« Ils allaient passer leurs derniers jours en tant que mari et femme comme les tout premiers, presque trente ans auparavant, aux chutes du Niagara, comme si, de l’autre coté de la frontière, loin de toute créance domestique qui sapait leur quotidien, ils avaient une chance de se retrouver l’un l’autre. »
Dès le premier paragraphe on sait comment les choses vont se terminer. Rien ne va plus pour Art et Marion Fowler. Depuis qu’il l’a trompée, le lien s’est brisé. Elle s’est vengée avec une collègue de travail mais ça n’a rien arrangé. Puis le départ de leurs deux enfants a créé un grand vide. Sans compter la crise financière qui les a mis au chômage. Avant de divorcer et de déclarer officiellement leur banqueroute, avant de perdre leur maison et ce qu’ils ont accumulé au cours d’une vie de labeur, ils décident de revivre leur lune de miel. C’est Art qui a eu l’idée. Retourner aux chutes du Niagara le temps du week end de la St Valentin pour essayer de sauver leur couple. Elle n’y croit pas une seconde mais elle n’a pas osé dire non...
Ils ont pris le car pour se rendre sur place. Art trimballe leurs dernières économies, quelques milliers de dollars, dans un sac de sport. Il est décidé à tout miser à la roulette, quitte ou double. Il a aussi dans la poche une bague hors de prix qu’il lui offrira quand ils seront au restaurant. « Ils seraient peut-être fauchés lundi matin, en instance de divorce, mais il ne cesserait jamais d’essayer de la rendre heureuse, aussi impossible que cela fût. » Marion passe son temps à bougonner. Elle n’arrête pas de lui envoyer des piques, de minuscules rebuffades qu’il encaisse sans sourciller. Ne supportant plus sa perpétuelle prévenance, elle aimerait qu’il proteste, s’insurge : « Pourquoi cela l’ennuyait-elle à ce point qu’il fasse tout pour lui plaire ? En un sens, il faisait du forcing, une manière sournoise d’imposer les choses. » Le lendemain de leur arrivée, ils font l’amour et elle le regrette aussitôt, ne voulant pas lui donner de faux espoirs...
On se dit que l’on va assister à un naufrage, à l’autopsie d’un couple qui part en lambeaux. On a l’impression d’être chez Carver avec ces petites gens au bord d’un précipice sentimental et financier. On enfile les habits du voyeur, on se glisse dans leur intimité, impatient de les voir sombrer. On se dit aussi que ce couple pourrait être le notre. Par moments on voudrait faire comme Art, on voudrait y croire. Surtout qu’il y a quelques signes allant dans le bon sens. Mais tout reste fragile, ils marchent sur un fil usé jusqu’à la corde. Empêtrés dans leurs habitudes, ils n’ont plus la force de se disputer. Leurs conversations se résument à des formules toutes faites permettant à chacun de rester à distance. Marion est la plus paumée des deux : « Qu’avait-elle fait de sa vie ? L’espace d’un instant, rien ne lui vint. Elle était devenue une femme et une mère. Une amante, brièvement, médiocrement. Elle avait fondé un foyer, travaillé, épargné, voyagé. Tout cela avec lui. Pour lui, grâce à lui, malgré lui. Dès le début, parce qu’elle n’était alors qu’une jeune fille, elle avait cru avoir trouvé l’âme sœur, que cela leur conférait quelque chose de spécial, qu’ils étaient au-dessus des autres couples de leur connaissance. Cela lui avait servi de leçon. Elle jura qu’on ne l’y reprendrait pas, que personne ne lui referait le coup. »
Stewart O’Nan semble prendre un malin plaisir à fracasser le rêve américain, insidieusement, presque en silence. Mais ce n’est pas si simple. La rédemption n’est jamais loin. Et si, après tout...
Un roman que j’ai dévoré en deux jours, fasciné par ce couple à la dérive. La narration est imparable et met à nu les personnalités de chacun. Percutant et sacrément bien ficelé, une découverte et une révélation. Il faut absolument que je trouve les autres titres de cet auteur.
