jeudi 23 août 2012

Marcus de Pierre Chazal (rentrée littéraire 2012)

Chazal © Alma 2012
Allez zou, c’est parti. Cette semaine signe le début de la rentrée littéraire (et pour moi la fin des vacances, mais c’est une autre histoire…) et les nouveautés alléchantes se bousculent déjà sur les tables des libraires. 646 romans français et étrangers vont paraître d’ici le mois d’octobre.  Je compte en lire entre 15 et 20, comme chaque année. Sur ma liste 2012, Laurent Gaudé, Jérôme Ferrari, Silvia Avallone, Pedro Juan Gutiérrez, Christophe Donner, Jean-Michel Guenassia, Claire Keegan et quelques autres qui ne manqueront de tomber dans mon escarcelle au gré de mes pérégrinations sur les blogs.

En attendant, on commence en douceur avec Marcus, un premier roman de Pierre Chazal que j’ai reçu au mois de juin dans le cadre de l’opération On vous lit tout », organisée par Libfly et le Furet du Nord.

A Lille, lorsque la mère de Marcus se jette du haut d’un pont, le garçon se retrouve seul au monde. Pris en charge par Pierrot, le meilleur ami de la défunte, l’enfant se renferme sur lui même. Pour Pierrot aussi le choc est rude à encaisser. L’arrivée de Marcus bouleverse ses habitudes de célibataire endurci. Peu à peu, ces deux écorchés vifs vont apprendre à mieux se connaître et découvrir que leur vie commune peut être source de bonheur. Mais une fois de plus, le destin s’en mêle et Pierrot, accusé de meurtre, se retrouve derrière les barreaux. Entre les murs, il tente de survivre et surtout il s’accroche à cette certitude : dehors, Marcus l’attend…

Un roman qui donne la parole aux sans grades, aux laissés-pour-compte qui, jamais, ne connaîtront les feux de la rampe. Ces gens-là, comme le chantait Brel, sont  à la fois attachants, généreux et bons vivants. Pour autant, Pierre Chazal a l’intelligence de ne pas les idéaliser. Sous sa plume, la voix de Pierrot raisonne avec force. Son narrateur est un gars du nord qui raconte ce qui lui vient, comme ça lui vient. Un style direct et moderne qui colle parfaitement au propos.  

Un premier roman plein de vie et souffrant de quelques imperfections mais qui laisse au final une impression des plus positives.

Si vous souhaitez découvrir ce titre, je veux bien le faire voyager. Contactez-moi par mèl en me laissant vos coordonnées et le tour est joué.

PS : mon exemplaire n’est pas celui disponible en librairie, ce sont les épreuves non corrigées mais au final cela ne change strictement rien.

Marcus de Pierre Chazal. Alma éditeur, 2012. 330 pages. 17 euros.



Ce billet signe ma 1ère contribution au
challenge 1% rentrée littariare de Mimi et Hérisson
 
 

et une nouvelle participation au défi 1er roman de Anne



mercredi 22 août 2012

Kick Ass 2 T1 : Restez groupés !

Millar et Romita Jr
© Panini 2012 
J’avais beaucoup aimé le premier diptyque de Kick-ass, l’histoire de Dave, cet ado lambda qui décide de devenir un super héros. Évidemment, il n’a aucun pouvoir mais il décide quand même d’enfiler une tenue moule-burnes et de partir chaque soir défendre la veuve et l’orphelin. Évidemment, les choses se passent très mal et il reçoit une raclée mémorable qui l’envoie à l’hosto pour plusieurs mois. Pas découragé pour autant, il retourne patrouiller dans les rues et devient un phénomène sur Youtube. Son association avec Hit-Girl (une gamine d’à peine dix ans) et Big Daddy, eux aussi justiciers masqués, va le mener à un terrible affrontement final avec des sbires de la mafia au cours duquel Big Daddy est tué et Dave torturé. Secouru par Hit-Girl, l’adolescent semblait, après cet épisode sanglant, s’être rangé des voitures.

Au moment où s'ouvre ce nouveau volume, Kick-Ass reprend du service et entre dans une ligue de justiciers créée sur Facebook. En toute logique, Justice éternelle (le nom du groupe de Kick-ass) va engendrer des réactions négatives qui vont aboutir à la formation d’une équipe de super-criminels, les mégas-enfoirés (j’adore la poésie de ce nom !). Au final, l’affrontement entre les bons et les méchants va être ultra-brutal et ces super-héros ordinaires vont y laisser des plumes, c’est le moins que l’on puisse dire.

Nous voila donc repartis dans un nouvel arc narratif (une expression à la c… utilisée par l’éditeur) très très violent. Autant vous le dire tout de suite, cet album s’adresse aux lecteurs avertis qui n’ont pas peur de l’hémoglobine. Le premier cycle donnait déjà dans le sanglant mais je pense que cette fois-ci un nouveau palier a été franchi. Le problème c’est que le semblant de légèreté (tout est relatif !) et l’humour des volumes précédents a totalement disparu. Tout l’art des auteurs consistaient à mettre en scène avec truculence des super-héros comme vous et moi qui ne jouaient pas à faire semblant. Ici, le principe reste à peu près le même mais la verve et l’autodérision ont disparu. On donne dans le glauque, la violence gratuite et on grimpe sur l’échelle de l’innommable avec le plus grand sérieux. Du coup, tout le plaisir de la lecture disparaît pour laisser place à un certain malaise. Le voyeurisme morbide, très peu pour moi. Je ne doute pas que certains apprécient beaucoup ce genre de choses, ça ne me pose d’ailleurs aucun problème, mais personnellement je ne suis pas le bon public.  

