Pedrosa © Dupuis 2012 |
Avec ce récit en partie autobiographique, Cyril Pedrosa a voulu mettre en images un choc émotionnel (la découverte du pays dont il est originaire) et les conséquences qui en ont découlées. L’exercice n’est pas aisé tant cet album traitent de sentiments difficiles à retranscrire en dessins. Comment en effet décrire le cheminement d’un homme en quête de sens, en rupture, qui n’arrive pas à entretenir des relations stables avec les gens qui l’entourent ? Comment illustrer les silences, les non-dits et la solitude ? Tout simplement en ne se posant pas trop de questions, en laissant aller son imagination et son pinceau. Le résultat est assez bluffant, ressemblant à bien des égards à un morceau de jazz qui laisse libre court à l’improvisation tout en s’appuyant sur une ligne mélodique des plus solides. Mais Portugal n’est pas qu’un album introspectif. C’est aussi une réflexion sur les liens familiaux, le rapport au père et le rapport à ses racines, la vie de couple, la carrière. Il y est aussi question d’immigration, du fait que derrière les chiffres du ministère se cachent des destins d’hommes ou de femmes. Une histoire finalement universelle dont de nombreux aspects m’ont rappelés l’excellentissime Daytripper découvert il y quelques semaines.
Quelques mots sur le dessin. Les planches ont été réalisée sur deux A3 superposées l’une au dessus de l’autre, ce qui a permis à Cyril Pedrosa de se sentir à l’aise dans chaque case. Le trait est relâché, souvent proche du crayonné. L’auteur reconnaît et assume, selon ses propres mots, des « proportions foireuses » et des « perspectives merdiques ». Au final, on retient une certaine élégance graphique, une réelle liberté de création et le besoin de s’affranchir de la tendance actuelle obligeant à faire en sorte qu’il se passe toujours quelque chose sur chaque planche. Dernière petite précision, alors que les couleurs ne sont pas ma tasse de thé, je dois reconnaître qu’elles tiennent ici un vrai rôle dans la narration.
Portugal est donc un roman graphique dense, très construit malgré son apparente nonchalance. Il installe définitivement Cyril Pedrosa dans mon panthéon personnel des auteurs contemporains incontournables auprès de Chabouté, Rabaté, Tardi, Davodeau, Lax ou encore Michel Plessix.
Un dernier mot pour féliciter l’éditeur qui a choisi de publier ce récit en un seul tome plutôt que de le découper en tranches afin, par exemple, d’en faire une trilogie. C’est une initiative devenue tellement rare qu’elle mérite d’être soulignée.
Portugal de Cyril Pedrosa. Dupuis, 2011. 260 pages. 35 euros.
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Prix des libraires 2012 - Fauve Prix de la BD Fnac 2012 |