dimanche 21 octobre 2012

Un repas en hiver d’Hubert Mingarelli (rentrée littéraire 2012)

 Mingarelli © Stock 2012
Ils sont trois. Soldats allemands envoyés par leur hiérarchie débusquer des juifs cachés dans la forêt polonaise en plein hiver, ils affrontent des conditions climatiques épouvantables. Peu leur importe, ils préfèrent la chasse à l’homme aux fusillades, des fusillades qui les dépriment et dont ils rêvent la nuit. S’ils ne ramènent personne ils ne seront pas autorisés à battre à nouveau la campagne le lendemain. Alors ils cherchent, malgré le froid qui rentre par les yeux et se répand partout « comme de l’eau gelée qui serait passée par deux trous. » Un peu par hasard, ils finissent par en trouver un. Un jeune juif qui pourrait être leur fils. Alors que la faim leur vrille les entrailles, ils aperçoivent une maison abandonnée. Ils forcent la porte d’entrée, rallument le poêle et décident de se préparer une soupe avec le peu de vivres dont ils disposent. Ils accueillent peu après un polonais et son chien et le laisse s’installer près d’eux parce qu’il porte sur lui une bouteille d’alcool de pomme de terre dont ils vont pouvoir profiter. Commence alors un étrange huis-clos entre trois soldats allemands, un prisonnier juif condamné à une mort certaine et un polonais antisémite réunis autour d’un repas en hiver…

Un roman glaçant. Le froid, la guerre, le ciel gris et bas, la neige, la faim. Et puis le malaise qui s’installe à l’arrivée du polonais. Son attitude haineuse à l’égard du juif réveille chez les soldats un soupçon d’empathie envers leur prisonnier. Ils savent pourtant qu’il ne faut rien ressentir pour ceux qu’ils capturent. Mais l’un d’eux ne peut s’empêcher de proposer que celui-là, on le laisse partir : « je veux […] pouvoir me rappeler de celui-là quand j’en aurais besoin. » Seulement, un seul ne suffira pas à oublier, à effacer tous les autres.

Hubert Mingarelli ne cherche pas à faire passer d’infâmes salauds pour des gens biens. Il n’y a dans son texte ni salauds, ni gens biens. Juste des hommes, dans toute leur complexité. Impossible, malgré leur statut, de ne pas trouver chez ces soldats une pointe d’humanité et une bonne dose de fraternité. C’est toute la complexité et la richesse de ce court roman aux dialogues ciselés. Le style est direct, les descriptions d’une précision clinique et l’ensemble se lit d’une traite. Aussi beau que dérangeant.

Un repas en hiver d’Hubert Mingarelli. Stock, 2012. 136 pages. 17,00 €.




vendredi 19 octobre 2012

Mimo : sur la trace des dinos de Mazan et Dethan

Mazan et Dethan © Eidola 2012
Enfant, il se baladait avec son père à la recherche de fossiles du coté de Périgueux. A cinq ans, les peintures de mammouths ornant les grottes de la région lui ont donné envie de faire du dessin. Lorsqu’on lui a proposé de créer des illustrations pour une exposition pédagogique sur le site de fouilles paléontologiques d’Angeac, en Charente, Mazan a sauté sur l’occasion de réaliser ses rêves d’enfant. Il faut dire qu’Angeac est un site exceptionnel puisqu’il est considéré comme l’un des plus importants gisements d’os de dinosaures en Europe. On y a notamment trouvé les restes d’un troupeau d’ornithomimosaures, (des dinosaures autruches ayant vécu il y a plus de 140 millions d’années) ainsi qu’un fémur de sauropode long de 2,40 mètres, soit le plus grand os découvert au monde ! Mazan s’est donc rendu sur place en août 2010 avec son carnet de croquis, ses crayons et sa boîte d’aquarelles. Résultat, il réalise avec sa compagne Isabelle Dethan un livre hybride, mi-album, mi-documentaire pour partager avec les lecteurs cette formidable expérience archéologique.

