jeudi 8 mars 2012

Léon-Gontran Damas : Printemps des poètes 2012

Damas est un des trois grands noms de la négritude avec Césaire et Senghor. J’ai entendu son nom pour la première fois en 1992, l’année où j’ai passé mon Bac de français. Notre prof nous avait préparé un groupement de textes pour l’oral sur ce mouvement littéraire typique du XXème siècle. Un choix audacieux de sa part, je m’en rends compte maintenant. Qu’elle en soit aujourd’hui remerciée car j’ai pu grâce à elle découvrir des textes et des auteurs qui m’ont beaucoup marqué.

Damas se singularise quelque peu de Césaire et Senghor par le fait que son engagement politique est moins prononcé. Né en Guyane en 1912 dans une famille métissée, il rejette l’éducation bourgeoise que sa mère veut lui inculquer. C’est dans son premier recueil poétique, Pigments, qu’il exprime le mieux, non sans violence, un malaise profond, celui d’une personnalité qui ne trouve plus ses repères. Et puisque le thème de cette édition du Printemps des poètes est l’enfance, l’occasion m’est donnée de présenter le poème Hoquet qui est pour moi le plus représentatif de sa quête d’identité.



Et j'ai beau avaler sept gorgées d'eau
trois à quatre fois par vingt-quatre heures
me revient mon enfance
dans un hoquet secouant
mon instinct
tel le flic le voyou

Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très bonnes manières à table
Les mains sur la table
le pain ne se coupe pas
le pain se rompt
le pain ne se gaspille pas
le pain de Dieu
le pain de la sueur du front de votre Père
le pain du pain
Un os se mange avec mesure et discrétion
un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable
se passe de rots
une fourchette n'est pas un cure-dents
défense de se moucher
au su
au vu de tout le monde
et puis tenez-vous droit
un nez bien élevé
ne balaye pas l'assiette


Et puis et puis
et puis au nom du Père
du Fils
du Saint-Esprit
à la fin de chaque repas

Et puis et puis
et puis désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en


Ma mère voulant d'un fils mémorandum

Si votre leçon d'histoire n'est pas sue
vous n'irez pas à la messe
dimanche
avec vos effets des dimanches

Cet enfant sera la honte de notre nom
cet enfant sera notre nom de Dieu
Taisez-vous
Vous ai-je ou non dit qu'il vous fallait parler français
le français de France
le français du Français
le français français


Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils
fils de sa mère

Vous n'avez pas salué voisine
encore vos chaussures de sales
et que je vous y reprenne dans la rue
sur l'herbe ou la Savane
à l'ombre du Monument aux Morts
à jouer
à vous ébattre avec Untel
avec Untel qui n'a pas reçu le baptême


Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très do
très ré
très mi
très fa
très sol
très la
très si
très do
ré-mi-fa
sol-la-si
do

Il m'est revenu que vous n'étiez encore pas
à votre leçon de vi-o-lon
Un banjo
vous dîtes un banjo
comment dîtes-vous
un banjo
vous dîtes bien
un banjo
Non monsieur
vous saurez qu'on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les "mulâtres" ne font pas ça
laissez donc ça aux "nègres"


(Léon-Gontran Damas, Pigments, 1937)


Et n'oubliez pas de vous rendre chez Sophie pour découvrir les contributions poétiques d'autres blogueurs.

mercredi 7 mars 2012

Octobre noir

Daeninckx et Mako © ad libris 2011

Pour ses copains, Vincent est chanteur dans un groupe de rock lycéen. Pour sa famille, Vincent reprend sa véritable identité, celle d’un jeune algérien prénommé Mohand. Pas simple pour lui de trouver sa place dans la France de 1961, au moment des « événements d’Algérie ». Le soir du 17 octobre, Vincent et son groupe doivent se produire au Golfe Drouot, dans un tremplin pouvant leur ouvrir les portes de l’Olympia. Mais à cette même date le FLN a décidé de mettre sur pied une grande manifestation pour protester contre le couvre-feu imposé aux algériens de la région parisienne par la préfecture de police. Partagé entre ses copains et l’envie de soutenir son peuple, Mohand prend le métro avec son père pour se rendre à la manif mais il s’éclipse discrètement avant le terminus pour filer au Golfe Drouot. En rentrant chez lui ce soir là il apprend que sa sœur Khelloudja, bravant l’interdiction paternelle, s’est jointe à la manifestation et est depuis introuvable…

Vingt-sept ans après la publication de son très beau roman Meurtres pour mémoire, Didier Daeninckx reprend la plume pour parler de la terrible soirée du 17 octobre 1961. Il assume son engagement pour l’indépendance et mâtine son propos de considérations sociales et politiques. Avant la manif, le lecteur découvre ainsi le triste quotidien des travailleurs algériens, leurs logements insalubres et leurs difficultés à joindre les deux bouts. La plongée au cœur du « plus grand massacre d’ouvriers, à Paris, depuis la répression de la Commune en 1871 » est elle aussi saisissante : un soir d’automne triste et humide, une pluie glaciale, ces hommes marchant gravement, sans cris, sans drapeaux et sans armes. Puis c’est la curée, les CRS sont lâchés : coups de feu, coups de matraque, coups de grâce infligés aux blessés, arrestations ultra-violente, la Seine qui se teinte du sang des victimes...

