mardi 19 août 2014

Le faire ou mourir - Claire-Lise Marguier

Le jour où Dam, seize ans, se fait malmener par une bande de skateurs, Samy s’interpose et lui sauve la mise. Une première rencontre qui va bouleverser son existence. Avec Samy et ses ami(e)s gothiques, Dam trouve enfin un environnement chaleureux et fraternel  lui permettant de mieux vivre son mal-être permanent. Surtout, il va développer pour son sauveur une forme d’affection qu’il ne pouvait soupçonner et à laquelle il est incapable de résister, au grand dam de ses parents.

Un roman coup de poing, une claque, un énorme coup de cœur… tous les avis glanés ici où là sont dithyrambiques, du coup je suis un peu gêné d’écrire que ce texte m’a davantage agacé que touché. Clairement, pour moi, ça manque de finesse. A vouloir trop secouer le lecteur, la narration perd de son impact. Les personnages de Dam et Sammy sont bien campés, c’est un fait, et l’évolution de leur relation est parfaitement menée, comme la description du terrible mal-être de Dam. Mais comme l’a écrit Anne dans son billet, ce roman pêche souvent par excès. Excès de pathos, d’effets tire-larmes (le mot « larmes » doit d’ailleurs être présent une bonne cinquantaine de fois en cent pages) et de personnages secondaires caricaturaux (les skateurs forcément beaux gosses, friqués et branleurs, les parents incapables de comprendre l’hypersensibilité et la douleur de leur fils avec, cerise sur le gâteau, un père plus beauf que beauf, etc.).

Une grosse originalité quand même, il y a deux fins différentes, ce que je n’avais pas compris au départ (je pensais que la première était juste un rêve, un fantasme). Quoi qu’il en soit je n’ai été convaincu par aucune des deux. Je ne peux pas la spolier, cette première fin, mais je l’ai trouvée ridicule, pas crédible pour deux ronds, notamment par rapport à la description des faits et aux échanges avec la police. Bref… La seconde, dégoulinante de guimauve, offre une conclusion où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et compréhensif après avoir été ignoble dans les pages précédentes. Bref...

Clairement, je suis passé à coté. Ça fait trois fois en trois jours (après Benameur et Kerangal) et avec trois ouvrages coup de cœur pour une très grande majorité de lecteurs. C’est quoi mon problème en ce moment ?

Le faire ou mourir de Claire-Lise Marguier. Rouergue, 2011. 102 pages. 9,70 euros. A partir de 14 ans.

Un roman jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.

Les avis de Anne, Bouma, Cajou, Clara, In Cold Blog, Krol, Paikane, SaraStephie, Theoma  


lundi 18 août 2014

Réparer les vivants de Maylys - Kerangal

L'accident a eu lieu au petit matin, sur une route du pays de Caux. Les gamins revenaient d'une séance de surf en plein hiver. Chris a perdu le contrôle du véhicule. Sur les trois passagers, Simon était le seul à ne pas avoir sa ceinture. Coma irréversible, mort cérébrale. Le drame va se dérouler en vingt-quatre heures et en trois actes : d'abord prévenir les parents, leur annoncer la nouvelle et les accompagner face à l'horreur de la situation. Puis leur faire comprendre que si leur fils a perdu la vie, son cœur palpite encore. L'infirmier de réanimation demande à ce couple fou de douleur s'il accepte que l'on prélève les organes de Simon. Avec tact, sans jamais leur forcer la main et en leur laissant le temps de réflexion nécessaire. Enfin, après avoir obtenu le consentement parental, mettre en branle la procédure ultra codifiée permettant les prélèvements. Une course contre la montre où chaque acteur du théâtre médical doit connaître son rôle sur le bout des doigts.

Ce roman abordant la question du don d'organe est fascinant à bien des égards. Maylis de Kerangal propose une réflexion profonde sur le sens que l'on peut donner à la mort. Et le lecteur de s'interroger à son tour, d'imaginer quelle serait sa réaction dans une situation semblable. Comment par exemple accepte-t-on, en tant que parent venant de perdre son enfant, de voir son corps « profané » pour prolonger la vie d'une autre personne ?

Le fond interpelle, bouscule, transcende l'atrocité pour faire jaillir l'espérance. Mais la forme est pour moi plus problématique. L'écriture est ample, sèche, précise, très descriptive, froide. Elle ne laisse à aucun moment l'émotion déborder sur l'aspect purement chirurgical. Je peux comprendre ce choix narratif et constater son efficacité mais il m'a laissé à distance. Finalement, j'ai trouvé ce roman trop écrit, manquant d'une certaine forme de spontanéité.