L’ouvrage se compose de trois parties bien distinctes. D’abord une histoire mettant en scène un jeune ornithomimosaure (Mimo) et son ami Hector, un carcharodontosaure à la redoutable dentition. Les deux petits dinos vont devoir débarrasser leur territoire d’un terrifiant crocodile. L’occasion de présenter dans cette fiction parfois proche de L’âge de glace toutes les espèces dont on a retrouvé des ossements à Angeac. Suivent un bestiaire très documenté qui présente de façon beaucoup plus sérieuse les personnages du récit et une dernière partie décrivant de manière très minutieuse le travail des paléontologues sur le terrain.

Au final, c’est passionnant ! L’histoire introductive est légère et pleine d’humour tandis que les deux autres parties regorgent d’informations plus instructives les unes que les autres. Les dessins, sans donner dans l’ultra-réalisme, restent d’une grande précision et le coté « carnet de croquis digne d’Indiana Jones » séduira à coup sûr les enfants. Je dis enfants mais je pense que l’ouvrage peut difficilement être lu avant 9-10 ans. Le lexique est assez ardu et les précisions techniques, notamment par rapport à la géologie, ne sont pas toujours faciles à suivre. Maintenant, bien accompagnés par leurs parents, les plus jeunes pourront sans doute y trouver leur compte, surtout s’ils sont passionnés par le sujet. Un beau cadeau à offrir aux paléontologues en herbe. Et pour les documentalistes de collège, un achat chaudement recommandé, même si votre établissement n’êtes pas en Charente !


Mimo : sur la trace des dinos de Mazan et Isabelle Dethan. Éditions Eidola, 2012. 68 pages. 10,00 euros. A partir de 9 ans.


Mazan et Dethan © Eidola 2012
 
Mazan et Dethan © Eidola 2012

jeudi 18 octobre 2012

Diane et autres stories en short de Christian Laborde

Laborde © Robert Laffont 2012
Comment résister à une telle couverture ? Plus que les short stories (les nouvelles), c’est la promesse d’histoires où le short des filles a le beau rôle qui m’a convaincu de m’offrir ce recueil. Alors, oui, Christian Laborde parle de shorts. Il y a celui d’Irène, la volleyeuse. Celui que Rebecca retire dès que survient l’orage. Celui de Florence, qui est noir, alors que celui d’Hélène, aux seins menus, est bleu. Dix-sept histoires en tout qui célèbrent cette merveilleuse partie du corps féminin cachée sous la petite pièce de tissu. Mais pas que. Il est aussi question de rencontres, de hasards, de petits riens qui dégénèrent joyeusement sans que l’on y prenne gare. C’est parfois très érotique, parfois simplement suggéré. La suggestion, voila sans doute la principale caractéristique de ces différents textes.

La langue de Christian Laborde est musicale, riche de métaphores. Cet auteur possède un ton, un style particulier. Il m’a souvent fait penser au cours de cette lecture à Eric Holder, sans pour autant égaler l’auteur D’embrasez-moi. Du charme et de la sensualité, certes, mais rien de franchement inoubliable. Une ou deux nouvelles sont au-dessus du lot (L’amant, notamment, est délicieusement troublante) mais pour avoir lu cet ouvrage il y a quelques semaines je constate qu’il ne m’en reste pas grand-chose. La couverture était alléchante mais l’emballage a pris le pas sur le contenu. Dommage.

Diane et autres stories en short de Christian Laborde. Robert Laffont, 2012. 136 pages. 16,50 euros.


L’avis enthousiaste de Stephie 

mercredi 17 octobre 2012

Notre mère la guerre 4 : Requiem de Maël et Kris

Maël et Kris © Futuropolis 2012
Janvier 1915. Des cadavres de femmes sont déposés sur la ligne de front. Sur chaque corps, l’assassin a laissé un mot d’adieu. Les crimes ont lieu dans un secteur où est cantonnée une brigade d’adolescents délinquants envoyés dans les tranchées contre une remise de peine. Ils ont entre 15 et 17 ans, l’administration a dû changer leurs dates de naissance pour qu’ils puissent s’engager. A leur tête, le caporal Gaston Peyrac. Ces gamins font office de coupables tout désignés lorsque le gendarme Roland Vialatte arrive sur place pour mener l’enquête. Vingt après, sur son lit de mort, il raconte…

Vous connaissez peut-être mon habitude consistant à n’attaquer une série que lorsque tous les tomes qui la composent sont parus. Une sale manie, certes, mais dans le cas présent, ce fut vraiment une bonne chose. Ici, seule la lecture intégrale des quatre albums permet de comprendre le projet des auteurs. Difficile en effet de saisir les tenants et les aboutissants de l’intrigue sans avoir toutes les cartes en main. Et comme il faut attendre la seconde moitié du quatrième tome pour que l’enquête progresse de manière définitive, j’ai bien fait de patienter.

