dimanche 9 décembre 2012

Montana 1948 de Larry Watson (Gallmeister)

Watson © Gallmeister 2010
Bentrock, Montana, 1948. David avait 12 ans et sa famille était la plus célèbre de la ville. Son grand-père était un riche propriétaire terrien, son père était le shérif du comté et son oncle un médecin revenu de la guerre couvert de médailles. David adorait la femme à tout faire d’origine sioux qui restait toute la semaine à la maison quand sa mère travaillait. Elle s’appelait Marie Little Soldier. David se souvient, 40 ans plus tard, du jour où Marie est tombée gravement malade. Il se souvient qu’elle était terrorisée à l’idée d’être soignée par oncle Franck. Il se souvient que les révélations qu’elle fit sur son lit de mort allaient transformer l’été 1948 en tragédie familiale… 
  
Chouette, chouette, me suis-je dis en attaquant ce roman, une histoire dans le Montana de l’après-guerre, c’est le dépaysement garanti. Certes, mais pas tout à fait. Le récit pourrait se dérouler n’importe où ailleurs, ça n’aurait aucune importance. Toute l’intrigue est centrée sur le secret de famille, les relations entre les membres de cette petite communauté et les questionnements d’un shérif déchiré entre la raison du cœur et le souci de justice. Un texte à la première personne avec un narrateur se retournant sur son passé et exprimant le point de vue de l’enfant qu’il était à l’époque. C’est simple, très linéaire, plutôt bien écrit mais c’est surtout déjà vu et déjà lu des centaines de fois.

Rien de nouveau sous le soleil, donc. Le coup du secret de famille on me l’a déjà fait tellement souvent que je sature un peu. Si au moins le coté « attendu » de l’histoire était compensé par de belles descriptions des paysages sauvages du Montana, j’aurais pu y trouver mon compte mais ce n’est même pas le cas. Point de Nature Writing ici, ne vous laissez pas tromper par les apparences. Du coup, ce premier roman de Larry Watson ne me laissera pas un souvenir impérissable. Dommage, on ne peut pas gagner à tous les coups, même avec les éditions Gallmeister.    
     
Montana 1948 de Larry Watson. Éditions Gallmeister, 2010. 162 pages. 8,20 euros. 

L'avis d'Athalie



jeudi 6 décembre 2012

Les Demeurées de Jeanne Benameur

Benameur © Folio 2012
On m’avait dit : « Lis ça, tu vas adorer ! » On m’avait dit : « Il faut le lire d’une traite, en apnée. » (je ne cite pas ma source, elle se reconnaîtra^^). Par contre on ne m’avait pas dit à quel point ce tout petit texte est bouleversant. On ne m’avait pas dit qu’il allait me prendre aux tripes. C’est toute la littérature que j’aime. Une écriture minuscule, faite de phrases courtes, ciselées et imparables. Tout est gratté jusqu’à l’os, pas un mot de trop. Le genre d’ouvrage qui me conforte dans l’idée qu’il n’y a pas de plus belle activité que la lecture. Mais je n’ai pas envie de m’attarder. J’ai du mal à m’exprimer sur des livres aussi grands que celui-là. L’impression que je ne serais pas à la hauteur. Alors une fois de plus, comme je l’avais fait à propos de Carver, je vais laisser Roger en parler à ma place. Roger, c’est Roger Wallet, mon ancien patron mais surtout un écrivain que j’adore. Dans le n°22 de la revue Les années consacré en grande partie à Jeanne Benameur, il a rédigé un article sur Les Demeurées. C’est court mais qu’est-ce que c’est bon.