Une certitude, de mon coté, l’aventure Kick-Ass s’arrêtera là. Et si l’envie me prend de faire le plein de testostérone, je retournerais lire Doggy Bags. Au moins, je suis sûr d’y trouver mon compte.

Kick Ass 2 T1 : Restez groupés ! de Mark Millar et John Romita Jr. Panini, 2012. 96 pages. 11.20 euros.


Millar et Romita Jr © Panini 2012






lundi 20 août 2012

Raymond Carver selon Roger Wallet

On fait tous un peu la même chose en écrivant nos billets. Pour parler de nos lectures, on rédige plus ou moins laborieusement des avis plus ou moins argumentés. Notre envie première, c’est partager, faire découvrir, échanger. Certains s’en sortent mieux que d’autres. Il y a parfois un ton vraiment particulier, une qualité d’écriture qui sort du lot et qui saute aux yeux. Mais il n’en reste pas moins que la très grande majorité d’entre nous donne dans l’amateurisme le plus complet. Et c’est tant mieux. Il n’empêche, quand un écrivain parle de l’un de ses auteurs préférés, ça a une autre gueule.

Dans le n°15 de la revue Les années (revue à laquelle je participe modestement), Roger Wallet parle de sa découverte de Raymond Carver et de la façon dont ce dernier a influencé de manière majeure son écriture. Je connais très bien Roger. Il a été mon directeur pendant des années. Lorsque son premier roman (Portraits d’automne) est paru et qu’il est passé chez Pivot, ce fut un magnifique souvenir. Depuis, il continue à publier de nombreux recueils de nouvelles chez différents éditeurs. Je garde aussi en mémoire les ateliers d’écriture menés à ses cotés auprès de collégiens en difficulté. De grands moments !

C’est Roger qui m’a parlé de Carver. Je ne connaissais pas du tout. Depuis, j’ai classé cet auteur tout en haut de mon panthéon personnel auprès de Bukowski, Fante, Selby et Michon. Je reproduis ci-dessous (avec son autorisation) l’intégralité du texte rédigé par Roger dans la revue. C’est tout sauf scolaire. Ce n’est pas non plus journalistique ou formaté pour respecter d’éventuelles règles propres au genre. Ça vient du cœur. C’est le genre de billet que je rêve d’écrire. Malheureusement, je ne suis pas au niveau. Je n’espère même pas y arriver un jour. En attendant, je vous souhaite une bonne lecture. Et si vous n’êtes pas convaincu après cela qu’il faut ABSOLUMENT lire Carver, je ne peux plus rien faire pour vous.

« Le jour où j’ai lu mon premier Carver il s’est passé quelque chose d’indicible. On venait de me prendre la main, de me tenir la main à l’entrée du grand bain. Je découvrais mon univers : ce serait des gens simples que j’écrirais, et la vie de tous les jours. Les joies, les peines, pas besoin d’aller dans les excès pour mettre le monde en suspens le temps d’une lecture. La première nouvelle que j’ai lue de lui est la plus belle. Il le dit dans un entretien, c’est celle qu’il préfère. C’est pas grand-chose mais ça fait du bien. Un titre nul, ridicule. Mais une histoire au couteau qui chemine lentement, vous agrippe le cœur, vous le serre, vous le pince, vous le tord, vous l’essore. On en sort lessivé : comment ce type peut-il vous bouleverser à ce point ? Les larmes, ce n’est pas son truc. Il s’arrête toujours au moment où le cœur serre si fort qu’on ouvre la bouche pour prendre une grande inspiration. Des fois, ça serre simplement, ça poigne. Voilà le mot : ses histoires vous pognent, vous poignent. Vous empoignent et vous n’en sortez pas. Ce sont presque toujours des histoires simples. La plus simple : ce type anéanti par un divorce. Il s’arrête quelque part, n’importe où. Là où il a loué pour quelques jours, le gars a fait rentrer du bois, reste à le fendre. C’est lui qui s’y colle, celui qui n’est plus nulle part. Trois jours il cogne, il cogne, il s’abrutit de coups. Le troisième soir il est guéri. Il peut partir. Les critiques ont fait de Carver l’inventeur du minimalisme en écriture. Sans doute pour cette pauvreté des scénarios et des mots. Il ne nomme pas les sentiments, il les met en action, en situation.

Une autre question posée par Carver a ressurgi à l’occasion de la publication de ses œuvres complètes à L’Olivier. En deux mots. Il envoie son premier manuscrit à un éditeur. Il lui trouve de grandes qualités et une voix, une voix neuve. Il accentue délibérément l’âpreté brutale du dénuement des personnages en rognant certaines longueurs. L’Olivier a eu la belle idée de publier la version initiale de Parlez-moi d’amour, celle de Carver, ici titrée Débutants. Belle idée car elle permet de voir le travail de l’éditeur qui est aussi d’accompagner un auteur. La version de l’éditeur est meilleure ! Il y a quelque cruauté à écrire cela mais le regard extérieur qu’il a apporté magnifie l’écriture de Carver.

