vendredi 15 mai 2015

Mama Black Widow - Iceberg Slim

Un roman qui clôt une « trilogie du ghetto » unique dans la littérature américaine. Un roman lu il y a quinze ans. Un roman que j’avais envie de relire depuis longtemps. Un roman que j’avais envie de partager avec Valérie, pour lui faire découvrir un écrivain vraiment particulier et parce ce que je me demandais ce qu’elle pourrait bien en penser.

Iceberg Slim (1918-1992), venu à l’écriture sur le tard, fut un des plus célèbres proxénètes de Chicago dans les années 40-50. Une trajectoire qu’il raconte dans « Pimp », premier volet de la trilogie. Dans le second (« Trick Baby »), il plonge dans l’univers sans pitié des arnaqueurs. « Mama Black Widow », le dernier donc, est la biographie à peine romancée d’un travesti noir au terrible destin. Dans la préface, Slim explique sa démarche :

« En début de soirée, dans la première semaine de février 1969, je rendis visite à Otis Tilson. C'était un travesti incroyablement beau et tragique, rencontré de temps à autre, tout au long de ces vingt-cinq ans où moi-même j'étais un maquereau noir, à Chicago dans l'Illinois. Otis vivait dans un hôtel de troisième ordre à l'intersection de la 47e Rue et de Cottage Grove Avenue.
Nous nous installâmes sur un canapé défoncé dans son studio kitchenette. "Tout ce que tu as à faire c'est de raconter ton histoire." [...]
Lorsque j'ai écrit le livre, il m'a fallu restructurer des scènes, remettre en ordre des événements dans le récit d'Otis qui parfois s'égarait ou se noyait dans les larmes. Il n'y a pas de psychologie, de sermons ou de notes dans ce récit d'une vie. Les dialogues sont dans la langue crue des pédés, du ghetto noir, du Sud profond, des bas-fonds. Si peinture critique de la société il y a, elle se trouve dans l'âpreté de cette lutte tragique qu'Otis Tilson mène pour se libérer de la garce perverse brûlant en lui. »

Inutile de vous dire que je suis totalement fan d’un texte aussi décapant. L’histoire d’Otis dit les espoirs brisés d’une famille noire du Mississipi débarquant à Chicago en 1936 en pensant, comme beaucoup, y trouver un eldorado. Or c’est un autre enfer qui leur tend les bras, un enfer urbain où la ségrégation est toujours aussi présente. Son père ne trouve pas de travail, son grand frère va tomber peu à peu dans la délinquance et l’une de ses grandes sœurs dans la prostitution. Otis n’est qu’un enfant à cette époque et il voit le délitement progressif d’une cellule familiale pourtant soudée au départ. Sa mère jouera un rôle central dans la déchéance des siens (d’où le titre du roman), et lui ne pourra que constater les dégâts. Violé par un diacre, tiraillé entre sa volonté d’être un « homme comme les autres » et une homosexualité qui le dévore de l’intérieur, Otis va sombrer et enchaîner les coups durs. Tragique, il n’y a pas d’autres mots pour qualifier une existence à laquelle l’épilogue donne une terrible conclusion en quelques lignes…

J’adore Iceberg Slim  (en tant qu’auteur du moins parce l’homme en lui-même était plus que détestable, la lecture de Pimp vous le confirmera), c’est un écrivain de la rue, direct et sans concession, dont l’art des dialogues est un régal. Son écriture très orale et très crue retranscrit l’ambiance du ghetto noir, ses codes et sa violence. J'aime autant vous prévenir, certaines scènes sont d'un réalisme difficilement supportable, âmes sensibles s'abstenir !

Vous l’aurez compris et vous le savez si vous passez régulièrement par ici, c’est typiquement la littérature que j’aime. Il est bon parfois de se replonger dans des textes qui ont fait de nous des lecteurs passionnés et insatiables, et je ne remercierai jamais assez Valérie d’avoir accepté de m’accompagner dans cette relecture.