« Ce qui vous prend, vous poigne dans Les demeurées, c’est la force tragique des personnages. Elles sont trois, la mère, la fille et la maîtresse. La Varienne est de ces femmes rustres cloîtrées dans le silence et la misère, ce qui est la même chose. Luce ne vit que de cet amour, jusqu’au jour où elle doit affronter l’école. Tout lui est une épreuve insurmontable. Mais Solange, l’institutrice, va lui faire découvrir les mots, l’écriture, les livres. Elle s’y perdra, elle, mais la petite va s’y trouver. Elle va découvrir d’où tombe la lumière quand la vie semble faire défaut : elle tombe des mots. On retrouve dans ce très bref récit toute la force de Christian Bobin dans son texte sur l’apprentissage de la lecture, dans Une petite robe de fête. Mais les personnages des Demeurées apportent au propos un poids de chair souffrante qui pèse sans fin dans la mémoire du lecteur. Le Benameur le plus dépouillé, le plus lumineux. Un très grand livre. Vraiment. » Roger Wallet (Les années n°22)

Et puis Roger s’est aussi penché sur les premières lignes du récit. Une analyse vraiment pertinente. Cet article n’a pas été publié dans la revue mais je vous l’offre quand même parce que ce serait dommage de s’en priver.

« Il y a un miracle de la langue dans ce tout petit texte de Jeanne Benameur (80 000 signes) : ce sont ses silences. Il démarre ainsi :
Des mots charriés dans les veines. Les sons se hissent, trébuchent, tombent derrière la lèvre.
Abrutie.
Les eaux usées glissent du seau, éclaboussent.
La conscience est pauvre.
La main s'essuie au tablier de toile grossière.
Abrutie.
Les mots n'on pas lieu d'être. Ils sont.

Tout est présent dans cette entame. D’abord les phrases non verbales qui obligent à penser le verbe absent. Ainsi la répétition d’Abrutie conduit immédiatement à penser à qui profère le mot car ce n’est pas de travail qu’elle (Qui ? On ne le saura que deux pages plus loin. Magie de l’ellipse et de la retenue) est abrutie, sinon une phrase aurait tout de suite suivi l’adjectif.
Et puis les mots ouvrent le texte dont ils seront le véritable enjeu. Les mots présents six fois dans ce bref extrait puisque les sons aussi parlent d’eux. L’auteure nous livre donc d’emblée la fable de son récit : il sera ici question des mots qui n’ont pas à se justifier puisqu’ils sont. L’emploi du verbe dans une forme absolue (au sens grammatical) suffit à dire qu’ils ne souffrent pas discussion : ils sont, c’est à dire ils sont le monde, ils sont de même nature que le monde.
La fable, disais-je, autrement dit la morale. Et l’argument (fable et argument selon Brecht sont les constituants du théâtre) – qui est l’histoire, la trame destinée à révéler la fable – est aussi livré dans ces quelques lignes. Par le lexique. Prenez les adjectifs : abrutie, pauvre, grossière.  Les substantifs : veines, sons, lèvre, eaux usées, seau, main, tablier de toile... Ils situent l’univers social : du travail et de la misère, tout autant que le corps puisque, quand la conscience est pauvre, tout passe par le corps. Et les verbes, mis à part les deux auxiliaires, sont des verbes d’action : charrier, se hisser, trébucher, tomber, glisser, éclabousser, s’essuyer – d’une insigne et maladroite banalité. On voit, sans nul besoin de la nommer, de quelle matière seront les personnages. Ils agissent, c’est à travers leurs actes insignifiants et quotidiens qu’ils se révèlent.
Et les mots ? Jeanne Benameur écrit qu’ils sont proprement le sang, ce qui innerve, ce qui irrigue. Une évidence, l’évidence de la vie. Elle l’écrit. Il faut savoir le lire mais la langue est si simplement sensuelle, sensorielle qu’elle s’impose.
Le reste du livre construit les images qui feront passer des sons aux mots, des eaux usées à l’éclaboussement. Sans renier aucun de ces 45 mots inauguraux dans lesquels elle a créé les émotions linguistiques par quoi tout advient. » Roger Wallet

 Les demeurées, de Jeanne Benameur. Folio, 1999. 80 pages. 15,50 euros. 