A quoi bon faire une BD sur la première guerre mondiale après Tardi ? Une telle entreprise a un sens si l'on aborde la question avec un point de vue différent. Chez Tardi, les hommes sont des victimes, ils ont été forcés de partir au combat. Kris ne voit pas les choses de façon aussi réductrice. Il veut comprendre pourquoi beaucoup ont agi de leur plein gré, par patriotisme. Surtout, il cherche à savoir comment ces hommes venus d’horizons différents ont tenu des années dans les tranchées et ont pu s’étriper comme des chiens enragés avec des gars qui ne leur avaient rien fait. Son propos insiste également sur la solidarité qui leur a permis de supporter l’enfer, qui les a poussés à risquer leur peau pour des types qu’ils connaissaient à peine, à faire pour eux des choses qu’ils ne feraient pas pour leur propre famille.

Notre mère la guerre vous prend aux tripes. La crudité du conflit est montrée dans toute son horreur. La dernière case du premier tome m’a par exemple laissé au bord des larmes (et pourtant il en faut beaucoup pour m’émouvoir, je peux regarder Bambi sans ciller, c’est dire !). Kris gratte jusqu’à l’os pour démontrer que chacun possède en temps de guerre un potentiel de cruauté et de destruction absolument sans limite. Une sorte d’inhumanité qui reste envers et contre tout le propre de l’homme… On pourra sans doute reprocher à cette série son coté trop bavard. Personnellement, je pense au contraire que cette abondance de mots donne à l’ensemble un aspect littéraire remarquable.

Niveau dessin, on est dans le haut de gamme. Maël parvient à dessiner l’indicible. Son trait puissant restitue la laideur et l’étrange beauté de la guerre. Il joue des cadrages plus ou moins serrés pour décrire la souffrance sans sombrer dans le romantisme ou le film d’horreur. Les planches, réalisées en couleurs directes, sont magnifiques. Toutes sont traversées par différents tons de gris. Cette absence de luminosité renforce le coté crépusculaire de l’ensemble.

Il suffit de lire le texte de Tim O’brien extrait de son ouvrage A propos du courage en appendice de ce tome 4 pour comprendre toute la philosophie de cette série : « Une histoire de guerre véridique n’est jamais morale. Elle n’est pas instructive, elle n’encourage pas la vertu, elle ne suggère pas de comportement humaniste idéal, elle n’empêche pas les hommes de continuer à faire ce que les hommes ont toujours fait. Si une histoire de guerre vous paraît morale, n’y croyez pas. Si, à la fin d’une histoire de guerre, vous vous sentez ragaillardi, ou si vous avez l’impression qu’une parcelle de rectitude a été sauvée d’un immense gaspillage, c’est que vous êtes la victime d’un très vieux et horrible mensonge. La rectitude n’existe pas. La vertu non plus. La première règle, me semble-t-il, est qu’on peut juger de la véracité d’une histoire de guerre d’après son degré d’allégeance absolue et inconditionnelle à l’obscénité et au mal. »

Point de salut, point d’espoir, point de lumière. Après trois complaintes, il est temps de conclure le récit par une dernière prière, un requiem pour le repos des âmes. Tout simplement sublime.

Notre mère la guerre T4 : Requiem de Kriss et Maël. Futuropolis, 2012. 64 pages. 16,25 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' (il y avait longtemps !). Filez vite découvrir son avis.

Maël et Kris © Futuropolis 2012



lundi 15 octobre 2012

Ana Ana : un spin-off de Pico Bogue pour les petits lecteurs

 © Dargaud 2012
Ana Ana, la petite sœur de Pico Bogue, propose à ses doudous de faire un gâteau au chocolat pour le goûter. Chacun met la main à la patte mais les choses ne se passent pas vraiment comme prévu…

Troisième détour automnal vers la BD pour lecteurs débutants après Les ours nains d’Emile Bravo et la suite de Monsieur Blaireau et Mme Renarde. C’est un genre que j’apprécie particulièrement, peut-être parce que j’ai le cobaye idéal à la maison. Faire tester de tels ouvrages à une fillette de 7 ans qui lit depuis moins d’un an, c’est le meilleur moyen de savoir si le public visé est satisfait de ce qu’on lui propose. Pour ce titre en particulier, l’objectif est atteint. Un nombre de pages suffisamment réduit pour que tout puisse se lire d’une traite, une facilité évidente à comprendre l’histoire et surtout un humour au premier degré très présent qui fait mouche. Quel plaisir de partager les facéties de ces doudous dont la bonne volonté n’a d’égale que la maladresse !