Mama Black Widow d’Iceberg Slim. L’Olivier, 2000. 302 pages. 20,10 euros.








mercredi 13 mai 2015

Rosario - Sampayo et Stassi

Comme souvent, c’est la faute d’une femme (pas taper !). C’est à cause de Raquelita que Rogelio croupit derrière les barreaux depuis vingt ans. C’est à cause d’elle qu’il a commis un meurtre. Du moins c’est ce qu’il raconte dans une confession à un mystérieux destinataire. Amoureux fou de cette belle blonde, il partit à sa recherche après sa soudaine disparition. Tombant dans les griffes d’une autre femme (eh oui, forcément !), la sulfureuse mademoiselle Galiffi, fille d’un parrain de la pègre locale, Rogelio plongea la tête la première dans un nid de vipères dont il ne pouvait ressortir indemne.

A Rosario, dans l’Argentine du début des années 30, la ville appartenait au crime organisé. Les italiens et les juifs, spécialisés dans la prostitution, se partageaient le gâteau et les pouvoirs publics, corrompus, fermaient les yeux. Mais avec les troubles sociaux prenant de l’ampleur et l’implantation de plus en plus importante des anarchistes et des syndicalistes, la mafia trouva un ennemi commun à combattre.

C’est l’histoire d’un homme piégé par la passion amoureuse et devenu une marionnette dans les mains de malfaiteurs sans scrupules. Un polar noir à souhait, extrêmement classique, même si, vu le nombre de protagonistes et les incessants flash-back, l’ensemble peut paraître à première vu dense et complexe. L’ambiance de la ville portuaire sud-américaine au début du 20ème siècle, de sa coterie et de ses bas-fonds, est parfaitement restituée. Les manigances sont permanentes, les clans, en apparence soudés afin de lutter contre les mouvements d’extrême gauche, ne manœuvrent en fait que pour leurs propres intérêts. Un scénario mêlant affaires troubles et politique sans grande surprise qui ne me marquera pas durablement je pense. J’ai par ailleurs trouvé assez étrange ce tic du scénariste consistant à révéler l’avenir funeste de ses personnages en plein milieu de l’action, comme s’il voulait spolier son propre récit et lui ôter une bonne dose de suspens.

Graphiquement par contre, rien à dire, le trait épais et les couleurs directes à l’aquarelle sont superbes. Pas suffisant cependant pour emporter mon adhésion. Décidément, le polar, même en BD, j’ai du mal.

Rosario de Sampayo et Stassi. Ankama, 2015. 76 pages. 14,90 euros.



mardi 12 mai 2015

Trop tôt - Jo Witek

« Il est entré en moi. Je ne désirais rien d’autre. Je n’ai pas vu son sexe. J’ai simplement senti sa force dans mon ventre. Une légère douleur, puis une danse couchée sur le sable. »

Voila, c’est tout. Une première fois inattendue. Les choses n’étaient pas censées se passer comme cela au départ. Pia, 15 ans, voulait juste séduire. Avec sa cousine Marthe, elles ont bravé le couvre-feu parental de minuit et se sont retrouvées dans la boîte de nuit d’un camping de Royan, un soir de juillet. Elles cherchaient un flirt, rien de plus, histoire de ne pas conclure les vacances bredouilles. Nathan lui a adressé la parole et tout s’est emballé. Il a pris sa main et elle est « passée dans un autre monde ». Une aventure d’un soir, sur la plage, aux conséquences terribles : Pia est enceinte et sa vie bascule. Il est trop tôt, beaucoup trop tôt…

Incroyable petit roman d’une puissance phénoménale. Un récit sur un fil, pas caricatural pour deux sous, hyper réaliste au contraire. J'ai adoré la réaction des parents, le soutien de la cousine et du copain qui joue les grands frères, et puis sa réaction à elle, tellement lucide, ses réflexions sur le désir en décalage avec l'éducation sexuelle enseignée à l'école, sa colère, ses doutes, sa volonté sans faille une fois sa décision prise et sa peur (que dis-je, sa terreur !), tellement légitime face une situation aussi inimaginable.

