être encore en vie ?

Beaucoup de retenue et de finesse dans cette évocation tout en pudeur d’un drame vécu par des dizaines de milliers de personnes. Rien n’est éludé, de l’horreur des découvertes faites au fil des jours au traumatisme que tous les sinistrés vont porter en eux à jamais : « Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne ne voulait en parler, cela restait une réalité. Ce souvenir demeurait ancré au fond du cœur et l’on avait beau essayer de s’en débarrasser, rien ne pouvait l’effacer ». Une peinture réaliste et digne, sans poésie ni lyrisme, dont la concision évite tout glissement inutile vers le pathos. Saisissant.


Et puis après de Kasumiko Murakami. Actes Sud, 2016. 100 pages. 13,80 euros.









mercredi 22 juin 2016

Étunwan : Celui Qui Regarde - Thierry Murat

Pittsburgh, 1867. Le photographe Joseph Wallace décide d’abandonner les rémunérateurs portraits des notables locaux pour se joindre à une mission d’exploration scientifique dans les montagnes rocheuses. Chargé de photographier les régions traversées, Wallace se passionne plutôt pour les autochtones après avoir passé plusieurs jours dans un camp sioux. Rentré auprès de sa famille, il imagine déjà une nouvelle expédition entièrement consacrée aux indiens. Expédition qu’il mènera en solitaire et dont il reviendra profondément bouleversé.

Un récit qui vous happe. Par sa beauté, sa lenteur, sa puissance. Par son propos aussi, sa réflexion sur l’image, qui fait le lien entre dessin et photographie, notamment à travers la relation au sujet, les questions de cadrages, la posture : « Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène, les sublimer ». Le questionnement sur l’image et son pouvoir se double d’une interrogation existentielle pour Wallace. Face à la quiétude et l’harmonie trouvées auprès des indiens, ses certitudes vacillent et lui font connaître « un détachement lent, progressif, physique et cérébral » qui va peu à peu l’éloigner de son milieu d’origine.

« Les indiens savent depuis longtemps que leur monde est en équilibre au bord du vide. Et que ce vide ne sera bientôt plus que la trace effacée de ce qu’ils ont été ». Un monde bientôt perdu dans lequel le photographe va peu à peu se dissoudre. Le dessin est, comme toujours avec Thierry Murat, totalement envoûtant. Couleurs crépusculaires, lumière blafarde, hommes, bisons et végétation réduits à l’état d’ombres… des choix graphiques annonciateurs de la disparition à venir. Disparition d’un peuple, de sa culture, de ses traditions. Ou comment décrire tout en sobriété une inéluctable agonie.

Magnifique album, un de plus dans la bibliographie de Thierry Murat. Beaucoup plus personnel que ses adaptations de romans mais tout aussi réussi.

Étunwan : Celui Qui Regarde de Thierry Murat. Futuropolis, 2016. 160 pages. 23,00 euros.



Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chères complice Mo et Noukette.





mardi 21 juin 2016

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle - Hervé Giraud

« Quelque chose d’indéterminé m’encourage à chercher mon chien, à aider ma sœur, à rassembler ma meute pour recréer une tribu démantelée par une guerre. »

Ils étaient trois. Inséparables. Le garçon, sa sœur jumelle Cali et leur dalmatien Rubens. Mais quand le chien a fugué, plongeant dans la rivière pour rattraper sa balle, leur univers s’est fissuré. Peu après Cali est tombée malade. Gravement malade. Voyant une relation de cause à effet, le garçon a pensé qu’en retrouvant son chien, il guérirait sa sœur. Commence alors une course contre la montre, contre la vie qui s’échappe, sur les traces de Rubens et de sa balle, porté par l’espoir fou de sauver celle sans qui l’existence n’aurait plus de sens.

Un roman choc. Infiniment triste et infiniment digne. Je tournais les pages en me disant non, ce n’est pas possible, on ne va pas aller jusque-là… Et finalement si. Et finalement, ça ne m’a pas choqué, parce qu’après tout, rien de plus logique de voir l’inéluctable remporter la partie. Bien sûr, j’ai eu la gorge serrée, une vraie sensation d’injustice et de compassion pour cette famille frappée de plein fouet par un drame insoutenable. J’ai ressenti la douleur, le manque, l’absence. Et j’ai été emporté par la voix du garçon, par la puissance d’une écriture ample, parfois légère, souvent profonde, toujours énergique.

