dimanche 15 mai 2016

L’ours qui jouait du piano - David Litchfield

Il était une fois un ours qui trouva un piano au fond des bois. Il s’en approcha doucement et posa sa grosse patte sur les touches, provoquant un bruit terrifiant. Le lendemain l’ours revint, puis les jours, les semaines, les mois et les années suivantes. Peu à peu il apprivoisa l’instrument et en tira des sons enchanteurs qui attirèrent tous les ours de la forêt. Surpris en plein récital par une petite fille et son papa, l’ours accepta de les suivre et devint la coqueluche de la ville, donnant des concerts à guichets fermés et vendant des millions de disques. Une nouvelle vie qui lui offrit tout ce dont il pouvait rêver mais ne remplaça jamais, au plus profond de son cœur, sa forêt et ses amis…

Un album qui célèbre la primauté de l’amitié sur les rêves de gloire. Oublier les lumières et les célébrations aussi somptueuses qu’artificielles pour retrouver ses racines, être auprès des siens et toucher le seul public qui compte en définitive. Le message est simple et positif, écartant toute superficialité pour revenir à l’essentiel avec un soupçon d’émotion.

Texte court et immédiatement compréhensible, illustrations superbes aux couleurs et aux textures très travaillées, grand format permettant de plonger le regard en profondeur à chaque page, voilà un album qui possède de nombreux atouts pour séduire les petits bouts auxquels il s’adresse. Et les grands bouts qui ont la chance et le privilège de leur lire à voix haute.

L’ours qui jouait du piano de David Litchfield. Belin jeunesse, 2016. 32 pages. 12,90 euros. A partir de 3 ans.





vendredi 13 mai 2016

Les tifs - Charles Stevenson Wright

New York, années 60. Lester le métis se lève un matin bien décidé à prendre son destin en main. Ras le bol d’être mis au rebut à cause de sa couleur de peau. Première étape vers la gloire, se lisser les cheveux. Avec ses nouveaux tifs aux bouclettes soyeuses, Lester se voit enfin comme quelqu’un d’autre, l’égal des blancs, celui à qui tout va sourire, travail, amour, argent et célébrité. Commence alors une odyssée hallucinée dans les rues de Big Apple où le bellâtre va trimbaler sa dégaine auprès d’une faune pas piquée des hannetons, du travesti surjouant son rôle de drama queen à l’acteur célèbre tombé au fond du caniveau et sortant tout juste de prison en passant par une prostituée vénale et un producteur de disques véreux.

Second volume de la trilogie new-yorkaise de Charles Stevenson Wright (après « Le Messager »), « Les tifs », publié en 1966, est un texte inclassable, à la fois pamphlet et satire acide d’une population noire et métissée dont les rêves de réussite et d’égalité ne pouvaient qu’être un jeu de dupes voué à l’échec. Un roman boycotté à sa sortie par la critique, considéré aujourd’hui comme un chef d’œuvre et qui entraîna son auteur vers une chute inexorable, réduit à la pauvreté, détruit par l’alcool, sombrant dans l’anonymat le plus total jusqu’à sa mort dans un hospice du Lower East Side.

C’est simple, il y a tout ce que j’aime dans ce roman. Une plongée à la marge directe, terrible, violente, désespérée, portée par un cynisme tranchant, un humour noir dévastateur et une succession d’événements surréalistes tirant souvent vers l’absurde et frôlant parfois l’hystérie. C’est cash, sans fioriture, tout son sauf consensuel. Le cri de colère d’un écrivain enragé et d’un narrateur perdu entre fantasmes d’une vie meilleure et lucidité face à une réalité sans pitié : « Je m’imaginais que ma chance allait tourner. Est-ce qu’elle avait tourné ? Non, la vie me tenait toujours par les couilles et m’injectait des lavements empoisonnés dans le cul. » Ou encore « On s’en prenait à moi depuis si longtemps. Une mètre cinquante-cinq pieds nus, soixante-trois kilos tout mouillé. L’air d’un gamin, avec une démarche de marin à terre, un visage typiquement métissé : un Américain issu d’un pot de chambre bouillonnant, fruit d’au moins cinq races différentes copulant par deux ou trois comme dans une partie de chaises musicales ».

Un roman qui transpire l’urgence, irascible, affûté comme une lame. Typiquement ma came.