Un roman engagé au parti-pris pro avortement totalement assumé. Un roman trop intelligent pour tomber dans un militantisme simpliste et braillard. Un roman trop délicat pour ne pas toucher en plein cœur ses lecteurs et lectrices, quelles que soient leurs convictions. Un roman trop important pour que vous fassiez l’impasse, qu’on se le dise.

Trop tôt de Jo Witek. Talents hauts, 92 pages. 7,00 euros. A partir de 14 ans.


Une pépite jeunesse, une vraie de vraie, que je partage cette semaine encore avec Noukette.


Beaucoup de passages marquants dans ce texte …

A propos de la réaction de la mère :

« Ça ne s’est pas passé comme dans les films avec des dialogues déchirants, des pleurs et des embrasements lyriques. Maman était trop bouleversée pour me consoler. Trop chamboulée pour me témoigner de l‘empathie. La nouvelle l’a complètement vidée de ses forces et c’est d’abord la colère qui s’est imposée. »

A propos de la nuit où tout à basculé :

« Face à la mer, j’ai compris que cette nuit d’amour volée à mes vacances en famille était mon premier choix d’adulte. Qu’il fallait assumer. Que c’était ça grandir. S’embarquer et essuyer des tempêtes. »

A propos du désir :

« Moi, je ne veux pas qu’on me pardonne. Je veux qu’on accepte. Je veux qu’on dise l’amour fait perdre la tête et les cours d’éducation sexuelle devraient être accompagnés d’autre chose que d’un kit de prévention des risques. Capote-pilule-MST. Tu parles d’un triptyque ! C’est comme ça qu’on nous parle de la première fois. Rien sur les frissons, les émotions, rien sur la force des désirs. C’est comme si un marin se préparait au tour du monde sans tenir compte de la puissance du vent. Moi, jai glissé dans une tornade et personne ne m’avait prévenue d’un tel cataclysme. »
[…]
« Pourquoi tu ne m’as pas prévenue, maman ? Le désir fou, ça existe. Mais peut-être qu’on ne peut pas dire l’amour, le frisson, la passion. Peut-être que l’amour ne peut que s’éprouver. Que les mots ne suffisent pas. Partenaire, orgasme, contraception, fécondation. Les mots pour dire la sexualité sont si laids. C’est sans doute pour cela qu’ils provoquent tant de malentendus. »










lundi 11 mai 2015

Le caillou - Sigolène Vinson

La narratrice quitte Paris pour la Corse à la mort de son voisin Monsieur Bernard. Là-bas, elle veut retrouver le portrait d’elle que le vieil homme sculptait dans la roche à chacun de ses voyages sur l’île. Une forme d’hommage au disparu mais aussi un nouveau départ pour une jeune femme seule et sans ambition particulière, une jeune femme « pas très en accord avec le fait d’exister ». Sur place, elle croise une « faune » étrange et un environnement minéral dans lequel elle va peu à peu se fondre avec l’ambition de devenir, à terme, un caillou.

Un roman qui, à bien des égards, m’a rappelé « La dictature des ronces », lu tout récemment. Même personnage enfoncé dans la solitude et mal dans sa peau, même départ vers une île où les autochtones sont de sacrés numéros, même attachement soudain à un décor qui les fascine et les « enracine », même fausse légèreté de ton où l’humour de façade cache des réflexions bien plus profondes qu’il n’y paraît, même écriture nerveuse où le sens de la formule est un régal. Il y a peut-être là une nouvelle génération de jeunes auteurs français modernes et décomplexés, enfin prêts à botter les fesses de cette autofiction que j’exècre.

Un texte qui se lit tout seul et avec plaisir, bourré d’audace et de lâcher prise, sans la moindre trace de timidité. Une liberté de ton et une originalité qui font mouche, incontestablement.

Le caillou de Sigolène Vinson. Le Tripode, 2015. 200 pages. 17,00 euros.