Il a aussi écrit des poèmes. Beaux. Dans le même style. Je dois beaucoup à Carver. Outre des citations à peine voilées dans deux ou trois de mes textes, il m’a rassuré sur l’écriture : rien à voir avec les succès de librairie, c’est avec soi que ça se joue. Dans ce rapport infiniment complexe entre ce que l’on croit inventer et qui est nous, et ce que le lecteur ingère parce que c’est lui. Carver c’est l’anti-Harrison, pas de personnages flamboyants, pas de nature foisonnante, pas de légende. Carver est urbain, de son temps (il est mort en août 88) et il se dépouille de son écriture. Ce n’est pas non plus l’écrivain des losers comme je l’ai lu. Il n’a aucun de ces snobismes. Il parle de gens comme lui – et il a touché de près certains de ces drames où l’on s’engloutit, comme l’alcool. On habiterait à côté de chez lui, on ne le saurait pas. »

Roger Wallet

Retrouvez gratuitement l'ensemble des numéros de la revue : http://lesannees.blogspot.fr/



vendredi 17 août 2012

D’acier de Silvia Avallone

Avallone © Liana Levi 2012
Anna et Francesca ont 13 ans. Ces deux gamines qui ne se sont jamais quittées depuis les bancs de la maternelle sont les meilleures amies du monde. Leur univers se circonscrit aux HLM de la rue Stalingrad, à Piombino, face à l’île d’Elbe. Leur quotidien, c’est la plage où se jettent les égouts. C’est aussi une vie de famille difficile. Dans cette Italie de Berlusconi, les maris sont avachis devant le petit écran pour mater les bimbos qui présentent des jeux à la con. Ils fantasment devant ces garces à la plastique parfaite, tout le contraire de leurs femmes. Anna et Francesca surnomment leur père les babouins. Celui de la première abandonne souvent sa famille et trempe dans des trafics à la petite semaine. Le père de Francesca est un mari violent troublé par le corps de sa fille et qui passe ses après-midi à la regarder aux jumelles depuis le balcon. Anna a aussi un frère qui travaille à l’aciérie locale. Le plus grand employeur de la ville, une usine et des hauts-fourneaux qui broient les ouvriers à coup de cadences infernales dans une chaleur insupportable.

Les deux amies ne voient pas leur avenir de la même façon. Anna va rentrer au lycée général. Pour elle, l’éducation est la seule voie d’émancipation pour les femmes. Francesca ne rêve que de plateaux télé, de mini-jupes et de talons hauts. Seule certitude pour ces ados un peu paumées, leur indestructible amitié ne les séparera jamais, quoi qu’il arrive…

Ce premier roman est un coup de maître. Ample, dense, extrêmement construit, il pose un regard sans concession sur une Italie ayant fait du consumérisme et des reality-show graveleux la culture dominante. Un véritable « roman social », au sens le plus noble du terme. C’est également un superbe texte sur l’adolescence, ce moment où sensualité, doute et fragilité se conjuguent et où des destins de femmes se construisent parfois.

Personnages incarnés, réalité sociale parfaitement décrite, D’acier est un texte d’une très grande force. Une divine surprise qui m’a permis de découvrir une nouvelle voix de littérature italienne actuelle et qui m’a définitivement convaincu que cette dernière ne se limitait pas au seul Erri De Luca.

D’acier de Silvia Avallone, Liana Levi (Piccolo), 2012. 386 pages. 12,50 euros.

L'avis d'EmmaDorian ; L'avis de Clara



Ce billet signe une nouvelle contribution au challenge il viaggio de Nathalie...

et ma 6ème participation au challenge de Anne


samedi 4 août 2012

Le bar des menteurs d’Ingrid Naour

Naour © Le cherche midi 2012
La chti ne supporte plus la grisaille parisienne. Lorsque son ami Claude propose de lui prêter sa maison à Noirmoutier, elle s’empresse d’accepter. Arrivée sur place, elle rencontre avec plaisir la « faune » locale au bar des menteurs. Une tripotée de noirmoutins et de noirmoutines imbibés du matin au soir. Des personnages haut en couleurs qui ont tous un surnom : La bernique, Y’a pas, Ardoise magique, Riz complet, Remets-moi ça… La chti va être initiée à la vie insulaire par ses piliers de bistrot à coup de rosé, de muscadet et de bière blonde.

Des dialogues qui se voudraient inspirés par Audiard, des seconds rôles truculents et quelques situations cocasses, il y a là beaucoup d’éléments savoureux qui pourraient pousser à la lecture sans modération. Pourtant, je ne me suis pas laissé embarquer avec plaisir à Noirmoutier. Trop de clichés (les parisiens sont soit des mendiants, soit des bobos, les touristes en vacances sur l’île sont forcément des gros cons…), une volonté un peu artificielle de célébrer « l’ivresse joyeuse » (c’est bien connu, tous les pochtrons sont des gens formidables) et un ébahissement permanent devant la beauté des paysages ont eu raison de mon enthousiasme. Je comprends que l’on puisse trouver dans ce récit un hymne à la vie, à la fête, aux copains. Je comprends que l’on puisse avoir envie de s’accouder au bar des menteurs pour trinquer avec Remets-moi ça mais personnellement, je préfère passer mon tour. Pas parce que je suis un vieux réac rabat-joie (quoique…) mais parce que ce texte à l’écriture plutôt plate et aux dialogues pas si enlevés que cela m’a laissé de marbre.

Dans le genre « roman éthylique » de qualité, je préfère, et de loin, Les compagnons du verre à soif de François Vignes.

Le bar des menteurs d’Ingrid Naour. Le cherche midi, 2012. 120 pages. 13,00 €.

vendredi 3 août 2012

Les Légendaires de Patrick Sobral, véritable success story de la BD jeunesse

Sobral © Delcourt 2004
Une série jeunesse sortie de nulle part dont chaque nouvel album se vend toujours plus que le précédent, c’est un phénomène de plus en plus rare, surtout en BD. Le mieux, pour comprendre pourquoi Les légendaires font un tel tabac auprès des enfants de 8-12 ans, c’est encore de lire leurs aventures.