Vieux complice « BD » de Daeninckx depuis des années, Mako donne dans la sobriété. Son trait à l’encrage épais est réaliste et efficace. Avec ces grandes cases, ce découpage simple qui retrace fidèlement la chronologie des événements, ces couleurs forcément sombres, l’album est visuellement très réussi.

A travers le portrait de Khelloudja, le romancier rend hommage à Fatima Bédar, une jeune algérienne de 15 ans qui a absolument voulu manifester ce jour-là et dont le cadavre sera retrouvé le 31 octobre près du canal St Denis. Suicide, conclura la police. Une fois encore avec Daeninckx la petite histoire rejoint la grande. Et une fois encore, son évocation de la « Saint-Barthélemy musulmane » se révèle d’une rare puissance.

Octobre noir de Didier Daeninckx et Mako, éditions ad libris, 2011. 60 pages. 13, 05 euros.

Allez, un petit bonus puisque nous sommes en plein printemps des poètes, je vous offre le poème de Kateb Yacine qui conclut l’album :

« Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ? »


Daeninckx et Mako © ad libris 2011


Une BD offerte par Valérie dans le cadre du loto de Mo’. Un grand merci à elles !




mardi 6 mars 2012

Le premier mardi, c'est permis (5) : Comment rater sa vie sexuelle

Rose et Dannam
 © La Musardine 2012
Rappelez-vous, je me plaignais le mois dernier de cette littérature érotique à l’eau de rose qui met scène des apollons trop membrés et trop endurants pour être vrais. Je me prenais à rêver de héros masculins lambda pétris de défauts et très éloignés de ces inaccessibles surhommes. Alors quand je suis tombé l’autre  jour sur cet ouvrage annonçant fièrement en 4ème de couverture qu’il s’adressait « à tous ceux qui en ont assez qu’on leur demande d’être des bêtes au lit », « à tous ceux prêts à renoncer au culte de la performance », je pensais voir trouvé une vraie pépite. Malheureusement ma joie a été de courte durée...

La première partie, consacrée à l’attitude du loser sexuel avant la drague, est sans aucun intérêt. Soyez repoussant, sentez mauvais, oubliez la brosse à dents et le dentifrice, choisissez la coupe de cheveux la plus ringarde possible et le pseudo le plus pourri sur un site de rencontre, c’est la certitude de rater sa vie sexuelle mais aussi sa vie sociale et pour le coup je trouve ça complètement ridicule. Sans compter le petit paragraphe bien macho : « Les filles sont tout à fait incapables de comprendre quoi que ce soit à l’argent, sinon pour le dépenser [...] Donc, pas d’hésitation, donnez-leur des leçons d’économie pour les faire fuir. » (no comment !). J’ai très rapidement survolé ces pages pour m’intéresser à la seconde grande partie traitant de la sexualité (en même temps si les auteurs étaient cohérents, cette partie n’aurait pas lieu d’être puisque vu les conseils prodigués avant la drague, il est totalement impossible d’imaginer amener qui que ce soit dans son lit après la drague, même un animal de compagnie).

Peu importe, la partie consacrée au sexe est quand même la plus agréable à lire (heureusement) tant le catalogue de conseils proposés pour être un gros nul au lit donne le vertige. Les choses ne sont pas tout à fait présentées de cette façon là mais c'est ainsi que je les ai interprétées :

- pour éviter l’érection ? Il faut manger gras, avoir 3 grammes d’alcool dans chaque bras, s’être masturbé frénétiquement dans les heures précédant le rapport, etc.

- L’anatomie féminine à maltraiter ? Rien de plus simple : commencez par les seins en broyant le soutien gorge à 125 euros puis malaxez-moi ça comme une bonne pâte à pain ou utilisez les pinces à tétons SM dès la première rencontre, l’effet de surprise sera parfait. Si vous devez vous pencher sur le cas du clitoris, frottez-le comme quand vous récurez la cuisinière au tampon jex. Succès garanti !

- Les préliminaires ? Vous avez le choix : 1) les oublier 2) les bâcler.

- Le cunnilingus ? C’est pas compliqué, pour le foirer totalement, prenez un air dégoutté, croquez le petit bouton à pleine dent ou, plus subtil, bavez comme un bouledogue assoiffé et essuyez vous la bouche sur la dentelle de sa nuisette, elle sera ravie.

- La fellation : l’hygiène douteuse ou la tentative d’étouffement par exemple sont de bonnes entrées en matière. Le must ? Jouir sans prévenir, surtout si c’est une fellation sans capote. Madame va adorer.