Une lecture commune partagée en nombre aujourd’hui avec Aifelle, Evalire, Noukette, Philisine, Une Comète et Zazy.






mercredi 6 mai 2015

Nora - Léa Mazé

On est-où avant d’être né ? Et pourquoi Mme Jeanne n’a jamais eu d’amoureux ? Maman m’a dit que tout le monde avait un amoureux ou une amoureuse quelque part et qu’un jour on le trouve. Si Mme Jeanne a toujours été seule, est-ce que c’est parce que son amoureux a oublié de naître ?

Été 1975. Nora est confiée à son oncle agriculteur pendant que ses parents préparent leur déménagement.  La petite fille, un peu sauvage, s’occupe comme elle peut et trouve refuge dans le tronc d’un arbre gigantesque. En escaladant les branches elle aperçoit la voisine, seule dans sa cour. Son oncle lui apprend que Mme Jeanne, 82 ans, est la vieille fille du coin. Pour Nora, il est temps de trouver à cette pauvre femme l’amoureux qui lui est forcément destiné…

La vie, l’amour, la mort, la sexualité, la solitude, tous ces thèmes sont abordés dans cet album. J’ai aimé que « Nora » soit un roman graphique intimiste qui sorte les jeunes lecteurs de leur zone de confort habituelle. J’ai aimé le fait que Léa Mazé installe son récit dans une certaine lenteur, qu’elle prenne le temps de dérouler des séquences muettes invitant à la méditation. J’ai aimé les réactions de l’oncle désarçonné par des questions existentielles auxquelles il n’est pas simple de répondre. J’ai aimé le point de vue à hauteur d’enfant, la naïveté et la logique du raisonnement de la fillette. J’ai aimé le dessin parfois proche du crayonné et la douceur du monochrome sépia. J’ai aimé refermer l’album en me disant que rien n’était gravé dans le marbre, qu’il y avait sans doute autant d’interprétations possibles que de lecteurs, que chacun pourrait y trouver son compte en fonction de son propre imaginaire.

En fait, je crois que j’ai tout aimé dans « Nora ».

Nora de Léa Mazé. Éditions de la Gouttière, 2015. 72 pages. 16 euros.

Une lecture commune que je partage avec mes deux complices Noukette et Stephie.

Les avis de Mo’ et Moka.











mardi 5 mai 2015

Le premier mardi c'est permis (36) : Hanayoi - Yuka Murayama

A Tokyo, Asako tient un magasin de kimonos anciens. Des trucs affreusement chers et affreusement fragiles réservés à une clientèle haut de gamme. Asako est mariée à Seiji, et leur ménage est installé dans un quotidien planplan sans relief. Mais le jour où le couple va croiser Chisa et Masataka, les lignes vont bouger : persuadé que sa femme le trompe avec Masataka, Seiji va en faire de même avec Chisa. Commence alors un jeu de dupes et de mensonges où chacun va découvrir des plaisirs charnels jusqu’alors inconnus avec son nouveau partenaire.

Une variation autour de l’adultère qui aurait pu être brûlante mais qui s’avère au final bien trop sage. L’insatisfaction pousse chacun dans les bras d’un autre, rien de nouveau sous le soleil. La relation entre Seiji et Chisa, basée sur un équilibre entre domination et humiliation, offre quelques scènes qui auraient méritées d’être bien plus pimentées. Quant aux ébats d’Asako et Masataka, on reste dans du très classique. J’ai l’impression que l’auteure n’est pas parvenue à se lâcher totalement, qu’elle a écrit les scènes coquines avec le frein à main, et c’est bien dommage. Pour le reste, j’ai appris plein de choses sur les kimonos mais là encore, la déception domine : tenue sexy et suggestive s’il en est (enfin selon moi), ce vêtement affriolant à la douceur de la soie n’apparaît jamais « au cœur de l’action », comme s’il était trop sacré pour être souillé par des parties de jambes en l’air.