A la base, rien de révolutionnaire, loin de là. La série relate les faits et gestes d’un groupe de personnages héroïques dont les exploits font la fierté des habitants d’Alysia. Mais lorsque l’histoire débute, les cinq légendaires livrent un ultime combat à Darkhell, le sorcier noir. Au cours de l’affrontement, la pierre de Jovenia est brisée et un sortilège s’abat sur l’ensemble du pays, transformant toute la population en enfants. Rejetés par les leurs suite à la catastrophe, les cinq héros se séparent pendant deux ans. Mais leur leader Danaël les sollicite à nouveau pour tenter de réparer leur faute, lançant la petite troupe dans une quête palpitante...

Un chevalier, une magicienne, une elfe, un gros balèze et un homme-bête aux griffes d’acier, le groupe des légendaires mélange figures classique de la Fantasy et personnages originaux. Les caractères sont bien trempés et les relations au sein du groupe clairement définies. Patrick Sobral a su par ailleurs créer un bestiaire varié et farfelu qui donne beaucoup de sel à son récit. Les autres points forts de la série tiennent dans le dessin, fortement inspiré par les mangas et les touches d’humour très présentes tout au long de l’aventure. Finalement, les ingrédients mis en place au départ sont ultra-simples et ultra déjà-vus. Pourtant, force est de constater que la recette fonctionne. De plus, le déroulement de l’intrigue est très linéaire et ne pose aucune difficulté de compréhension, ce qui est idéal pour « ratisser large » auprès du jeune lectorat.

L’ensemble fonctionne aussi parce que l’histoire est présentée sous forme de cycles et surtout parce que la sortie de chaque album est très rapprochée. Pour lancer la série, les quatre premier tomes sont sortis en un peu plus d’un an, une vitesse de publication phénoménale pour du franco-belge ! Le plus remarquable c’est que le rythme n’a pas baissé par la suite puisque nous sommes aujourd’hui à quatorze volumes publiés en sept ans.

Sans campagne de publicité pétaradante, sans véritable retour critique dans la presse spécialisée, les ventes des Légendaires ont explosé et se comptent en centaines de milliers d’exemplaires. Un spin off intitulé Les légendaires origines est classé depuis douze semaines parmi les meilleures ventes de BD. En juin, les cinq héros ont rejoint la bibliothèque verte et les agendas 2012/2013 font un carton en librairie. Bref, Les légendaires ressemblent un peu pour leur auteur à un conte de fée. Je pense qu’une série animée va suivre un jour ou l’autre, je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

C’est bien beau tout ça mais vous voulez peut-être savoir ce que j’en pense ? D’un coté, je me dis que j’ai passé l’âge de lire ce genre de chose. De l’autre, je constate que je me suis enfilé les deux premiers cycles d’une traite et que je ne me suis pas ennuyé une seconde. Au final, je reste persuadé qu’un tel succès, construit quasi uniquement sur le bouche à oreille et la fidélité des fans ne peut qu’être une bonne chose à l’heure où chacun se désole de constater (le plus souvent à tort) que les enfants ne lisent plus.

 
Sobral © Delcourt 2004

jeudi 2 août 2012

Le tag des 11 questions


Nathalie m’avait tagué au mois de juin. Aujourd’hui, Fildediane et Mo’ me proposent le même tag et comme je n’ai pas envie de passer pour un goujat et que je trouve leurs questions aussi variées qu’intéressantes, je vais me faire un plaisir d’y répondre. Pour le reste, je ne fais que remonter le billet du premier tag. Un air de déjà vu pour ceux qui passent ici régulièrement mais tant pis...

Dernière petite précision, je m’arrêterai là pour le tag des 11 questions. Si d’aventure je venais à être de nouveau tagué sur ce même principe, je me permettrais de décliner l’invitation (il ne faut pas abuser des bonnes choses^^).

Reprise du billet du mois de juin (les questions de Fildediane et de Mo' ont été rajoutées à la suite)

Les règles sont simples : 

 1) Poster les règles
 2) Écrire 11 choses sur soi
 3) Répondre aux 11 questions posées par mon tagueur
 4) Rédiger 11 questions soi-même
 5) Choisir 11 personnes à taguer et mettre leur lien
 6) Les prévenir

Comme c’est un tag qui a déjà beaucoup tourné je vais me contenter de respecter les trois premières règles.

Onze petites choses inavouables me concernant :

-  Je ne sais pas lire un seul roman à la fois. J’ai toujours au moins 4 ou 5 titres en cours. Je papillonne de l’un à l’autre sans jamais m’emmêler les crayons. Une gymnastique que je maîtrise à la perfection !

-  Pour hiérarchiser mes lectures je pratique la règle du « dernier arrivé, premier lu ». Pas le meilleur moyen de faire baisser ma PAL mais je ne sais pas faire autrement. Il y a donc certains livres achetés depuis 5 ou 6 ans qui prennent la poussière sur une étagère de ma bibliothèque et que je ne suis à l’évidence pas prêt de lire.

- J’adore lire dans le bain, c’est ma petite drogue à moi.

- J’ai créé et j’organise un prix littéraire pour les enfants de 9 à 12 ans de mon département. Grâce au soutien des collectivités et de l’inspection académique le prix ne cesse de grossir (1200 élèves participants cette année). Sans doute ma plus grande fierté professionnelle.