L'avis de Valérie

Un billet qui signe ma 1ère participation au challenge de Noukette



mercredi 5 décembre 2012

Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedges et Joe Sacco

Hedges et Sacco
© Futuropolis 2012
Jours de destruction, jours de révolte est une BD-reportage qui dresse un panorama des États-Unis de la pauvreté. Cinq lieux, cinq chapitres au cours desquels on découvre la misère et le désespoir de tout un peuple. « Au travers de textes et de dessins, nous avons voulu décrire la vie de ces habitants écrasés par les lois d’un marché débridé ; dépeindre ces zones où êtres humains et milieu naturel sont laissés à l’abandon après avoir été exploités pour en tirer un maximum de bénéfices ; rendre compte de l’impact du capitalisme sauvage sur les familles, les travailleurs, les communes et les écosystèmes. » (extrait de la préface de Chris Hedges).

Voila donc le lecteur embarqué à Pine Ridge (Dakota du sud) dans une réserve indienne ravagée par l’alcoolisme, à Camden (New Jersey) dans une banlieue à l’abandon, un champ de ruines où la violence guette à chaque coin de rue, à Welsh (Virginie occidentale), auprès d’autochtones subissant les effets dévastateurs de l’exploitation du charbon dans des mines à ciel ouvert, à Immokalee (Floride) où les immigrés vivent une forme d’esclavage abominable dans les champs de tomates de grands propriétaires terriens et enfin à New-York, pour découvrir le mouvement Occupy Wall Street, symbole pour les auteurs d’une révolte en marche.
  
Très attiré au départ par la thématique et la forme du recueil, j’avoue que j’en suis ressorti assez déçu. D’abord, la redondance du discours anticapitaliste m’a quelque peu saoulé. La charge contre les financiers et leurs alliés politiques qui dirigent le monde et le ravagent avec avidité est très clairement exprimée et ne souffre d’aucune contestation mais il n’est pas nécessaire selon moi de répéter 36 fois la même chose. Ensuite, le ton général, entre le prédicateur et le donneur de leçon, m’a souvent gêné. Ce coté sentencieux masque le manque de finesse de l’analyse à certains moments. Enfin, le déséquilibre entre le reportage écrit et la BD est trop important. Une abondance de textes pas toujours passionnants alors que les quelques planches de Sacco (moins de 50 en tout) apportent une fluidité et un éclairage lumineux sur les situations présentées. Le dessin donne beaucoup plus de force au témoignage, c’est incontestable.

Par ailleurs, je n’ai pas de griefs particuliers contres les articles de Chris Hedges mais n’est pas Albert Londres qui veut. Je trouve son style plutôt plat et je me dis qu’avec de tels sujets, une pointe de lyrisme et une forme d’écriture vraiment engagée digne des grands journalistes-écrivains des siècles précédents m’auraient parues plus appropriées.

Attention, tout n’est pas à jeter dans cette somme assez colossale. Les différents chapitres révèlent une situation édifiante et mettent en lumière une face très sombre de l’Amérique. La découverte des conditions de vie de ces laissés pour compte du rêve américain a été pour moi un véritable choc. J’ai donc appris beaucoup de choses et je trouve que dans l’ensemble le travail des auteurs est vraiment intéressant, c’est juste qu’au niveau de la forme j’aurais largement préféré un véritable reportage en BD et non quelques planches de BD insérées dans des article de fond trop « journalistiquement » classiques. 

Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Mo’.


Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedges et Joe Sacco. Futuropolis, 2012. 320 pages. 27 euros.  

Hedges et Sacco
© Futuropolis 2012

Hedges et Sacco
© Futuropolis 2012






mardi 4 décembre 2012

Le premier mardi c'est permis (12) : La mécanique sexuelle des hommes ou petit traité de savoir-éjaculer

Solano et de Sutter
© Pocket 2012
Je vous vois venir. Vous vous dites en découvrant le titre de ce billet, que si je vous parle d’un traité du savoir-éjaculer, c’est forcément parce que le sujet me concerne : « Le pauvre, il a des soucis d’éjaculation alors il a trouvé un bouquin pour essayer de régler ses problèmes. » Je vous arrête tout de suite. Ce n’est pas parce que je vais aborder la question de l’éjaculation précoce qu’il faut y voir un appel au secours. Prenez plutôt cela comme une œuvre d’utilité publique, une information intéressante que je souhaite partager avec le plus grand nombre. Et si le mois prochain je vous parle d’allongement du pénis, n’allez pas non plus en tirer des conclusions hâtives...