Cerise sur le gâteau, non seulement le ton devient moralisateur sur la fin (l’adultère, c’est mal !) mais j’ai en plus eu le sentiment que le roman n’était pas terminé, qu’il manquait des pages et qu’on me laissait en plan sans clore l’histoire de manière nette et précise.

Bref, une mauvaise pioche. Bien la peine de m’allécher avec un sous-titre aussi prometteur (La chambre des kimonos), je déteste quand il y a tromperie sur la marchandise !

Hanayoi : la chambre des kimonos de Yuka Murayama. Presses de la cité, 2015. 380 pages. 21,50 euros.











lundi 4 mai 2015

Comment ma femme m’a rendu fou - Dimitri Verhulst

A 74 ans, Désiré en a ras le bol de sa femme, insupportable mégère qui lui mène une vie infernale. Pour fuir cette épouse détestée, il simule une sénilité galopante et est placé en maison de retraite. L’occasion pour lui de retrouver un semblant de liberté et d’étudier les comportements parfois très étranges des autres pensionnaires.

J’avais adoré « La merditude des choses » et je me réjouissais de retrouver cet auteur belge à la plume au vitriol. Mais j’avoue que je n’ai pas tout compris et je n’ai pas saisi la démarche. Quel est l’intérêt finalement ? Une critique du mariage ? De la façon dont on traite nos vieux ? C’est une comédie ? Le but est de faire rire ? Je n’ai pris aucun plaisir à la lecture en tout cas. Le Désiré, s’il voulait fuir sa harpie, il n’aurait pas pu simplement faire ses valises et aller voir ailleurs plutôt que de s’obliger à chier dans son lit toutes les nuits afin de confirmer à tout le monde qu’il est bien un irrécupérable gâteux ? Franchement c’est une drôle de façon de finir sa vie, dans un carcan selon moi bien plus insupportable que s’il avait juste quitté sa femme. Clairement je n’ai pas tout compris !

Après, la description des mouroirs où le 4ème âge est « parqué » en attendant de faire le grand saut est plutôt bien vue. Le personnel qui se contente du strict minimum, les familles aux abonnés absents dont les visites ne cessent de s’espacer plus le temps passe, les jeux infantilisant pour occuper des après-midi sans fin… tout y est, et j’ai malheureusement trop fréquenté ce type d’établissement ces dernières années pour savoir que le portrait sonne juste. J’ai aussi par moments (trop rares) retrouvé le sens de la formule de Verhulst qui m’avait tant plu dans son premier roman. Pas suffisant cela dit pour apprécier ce texte manquant singulièrement de profondeur et dont je sais déjà qu’il ne me restera rien d’ici peu.

Comment ma femme m’a rendu fou de Dimitri Verhulst. Denoël, 2015. 142 pages. 14,90 euros.

Une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.









samedi 2 mai 2015

Quand Galéa me met sur le grill...



Petit jeu de questions/réponses avec Galèa. Je me livre sans révélation fracassante mais sans langue de bois à propos des livres, des blogs et un peu de moi.


http://souslesgalets.blogspot.fr/2015/05/les-blogueurs-parlent-aux-blogueurs-1.html?m=1

mercredi 29 avril 2015

Un homme de joie T1 - David François et Régis Hautière

1932. Sacha a quitté l'Ukraine pour ne pas crever de faim. Il débarque à New York chez un cousin éloigné et se rend compte d'emblée que Big Apple n'est pas la terre promise. Le cousin ne pouvant le loger, il trouve refuge dans une chambre de bonne et doit, en plus de s'acquitter du loyer, sortir les chiens de la proprio récemment décédée. Constatant la difficulté à trouver un emploi sur des chantiers où la main d'oeuvre est bien plus nombreuse que les postes à pourvoir, Sacha est aidé par un mafieux italien à qui il a sauvé la mise un soir, dans une ruelle sombre. Son nouvel « ami », en plus de le faire embaucher comme manœuvre à la construction de buildings, va l'entraîner dans des combines à priori sans danger. A priori seulement...