Niveau dessin, pas de surprise puisque l’univers graphique de Pico Bogue est parfaitement respecté. Seul le demi-format à l’italienne change la donne et permet de simplifier le découpage au maximum en proposant de nombreuses grandes cases qui facilitent la compréhension de l’enchaînement des événements.

Les débuts en solo d’Ana Ana sont donc plus qu’encourageant. Bien sûr, il n’y pas la finesse et les différents niveaux de lecture propres à la série mère mais après tout ce n’est pas le but. Les deux premiers tomes sont sortis en même temps et je n’ai pris que le second. On m’a expressément demandé de réparer cette grave erreur !

Ana Ana T2 : Déluge de chocolat de Dormal et Roques, Dargaud, 2012. 24 pages. 7,95 euros.

© Dargaud 2012

dimanche 14 octobre 2012

Swamplandia, de Karen Russell (rentrée littéraire 2012)

Russell © Albin Michel 2012
Rien ne va plus chez les Bigtree. Depuis la mort brutale de la mère, Hilola, emportée par un cancer, c’est toute la famille qui part en lambeau. Le parc d’attraction de Swamplandia, situé sur une île à quelques kilomètres de la Floride, a vu peu à peu disparaître ses visiteurs. C’est sur cette terre hostile que les Bigtree ont construit leur fragile empire en proposant aux touristes le frisson d’une rencontre avec les alligators. Mais depuis le décès d’Hilola, dompteuse réputée dont le numéro consistant à traverser à la nage une fosse remplie d’effrayants reptiles représentait le principal attrait de Swamplandia, la fréquentation a chuté de façon vertigineuse. Kiwi, le fils, est parti pour le continent et à trouvé refuge dans « le monde de l’obscur », un parc concurrent. Chef, le père, a lui aussi regagné la terre afin de trouver de nouveaux investisseurs. Les deux sœurs, Ossie et Ava, sont restées sur l’île. La première s’adonne au spiritisme et quitte de plus en plus souvent la maison pour retrouver son futur mari, un fantôme qui se nomme Louis Thanksgiving. La seconde, âgée de treize ans, va faire une drôle de rencontre avec un « oiseleur » et tenter de trouver le chemin menant vers les enfers, au cœur des marais.

Alligators, esprits, disparitions, conflits, familiaux... drôle de galerie des mystères que propose Karen Russell dans ce premier roman. Une sorte d’éducation sentimentale qui se distingue surtout par son ambiance très particulière. Tentation du continent (Kiwi), tentation de l’au-delà (Ossie) et quête identitaire (Ava), voila les trois principales thématiques déclinées par l’auteur. Cette dernière joue sans cesse de l’opposition entre la Floride urbaine et l’aspect énigmatique des marécages. Elle créé dans cet entrelacs infini d’îlots à la moiteur étouffante des mondes parallèles, des lieux à la fois mythiques et parfaitement concrets où rayonne la beauté surnaturel du marais. Tout tient dans cette exubérance maîtrisée, cette tension permanente entre l’imaginaire et le réel.

La prose de Karen Russel se fait parfois luxuriante. Imagée, inventive en diable, elle entremêle brillamment l’étrange, le singulier et le quotidien qui traversent tout le récit.