Les tifs de Charles Stevenson Wright. Le Tripode, 2016. 200 pages. 22,00 euros





mercredi 11 mai 2016

L’adoption T1 : Qinaya - Zidrou et Monin

Un tremblement de terre au Pérou. 8,4 sur l’échelle de Richter. Plus de 37 000 morts. « On s’émeut, on compatit, puis on oublie. Après tout, qu’est-ce qu’on en a à foutre du Pérou et des péruviens ». C’est ce que pense Gabriel, 75 ans. Oui mais voilà, son fils et sa belle-fille ont adopté Qinaya, 4 ans, qui a perdu ses parents suite au séisme. Au moment de l’arrivée de la petite à l’aéroport, Gabriel reste en retrait. Pas concerné le nouveau papy. Jusqu’au jour où il lui faut garder la gamine pendant deux heures. Une corvée qu’il accepte difficilement, mais qui va tout changer.

Résumé de la sorte, on a l’impression d’avoir affaire à un scénario cousu de fil blanc baignant dans un sirop qui dégouline de bons sentiments. Ce serait bien vite oublier que Zidrou tire les ficelles. Ok, le papy bougon va fondre pour la fillette venue du bout du monde et devenir un gros nounours débordant d’affection. Mais, parce qu’il y a forcément un « mais », l’histoire ne reste pas en surface, elle creuse un sillon bien plus profond que les apparences ne pourraient le laisser penser. Le récit s’attarde longuement sur la relation entre Gabriel et son fils, une relation compliquée, surtout parce que l’un des deux a oublié de tenir son rôle. Par manque de temps. D’envie aussi. Cet aspect a fait résonner en moi des éléments de ma propre histoire et confirme ma certitude qu’il est bien plus facile d’être grand-père que père. Question de disponibilité sans doute, entre autres choses…

Ce premier volume d’un diptyque dont la suite, je l’espère, ne tardera pas trop, est porté par le dessin rond et les couleurs chaudes de l’excellent Arno Monin. Récit d’un bouleversement affectif poignant, tout en tendresse et en subtilité, cette « Adoption » mêlant histoire familiale et chronique du troisième âge sonne juste, pousse à la réflexion et fait planer un insupportable suspens, tant la pirouette finale, totalement inattendue, laisse le lecteur aussi pantelant qu’admiratif devant de tels talents de conteur…

L’adoption T1 : Qinaya de Zidrou et Monin.  Bamboo, 2016. 64 pages. 14,90 euros.


Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette.



Les BD de la semaine sont
aujourd'hui chez Stephie



mardi 10 mai 2016

Traits d’union - Cécile Chartre

Un mariage à première vue comme les autres : une mère qui a tout prévu dans les moindres détails, l’invité lourdaud qui va passer son temps à draguer pour tenter de ramener une fille dans son lit à l’heure de la soupe à l’oignon, l’ex-petite copine du marié qui rumine leur histoire passée, le meilleur ami plein d’amertume, tata Odette qui pense que ce mariage, c’est une belle connerie, du classique quoi.

Sauf que. Les mariés ont à peine 18 ans, se connaissent depuis quelques moi et leur précipitation à sauter le pas interpelle. La pique-assiette ayant l’habitude de s’inviter incognito chaque samedi dans des cérémonies où elle ne connait personne trouve l’ambiance très particulière. Et une gamine qui a tout vu mais n’a encore rien dit s’apprête à révéler un secret censé mettre une pagaille d’enfer. Sauf que...

J’adore Cécile Chartre. Son humour noir, sa prose nerveuse qui ne s’embarrasse pas de chemins détournés pour aller à l’essentiel, ses personnages souvent drôles malgré eux et cette capacité à imaginer des situations aussi inconfortables qu’incongrues (« Petit meurtre et menthe à l’eau » en est l’exemple le plus frappant). Ici elle trousse un roman choral piquant et acidulé où la voix de chaque protagoniste, plutôt que de résonner avec force, dissone sacrément. Bon, pour être honnête, j’avais vite découvert le pot aux roses mais cela n’a en rien gâché mon plaisir. Un titre qui inaugure la nouvelle collection « Rester vivant » des éditions Le Muscadier, une collection dont le but est, entre autres, « de poser un regard incisif sur nos comportements individuels et collectifs ».  Pour le coup, le contrat est rempli haut la main.

Traits d’union de Cécile Chartre. Le Muscadier, 2016. 66 pages. 8,50 euros.

Une nouvelle pépite jeunesse que je partage avec Noukette.

Les avis de Fanny et Hélène









lundi 9 mai 2016

Les maraudeurs - Tom Cooper

Bienvenue à Jeanette, bourgade fictive située dans le bayou bien réel de la Barataria. A peine 50 km de La Nouvelle Orléans et pourtant on se croirait dans une autre dimension, un monde à part peuplé de créatures plus pittoresques les unes que les autres.