- Puisque l’on est dans l’inavouable, j’avoue que j’aime bien de temps en temps lire des romans érotico-porno tout pourris et les présenter chaque 1er mardi du mois dans le cadre du rendez-vous instauré par Stephie.

- Je lis plus de 200 BD par an. C’est une passion qui ne m’a jamais quittée depuis l’enfance.

- J’ai eu la chance d’avoir pour patron un écrivain dont le 1er roman a connu au moment de sa sortie un vrai succès critique, à tel point qu’il fut invité sur le plateau de Bernard Pivot un vendredi soir. Un moment inoubliable ! J’ai par la suite eu la chance d’animer avec lui des ateliers d’écriture avec des élèves en très grande difficulté. J’en garde d’excellents souvenirs et j’ai été très affecté le jour où il est parti en retraite.

- En 1ère année de Fac un de mes poèmes a été publié dans une obscure revue littéraire. Je me voyais déjà comme le nouveau Verlaine mais je suis très vite redescendu sur terre !

- je suis sans doute le plus mauvais bricoleur que l’on puisse imaginer. Tout juste bon à planter un clou, au grand désespoir de ma femme.

- Je suis passionné par les courses de chevaux. J’ai même été l’éphémère co-propriétaire d’un cheval qui, à cause d’une santé fragile, n’aura malheureusement jamais vu un champ de course. Il coule aujourd’hui des jours heureux en tant que cheval de selle, c’est bien là l’essentiel.

- J’ai les cheveux longs depuis l’âge de 16 ans (j’en ai aujourd’hui 37). J’ai décidé de tout couper cet été et j’avoue que je me demande à quoi je vais bien pouvoir ressembler sans ma tignasse !


Les onze questions de Nathalie :
- Quelle est ta gourmandise préférée (salée ou sucrée) ?
Rien ne me fait plus plaisir qu’une salade de fruits frais. C’est tout simple et j’adore ça !

- Si tu écrivais un livre, quel en serait le thème ?
Je raconterais ma vie forcément. Sans doute le sujet le moins intéressant que l’on puisse imaginer. Du coup je doute qu’il y ait beaucoup de lecteurs potentiels !

- Qu'est-ce qui te rend accro à la lecture ?
C’est un besoin inexplicable. Une journée sans avoir ouvert un livre est juste inimaginable, impensable !

- Quel conte, récit, poème a marqué ton enfance ?
Je dirais que c’est Fantomette qui a marqué mon enfance. Le 1er roman que j’ai lu tout seul. J’ai enchaîné avec presque tous les titres de la collection !

- Quel livre offrirais-tu à ton/ta meilleur(e) ami(e) ?
La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, un roman assez peu connu mais qui est pour moi un petit chef d’œuvre.

- Quel est ton illustrateur favori ? (BD, Album ) ?
Michel Plessix (Le vent dans les saules). C’est un dessinateur à l’ancienne, un artisan qui fignole chaque case avec une minutie remarquable. Son dessin me fait rêver, tout simplement.

- Quel est ton meilleur souvenir d'école lié à la lecture ?
Les lettres de mon moulin que j’avais étudié en CM2. Là encore c’est inexplicable mais je garde un souvenir très précis de cette lecture.

- Quel livre relis-tu régulièrement ou aimerais-tu relire ?
Je relis régulièrement des nouvelles de Charles Bukowski, mon auteur préféré. C’est l’écrivain qui  a le plus marqué ma vie de lecteur.

- Papier ou numérique ?
Définitivement papier. Je ne pourrais jamais lire un roman sur écran, c’est impossible.

- Vers quel pays te sens-tu attiré(e) ?
J’ai longtemps rêvé du Canada mais depuis que j’y suis allé l’envie m’est passée. Par contre j’aimerais beaucoup revoir l’île Maurice. J’ai tellement adoré mon (trop court)à séjour là-bas que je me suis promis d’y retourner un jour.

- De quel livre parlerais-tu dans un café littéraire ?
Alors là, aucune idée. Je crois que je préfèrerais parler d’un ouvrage récent plutôt que d’un classique. Si je devais piocher dans les livres que j’ai lu depuis le début de l’année je dirais Le diable tout le temps de Donald Ray Pollock. Un 1er roman tout simplement incroyable !


Les 11 questions de Fildediane :


1 – Vous faut-il des conditions particulières pour lire ?
Aucune. Le bruit, le mouvement autour, rien ne me gêne quand je lis, j’arrive à rentrer dans ma bulle sans problème.

2 – Dans un livre qui vous plait, vous vous attachez davantage à la plume de l’auteur ou aux personnages ou les deux peut-être ?
Les deux comptent mais une belle plume prendra toujours l’avantage pour moi sur de beaux personnages.

3 – Quelle serait pour vous la Bibliothèque idéale, peut-être l’avez vous déjà trouvée ?
La bibliothèque idéale, c’est celle que je me construis. Elle est en perpétuelle mouvement, elle ne cesse de s’enrichir, elle n’intéresse que moi et représentera sans doute un bien piètre héritage pour mes enfants, mais c’est la mienne et rien que pour cela, elle est à mes yeux idéale.

4 – Quand un livre ne vous plait pas, vous vous accrochez ou vous abandonnez sans scrupule ?
Je n’ai aucun scrupule à abandonner. Il y a tellement à lire, pas la peine de perdre son temps.