Un vrai bonheur de retrouver le duo Hautière / François après l'excellentissime « De briques et de sang » ! Sacha est un personnage comme Hautière les aime : un peu gentil, un peu naïf, un peu rêveur, sans ambition démesurée. Un personnage qui se laisse porter par les événements, qui accepte tout ce qu'on lui propose sans calcul ni arrière pensée. Un personnage qui va tomber amoureux, sans doute pour le pire. Typiquement un personnage Hautièrien quoi !

J'adore l'univers graphique de David François, dessinateur bien trop rare et coloriste de talent. Ici ses vues panoramiques de New-York, au pinceau et sans encrage, sont à tomber par terre. Il a su aussi donner à ses personnages des trognes inimitables, loin des canons de beauté que l'on croise habituellement.

Bon, je ne vous cacherais pas mon inquiétude pour Sacha. La dernière phrase de la citation d'Olivier Supiot en introduction « Cette ville est une dévoreuse d'âme » n'est à mon avis pas là par hasard et il ne m'étonnerait pas que le si attachant ukrainien suive une trajectoire similaire à celle d'Abélard. Je peux me tromper (je souhaite me tromper!) mais je ne suis guère optimiste.

Un superbe album en tout cas, de ceux qui vous font regretter de ne pas avoir immédiatement la suite sous la main. La suite et la fin d'ailleurs, puisqu' « Un homme de joie » sera un diptyque.

Un homme de joie T1 de David François et Régis Hautière. Casterman, 2015. 54 pages. 13,95 euros.

Et une lecture commune de plus que je partage avec Mo' et Noukette.

L'avis de Moka




mardi 28 avril 2015

A ma source gardée - Madeline Roth

« On est le 18 août, j’aime un garçon qui en aime un autre, j’attends un enfant de lui, et j’ai mis le premier pull que j’ai trouvé dans l’armoire, alors qu’il doit faire vingt-six degrés, parce que cette nuit, en une seconde, j’ai eu peur de continuer la vie, comme ça. »

Voila, tout est dit. Je spoile à mort mais tant pis, l’intérêt du roman n’est pas selon moi dans l’histoire mais dans son traitement. Jeanne passe toutes ses vacances chez sa grand-mère.  Elle y retrouve Julie, Chloé, Baptiste, Tom et Lucas. « Pas une histoire d’amour. Une histoire d’amitié. Sévère. Inséparables, forcément. Bancals, des failles, des fous rires, des zones d’ombres, des mensonges sans doute, des nuits blanches, des mains, sans cesse dans d’autres mains. » De Lucas, Jeanne est follement amoureuse. Elle va se donner à lui comme elle ne s’est jamais donnée auparavant : « Dès que l’on se retrouvait seuls, Lucas prenait ma main, et puis ma bouche, et puis moi, tout entière. Et c’était la plus belle chose qui m’était jamais arrivé dans ma vie. » Sauf que Lucas n’est pas vraiment celui qu’elle croit et que l’amour absolu qu’elle lui porte n’est, malgré les apparences, pas réciproque.

Je disais que l’histoire comptait moins que son traitement et c’est réellement le sentiment que j’ai eu en refermant ce court roman. Parce que Madeline Roth dit la douleur affective, le chagrin qui vous laboure les entrailles, le vertige de la perte comme rarement je l’ai lu dans un texte pour ados. Le monologue de Jeanne est aussi puissant que lucide, aussi sincère que touchant. Lucas est en elle, partout, tout le temps, cicatrice béante marquant ses chairs au fer rouge, tatouage qui électrise chaque grain de peau et n’a rien d’éphémère. C’est la confession d’un déchirement, avec une fenêtre ouverte sur une possible reconstruction. Mais la trace restera indélébile, quel que soit l’avenir. Magistral.

A ma source gardée de Madeline Roth. Thierry Magnier, 2015. 60 pages. 7,20 euros.

Un titre ramené du dernier salon du livre. J’y étais, évidemment, avec Noukette, nous ne pouvions, évidemment, que le lire ensemble.


L’avis de Moka