Un coup de cœur donc ? Et bien paradoxalement non. J’ai eu du mal à rentrer dans cet univers si particulier et je me suis surpris à souvent voir poindre l’ennui au cours de la lecture, notamment pendant les chapitres relatant les mésaventures d’Ava et de sa sœur dans les marais. Cette ambiance vaporeuse et par trop énigmatique m’a laissé de marbre. A la limite, j’ai largement préféré l’histoire ultra-réaliste (et peu reluisante) de la découverte du continent par Kiwi. Au final, j’ai tourné la dernière page en me disant : « Tout ça pour ça ? ». Dommage, car je pense que Swamplandia est un premier roman extrêmement bien construit aux indéniables qualités. Je suis juste passé quelque peu à coté mais sachez que Karen Russell mérite vraiment que l’on s’intéresse à elle (ce n’est d’ailleurs par pour rien que le New York Times a plébiscité Swamplandia comme l’un des cinq meilleurs romans américains de 2011 et que Karen Russell a fait partie des trois finalistes du prix Pulitzer 2012 aux cotés de Denis Johnson et de David Foster Wallace).

Swamplandia, de Karen Russell. Albin Michel, 2012. 460 pages. 22,50 euros.

  L'avis enthousiaste de Reading in the Rain    




Une nouvelle participation au défi 1er roman de Anne


vendredi 12 octobre 2012

Monsieur Blaireau et Madame Renarde 5 : Le carnaval

Luciani et Tharlet - © Dargaud 2012
La vie est dure pour la famille recomposée de Monsieur Blaireau et Mme Renarde. L’hiver ne veut pas finir et le manque de nourriture se fait cruellement sentir. Le gel empêche de déterrer les racines et les réserves s’épuisent à vue d’œil. Lorsque les parents de Mme Renarde débarquent dans le terrier, les enfants sont fous de joie mais Monsieur Blaireau voit surtout deux bouches de plus à nourrir. La tension monte entre l’esprit cigale des renards et la prévoyance excessive des blaireaux qui passent pour des rabat-joies. Seule solution pour calmer tout le monde : organiser une fête de carnaval, chanter et danser pour chasser enfin l’hiver…
    
Cinquième volume de cette série idéale pour lancer les lecteurs débutants sur le chemin de la BD, et une fois de plus, la qualité est au rendez-vous. Par rapport aux albums précédents, ce sont cette fois-ci les adultes qui tiennent les premiers rôles. Entre la sagesse excessive de Blaireau et l’insouciance de grand-père Renard, chacun va devoir mettre de l’eau dans son vin. Heureusement, la conclusion joyeuse et fraternelle laisse augurer l’arrivée du printemps et la fin des temps difficiles.
     
Coté dessin, le travail à l’aquarelle d’Eve Tharlet est toujours aussi magnifique. Les grandes cases se succèdent et la variété des plans (gros plan, plan large, plongée, contre plongée...) donne beaucoup de dynamisme à l’ensemble. Bref, à nouveau une belle réussite et un réel plaisir pour les enfants de retrouver cet univers animalier chaleureux et intelligemment construit. Seul bémol, le prix. 16,45 euros pour une BD de 32 pages, c’est beaucoup trop cher. Heureusement les quatre premiers volumes ont été réédités dans la collection de poche Mille bulles de l’école des loisirs (6,00 € l’exemplaire). Plus d’excuse donc, pour partir à la découverte de cette série en passe de devenir un classique de la bande dessinée pour très jeunes lecteurs.

Monsieur Blaireau et Madame Renarde T5 : Le carnaval de Brigitte Luciani et Eve Tharlet. Dargaud, 2012. 32 pages. 16,45 euros. 


Luciani et Tharlet - © Dargaud 2012

mercredi 10 octobre 2012

Les tribulations du Choucas 2 de Lax

Lax © Dupuis 2008
Après un mémorable trekking payant au Népal, les tribulations du Choucas nous emmènent cette fois-ci en Afrique. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le Choucas est un détective privé désabusé, anti-héros attachant qui a le chic pour s’embarquer dans des affaires dont aucun autre ne voudrait. Engagé par les parents adoptifs de Benoit, un jeune homme d’origine malienne qui a disparu après un contrôle d’identité musclé dans les rues de Paris, le Choucas retrouve la trace de l’adolescent à Mopti, la Venise du Mali. Fuyant les répressions de la police française, Benoit veut également partir en guerre contre les passeurs qui font miroiter aux Maliens les chimères de la vie en Europe. Mais la mafia locale ne l’entend pas de cette oreille…

J’adore le Choucas. Ce privé a d’abord vécu six aventures dans la série éponyme (regroupées dans une magnifique intégrale en noir et blanc publiée en 2006 et aujourd'hui épuisée). Lax y rend hommage aux titres de la série noire de Gallimard avec des intrigues aux connotations très sociales. « Une plongée dans les eaux troubles de l’humaine condition » aux propos gauchisants dénonçant les méfaits de l’ultralibéralisme. C’est pêchu, drôle, cynique, joyeusement pessimiste et surtout dessiné avec une rare puissance expressive qui n’est pas sans rappeler le très du génial Delitte.