5 – Qu’est-ce que vous n’aimez pas dans un livre, qu’est ce qui vous pousse à abandonner ?
Je déteste l’autofiction. Quand un auteur se prend pour le nombril du monde, je fuis à toutes jambes.

6 – Quel est l’endroit le plus insolite où vous ayez lu ?
Une église, pendant la messe de mariage de mon frangin. Je savais que j’allais me faire ch..., j’ai donc emmené un petit bouquin d’Albert Londres (Tour de France, tour de souffrance) qui rentrait pile poil dans la poche de mon costume. Ni vu connu (heureusement que je n’étais pas le témoin^^).

7 – Aimez-vous la bande dessinée ? Si oui qu’est ce qui vous attire ? Si non qu’est ce qui vous en éloigne ?
Ben oui, forcément que j’aime la BD, avec tous les billets que j’y consacre sur ce blog, ce serait malheureux. Depuis tout petit, c’est un virus qui ne m’a jamais lâché. J’aime à peu près tous les genres, je suis très bon public.

8 -Avez vous un genre de roman que vous ne tenterez jamais (policier, philosophique…) ?
La bitlit, définitivement. Il faudrait me payer pour que j’en lise, et encore...

9 – Quelle serait votre astuce pour faire lire un ado plein de préjugés sur la lecture et les livres (là je vais à la pêche aux infos … lol)
C’est un peu devenu mon métier depuis quelques années. Il faut avant tout trouver le livre qui leur convient. L’avoir lu soi-même et le connaître parfaitement pour partager son envie de le faire découvrir. Je me suis attaqué aux publics les plus difficiles en matière de lecture (SEGPA, EREA, classes relais, IME, collèges de ZEP...) et je peux t’assurer qu’avec les bons livres et une foi inébranlable dans ta capacité à les convaincre que la lecture peut être plaisir, on obtient des résultats vraiment intéressant, même si pour beaucoup d’observateurs extérieurs, on essaie juste de vider l’océan avec une cuillère.

10 – Avez-vous le temps de suivre toutes les trilogies ou sagas commencées ?
J’ai horreur de ça, je ne me lance que très rarement dans les sagas et je ne dépasse pour ainsi dire jamais le premier tome quand je tente le coup.

11 – Quel est votre Livre Préféré, l’Unique (un seul choix possible) ? pourquoi (question subsidiaire) ?
Les Contes de la folie ordinaire de Bukowski. Ce livre aura provoqué mon premier orgasme littéraire, une secousse incroyable, un tremblement terre dans ma vie de lecteur. C’est avec lui que tout à commencé.



Les 11 questions de Mo’ :

1 – Pourquoi un blog sur vos lectures ?
Pour échanger, partager mais surtout pour me souvenir précisément de mes lectures. Au départ, rédiger un avis un peu argumenté m’a permis d’avoir une réflexion beaucoup plus poussée sur les livres que je découvrais. En plus, j’étais persuadé que mes billets n’intéresseraient pas grand monde à part moi. Mais depuis, l’échange avec les autres blogueurs est devenu l’argument principal qui me pousse à continuer le blog.

2 – Vos échanges avec d’autres blogueurs ont-ils modifié votre regard et/ou votre manière d’accueillir un livre ?
Non, pas du tout. En lisant d’autres avis, je peux affiner mon point de vue, me dire que je suis passé à coté de certaines choses ou au contraire constater que mon ressenti n’a pas du tout été le même mais ça ne change pas ma façon d’accueillir un livre.

3 – Dans la vie courante, exclusion faite de votre activité professionnelle (et de votre blog bien évidemment), parlez-vous aussi naturellement des livres à vos amis et connaissances ?
Je peux en parler naturellement mais je constate que ça n’intéresse pas grand monde dans mon entourage. D’où, aussi, l’intérêt du blog^^

4 – Librairie ou Bibliothèque ? Pourquoi ?
Librairie. Parce que ma libraire est super sympa et que la bibli est trop loin de la maison. En plus, je suis tellement bordélique que j’ai perdu un nombre incalculable de bouquins quand j’empruntais à la bibli. Et comme quand on les perd, il faut les repayer, autant les acheter neufs chez ma libraire.

5 – Vous séparez-vous facilement d’un ouvrage que vous avez acheté ?
Oui, très facilement. J’en consomme tellement qu’il faut un sacré turnover pour que la maison ne soit pas totalement envahie par les bouquins. Et puis j’adore offrir des livres, c’est plus fort que moi^^

6 – Combien de jours pourriez-vous tenir sans lire ?
Tu rigoles ou quoi, pas question de passer une seule journée sans lire !

7 – Prenez-vous des notes pendant vos lectures ?
Non, je ne prends aucune note, je corne juste les pages ou je trouve passages intéressants. Quand je rédige mon billet, je retombe sur ces pages et je me demande souvent pourquoi je les ai cornées. En gros, ça ne sert pas à grand-chose...

8 – Marque-page ou corne-ta-page ?
Marque page et corne page, je mélange les deux, c’est mon coté foutraque.

9 – Payer pour avoir un entretien d’embauche : pour ou contre ?
Contre, totalement.

10 – Quel que soit votre réponse à la question précédente : que pensez-vous de la situation décrite par Sébastien Naecco sur cet article d’octobre 2011 ?
On est obligé de trouver cela scandaleux mais j’ai bien peur que de telles pratiques deviennent bientôt la norme. Sincèrement, ça fout les jetons !