Une belle découverte néanmoins et je ne regrette pas une seconde de m'être lancé dans ce texte qui ne pourra laisser personne indifférent.

Réparer les vivants de Maylys de Kerangal. Verticales, 2014. 280 pages. 18,90 euros.

Ce billet n'est pas tout à fait un billet comme les autres puisqu'il est le millième publié depuis la naissance de ce blog. Et, cerise sur le gâteau, j'ai le plaisir de partager cette lecture avec Moka, Noukette et Stephie, trois blogueuses qui sont sans conteste les plus belles rencontres virtuelles ET réelles que je dois à la blogosphère.

Les avis de ClaraFransoazGambadouKathelLaurieLeiloona,LilibaMangoManuMirontaineNadaelPhilisineSylireTitineValérie



dimanche 17 août 2014

Profanes - Jeanne Benameur

Octave Lassalle a 90 ans et il refuse de laisser la vieillesse prendre le dessus : « je m’embarque pour la partie de ma vie la plus précieuse, celle où chaque instant compte, vraiment ». Cet ancien chirurgien porte en lui un terrible drame, la mort accidentelle de sa fille dont il ne s’est jamais remis. Sa femme l’avait quitté peu après et depuis il est resté seul.

Octave vit retiré dans sa grande maison avec sa gouvernante, madame Lemaire. Avant qu’il ne soit trop tard, il décide de rompre sa solitude en recrutant quatre personnes qui se relayeront auprès de lui chaque jour. Marc, le jardinier, viendra le matin. Hélène, la peintre, lui succédera puis se sera au tour de Yolande tandis que la jeune Béatrice passera ses nuits dans la maison. Ces quatre-là ne se connaissent pas, ils ne sont pas des gardes-malades, ils sont là pour entourer et enrichir les dernières années du vieil homme. Ces quatre-là sont des âmes cabossées en quête de sens et de rédemption. Leurs histoires personnelles vont les lier peu à peu, profondément, intimement. Et le projet d’Octave va l’emmener bien plus loin qu’il ne l’avait imaginé…

On m’avait prévenu que ce roman de Jeanne Benameur risquait de me laisser sur le bord du chemin et malheureusement ça a été le cas. C’est pourtant un texte plein de vie et de poésie, un texte lumineux où la petite musique si subtile de l’auteure des « Demeurées » résonne avec toujours autant de force. Mais j’y ai trouvé trop de bienveillance, trop d’optimisme. L’alchimie qui fonctionne entre les personnages est, selon moi, trop parfaite pour être crédible. Sans doute est-ce dû à mon indéfectible pessimisme envers la nature humaine. Pour tout vous dire, retrouver de l’espoir dans la compagnie des hommes alors que l’on est au fond du trou n’est pas une éventualité à laquelle je pourrais m’accrocher personnellement, du coup je suis resté insensible au message positif distillé par ce très joli texte. Je n’ai développé aucune empathie pour les protagonistes et je suis resté en dehors de l’histoire, regardant l’enchaînement des événements de loin, de très loin même.

Dommage, mais on m’avait prévenu…

Profanes de Jeanne Benameur. Actes Sud (Babel), 2014. 273 pages. 7,80 euros.

Bon, il y a des milliards d’avis positifs sur ce roman, j’ai retrouvé ceux de AlexCanel, ClaraCristina, Evalire, Jostein, Krol, Laurie, Mango, Midola, Mirontaine, Nadael, Noukette, Stephie, Sylire, Un autre endroit, Valérie, Zazy



Et une nouvelle participation au challenge de Noukette

vendredi 15 août 2014

Quand mes nouvelles coquines sont publiées dans un recueil XXL…

L’association Ciels en Picardie, éditrice de la revue « Les années » à laquelle je participe régulièrement, profite de l’été pour lancer une collection de recueils de nouvelles. « L’été 14 » aura en tout six numéros et devinez quoi, le dernier regroupera mes nouvelles coquines rédigées pour le rendez-vous de Stephie. Pour l’occasion, j’ai écrit un troisième texte totalement inédit, « Le plus petit abîme ».