Ce second tome des tribulations du Choucas est éminemment politique, sans doute trop. En forçant le trait sur la dénonciation sociale (les méfaits de la droite française ultra-sécuritaire et l’inhumanité des passeurs africains) au détriment de l’intrigue, Lax fait perdre beaucoup d’intérêt au récit. Même si les dialogues sont savoureux et les références à la série noire toujours présentes, l’absence de nuances (tous les policiers sont d’affreux racistes) affaiblit au bout du compte le propos et lui fait perdre toute crédibilité. Finalement, le scénario très linéaire et sans surprise laisse comme un goût d’inachevé.

Si le scénario déçoit, il n’en est rien du dessin. On retrouve avec plaisir le trait sec et nerveux qui fait de Lax un des grands dessinateurs actuels. Le découpage est simple et efficace, l’alternance entre les grandes cases et les plans plus serrés donnant du rythme à l’ensemble. Au niveau des couleurs, le jaune et l’orange dominent chaque planche. Ces tons mordorés donnent à l’Afrique un côté crépusculaire qui colle parfaitement à l’étouffante chaleur ambiante.

Ce nouvel épisode du Choucas est sans doute le moins bon de la série (en comptant les 6 volumes parus dans le cycle précédent). Faire passer le message politique avant la qualité de l’histoire est une erreur majeure qui pénalise l’ensemble de l’album. Néanmoins je persiste et je signe : si vous avez la chance de tomber sur l’intégrale en noir et blanc et que vous aimez les polars, vous pouvez foncer les yeux fermés.

Les tribulations du Choucas T2 : La brousse ou la vie de Lax. Dupuis, 2008. 48 pages. 14,50 euros.


Lax © Dupuis 2008


La couverture de l'intégrale en noir et blanc,
aussi magnifique qu'épuisée (mais moi je l'ai, na !)




lundi 8 octobre 2012

Chronique express BD (2)


Deuxième épisode de mes chroniques express Bd. Toujours sur une idée Mo’ et à Choco, je présente en vitesse quelques albums lus ces derniers temps. Pour le meilleur et pour le pire…

Zep © Glénat 2012
Titeuf T13 : A la folie, de Zep. Glénat, 2012. 48 pages. 10,45 euros.

Le nouveau Titeuf est toujours un événement pour moi. Ben oui, j’adore ce petit bonhomme ! Beaucoup de morve et pas mal d’humour scatologique dans cet album drôle et irrévérencieux, comme d’hab. J’avoue que je suis toujours bon public pour les blagues pipi-caca alors forcément, je ne suis jamais déçu avec Titeuf. Maintenant je comprends que l’on puisse faire un blocage sur ce personnage et son univers mais vous aurez compris que ce n’est pas du tout mon cas…




Swolfs © Soleil 2012
Durango, intégrale T2, d’Yves Swolfs. Soleil, 2012. 200 pages. 29,95 euros.

Second tome de l’intégrale des aventures du cow-boy solitaire de Swolfs. La suite de ses péripéties mexicaines vaut son pesant de cacahuètes. Le dessin hyperréaliste est toujours aussi époustouflant. Beaucoup de cadavres viennent joncher les plaines et les déserts de l’ouest sauvage dans ces albums qui, malgré le poids des ans, restent des must du genre.








Heitz © Gallimard 2012
Un privé à la cambrousse, intégrale T3 de Bruno Heitz. Gallimard, 2012. 348 pages. 21 euros.

Suite et fin des aventures d’Hubert, le détective privé de la France profonde. Toujours beaucoup de tendresse dans ces portraits de la ruralité des années 50 mis en images par le trait épais (et en noir et blanc, youpi !) de Bruno Heitz. Je suis fan depuis très longtemps et je me réjouis enfin d’avoir l’intégralité des enquêtes de ce privé pour le moins atypique trônant fièrement sur les étagères de ma bibliothèque.