11 – Que pensez-vous des tags ?
Point trop n’en faut !

mercredi 1 août 2012

Blue de Kiriko Nananan

Nananan © Casterman 2012
Kirishima et Endô sont élèves en terminale dans un lycée exclusivement réservé aux filles. Si la première est bien intégrée, la seconde intrigue par son comportement réservé. L’année précédente, elle a même été renvoyée de l’établissement sans que personne ne sache vraiment pourquoi. Si pour beaucoup de filles, « c’est un peu difficile de lui adresser la parole après ça », Kirishima ne porte pas sur Endô le même regard que ses camarades : « Ce visage… il m’a toujours attirée. Cette fille, j’ai envie d’être son amie. » Après lui avoir proposé de manger avec elle, Kirishima va emmener Endô en bord de mer : « jusqu’au coucher du soleil, on a bavardé. Je trouvais Endô tellement jolie. La forme de ses yeux, l’alignement de ses dents. Son haleine, comme la mienne, sentait bon la menthe. J’étais bien. Heureuse de sentir que je commençais à aimer Endô. » Leur relation amicale va naturellement évoluer vers plus d’intimité. Mais à un âge où les questions existentielles et les premiers émois sont souvent sources de tensions, cette histoire d’amour atypique n’aura rien du long fleuve tranquille.

J’avoue que je ne connaissais absolument pas Kiriko Nananan. C’est sur les bons conseils de Marie et d’Emmyne que j’ai craqué pour cette édition luxueuse de Blue, sans doute son œuvre la plus célèbre. Un vrai bonheur de découvrir un manga 100% intimiste où il ne se passe finalement rien. N’étant pas du tout un lecteur de shojo, je ne sais pas si cette absence d’action est une loi du genre. Quoi qu’il en soit, l’économie de moyens mise en œuvre ici est une réussite. Elle permet de souligner avec force les silences, les non dits, les questionnements et les hésitations des protagonistes.

De très grandes cases, une quasi absence de décors, beaucoup de gros plans et des attitudes le plus souvent figées, l’auteure ne chercher surtout pas à en mettre plein la vue. Elle déroule son histoire lentement, jouant beaucoup sur les contrastes entre les grands aplats noirs utilisés pour les cheveux et les vêtements et la blancheur immaculée des arrière-plans. Assez déconcertant visuellement, ce parti pris graphique se révèle au final le plus à même de magnifier l’aspect intimiste du propos. Gros bémol néanmoins sur les visages, très difficiles à différencier, ce qui peut par moment poser de vrais problèmes de compréhension.

Malgré ce léger souci, Blue restera une belle découverte. Au-delà de l’homosexualité féminine, ce manga aborde des thèmes aussi variés que les choix professionnels ou encore la fin des amitiés lycéennes. Simple, touchant et fort bien mené.


Blue de Kiriko Nananan. Casterman, 2012. 230 pages. 18,50 euros.

Les avis de Mo', Marie, Yvan, Lunch


Nananan © Casterman 2012

 

lundi 30 juillet 2012

La Duchesse de Langeais de Balzac

La Duchesse de Langeais est une nouvelle qui fait partie de « L’histoire des treize », où figurent aussi « Ferragus » et « La fille aux yeux d’or ». Le texte commence alors que le général de Montriveau, en mission en Espagne, s’introduit dans un couvent de Carmélites aux Baléares. Il y reconnaît avec certitude la femme qu’il recherche depuis cinq longues années et intrigue pour la rencontrer au parloir en présence de la mère supérieure, mais, au dernier moment, elle se dérobe. Après cette introduction, le récit fait un bond de cinq ans en arrière, au moment où ce même général a fait l’objet d’une opération de séduction menée par « la reine du faubourg Saint-Germain », une femme froide, orgueilleuse, prude, experte en coquetterie et qui vit à travers Montriveau l’occasion d’ajouter un prestigieux soldat de Napoléon à sa collection déjà fournie d’admirateurs. La Duchesse de Langeais, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, joua comme à l’accoutumée avec son soupirant, alternant atermoiements et savantes reculades sans jamais lui laisser le moindre espoir de pouvoir consommer une relation devant rester en tout point platonique. D’abord fou amoureux, le général finit par prendre la mouche. Frustré et humilié, il organisa l’enlèvement de la duchesse au cours d’une réception mondaine et menaça de la marquer au fer rouge. Les rôles s’inversèrent alors et la duchesse, devenue amoureuse transie, s’épuisa à tenter de reconquérir son amant. Celui-ci lui montra le dédain le plus profond et, de guerre lasse, Mme de Langeais décida de disparaître à jamais de la vie parisienne pour rentrer dans les ordres…

Grâce à la LCA (Lecture Commune Approximative) d’un ou plusieurs textes de l’Histoire des treize proposée par Marie en février dernier, j’ai pu me replonger dans Balzac, plus de 20 ans après. Est-ce que mon point de vue a changé ? Je serai bien incapable de le dire car je ne gardais aucun souvenir de la Duchesse, pourtant lu en 1994 lors de ma première année de DEUG. Tout ce que je sais c’est qu’en refermant le livre, une question m’a taraudé. Une question toute simple mais qui est à mon sens le point central du récit : Mme de Langeais et Mr de Montriveau se sont-ils vraiment aimés ?