Revenons à nos moutons et commençons par le commencement. C’est quoi au juste l’éjaculation précoce ? Pour les médecins, c’est « une dysfonction sexuelle caractérisée par une éjaculation survenant toujours ou presque avant la pénétration vaginale ou au cours de la minute qui la suit et une incapacité à retarder l’éjaculation lors de toutes les pénétrations vaginales. »

Un vrai problème, difficile à quantifier puisque les hommes concernés qui osent consulter un sexologue restent très minoritaires. Le souci avec l’éjaculation c’est que c’est un réflexe. Une fois commencée, personne ne peut la contrôler. Le but serait donc d’identifier les signes précurseurs de « l’expulsion », une phase que les spécialistes nomment la « zone d’imminence éjaculatoire ». Si l’on parvient à identifier ce moment et à le maîtriser, la partie est gagnée.

Concrètement, comment on fait ? D’abord il faut savoir que ce n’est pas toujours un inconvénient. Lorsque la première éjaculation est super rapide, un homme peut très vite remettre le couvert puisque souvent le second rapport est bien meilleur, l’excitation étant quelque peu retombée. C’est quand même une technique valable pour les petits jeunes qui débutent. Quand on arrive à un âge canonique comme le mien (bientôt 38 !), il faut compter 2 ou 3 jours de récupération entre chaque cavalcade, du coup cet avantage n’en est plus un. Autre point positif, l’éjaculateur précoce se transforme en général (et par défaut) en spécialiste des préliminaires. Pas si courant et plutôt appréciable, n’est-ce pas mesdames ? (même si à la longue cette forme de compensation peut lasser et devenir une source d'insatisfaction).

Et à part ça, par quels moyens peut-on améliorer les choses ? Dans un premier temps, il y a des gestes pratiques. Le premier consiste à répéter les rapports. Plus on s’exerce et plus on a de chances d’améliorer son contrôle. Un autre geste efficace est le « squeeze ». Quand l’éjaculation s’annonce, il faut se retirer et demander à sa partenaire de serrer la racine du gland avec le pouce et l’index. Alors là, laissez-moi vous dire que c’est hors de question ! Je ne veux voir personne me pincer le gland, il ne manquerait plus que ça ! Et puis vous imaginez un soir de première, la grande classe : « Excuse-moi, je vais me retirer et tu vas me pincer le gland, c’est la seule chose à faire si tu veux que ça dure. » Il y a de quoi casser l’ambiance, non ? Bon, on peut aussi serrer plus bas, près du ventre. Au moins ça évite d’avoir à se retirer mais ça reste moyen. Il existe bien d’autres petits gestes, je ne fais que survoler les nombreux exemples proposés.

Si ces techniques « naturelles » ne fonctionnent pas, il reste les médicaments. Souvent des antidépresseurs, à la base pas fait pour cela mais qui ont démontré une certaine efficacité.

Finalement, le mieux reste de pratiquer un véritable travail sur soi. Contrôler sa respiration, être à l’écoute de son corps et des sensations qui le parcourent, renforcer son périnée pour mieux maîtriser la montée de l’éjaculation suffisent la plupart du temps à grandement améliorer les choses.

Voila, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous fais pas payer la consultation mais n’y revenez pas. Plus sérieusement, c’est vraiment un chouette bouquin. Simple, clair et très pratique, un compromis idéal entre les écrits universitaires trop ardus et la rubrique sexo d’un magazine féminin où l’on caricature à l’extrême en se contentant souvent d’interviewer trois bonnes copines. Je vous l’accorde, ce n’est sans doute pas le cadeau idéal à offrir à votre chéri pour Noël mais savoir qu’un tel ouvrage existe pourra peut-être vous être utile un jour.

La mécanique sexuelle des hommes : petit traité de savoir-éjaculer du docteur Catherine Solano et du professeur Pascal de Sutter. Pocket, 2012. 250 pages. 6,70 euros.


PS : si cet article est bien référencé, je vais faire un malheur sur les moteurs de recherche.

PS bis : je peux sans problème faire voyager mon exemplaire, vous aurez bien compris que je ne suis pas vraiment concerné par le sujet (même si j'ai photocopié quelques pages, ça peut toujours servir^^).