Jordan et Moore
© Delcourt 2012
Luther Strode T1 : Un bien étrange talent de Justin Jordan et Tradd Moore. Delcourt, 2012. 148 pages. 15,50 euros.

Luther Strode, tête de turc de son lycée, commande par correspondance une méthode révolutionnaire censée le transformer en surhomme bodybuildé. Les résultats seront au-delà de ses espérances mais signeront pour lui le début d’un affreux cauchemar…
Une vraie horreur. Je me plaignais il y a quelques temps de la violence gratuite de la suite de Kick Ass. J’avoue que c’était de la petite bière par rapport à cette nouvelle série. Une escalade sans aucun intérêt (pour moi) vers des scènes de plus en plus insoutenables. Ce n’est pourtant pas à priori un comics typiquement horrifique mais le résultat final m’a franchement donné la nausée. Je suis certain que beaucoup de lecteurs vont adorer mais pour moi ce fut une découverte des plus éprouvantes.  
A se demander pourquoi je me laisse parfois tenté par des titres tellement éloignés de mes goûts. Sans doute mon coté sado-maso…


















samedi 6 octobre 2012

Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka (rentrée littéraire 2012)

Otsuka © Phébus 2012
« Sur le bateau, nous étions dans l’ensemble des jeunes filles accomplies, persuadées que nous ferions de bonnes épouses. Nous savions coudre et cuisiner. Servir le thé, disposer des fleurs et rester assise sans bouger sur nos grands pieds pendant des heures en ne disant absolument rien d’important ».

Ces jeunes filles sont japonaises. Le bateau a quitté le pays du soleil levant pour traverser l’océan pacifique et se rendre à San Francisco. Là-bas les attendent des maris qu’elles n’ont vu qu’en photo. En ce début de XXème siècle, elles n’ont pas d’autre choix que d’abandonner leur famille et la misère pour espérer une vie meilleure.

« Sur le bateau nous ne pouvions imaginer qu’en voyant notre mari pour la première fois, nous n’aurions aucun idée de qui il était. Que ces hommes massés aux casquettes en tricot, aux manteaux noirs miteux, qui nous attendaient sur le quai, ne ressemblaient en rien aux beaux jeunes gens des photographies. Que les portraits envoyés dans les enveloppes dataient de vingt ans. Que les lettres qu’ils nous avaient adressées avaient été rédigées par d’autres, des professionnels à la belle écriture dont le métier consistait à raconter des mensonges pour ravir le cœur. [...] Nous voila en Amérique, nous dirions-nous, il n’y a pas à s’inquiéter. Et nous aurions tort. »

Quand vient la première nuit, chacune doit subir les assauts de son inconnu de mari. Difficile de parler d’une nuit de noces. Appelons plutôt cela un viol... Puis commence la dure vie de l’expatriée. Les japonais n’ont droit qu’aux corvées. Les exilées vont travailler dans les champs pour une bouchée de pain. Plus tard, quelques unes seront employées comme femme de ménage chez de riches blancs. Entre temps, beaucoup auront eu des enfants qui, en grandissant, renieront leurs origines, ne parleront plus la langue et auront honte de leurs parents. Enfin, ce sera la guerre. Pearl Harbour. L’ère du soupçon, la crainte de voir en chaque japonais un espion à la solde d’Hirohito. L’Amérique finira par les interner dans des camps disséminés dans différents États...

Julie Otsuka raconte l’histoire de ces femmes. Une douleur sourde, une violence insoutenable. Optant pour un mode narratif pluriel, elle créé une voix collective disant : « nous tous, témoins de l’horreur commune ». Cette entité qui s’exprime est une incantation, un chant, une prière chuchotée proche de l’élégie. Le « nous » rassemble des milliers de femmes aux destins similaires. De ce chœur sacré s’élève une triste mélopée. Pourtant, et c’est là que réside le talent de l’auteur, l’écriture, exempte de toute sensiblerie, reste délicate et sans complaisance. Le style épuré donne davantage de puissance au témoignage de cette entité collective. Un roman impressionnant qui vous sonne et vous laisse groggy comme un uppercut à la pointe du menton.

Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka. Phébus, 2012. 140 pages. 15 euros.

L'avis de Kathel

L'avis de Canel

L'avis de Philisine Cave