A Jeanette vous croiserez, par ordre d'apparition, les frères Toup, jumeaux psychopathes producteurs de marijuana, Gus Lindquist, pêcheur de crevettes manchot, chasseur de trésor à ses heures perdues qui passe son temps à avaler des médocs comme d'autres croquent des bonbons, Wes Trench, 18 ans et déjà des cheveux blancs, pêcheur lui aussi sur le bateau de son père, un gamin ayant vu sa mère tomber d'un toit et se noyer sous ses yeux au moment de la tragédie de Katrina, Cossgrove et Hanson, deux losers pathétiques, escrocs à la petite semaine condamnés à des travaux d’intérêt général ou encore Grimes, envoyé par la compagnie BP après un accident pétrolier ayant causé une vaste pollution des eaux du bayou pour inciter les victimes à abandonner les poursuites judiciaires contre un chèque au montant ridiculement faible par rapport au préjudice subi. Des personnages qui ne vont cesser de se croiser pour jouer au fil des chapitres une tragi-comédie des plus jubilatoires.

Avec ce premier roman, Tom Cooper a rédigé un guide touristique du bayou pas franchement engageant. Chaleur accablante, crevettes, crabes et oiseaux mazoutés, alligators, serpents, moustiques, taons « gros comme des prunes », « scarabées semblables à des pommes de terre ailées », et surtout des autochtones plus flippants les uns que les autres. J'ai adoré la façon dont le roman se déploie, chacun étant d'abord présenté de façon isolée, avant que les premières interactions fassent évoluer tout ce petit monde tels des pions se déplaçant sur un échiquier d'où personne ne sortira vainqueur.

Un texte qui, malgré les apparences, déborde d'humanité et prend parfois des allures de roman social s'ancrant dans un environnement frappé de plein fouet par deux événements dévastateurs, l'ouragan Katrina en 2005 et l'explosion d'une plateforme pétrolière causant une marée noire épouvantable en 2010. Un roman plein de sauvagerie, à la fois drôle et grave, picaresque et puissant. Une réussite totale et une lecture que je vous recommande plus que chaudement !

Les maraudeurs de Tom Cooper. Albin Michel, 2016. 400 pages. 22,00 euros.

Les avis d'Electra, Léa et Virginie




dimanche 8 mai 2016

Shaker Monster T1 : Tous aux abris ! - Mr Tan et Mathilde Domecq

La curiosité est un vilain défaut, Justin va l’apprendre à ses dépens. Après une énième dispute avec sa sœur, il est envoyé au grenier par son père pour ranger un carton de son grand-père. En découvrant l’inscription « ne pas toucher » sur ledit carton, le garçon se dépêche de l’ouvrir. A l’intérieur, un vieux shaker brillant qu’il trouve « trop cool » et qu’il ramène dans sa chambre. Mauvaise idée, très mauvaise idée. Le lendemain matin, un monstre gluant s’est échappé du shaker et a transformé la maison en champ de bataille. Il va falloir l’attraper au plus vite et tout ranger avant que papa et maman ne découvrent les dégâts pour éviter la punition du siècle…

Y pas à dire, il sait y faire Mr Tan pour imaginer des histoires qui plaisent aux enfants (il l’a d’ailleurs prouvé depuis longtemps avec Mortelle Adèle). Ici, il mélange des ingrédients imparables : deux sales gosses qui n’arrêtent pas de se chamailler, des monstres inoffensifs et rigolos, de la morve et des prouts en pagaille, un papy complice et des bêtises à réparer en urgence avant que les parents rentrent du travail. Pas révolutionnaire mais efficace, mis en image avec dynamisme grâce au trait frais et expressif de Mathilde Domecq.

Une nouvelle série pleine de bonne humeur au rythme trépidant et portée par des dialogues entre frère et sœur pas piqués des hannetons, tellement réalistes que nombre de jeunes lecteurs pourront s’y identifier, c’est une certitude.