Rendez-vous chez Stephie pour découvrir d'autres lectures inavouables

dimanche 2 décembre 2012

Les Immortelles de Makenzy Orcel (rentrée littéraire 2012)

Orcel © Zulma 2012
« Tous les monstres de béton sont tombés. Tous les bordels. La Grand-Rue n’est plus ce qu’elle était. Mais nous, on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grand-Rue. Nous sommes les immortelles. » Les immortelles sont les prostitués de Port-au-Prince. L’une d’elle témoigne après le tremblement de terre de janvier 2010. Elle confie sa parole à l’écrivain. Le deal est simple : « Tu me donnes ce que je te demande et toi après tu pourras m’avoir dans tous les sens que tu voudras. » Elle veut laisser couler le sang des mots pour narrer l’histoire de la petite, une gamine fugueuse débarquée chez elle à l’âge de 12 ans et se faisant appeler Shakira. Une fillette devenue l’une des putes les plus courtisées de la capitale. « La petite, elle est morte après douze jours sous les décombres, après avoir prié tous les saints. » La petite avait quelque chose en plus, elle connaissait les livres. Une passion dévorante qui la rendait si singulière. Le témoin s’épanche auprès de l’écrivain pour ne pas oublier, pour ne pas sombrer : «  Je raconte pour toi, ma petite. Je te raconte et t’appelle de mon exil intérieur. […] Tous les mots de mon corps ne sauraient suffire pour dire la douleur de la terre. » 

Les immortelles est un chant de ruines. Oui, je dis bien un chant. Un chant lyrique où dominent la souffrance et l’abattement. Toute l’horreur de l’existence à travers de très courts chapitres de moins d’une page. Un style oralisé proche de la poésie en prose la plus libre. C’est brutal et dérangeant. La langue est belle, elle devrait secouer fortement le lecteur. Je dis « devrait » car malheureusement cela n’a pas été le cas pour moi. Difficile de l’avouer mais je suis passé à coté. Suis-je insensible à ce point ? Franchement la question se pose car ce texte avait tout me plaire et pourtant j’y suis resté totalement étranger, comme si je ne faisais que survoler les choses de très haut sans jamais m’immerger dans l’ignoble réalité. Peut-être à cause de la forme du témoignage, trop individuel. En comparaison, le chœur antique s’exprimant dans Certaines n’avaient jamais vu la mer m’a beaucoup plus touché. Je ne dis pas que Les Immortelles est un mauvais premier roman, loin de là. Je dis juste qu’il n’était pas pour moi.   

Les Immortelles, de Makenzy Orcel. Zulma, 2012. 134 pages. 16,50 euros.








vendredi 30 novembre 2012

Cartes : voyage parmi mille curiosités et merveilles du monde

Mizielinska et Mizielinski
© Rue du monde 2012
Cartes est un ouvrage réalisé par deux jeunes auteurs polonais déjà remarqués avec leur album Croque ! publié chez le même éditeur. Ce n’est pas un atlas à proprement parler. Ce n’est pas non plus un livre scolaire. C’est une somme hétéroclite d’informations sur la faune, la flore, les coutumes, les costumes, les traditions ou encore les spécialités culinaires de 40 pays du globe issus des six continents.

Chaque carte occupe l’intégralité d’une double page et fourmille de détails.  L’enfant trouvera systématiquement le nom de la capitale, la langue principale, le nombre d’habitants et la superficie du pays. Ensuite, il pourra se perdre avec délectation dans les 4000 vignettes qui peuplent cette planète de papier. Un foisonnement un peu anarchique absolument pas nuisible mais qui est au contraire une vraie richesse.

Les dessins, à première vue naïfs, sont en fait d’une grande précision. Le format XXL (28x38 cm) permet aux auteurs de ne pas tomber dans la miniature et offre un grand confort de lecture. L’ensemble dégage une esthétique vintage qui rappelle les planches naturalistes d’antan.

Typiquement le genre d’ouvrages à partager en famille. Certes un peu encombrant mais idéal à déposer au pied du sapin si vous souhaitez absolument offrir un livre à Noël. Vous serez au moins certain de proposer un cadeau aussi surprenant qu'instructif.  