Les recueils sont au format pdf, totalement gratuits bien sûr, et fournis sur demande. Le mien, intitulé « XXL » vient d’être corrigé et mis en page alors si vous souhaitez le recevoir il suffit de me le demander à cette adresse : dunebergealautre@gmail.com


Lectures et pal de vacances

Alors voila. Je suis parti en vacances il y a trois semaines avec six romans dans ma valise.


Bilan, au retour, j'ai lu ça :


Trois des six romans + Profanes, Soie et Épisodes de la vie des mantes religieuses achetés sur place et Maine que ma femme avait emmené pour elle et que je n'ai pas pu m'empêcher de lire. Des titres auxquels il faut ajouter un manga, un comics et trois ouvrages lus avec mes pépettes : un roman jeunesse pour pépette n°1, une BD pour pépette n°2 et un album trop mignon pour la petite dernière.

Et comme en chemin j'ai croisé nombre de librairies toutes plus belles et plus attirantes les unes que les autres, ma pal a pris un peu de poids :



Bref, des vacances livresques riches et variées comme j'aime. Il est temps maintenant de me plonger à corps perdu dans la rentrée littéraire (et accessoirement de reprendre le boulot, mais ça c'est un détail...).





jeudi 14 août 2014

Chasse au trésor - Molly Keane

Les Ryall ne s'attendaient pas à ça ! Le jour des funérailles de Sir Roderick, le patriarche, ils apprennent de la bouche de leur notaire que le défunt les laisse au bord de la ruine. Seule solution pour sauver le domaine familial de Ballyroden, transformer le château en maison d'hôtes. Philip, le fils de Roderick, aidé de sa cousine Veronica, va tenter de faire comprendre à son oncle Hercules et sa tante Consuelo que le temps du champagne à gogo, des journées aux courses et des séjours à Monaco est révolu. Un message difficile à faire passer tant ses aînés ont depuis toujours l'habitude de vivre dans le faste et de dépenser sans compter. Et le jour où les premiers hôtes débarquent d'Angleterre, les choses se compliquent davantage encore pour le pauvre héritier !

Un texte plein de mordant où la haute bourgeoisie irlandaise aux traditions séculaires en prend pour son grade. Un roman finalement très proche d'une pièce de théâtre. Le rideau se lève et les scènes d'anthologie s’enchaînent : personnages excentriques (mention spéciale pour la vieille tante Anna Rose et pour le trio de domestiques pas piqués des hannetons ), description piquante du dandy Hercules et de sa sœur Consuleo, dialogues savoureux, situations improbables proches du vaudeville, tout y est. Bon c'est loufoque, il ne faut pas être imperméable à l'humour « so british », mais personnellement c'est une forme de burlesque que j'aime retrouver de temps en temps au fil de mes lectures.

Bref , mordante, drôle, légère et improbable, cette Chasse au trésor se déguste comme un bon verre de cherry accompagné de quelques biscuits. Sans prétention mais drôlement bien troussée.

Chasse au trésor de Molly Keane. Quai Volatire, 2014. 270 pages. 20,00 euros.

Les avis de Clara et Valérie



mercredi 6 août 2014

La clinique de l'amnésie - James Scudamore

Quito, 1995. Anti, arrivé d'Angleterre depuis deux ans pour suivre ses parents journalistes, est scolarisé au lycée international. Il y a rencontré Fabian, un équatorien vivant chez son oncle Suarez. Les deux adolescents sont devenus les meilleurs amis du monde, même si Fabian a parfois un comportement étrange. Depuis que le véhicule de ses parents est tombé dans un précipice des années plus tôt, faisant de lui un orphelin, son humeur est souvent cyclothymique. Surtout, le corps de sa mère n'ayant jamais été retrouvé, il veut se persuader qu'elle est toujours en vie. Inspiré par les talents de conteur hors pair de son oncle, il invente des histoires extravagantes, notamment pour expliquer les causes de l'accident. Pour tenter de consoler son ami, Anti va à son tour imaginer un scénario improbable et l'embarquer dans un voyage chimérique à travers l'Équateur.

Un  agréable premier roman où l'imagination est au pouvoir. C'est aussi l'occasion de découvrir un  pays aux multiples facettes. Pour autant, James Scudamore ne donne pas dans le folklore. Son récit est très construit, avec ce qu'il faut d'intensité dramatique pour qu'on le dévore d'une traite. La galerie de personnages est riche et chacun apporte un soupçon de complexité à l'ensemble. Les dialogues sonnent juste, l'écriture est simple mais les descriptions, précisent et imagées, offrent un vrai dépaysement.