Je m’explique. Même si tout concorde pour ne laisser planer aucun doute sur leurs sentiments réciproques (des mois de fréquentation assidue, l’acharnement dont ils font preuve tour à tour pour rester proches, les cinq année de recherches entreprises par Montriveau, les lettres enflammées envoyées par la duchesse après l’enlèvement, son renoncement et le risque de perdre sa réputation…), je reste persuadé qu’au-delà des apparences, ces deux-là n’ont fait que jouer l’un avec l’autre. Un jeu cruel et vaniteux dans lequel la duchesse ne s’intéresse au général qu’en raison de l’amour qu’el le porte à sa propre personne. Quant à l’acharnement qu’elle met à le reconquérir, je l’attribue à une volonté farouche de ne pas perdre la face. Pour Montriveau, cette femme d’abord aimée devient au final un ennemi à briser coute que coute. Il n’y a là à mes yeux que calcul, vengeance, amour-propre blessé et coups-bas. Il suffit de voir la dernière scène où tout le soufflé retombe dans un plouf final qui ne semble pas perturber plus que cela Montriveau, ce dernier tirant un trait définitif sur cette soi-disant idylle avec une facilité déconcertante.

Sans doute mon point de vue est discutable, mais s’ils s’étaient vraiment aimés, il me semble qu’ils se seraient jetés dans les bras l’un e l’autre, point barre. Finalement, ils n’ont été amoureux que d’une obsession et écrasés l’un comme l’autre par leur vanité. C’est là que réside le tragique de leur histoire, dans cette partie d’échecs où se sont succédés calcul et ressentiment.

Reste la beauté de l’écriture de Balzac, la préciosité de ces dialogues un brin désuet et ce décor de boudoirs et d’hôtels particuliers parisiens qui symbolisent toute une époque. A signaler aussi la misogynie de l’auteur qui dresse un tableau peut reluisant des femmes du grand monde, les peignant en sylphides superficielles et intrigantes, « allumeuses » au cœur de glace. Une vision caricaturale à l’évidence aussi assumée que revendiquée (d’après ce que j’ai lu dans la préface, il a rédigé la nouvelle alors qu'il sortait d’une déception amoureuse avec Mme de Castrie, une coquette de Saint-Germain qui l’avait traité avec le plus grand mépris). Et si finalement La duchesse de Langeais n’était qu’un texte plein de rancœur rédigé par un homme blessé ?

La Duchesse de Langeais de Balzac. Le livre de poche, 2008. 252 pages. 4,10 €.

L'avis de Marie

samedi 28 juillet 2012

Du sang dans les plumes de Joel Williams

« Je m’appelle Joel Williams. J’ai 46 ans, je suis un amérindien de la tribu shoshone-païaute. Je suis incarcéré depuis vingt-cinq ans, suite à une condamnation à perpétuité assortie d’une peine plancher de vingt-sept ans. Je suis également écrivain. »

Né en 1964, Joel Williams a tué son père, alcoolique et violent, alors qu’il n’avait que 21 ans. Actuellement incarcéré à la prison de haute sécurité de Mule Creek State, en Californie, il a commencé à écrire en 2002. Découvrant une de ses nouvelles dans une revue canadienne, Éric Vieljeux, responsable des éditions 13e Note, le contacte afin d’envisager la publication d’un recueil. Sur les vingt textes envoyés par le détenu, treize sont réunis ici. L’ouvrage se compose de trois parties bien distinctes. D’abord une longue introduction au cours de laquelle Joel Williams revient sur les événements tragiques qui l’ont mené en prison. Ensuite, cinq nouvelles « urbaines » mettant en scène Jake Wallace, le double fictionnel de l’auteur, dans les rues de Los Angeles. Drogue, alcool, bagarre… une plongée au cœur de l’Amérique des laissés pour compte. Enfin, la dernière partie regroupe des histoires se déroulant derrière les barreaux, toujours avec le même Jake Wallace. C’est cette partie que j’ai le plus appréciée. On y sent malheureusement tout le vécu de l’auteur. Mais l’intérêt premier réside dans le fait que, balayant toute tentation de pathos et de larmoiement, il préfère donner dans l’autodérision. A la fois meurtri, maussade, optimiste ou abattu, le narrateur porte un regard lucide et plein de bon sens sur sa situation. Du réfectoire à la visite chez le dentiste, du codétenu excentrique aux prémices d’histoires d’amour avec des visiteuses de prison affriolantes, chaque texte porte un éclairage nouveau sur sa condition d’homme reclus.

Si vous vous attendez à lire de la grande littérature, vous risquez d’être déçu. Mais il ne faut jamais oublier que tout ce que Joel Williams connaît de l’écriture, il a dû l’apprendre par lui-même dans la solitude d’un quartier de haute sécurité. Et puis dites-vous bien qu’en puisant son inspiration chez des auteurs comme Carver Fante, Bukowski ou Knut Hamsun, le bonhomme est allé à bonne école. Alors oui, la qualité est inégale d’un texte à l’autre. Mais, et c’est l’avantage avec les nouvelles, on est jamais à l’abri d’une vraie bonne surprise. Ici, elle survient page 192 avec « Un vrai mec, absolument », petit bijou d’humour noir bien cradingue comme je les aime.

Devenue son principal moyen de survie, l’écriture est aussi pour l’auteur, comme précisé dans la postface, « un acte de défi existentiel, un cri de résistance personnel… et l’affirmation d’une liberté de l’imaginaire si exceptionnelle que nous autres, vivant hors les murs, ne pouvons l’appréhender qu’en lisant ses récits. »

Une dernière petite info pas vraiment réjouissante : pour la troisième fois depuis son incarcération, la mise en liberté conditionnelle de Joel William lui a été refusée en 2011 par les autorités pénitentiaires.

Du sang dans les plumes, de Joel Williams. 13e note, 2012. 234 pages. 8 euros.