Cartes D’Aleksandra Mizielinska et Daniel Mizielinski. Rue du Monde, 2012. 108 p. 25,80 €. A partir de 7-8 ans.

Mizielinska et Mizielinski © Rue du monde 2012

mercredi 28 novembre 2012

Dernière station avant l’autoroute

Daeninckx et Mako
© Casterman 2010
Le personnage principal, dont on ne connaîtra jamais le nom, est officier de policier judiciaire. Il fait les permanences de nuit. Toujours le premier sur les scènes de crime. Une prostituée flinguée à bout portant, un sénateur retrouvé raide comme un passe lacet dans une chambre d’hôtel miteuse, des squatteurs carbonisés dans un incendie… Au petit matin, il refile les enquêtes à l’équipe de jour. Juste là pour faire le sale boulot, il ne mène aucune investigation. Un loup solitaire au bord de la rupture qui ne s’est jamais remis d’une intervention sur un accident de train épouvantable. Ses collègues pensent qu’il est rincé, au bout du rouleau. Des jeunes gus aux dents longues lorgnent sur sa place et son patron ne peut pas le blairer. Le couperet tombe, il est muté dans un commissariat pourri au nord de Paris. Son nouveau chef est un ripou de première qui l’entraîne dans sa chute. Heureusement, une femme va lui maintenir la tête hors de l’eau avant qu’il ne sombre définitivement.

Vous savez sans doute que je ne suis pas fan de polar. En roman, je n’en lis quasiment jamais. En BD, je me contente du duo Tardi/Manchette. Mais quand j’ai vu Mako tout seul derrière sa table de dédicace au salon du livre de Creil la semaine dernière, j’ai pas pu m’empêcher d’engager la conversation. Et puis j’aime bien ce qu’il fait avec Daeninckx. J’ai découvert leur duo avec Octobre noir (merci Valérie !) et j’ai enchaîné avec Texas Exil. Dernière station avant l’autoroute est leur troisième collaboration. C’est l’adaptation d’un roman d’Yves Pagan. Mako m’a expliqué que c’était une histoire très autobiographique puisque Pagan était flic dans une équipe de nuit et qu’il a été traumatisé par un accident de train. Devenu écrivain, il s’est fait remarqué avec La mort dans une voiture solitaire ou encore L’étage des morts qui a été adapté au cinéma sous le titre Diamant 13 avec Depardieu et Olivier Marchal.

Dernière station avant l’autoroute est un récit noir de chez noir. Glauque, désespéré, avec une absence totale d’illusion sur le genre humain. Le quotidien du flic désabusé est retranscrit avec un réalisme glaçant. Ça sent vraiment le vécu à plein nez. Le seul souci pour moi, c’est la conclusion, beaucoup trop optimiste et en total décalage avec le reste. Quelque part, il vaut mieux terminer sur une note d’espoir mais j’avoue que voir cet homme finir avec son flingue dans la bouche prêt à appuyer sur la gâchette m’aurait paru plus cohérent.
   
En tout cas niveau dessin, c’est toujours un régal. Le jeu sur les ombres et l’absence de lumière renforce l’atmosphère oppressante et crépusculaire de la nuit. Pour une fois que je trouve un intérêt à la mise en couleur !
Finalement je me rends compte qu’à petite dose le polar me convient. Je n’y reviendrais pas toutes les semaines mais je dois reconnaître que quand c’est aussi bien réalisé, ça le fait, comme disent les jeunes.  

Pour info cet album remporté le prix polar du One shot au festival de Cognac 2010.

Dernière station avant l’autoroute de Mako, Daeninckx et Pagan. Casterman, 2010. 98 pages. 17 euros.  