Bref, ce texte couronné en 2007 par le prestigieux Somerset Maugham Award m'a permis de découvrir une nouvelle et talentueuse voix de la littérature britannique. Une lecture de vacances idéale, je ne suis pas certain que je l'aurais autant apprécié dans la grisaille de la rentrée.

La clinique de l'amnésie de James Scudamore. Stock, 2014. 300 pages. 20,00 euros.

L'avis de Clara



samedi 2 août 2014

Épisodes de la vie des mantes religieuses - Louis Calaferte-

Calaferte est un génie. De ceux qu'un lecteur croise rarement dans une vie. Il a écrit "Septentrion", un chef d'oeuvre dont je serais bien incapable de parler un jour tant il est trop grand pour moi. Parmi les autres titres de son immense bibliographie, je vous recommande aussi "La mécanique des femmes", "Rosa Candida" ou encore le fabuleux "Requiem des innocents", mais il y en a bien d'autres.

Dans les "Épisodes de la vie des mantes religieuses", il parle une fois de plus des nombreuses femmes de sa vie. Une géographie amoureuse complexe, particulièrement sexuelle, souvent dérangeante. Il y décrit notamment sa relation avec D., celle qu'il aime et qui chaque soir se transforme en mante religieuse : "Végétale, armée de tiges carnivores surmontées d'une infinité de petits dards aux aiguilles rétractiles, chaque nuit elle dort auprès de moi, me dévore doucement pendant mon sommeil."

Mais il y a aussi toutes les autres, femmes d'un soir ou putains aux seins flasques : "Je les voudrais prostituées à moi. Dans des rues étroites, puantes. Dans des escaliers d'hôtels borgnes. Pour des accouplements qui seraient des sacrifices. Les jeter ensuite dans les cuvettes des bidets. Je m'assiérais au bord pour les regarder se débattre, déchets animés, dans le tourbillon de l'eau siphonnée. Femmes froissées, femmes-miettes. La peau de leur sexe flottant à la surface."

Chez Calaferte, la chair est triste. "Images lubriques. Fange du sexe. [...] Forcer l'impossible. Être Dieu. S'anéantir dans la débauche, jusqu'au crime. Exacerbation du sexe. Désir d'échapper à la ruine intérieure." Il y a bien quelques moments d'apaisement ("T'envelopper dans mes bras, t'étreindre, te blottir contre moi, couvrir de baisers ton visage, tes cheveux, t'étouffer de tendresse") mais le désespoir lucide reprend vite la main : "Je me hisse sur sa froideur cadavérique. Ses lèvres pâles grimaçent. En vain nous nous essoufflons, l'un à l'autre impénétrables. Une nuit nous sépare."

Ce texte n'est pas un roman. C'est une succession d'aphorismes, de souvenirs épars, de bribes de poèmes en prose. C'est doux et violent, insignifiant et profond. Le rythme de chaque phrase oscille entre calme et fureur avec une force incomparable. Dans la préface, Marcela Iacub qualifie ces épisodes de hold-up, de coup de poing, de viol, de massacre. C'est un livre qui "nous secoue, nous torture, nous humilie. Nous pénètre, nous envahit, nous contamine, nous vampirise, nous corrompt." Et je dois dire qu'elle n'a pas tout à fait tort...

Calaferte est mon écrivain français préféré. Un génie. Un monstre. Son écriture me foudroie, il a par moments des fulgurances qui me laisse abasourdi :

"Nuit.
Retraite.
Elle ouvre et referme sans bruit la porte.
Certitude d'une présence. Son pas volontairement léger. Elle traverse la grande pièce.
Je fais semblant de dormir.
Elle entre dans la chambre, pose son sac à main sur le fauteuil. Je sais qu'elle me regarde. Son parfum.
Bruit de la laine, de la fermeture éclair du pantalon. Mouvement autour de moi.
Déclic de l'agrafe du soutien-gorge. Les couvertures, les draps soulevés.
Poids dans le lit.
Cette fraîcheur, cette souplesse prenante qui s'ajuste à moi.
La langue passe sur mes lèvres. Caresse de la main. Je frissonne malgré moi.
Elle chuchote quelque chose que je ne comprends pas.
La langue entre dans ma bouche, y reste droite. Immobile. La main me prend, fourreau coulissant.
Je me retourne.
Elle me recouvre de son corps."