Shaker Monster T1 : Tous aux abris ! de Mr Tan et Mathilde Domecq. Gallimard BD, 2016. 64 pages. 11,90 euros.





vendredi 6 mai 2016

The Whites - Richard Price

Les Whites sont, dans le jargon de la police américaine, des coupables jamais condamnés pour leurs crimes. Des gars passés entre les mailles du filet de la justice, des gars qui s’en sont sortis blancs comme neige. Chaque flic a son White, un salopard qui l’obsède et qu’il rêve de voir enfin payer pour ses méfaits. Billy Graves ne fait pas exception à la règle. Devenu chef d’une brigade de nuit New yorkaise après une bavure, Billy reçoit un appel lui signalant un meurtre dans une station de métro. La victime n’est autre que le White de l’un de ses anciens coéquipiers. Lorsqu’un second White est éliminé quelques jours plus tard, Billy commence à se poser de sérieuses questions…

Un  plaisir de retrouver enfin Richard Price six ans après l’excellentissime Frères de sang. Scénariste pour Scorsese (La couleur de l’argent) et la série The Wire, lui-même adapté au cinéma par Spike Lee (Clockers), ce peintre de l’Amérique urbaine nous emmène une fois de plus dans les rue de New-York pour décrire le quotidien peu reluisant d’un flic au bout du rouleau. Plus que sur son job, c’est sur sa vie de famille que Price se focalise. Et plus que l’enquête, c’est le portrait dressé qui intéresse, tant le romancier montre une fois de plus que chacun d’entre nous est avant tout le fruit de son environnement. Il parle ici d’obsession pour des histoires anciennes, de vengeances que l’on cherche encore à assouvir, d’amitiés à entretenir au nom du bon vieux temps, d’une filiation difficile à assumer, de casseroles sur lesquelles on a mis un couvercle mais qui continuent à bouillir et que l’on continue à traîner…

Narration nerveuse, dialogues au cordeau, réalisme impressionnant, plongée dans une ville cartographiée au millimètre, Price maîtrise, de bout en bout. Héritier talentueux de Selby et Ed McBain, ce grand romancier de New-York est aussi et surtout le chantre d’une forme de naturalisme qui n’appartient qu’à lui.

The Whites de Richard Price. Presses de la cité, 2016. 415 pages. 21,00 euros.








mercredi 4 mai 2016

Le voyage d’Abel - Lisa Belvent et Bruno Duhamel

Abel rêve. De voyages. Seul dans la ferme héritée de ses parents qu’il entretient depuis que ses frères ont mis les voiles, Abel n’en peut plus de ce foutu pays et de cette vie rythmée par les corvées. Se lever à l’aube, traire les vaches, sortir les chèvres, labourer les champs. « Moi ce que je voulais, c’est être marin, prendre le large, voyager : Conakry, Singapour, Tahiti… ». Mais Abel a vieilli et il n’a jamais pu franchir le pas. Partir. Pour de bon. Les guides touristiques s’entassent sur les étagères du salon, les saisons passent, et Abel en est toujours au même point. Sa détermination semble cette fois bien réelle, et malgré les moqueries des autochtones qui l’ont surnommé « Le capitaine » et n’ont jamais cru à ses envies d'ailleurs, Abel sait que l’heure est venue.

Étrange album à l’atmosphère nostalgique mettant en avant la rudesse de la vie à la campagne. Il est touchant Abel, fragile, sensible, timide, perdu dans des rêveries auxquelles il persiste à s’accrocher, sans doute pour trouver la force de sortir de son lit chaque matin et de donner du sens à une existence sans aucun relief. Dans son bled paumé, le ciel est bas et gris et les mentalités restent au ras des pâquerettes.  Il y a une forme de cruauté permanente chez les paysans frustes qui peuplent les histoires rurales. Abel m’a rappelé les personnages d’André Bucher ou de Franck Bouysse, ces taiseux solitaires et bourrus évoluant dans un environnement âpre et difficile à supporter.

Une réflexion triste et mélancolique sur le temps qui passe et jamais ne se rattrape, sur ces choix que l’on ne fait pas, ces regrets qui nous hantent, ces départs toujours reportés et jamais pris. J’aurais voulu sortir bouleversé de cette lecture mais ce n’est pas le cas. L’album est pourtant très réussi, aucun doute là-dessus, mais il m’a manqué un petit quelque chose. J’ai eu l’impression que tout allait trop vite, que certains aspects auraient mérité d’être creusés (l’enfance du vieux fermier, la relation avec ses parents, l’attitude de ses frères). En fait, j’aurais voulu passer plus de temps avec Abel, partager davantage de choses, le côtoyer au fil d’un roman graphique de 200 pages par exemple. Je l’ai quitté trop rapidement et il m’a laissé en bouche un goût de trop peu. Dommage, parce que c'est typiquement le genre de personnage que j'adore.

Le voyage d’Abel de Lisa Belvent et Bruno Duhamel. Éditions Les Amaranthes, 2014. 64 pages. 18,00 euros (à commander directement sur le site de l'éditeur)

Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo.