Daeninckx et Mako © Casterman 2010





mardi 27 novembre 2012

Un gorille : un livre à compter d’Anthony Browne

Browne © Kaléidoscope 2012
« L’école maternelle est une période décisive dans l’acquisition de la suite des nombres (chaîne numérique) et de son utilisation dans les procédures de quantification. Les enfants y découvrent et comprennent les fonctions du nombre, en particulier comme représentation de la quantité et moyen de repérer des positions dans une liste ordonnée d’objets. » (Programmes officiels de juin 2008)
     
Il y a longtemps que je voulais parler des livres à compter. Depuis quelques semaines je collabore avec une conseillère pédagogique de l’inspection académique pour créer des valises de livres à compter pouvant être utilisés en classe. J’ai découvert la variété incroyable que propose ce type de support. Si à la maison ce sont les albums purement  mathématiques (ceux qui ne font « que » présenter les nombres et leur correspondance)  que l’on retrouve le plus souvent, à l’école on utilise en général des ouvrages plus littéraires, ceux  qui racontent une histoire tout en créant un lien avec l’univers des maths (par exemple Boucle de d’or et les trois ours de Rascal ou encore Maman ! de Mario Ramos).

Ce nouvel album d’Anthony Browne est un peu un mélange des deux. Sous des faux airs de simple livre à compter, l’ouvrage possède un but informatif. En effet, à travers la présentation des différents singes (un gorille, deux orangs-outans, trois chimpanzés, etc.) l’auteur aborde la théorie de l’évolution : « Tous des primates, tous d’une même famille, tous de ma famille. » Le message humaniste est donc le thème principal, au delà de la chaîne numérique. Malheureusement, comme dans la plupart des livres à compter, celui-ci ne présente pas le zéro. C’est un vrai problème puisque la connaissance du zéro permet notamment de nommer les quantités nulles.
 
En tout cas, voila un ouvrage qui se démarque de ses confrères d’une part grâce à l’originalité de son propos et d’autre part grâce au magnifique trait d’Anthony Browne. L’auteur d’Une histoire à quatre voix est un des plus grands illustrateurs actuels. Ses singes sont sublimes de réalisme et de précision. La variété des postures montres à quel point il maîtrise son sujet sur le bout des doigts.

Un très beau livre à compter. Je vous en présenterais peut-être d’autres dans les semaines qui viennent, j’en ai une bonne quarantaine sous le coude en ce moment. Si avec tout ça j’ai encore des problèmes avec les nombres, c’est à n’y plus rien comprendre.   

Un gorille d’Anthony Browne. Kaléidoscope, 2012. 28 pages. 15,30 euros. A partir de 3-4 ans.


Browne © Kaléidoscope 2012


lundi 26 novembre 2012

Malou le Matou et Milo le Rhino

Nesmo © Balivernes 2012
Malou le Matou a perdu de vue sa maman. Saura-t-il la reconnaître parmi les animaux de la ferme ? Il va apprendre qu’il n’est pas le petit de la vache puisque ce sont les veaux. Ni celui de la cane car ses enfants sont des canetons. Les poules ? Non, leurs bébés s’appellent des poussins. Alors est-ce que sa maman est la brebis ou la lapine ? Non et non. Il va lui falloir chercher encore un petit peu…
Une façon simple et efficace d’enrichir le vocabulaire des bouts de chou en leur faisant découvrir le nom des bébés animaux.



Dans Milo le Rhino le principe est le même, sauf que cette fois-ci c’est un rhinocéros qui ne sait plus ce qu’il doit manger. Des baobabs, des morilles, des fruits, des algues ou plutôt des animaux comme le zèbre et la tortue ? Il faudra encore attendre la fin de l’histoire pour connaître la réponse.






Le lexique est plutôt riche et le niveau de langue assez familier (surtout dans Malou avec le tracteur qui fouette et les moufflets de la truie) mais au final peu importe. Ce qui compte, c’est la rime, la musicalité qui se dégage des quatre lignes présentes sur chaque double page.
Graphiquement, il faut reconnaître que l’ensemble est très spécial. D’aucuns qualifieront les illustrations d’originales. Personnellement, ce croisement entre le pixel et le lego n’est pas franchement ma tasse de thé. Mais pour avoir « testé » ces ouvrages sur le public cible, je peux vous assurer que ces représentations plutôt éloignées du dessin traditionnel ne posent aucun problème de compréhension. De toute façon le principal c’est que chaque animal se reconnaisse au premier coup d’œil.
 