Les joueurs de Stewart O’Nan. L’olivier, 2013. 210 pages. 19,50 euros.
Dès le premier paragraphe on sait comment les choses vont se terminer. Rien ne va plus pour Art et Marion Fowler. Depuis qu’il l’a trompée, le lien s’est brisé. Elle s’est vengée avec une collègue de travail mais ça n’a rien arrangé. Puis le départ de leurs deux enfants a créé un grand vide. Sans compter la crise financière qui les a mis au chômage. Avant de divorcer et de déclarer officiellement leur banqueroute, avant de perdre leur maison et ce qu’ils ont accumulé au cours d’une vie de labeur, ils décident de revivre leur lune de miel. C’est Art qui a eu l’idée. Retourner aux chutes du Niagara le temps du week end de la St Valentin pour essayer de sauver leur couple. Elle n’y croit pas une seconde mais elle n’a pas osé dire non...
Ils ont pris le car pour se rendre sur place. Art trimballe leurs dernières économies, quelques milliers de dollars, dans un sac de sport. Il est décidé à tout miser à la roulette, quitte ou double. Il a aussi dans la poche une bague hors de prix qu’il lui offrira quand ils seront au restaurant. « Ils seraient peut-être fauchés lundi matin, en instance de divorce, mais il ne cesserait jamais d’essayer de la rendre heureuse, aussi impossible que cela fût. » Marion passe son temps à bougonner. Elle n’arrête pas de lui envoyer des piques, de minuscules rebuffades qu’il encaisse sans sourciller. Ne supportant plus sa perpétuelle prévenance, elle aimerait qu’il proteste, s’insurge : « Pourquoi cela l’ennuyait-elle à ce point qu’il fasse tout pour lui plaire ? En un sens, il faisait du forcing, une manière sournoise d’imposer les choses. » Le lendemain de leur arrivée, ils font l’amour et elle le regrette aussitôt, ne voulant pas lui donner de faux espoirs...
On se dit que l’on va assister à un naufrage, à l’autopsie d’un couple qui part en lambeaux. On a l’impression d’être chez Carver avec ces petites gens au bord d’un précipice sentimental et financier. On enfile les habits du voyeur, on se glisse dans leur intimité, impatient de les voir sombrer. On se dit aussi que ce couple pourrait être le notre. Par moments on voudrait faire comme Art, on voudrait y croire. Surtout qu’il y a quelques signes allant dans le bon sens. Mais tout reste fragile, ils marchent sur un fil usé jusqu’à la corde. Empêtrés dans leurs habitudes, ils n’ont plus la force de se disputer. Leurs conversations se résument à des formules toutes faites permettant à chacun de rester à distance. Marion est la plus paumée des deux : « Qu’avait-elle fait de sa vie ? L’espace d’un instant, rien ne lui vint. Elle était devenue une femme et une mère. Une amante, brièvement, médiocrement. Elle avait fondé un foyer, travaillé, épargné, voyagé. Tout cela avec lui. Pour lui, grâce à lui, malgré lui. Dès le début, parce qu’elle n’était alors qu’une jeune fille, elle avait cru avoir trouvé l’âme sœur, que cela leur conférait quelque chose de spécial, qu’ils étaient au-dessus des autres couples de leur connaissance. Cela lui avait servi de leçon. Elle jura qu’on ne l’y reprendrait pas, que personne ne lui referait le coup. »
Stewart O’Nan semble prendre un malin plaisir à fracasser le rêve américain, insidieusement, presque en silence. Mais ce n’est pas si simple. La rédemption n’est jamais loin. Et si, après tout...
Un roman que j’ai dévoré en deux jours, fasciné par ce couple à la dérive. La narration est imparable et met à nu les personnalités de chacun. Percutant et sacrément bien ficelé, une découverte et une révélation. Il faut absolument que je trouve les autres titres de cet auteur.
Les joueurs de Stewart O’Nan. L’olivier, 2013. 210 pages. 19,50 euros.