Ici, la vie est moche, absurde. « Chacun porte sa croix. Sa croix de malheur, entendons, il n’y a pas que Jésus qui a morflé, on a tous des gamelles à trimballer. Il faudra continuer à avancer pour chercher la sortie parce qu’on ne sait jamais jusqu’où va cette impasse, il n’y a pas de fin de l’histoire, rien n’est joué ». Ne pas sombrer, sans pour autant oublier. Une croix à porter. Se relever après l’anéantissement. Continuer à avancer. « Pour que ma tristesse se transforme en une force inaltérable de vie, je pleurerai, sans rien dire à personne, toute ma vie son absence ». Magnifique et bouleversant. Bien plus qu’un roman jeunesse.

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle d’Hervé Giraud. Thierry Magnier, 2016. 125 pages. 10,50 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 20 juin 2016

Ce qui désirait arriver - Leonardo Padura

Les nouvelles de ce recueil sont souvent, comme le déclare un personnage,  « un voyage vers la mélancolie ». Il en va ainsi de ces soldats quittant l’enfer de la guerre en Angola pour retourner à Cuba  en laissant derrière eux une maîtresse ou en faisant un détour par Madrid et en retrouvant par hasard un copain d’enfance qui ravive les souvenirs d’une époque révolue. De même, ce quadra exilé à Miami nostalgique de ses années étudiantes où il écoutait, fasciné, Violeta Del Rio, « La dame triste du Boléro » avec laquelle il connut une aventure aussi brève que torride. Ou encore cette pianiste de bar constatant que ses mains courant sur l’instrument n’hypnotisent plus les hommes comme au début de sa carrière.

Il y a ceux qui rêvent de revoir Cuba et ceux qui rêvent de la quitter. Tous y sont nés et cette île les habite. Tous ont vu le temps suivre son cours et ont l’impression d’avoir raté quelque chose : « La vie de chacun est un projet unique et ça c’est con parce que si on s’est trompé, on aura jamais le temps de rectifier ce qui est déjà passé ». Les années passent et chacun se couvre de cicatrices. « Et il y en a qui ne s’effacent plus. Les souvenirs peuvent être désastreux ».  

Ces nouvelles, écrites entre 1985 et 2009, brossent un portrait tout en finesse de la société cubaine d’hier et d’aujourd’hui. Elles regroupent les thèmes chers à Padura, la nostalgie, l’exil, l’art, la sexualité. On y parle d’amour, de solitude, de chagrin. On y parle d’espoirs déçus, de relations d’un soir qui marquent au fer rouge. On y boit du rhum les yeux dans le vague et les vêtements trempés de sueur. L’écriture est sensuelle ou sauvage, brûlante ou lyrique, vibrante ou poétique. C’est beau et triste, d’une sensibilité à fleur de peau. J’ai adoré, forcément, parce que ces thèmes et cette écriture me parlent et que Padura est depuis longtemps un de mes écrivains préférés. Avis aux amateurs d’excellentes nouvelles.

Ce qui désirait arriver de Leonardo Padura. Métailié, 2016. 235 pages. 18,00 euros.






samedi 18 juin 2016

Les lectures de Charlotte (19) : Bon appétit, petite souris ! - Eric battut

Petite souris a faim. Elle grignote un champignon, puis un morceau de fromage avant de s’attaquer à un radis. Arrivée face au chat et toujours pas rassasiée, elle décide d’explorer le ventre du matou pour dégoter à manger. Une fois à l’intérieur, ne trouvant rien d’intéressant,  elle fait demi-tour et repart accompagnée…

Pour sa sixième aventure, la petite souris d’Eric Battut continue d’évoluer dans un univers des plus épurés. Sur chaque double page, à peine quelques mots et des illustrations minimalistes qui permettent de se focaliser sur l’essentiel. La rencontre avec le chat est évidemment le moment fort de l’histoire. Son déroulé lorgne d’ailleurs du coté de Tom et Jerry ou Titi et Grosminet. Les pages où la souris investit le corps du chat, rebrousse chemin et en ressort avec un copine relève d’un comique proche de l’absurde qui fonctionne parfaitement avec les bouts de chou.



Le dessin, au feutre et sans encrage, est aussi simple qu’expressif. Avec une mention spéciale pour le personnage du matou, dont le flegme et la passivité à contre emploi offrent un décalage qui déclenche le sourire.

Un album aussi malin qu’efficace et une espiègle petite souris qui saura une fois de plus charmer les tout petits.