Épisodes de la vie des mantes religieuses de Louis Calaferte. Denoël, 2014.186 pages. 11,90 euros.




mardi 29 juillet 2014

Eleanor et Park - Rainbow Rowell

« Pas pour moi je crois. Pas du tout même. » Voila le commentaire que j’avais laissé chez Cajou après avoir découvert son billet enthousiaste à propos de ce livre. De la littérature Young adult pleine d’amour et de bons sentiments entre deux ados, sérieux, faudrait me payer pour lire un truc pareil ! Sauf qu’entre temps Noukette l’a lu et l’a adoré elle aussi. Et qu’on en a parlé ensemble. Erreur fatale ! Parce que la force de persuasion de Noukette, ce n’est pas rien. Et la promesse d’une nouvelle lecture commune avec elle, ce n’est pas rien non plus. Bref, je suis faible. Trop faible. Et je me suis une fois de plus laisser embarquer. Bon, faut dire aussi que j’aime bien de temps en temps explorer des territoires très, très éloignés de ma zone de confort. Par pure curiosité. Et aussi parce que je suis rarement déçu en suivant les yeux fermés des prescriptrices convaincantes…

Park a croisé pour la première fois Elelanor dans le bus scolaire. Il l’a trouvée « grosse et gauche. Avec des cheveux hallucinants, rouges et bouclés. Et elle était habillée comme… comme si elle voulait qu’on la remarque ». Elle lui a fait penser à un épouvantail. Quand elle s’est assise à coté de lui, il l’a ignorée, ni plus ni moins. Peu à peu pourtant il a fini par se rapprocher d’elle, il a partagé avec elle sa passion de la musique et des comics et il est tombé follement amoureux. Il a également découvert qu’Eleanor n’avait pas une existence facile, avec sa mère sans travail, son beau-père alcoolique et violent et ses quatre frères et sœurs. Harcelée par des camarades de lycée, tentant de surnager dans un quotidien infernal, c’est une jeune fille en souffrance. Park va devenir le phare qui illumine son quotidien, celui grâce auquel  la vie vaut la peine d’être vécue.

J’étais sceptique, j’avoue. Et pas qu’un peu. Peur que tout cela dégouline de guimauve fondante, peur d’un récit pour midinettes sentant l’eau de rose à plein nez. Peur d’avoir à m’enfoncer deux doigts dans la gorge pour faire passer la nausée qui ne manquerait pas de m’envahir. Et finalement mes préjugés ont volé en éclat au fur et à mesure de la lecture. Parce que tout cela n’est pas du tout cucul. Bon, je trouve la barque d’Eleanor chargée, l’accumulation de ses malheurs m’a semblé un peu trop tire-larmes pour être honnête. Mais c’est un détail. Parce que l’amour naissant entre ces deux lycéens atypiques est rudement bien amené, tout en finesse.  Et puis j’ai adoré Park, un garçon intelligent, sensible, sentimental en diable, assumant sans honte son amour fou et tellement, tellement touchant. Pour lui, Eleanor n’est pas charmante. Elle n’est pas jolie non plus : « Elle ressemblait à une œuvre d’art. L’art n’a rien à voir avec le beau, il existait pour faire ressentir les choses. » Lucide, entier et sincère, c’est ce que j’aime.

Cette histoire n’est pas un conte de fée, c’est l’amour vrai, douloureux, tout sauf un long fleuve tranquille. Bon, évidemment, j’ai pas pleuré, faut pas pousser. Je ne ferai pas non plus de ce roman un coup de cœur mais je serais d’une totale mauvaise foi si je ne reconnaissais pas avoir pris énormément de plaisir à passer quelques heures avec ces deux gamins attachants. Quand je dévore 400 pages en trois jours alors que j’ai bien d’autres choses à faire, quand je suis impatient de retrouver des personnages dont l’histoire me touche et que je me rends compte en refermant le livre qu’ils vont me manquer, c’est un signe qui ne trompe pas. Comme quoi :
1) il est drôlement bon, de temps en temps, de sortir de sa zone de confort
2) il faut toujours écouter les conseils avisés de ceux et celles qui vous veulent du bien

Eleanor et Park de Rainbow Rowell. Pocket Jeunesse, 2014. 378 pages. 16,90 euros. A partir de 13-14 ans.