L'avis de Moka









mardi 3 mai 2016

Perle - Anne Bert

Perle est née sous X. A l’adolescence, elle découvre grâce à la littérature que cette lettre symbole pour elle d’abandon parental possède aussi une portée des plus sensuelles. Se livrant sans plaisir aux nuits interlopes parisiennes et à un amant, politicien reconnu, lui faisant découvrir des pratiques extrêmes auxquelles elle peine à donner du sens, Perle décide un jour de tout plaquer pour se reconstruire dans les marais de Brière, au bord de l’océan Atlantique. C’est là qu’elle croisera le beau et taiseux Alanik, un marinier avec lequel elle va vivre une histoire d’amour aussi puissante que singulière.

Un roman très charnel qui s’égare parfois sur des sentiers où je n’ai pas eu envie de le suivre (notamment certains aspects fantastiques liés aux légendes locales) mais que j’ai trouvé dans l’ensemble très maîtrisé et sans complexe. Le portrait de Perle, femme libre assumant ses désirs, et la relation très particulière qu’elle noue avec Alanik offrent à l’histoire une profondeur qu’il est rare de trouver dans des récits de ce genre. Le corps est ici partout présent, loin de toute représentation aseptisée. Les épisodes coquins s’enchaînent avec une grande variété, plus ou moins émoustillants mais toujours  mis en scène avec classe et sobriété, portés par une écriture à la fois crue et poétique.

Un roman érotique particulièrement littéraire, c’est suffisamment rare pour être souligné. J’ai également apprécié le fait que les amants de passage de Perle prenaient systématiquement la peine d’enfiler un préservatif avant de passer aux choses sérieuses. Et c’est loin d’être un simple détail à mes yeux…

Perle d’Anne Bert. La Musardine, 2016. 180 pages. 8,95 euros.

Les avis de Liliba et Noukette








lundi 2 mai 2016

Histoire de petite fille - Sacha Sperling

« Je suis le rêve américain, du sperme plein la gueule. Je suis riche. Comme un rappeur. Comme un homme d’affaire. Le compte en banque de Donald Trump et la bouche de Donald Duck. »

Mona ne passera pas sa vie à Paradise Hill, dans la banlieue de San Diego. Ici, l’horizon est trop bouché pour une ado de seize ans. Misère, ennui, alcool, drogue ou prostitution, le choix est limité. Surtout avec une mère qui a le feu au cul et un beau-père qui ne pense qu’à vous sauter. Alors Mona s’organise comme elle peut : Un petit ami dealer qui lui a fait perdre sa virginité à treize ans, un agent immobilier de quarante balais raide dingue d’elle pour l’entretenir. Et un jour, la fugue vers Los Angeles après un passage chez une copine majeure pour lui piquer ses papiers d’identité. Mona se teint en blonde, pose sur ses yeux des lentilles bleu clair et se prénomme dorénavant Holly. Sa rencontre avec un producteur de films porno lui ouvre les portes de la célébrité. Holly devient un phénomène et rassemble rapidement plus d’un million d’abonnés (payants) sur le site de son mentor. Elle donne de sa personne, accepte toutes les pratiques et affole les compteurs. Du jamais vu. Holly est riche et célèbre. Mais Holly a un autre plan. Machiavélique…

Attention, ça secoue. Furieusement. J’ai d’abord cru avoir affaire à un romancier américain. Mais Sacha Sperling est bien français. Un gamin de 25 ans, un « fils de » (Alexandre Arcady et Diane Kurys), qui m’a mis KO pour le compte avec son histoire de petite fille. Un roman choral où l’Amérique en prend pour son grade. C’est cash, sans concession, cynique. Holly n’est pas une victime et Sperling ne veut pas nous faire pleurer sur son sort. Les scènes hard sont sordides mais la gamine fait preuve d’une lucidité permanente qui force l’admiration. Elle déteste ce qu'on lui fait subir, mais elle encaisse, une idée dernière la tête. Elle sait ce qu’elle fait, elle sait ce qu’elle veut, elle sait où elle va et elle sait qu’il va lui falloir souffrir pour y arriver : « Un an dans le porno, c’est comme dix ans ailleurs. Pire que de compter en années de chien. Ça marque le corps, la peau. Ça détend tout. Ça abîme… ».

Un roman sans complaisance qui vous file des hauts le cœur. J’ai aimé ce style direct, épuré, à l’os. Une success story tragique, glaçante, qui fascine et horrifie. L’histoire d’une « fille vide à l’ère du vide », l’histoire d’une fille qui se « voulait un destin. N’importe lequel ».

Histoire de petite fille de Sacha Sperling. Seuil, 2016. 260 pages. 18,00 euros.