La famille Bandini va mal. Il
faut dire qu’être maçon en plein hiver dans le Colorado n’est pas la meilleure
façon de faire rentrer un salaire régulier à la maison. Svevo, le paternel, compte
sur l’arrivée prochaine du printemps pour se remettre à l’ouvrage. En attendant
il perd le peu d’argent du foyer au poker. Joueur et coureur, ce Svevo est un fieffé
salopard qui mène la vie dure aux siens. La mère, Maria, voit son ardoise chez
l’épicier augmenter de jour en jour : « Bon Dieu, […] va falloir
songer à me rembourser c’crédit Mme Bandini ! Ça peut plus durer. Vous m’avez
pas donné un seul centime depuis le mois de septembre. » Une mère bigote, toujours le rosaire à la
main, victime des frasques de son incontrôlable mari et qui ne lui pardonnera
pas de disparaître du jour au lendemain pour, croit-elle, se jeter dans les
bras d’une richissime veuve. Quant aux trois frangins Bandini, s’ils
fréquentent l’école catholique du coin, ce ne sont pas des anges. Arturo, l’aîné,
est un sale gosse qui multiplie les bêtises. En proie aux remords, il passe son
temps à se demander si ses péchés sont véniels ou mortels. Heureusement, un
tour au confessionnal et une absolution rapide effacent ses tourments : « Ils
étaient potes, Dieu et lui ; Dieu était un sacré chic type. » Une
drôle de famille pour laquelle il est bien difficile de ressentir la moindre
empathie.
Chronique en grande partie
autobiographique d’une tribu italo-américaine tirant le diable par la queue au cœur
des années 20, Bandini est un roman plein de verve. Une galerie de personnages principaux
truculents ou détestables et quelques seconds rôles pas piqués des hannetons
pimentent ce récit où se côtoient en
permanence humour et méchanceté.
John Fante est pour moi un mythe.
Il fait partie de ces rares auteurs qui ont façonné ma vie de lecteur. Je l’ai
découvert grâce à Bukowski qui ne cessait de lui rendre hommage. Dans une de
ses nouvelles, parlant de Fante, il écrit : « Les lignes roulaient facilement
sur la page, ça coulait bien. Chaque phrase avait sa propre énergie et elle
était suivie par une autre exactement pareille. La substance même de chaque
ligne donnait sa forme à la page, on avait l’impression de quelque chose de
sculpté dessus. » Après Bandini, j’ai enchaîné avec Demande à la
poussière, un roman dans lequel on retrouve Arturo jeune adulte parti à Los
Angeles pour devenir écrivain. Apprenant que ce texte est fortement inspiré par
La faim de Knut Hamsun, je me suis rué sur les œuvres du prix Nobel norvégien.
Et comme La faim fut, à l’époque de sa publication, préfacé par Octave Mirbeau,
j’ai pu rajouter un grand auteur français à mon panthéon personnel. Bukowski,
Fante, Hamsun et Mirbeau… tout ça pour dire qu’une identité de lecteur se
construit parfois grâce à un effet boule de neige aussi inattendu que savoureux
(surtout à une époque où internet n’existait pas encore…).
Ayant lu Bandini au début des
années 90, je me demandais si j’y trouverais aujourd’hui le même plaisir qu’à l’époque.
Quand on est étudiant en lettres modernes, que l’université restreint vos
lectures aux grands classiques et que vous tombez sur Fante, le choc est énorme. Découvrir la littérature
américaine avec lui, c’est un peu comme quand vos parents vous lâchent la main
à l’entrée du grand bain, ça fait un peu peur mais en même temps c’est tellement
grisant. Vingt ans plus tard, alors que mes lectures « américaines »
se comptent par centaines, l’effet n’est évidemment plus même. Il n’y a plus de
surprise et j’ai trouvé quelques longueurs mais je ressors néanmoins
de ce roman avec la confirmation que Fante restera à jamais un des chouchous de
ma bibliothèque personnelle. Le ton du narrateur, plein de fiel, d’ironie et d’acidité
me convient parfaitement. Et que dire de ces personnages qui s’emportent pour
un rien, sont le plus souvent d’une totale mauvaise foi et voient constamment
midi à leur porte. L’écriture est fluide, proche d’une certaine forme d’oralité
et par moments des passages presque lyriques font prendre de la
hauteur à l’’ensemble. En un mot comme en cent, je suis toujours fan !
Je conçois tout à fait qu’un
roman tel que celui-là puisse secouer furieusement. Personnellement, c’est
une des pièces essentielles de mon parcours de lecteur et je remercie
Syl d’avoir
accepté cette lecture commune suite
au tag qu’elle m’a proposé il y a peu.
Grâce à elle j’ai rajeuni de 20 ans. Et comme en plus
Valérie et
Emmanuelle se joignent à nous pour cette LC,
Bandini est sous le feu des projecteurs aujourd’hui, pour mon plus grand plaisir !
Bandini de John
Fante. 10/18, 2002. 282 pages. 7,10
euros.