Bon appétit, petite souris ! d’Eric Battut. Didier jeunesse, 2016. 32 pages. 12,90 euros.






jeudi 16 juin 2016

(Presque) jeune, (presque) jolie, (de nouveau) célibataire - Stéphanie Pèlerin

Je l’attendais avec appréhension ce livre. Parce que l’air de rien je connais Stephie depuis quelques années maintenant, et le courant est toujours bien passé entre nous. Mais la Stephie auteure, je ne l’ai jamais fréquentée vraiment. Grosse appréhension donc, à l’heure de découvrir son premier roman. D’abord parce que ce n’est pas mon genre de donner dans le copinage et que je ne pourrais pas faire semblant de l’avoir aimé si ce n’était pas le cas. Ensuite parce que cette comédie sentimentale très girly est à des années-lumière de la littérature que je fréquente d’habitude.

Pour le coup, une histoire de prof de français en manque de confiance en elle, lestée de quelques kilos en trop et larguée dès la première page par son jules, ça n’avait pas de quoi me faire grimper aux rideaux. Mais la lecture est aussi affaire de circonstances. Ce livre, je l’ai reçu un vendredi. Un jour triste, gris et pluvieux semblable à ceux que l’on connait depuis des semaines. Un jour où, exceptionnellement, je ne travaillais pas, ma petite dernière et sa varicelle m’ayant contraint à jouer le garde malade. En début d’après-midi, je la monte dans sa chambre pour la sieste, je m’installe dans le canapé avec un café et le livre sur les genoux. Assommée par les médicaments, la petite ne se réveille que trois heures plus tard (la plus longue sieste de sa vie !) et moi j’ai eu le temps de lire l’ensemble du roman.

Il est très rare que j’engloutisse un bouquin d’une traite, même quand je n’ai rien de mieux à faire. Donc, force est de constater qu’il s’est passé un truc entre Ivana et moi. Ivana, c’est l’héroïne. Trentenaire, brune à forte poitrine et bien en chair. Beaucoup d’atouts pour me plaire en fait. Mais le physique ne fait pas tout, ce n’est d’ailleurs qu’un détail pour moi (ok, je manque de crédibilité mais j’aurais au moins tenté le coup), et il lui a fallu déployer d’autres arguments pour me séduire.

Ivana est paumée. Elle gère comme elle peut. Son boulot. Ses complexes. Ses copines. Ce vide qui s’est ouvert sous ses pieds au moment où Baptiste l’a quittée. Mais elle ne s’apitoie pas sur son sort. Elle veut reprendre sa vie en main. Se laisser porter aussi. Par ses envies. Ses désirs. Elle se met au régime et au sport. Elle s’achète un sextoy, s’inscrit sur un site de rencontre, multiplie les aventures, la plupart tournant au fiasco. J’ai beaucoup aimé les épisodes où la pauvre Ivana enchaîne les déconvenues, comme j’ai aimé son attitude de femme libre qui assume ses papillonnages d’un homme à l’autre en restant finalement  bien plus fragile que les apparences ne pourraient le laisser penser.

Plus que tout, j’ai aimé que l’on ne me serve pas à longueur de pages la classique (et insupportable) aventure entre la fille mal dans sa peau et le playboy riche comme Crésus, beau comme un dieu, monté comme âne, plus endurant qu’un marathonien et torturé par des blessures d’enfance. Ici, l’homme est au choix mufle, con comme un balai, lâche ou pervers. Normal en somme. Le prince charmant finit bien par arriver mais on n’en fait pas des caisses, on reste dans un portrait d’homme « réaliste » et franchement ça fait du bien.

Bon, soyons honnête, ce n’était clairement pas un livre pour moi à la base. Clairement pas un livre que j’aurais lu s’il n’avait pas été écrit par une personne que je connais et que j’apprécie énormément. Mais au-delà des circonstances particulières m’ayant poussé à le découvrir, j’en garderai le souvenir d’une douce après-midi passée en charmante compagnie avec la belle et touchante Ivana, une jeune femme que je ne suis pas près d’oublier.

(Presque) jeune, (presque) jolie, (de nouveau) célibataire de Stéphanie Pèlerin. Mazarine, 2016. 198 pages. 15,00 euros.