Une lecture commune qe je partage évidemment avec Noukette

Les avis de Cajou et Cécile




vendredi 25 juillet 2014

Le messager - Charles Stevenson Wright

Je n’avais jamais entendu parler de ce livre. Encore moins de cet auteur. C’est Noukette qui me l’a fait découvrir. Pas parce qu’elle l’a lu (et je doute d’ailleurs qu’elle le lise un jour) mais parce que sa libraire lui en a parlé et qu’elle a tout de suite pensé que ça allait me plaire. Elle a bien fait.

Charles Stevenson Wright (1932-2008) est l’auteur d’une trilogie dédiée à New York dont « Le messager », publié en 1963, constitue le premier volume. Un recueil de textes courts, à l’évidence très autobiographiques, où l’on navigue avec le narrateur dans les rues de Big Apple. Un narrateur dont le boulot de coursier lui rapporte moins de dix dollars par jour et qui habite, seul, dans un immeuble décati du nord de Manhattan. Un narrateur vivant parmi les arnaqueurs, les prostitués, les drogués et les travelos. Un narrateur métis au corps splendide et au cul superbe qui n’hésite pas à tapiner dans les bars pour améliorer l’ordinaire, se vendant au plus offrant, homme ou femme, blanc ou noir.

Ça parait glauque dit comme ça mais ça ne l’est pas du tout. Il y a au contraire beaucoup de lumière, une analyse lucide des rapports humains et une savoureuse galerie de personnages à la marge. Attention, ce n’est pas drôle pour autant, loin de là. Mais si je devais comparer « Le messager » avec d’autres romans ayant décrit l’underground New Yorkais, je dirais qu’il se dégage de celui-ci davantage de mesure que chez Selby par exemple (exemple extrême, je vous le concède, tant la vision de Selby est apocalyptique). Ce que je veux dire, c’est que l’écriture est ici plus léchée, tout en retenue. J’ai lu des dizaines de bouquins de ce genre à l'époque où je m'injectait chaque jour de la littérature américaine en intraveineuse (c'était bien avant le blog...) et j’ai retrouvé chez Wright la gouaille d’un Icerberg Slim, l’argot et la vulgarité en moins. J’ai retrouvé aussi la fougue et l’insouciance du cultissime « Basket Ball Diaries » de Jim Carroll. Je pourrais aussi citer Bruce Benderson, Jerome Charyn, Chester Himes ou Richard Price. Bref, je suis en terrain connu et j’adore ça.

C’est un régal si on aime le genre. Des découvertes comme celle-là, je veux bien en faire tous les jours. Pour conclure et vous donner le ton de l’ensemble, je vous offre deux extraits abordant des thématiques centrales du recueil, la solitude et la condition de métis dans l’Amérique des années 60 :

« Au petit matin, accablé d’un morne désespoir, concentré sur moi-même, je parcours les rues. Les bars sont en train de fermer et une magie terrible, indéfinissable, se mêle à l’air frais. A New York, l’aube du dimanche possède cette qualité calme et subtile. Les solitaires, partout dans le monde, connaissent ce moment particulier de la matinée. Pas lents et mal assurés, votre image déformée dans les devantures qui ne sont plus éclairées. Regards en coulisse, coups d’œil envieux, honteux, lancés aux couples que l’on croise. Vous reconnaissez les solitaires, vos frères. Ils prennent une direction et vous une autre. […]
Vous vous avouez vaincu, petit Waterloo personnel, vous montez les marches d’un pas lourd. Vous tournez la clé dans la serrure. Vous allumez l’électricité. Vous vous déshabillez. Vous arpentez le plancher et, finalement, vous essayez de dormir, sans que rien ne vienne vous réconforter, sinon la promesse d’un autre lever de soleil. »

« Etre né noir. Pas de ce noir absolu qu’on qualifie d’absence de couleur, pas brillant, pas monstrueux. Mais noir. Ou plutôt d’un élégant café au lait. Moitié moitié. Noir. Ma famille est à peu près également divisée entre les nuances claires et les nuances foncées. Je suis bronzé, d’un brun jaune, comme si on m’avait exposé au soleil au moment où je sortais du ventre de ma mère. Beige. Je suis un homme de couleur. La Ronde a commencé dès que mes ancêtres ont débarqué d’Afrique. Je maudis le jour de leur luxure. Je leur souhaite de nombreuses saisons dans un enfer syphilitique. […]
Ils ont fait de moi un marginal. Une minorité à l’intérieur d’une minorité. »


Le messager de Charles Stevenson Wright. Tripode, 2014. 200 pages. 17,00 euros.