Typiquement le genre de livres que l’on ne cesse de lire et relire des dizaines de fois. Le jeu des questions/réponses c’est une mécanique que les petits bouts adorent et que l’on peut répéter à l’infini sans que jamais ils ne s’en lassent. Vous savez dans quel engrenage vous allez mettre le doigt si vous vous laissez tenter…
  
Malou le Matou de Nesmo. Balivernes éditions, 2012. 22 pages. 9 euros. A partir de 2 ans.
Milo le Rhino de Nesmo. Balivernes éditions, 2012. 22 pages. 9 euros. A partir de 2 ans



Nesmo © Balivernes 2012







dimanche 25 novembre 2012

Némésis de Philip Roth (rentrée littéraire 2012)

Roth © Gallimard 2012
Newark, New Jersey, 1944. L’Amérique est en guerre mais Bucky Cantor, 23 ans, ne peut prendre part au conflit. A cause de sa vue défaillante, il a été réformé. Jeune homme fort et athlétique, il est responsable d’un terrain de jeu du quartier juif de la ville. Sous sa responsabilité, des gamins suent toute la journée sous un soleil de plomb grâce aux différentes activités physiques qu’il leur propose. Au cours de ce mois de juillet suffocant, une calamité s’abat sur la ville. Une épidémie de polio se déclare. Deux jeunes garçons du terrain de jeu meurent subitement. Le virus se propage et la panique gagne les familles. Bucky veut résister au mal, il tente d’abord de répondre de façon rationnelle aux questions des parents mais il constate rapidement son impuissance devant le fléau qui ne cesse de s’étendre. Lorsque sa fiancée l’invite à le rejoindre dans un camp de vacances en forêt, Bucky hésite, conscient que sa place est à Newark, aux cotés de ceux qui souffrent. Se laissant finalement convaincre de quitter les miasmes de la ville, il se rend dans le cadre idyllique du camp où, malheureusement, la polio semble le poursuivre…

Mon premier Roth qui sera aussi son dernier puisque le romancier âgé de 79 ans a annoncé qu’il n’écrirait plus. Pour le coup, on peut dire qu’il termine sa carrière en beauté.

Némésis est la déesse de la vengeance qui veille à ce que les mortels ne tentent pas d’égaler les divinités. L’histoire de Bucky relève incontestablement de la tragédie. Parce qu’il a tout pour être heureux (la santé, une fiancée magnifique, un avenir radieux…) il subit un châtiment infligé à ceux qui transgressent, fût-ce sans le savoir, les limites humaines. En cela, son destin est en quelque sorte comparable à celui d’Œdipe. Autre référence évidente à la lecture de ce roman, La Peste de Camus. Même si l’auteur de L’étranger mettait en scène un combat et une résistance au fléau et que Roth décrit plutôt la stupeur et l’abattement des victimes, les parallèles restent nombreux.

La fatalité est au cœur du récit. L’écrivain déroule une mécanique impitoyable ou le pessimisme et le désenchantement jouent un rôle central. Bucky s’élève contre ce Dieu qui laisse périr ses enfants. En brisant un jeune homme exemplaire, Roth fait voler en éclat les valeurs supposées structurer nos sociétés : le devoir, le courage, la responsabilité, le sacrifice. Ce faisant, il met en lumière un élément fondamental qui nous concerne tous, la vulnérabilité. Le narrateur l’affirme : «  il n’y a rien plus difficile qu’un garçon honnête démoli […] et privé de tout ce qu’il avait passionnément voulu avoir ». Ce narrateur est un des garçons du terrain jeu qui a survécu à la polio. Pour lui, « la polio a cessé d’être le drame de ma vie […] J’ai compris que j’avais vécu un été de tragédie collective qui ne devait pas forcément devenir toute une vie de tragédie personnelle ». Exactement l’inverse de la façon dont Bucky a considéré les choses. Pour lui, au final, il ne reste que la culpabilité.

Un très grand roman américain, tout en sobriété, qui raconte à la fois un paradis perdu et une idylle disparue. Magistral !   

Némésis de Philip Roth. Gallimard, 2012. 226 pages. 18,90 euros.