Les avis de Fanny, Laurie et Mylène.

mercredi 15 juin 2016

Les jours sucrés - Loïc Clément et Anne Montel

Églantine, graphiste et parisienne 100% pur jus, apprend par un notaire qu'elle vient d'hériter de la boulangerie de son père suite à son décès. Un père dont elle n'avait plus entendu parler depuis qu'elle avait quitté la campagne bretonne au moment de la séparation de ses parents plus de vingt auparavant. De retour dans sa région natale, elle a l'intention de se débarrasser vite fait de cet héritage encombrant en le vendant au premier venu. Sauf que la situation économique du village de Klervi s'est beaucoup dégradée depuis quelques années et que les acheteurs ne se bousculent pas au portillon. Pour ne rien arranger, la rencontre avec un ancien camarade de classe devenu instituteur va faire gamberger la jeune femme et la pousser à se demander s'il ne serait pas temps pour elle de changer de vie et de se reconvertir dans un commerce de proximité sur la terre de son enfance...

Un album que je qualifierais sans hésiter de « gentillet ». Le sucré du titre n’est pas usurpé, et même si on ne tombe pas dans le sirupeux, l’ensemble manque singulièrement d’acidité à mon goût. La bobo parisienne surmenée qui retrouve ses racines bretonnes contrainte et forcée et qui ne compte pas s’attarder sur place mais tombe finalement sous le charme de l’instit local, ça fait quand même très cliché. Aucune originalité non plus dans le secret de famille lié au père, un thème plus qu’éculé.

Heureusement certains seconds rôles pimentent l’affaire, comme l’acariâtre vieille tante Marronde et la piquante meilleure copine Mei. Coup de chapeau également aux matous qui ouvrent chaque chapitre avec des échanges particulièrement drôles. Graphiquement, la sobriété s’impose mais la composition maline et culottée de certaines planches permet de casser la monotonie d’un découpage sans grande surprise. Après, l’absence quasi systématique de décors n'offre pas à la Bretagne les paysages caractéristiques de cette région pleine de charme, ce qui est bien dommage.

Une lecture légère, qui dégouline de bons sentiments, à la fois sucrée et rafraîchissante. Un album qui, quelque part, a tout d'une BD feel good. Avis aux amateurs du genre, donc (dont je ne fais malheureusement pas partie).

Les jours sucrés de Loïc Clément et Anne Montel. Dargaud, 2016. 148 pages. 19,95 euros.











mardi 14 juin 2016

Les grandes jambes - Sophie Adriansen

« Jusqu’à peu, j’étais une fille normale. Plutôt grande, d’accord, mais rien d’une géante. Et puis je suis entrée au collège, et là ma croissance s’est emballée. Tous mes vêtements sont devenus trop petits d’un seul coup, et depuis il faut en racheter tous les trois mois. Pour les manches, passent encore […] Mais pour les jeans, c’est la catastrophe. En trouver un qui m’aille se révèle mission impossible… »

Il suffit de pas grand-chose pour complexer une ado. Un pantalon trop court, qui révèle  les chaussettes par exemple, et le mal être s’installe durablement. Parce que Marion le sait bien, il n’y a rien de pire que d’attirer les regards : « Dans la cour du collège, les paires d’yeux sont des mitraillettes. Aucune faute de goût ne passe inaperçue. Les jugements sont immédiats, les conclusions définitives. Les blagues fusent, souvent gratuites, parfois cruelles. »

Marion est donc une grande perche, une grande perche mal fagotée. Et forcément mal dans sa peau. Pas comme ça qu’elle aura un jour le courage d’adresser la parole au beau Grégory, dont elle est follement amoureuse. A moins que le voyage scolaire à Amsterdam qui s’annonce, avec la visite de la maison d’Anne Frank et du célèbre Rijksmuseum où cette passionnée d’art et de dessin va pouvoir découvrir les œuvres grandeur nature de son idole Rembrandt, change durablement la donne...

Ah, les complexes ! Le genre de truc qui s’attrape en général à l’adolescence et peut vous poursuivre jusqu’à la fin de vos jours. Sophie Adriansen aborde la question avec finesse et intelligence. Sans en faire des tonnes, sans tomber dans les clichés ou transformer son héroïne en ado dépressive. Résultat, c’est léger en apparence mais ça pousse à la réflexion sur le fond. La visite de la maison d’Anne Frank incite Marion à relativiser ses propres problèmes et son rapport à l’art prouve que, si l’art n’est pas la vraie vie, il peut la changer, cette vie. A cet égard, le passage où la jeune fille « s’immerge » dans le monumental tableau  de Rembrandt « La ronde de nuit » est en tout point magnifique.

Un roman positif et qui sonne juste, prouvant que la confiance en soi, si elle n’est pas innée, n’as parfois pas besoin de grand-chose pour  éclore au moment où l’on s’y attend le moins.


Les grandes jambes de Sophie Adriansen. Slalom, 2016. 112 pages. 10,90 euros.


Les avis d'Antigone et Fanny



Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.