Je vous fais grâce des chapitres sur la sodomie, les positions nulles au lit ou le mauvais usage des sextoys, il faut bien garder un peu de suspens...

Au final, on n’est pas loin du totalement lamentable. Seule partie à peu près valable (et encore), celle présentant le top 7 des nuls au lit : de l’égoïste (celui qui disparaît dans les 20 secondes suivant une éjaculation rapide en grognant « Putain, ça fait du bien ») au sûr de lui qui ne peut rien apprendre de nouveau en matière de sexualité en passant par le sportif (celui qui transforme le moindre petit missionnaire en séance de pompes), les portraits dressés sont assez justes et plutôt rigolos. Il n’empêche, il n’y a pas grand-chose à sauver de cet anti-manuel du sexe. Je sais bien qu’il faut prendre un bouquin pareil au 6ème ou au 7ème degré pour en apprécier la quintessence mais là, j’ai beau chercher, je ne la vois pas cette fameuse quintessence. C’est à se demander comment les éditeurs peuvent accepter de publier des torchons pareils. Peut-être parce qu’ils savent qu’il y aura des couillons comme moi pour les acheter !

Comment rater sa vie sexuelle de Stéphane Rose et Marc Dannam. La Musardine, 2012. 170 pages. 13,20 euros.




lundi 5 mars 2012

André Laude : printemps des poètes 2012

La 14ème édition du printemps des poètes commence aujourd'hui. Jusqu'au 18 mars, je vais tenter de consacrer quelques billets à la poésie. Je ne suis pas du tout un spécialiste, pas même un amateur éclairé, mais j'avoue que j'apprécie lire un poème de temps en temps. Rien de classique, plutôt du très contemporain. Et pour commencer cette série de billets, j'ai mis à jour un texte publié il y a déjà fort longtemps et consacré au trop méconnu André Laude, de loin mon poète préféré.
J’ai découvert André Laude pour la première fois en 1995. C’était par un matin d’hiver, dans les rayonnages de la BU de la fac d’Amiens. J’étais en 2ème année de DEUG de lettres modernes et on étudiait la littérature engagée. A coté des grand noms (Hugo, Vallès et les autres) se trouvaient une tripotée d’auteurs parfaitement inconnus pour moi : Han Ryner, Georges Darien, le poète Eugène Bizeau, Georges Navel, Ludovic Massé, Eugène Pottier (L’Internationale), Henry Poulaille ou encore Jean-Baptiste Clément (Le Temps des cerises). Tous étaient présentés avec brio par Thierry Maricourt dans son Histoire de la littérature libertaire en France (éditions Albin Michel). C’est donc là, en feuilletant cet ouvrage devant une étagère de la BU que j’ai rencontré André Laude. Thierry Maricourt le présentait comme un poète rebelle dont l’engagement (a)politique lui valu, entre autres, quelques tortures pendant la guerre d’Algérie.

Rapidement, je cherchais à trouver des recueils du sieur Laude mais sa production était tellement confidentielle qu’aucun libraire ne put me trouver le moindre de ses titres. Je finis par en dénicher un à la bibliothèque municipale. Et là, le choc fut total. Habitué aux enseignements universitaires qui ramenaient souvent la poésie à un pur exercice formel, je découvrais une voix pleine de bruit et de fureur.

André Laude est né en 1936 à Paris dans une famille pauvre, d’un père occitan et d’une mère bretonne. Subjugué par la poésie de Rimbaud, il devient un peu par hasard journaliste (il pigera notamment très longtemps pour le journal Le Monde et fera des émissions à France Culture). Jamais encarté, il souscrit aux thèses des communistes libertaires. Fervent défenseur de l’indépendance algérienne, il mena tous ses combats comme un révolté. Ce grand solitaire n’a jamais rien possédé. Il a vécu dans le dénuement et les vapeurs d’alcool. Une sorte de clochard céleste incontrôlable, fieffé mythomane. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir souvent mordu la main qui venait de le nourrir. Il avait fait sienne la phrase du poète surréaliste belge Achille Chavée : « Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. »

La poésie d’André Laude est une poésie à hauteur d’homme. Balayant d’un revers de la main toute forme de versification, il offre des textes flamboyants, souvent proches du surréalisme. Dans sa magnifique Histoire de la poésie française, Robert Sabatier cite Alain Bosquet : « La vertu d’André Laude est précisément, malgré la brutale clarté de ses textes, de leur garder une charge d’enchantement, de mélodie et de pureté intacte. » André Laude éructe ses poèmes. Il emporte le lecteur dans un tourbillon de mots semblant parfois incontrôlé, un peu comme un jazzman se lance dans une impro sans fin. Mais sa petite musique prend aussi souvent les accents du blues le plus pur, celui qui vous donne des frissons.

André Laude est mort le samedi 24 juin 1995 dans une petite chambre de Belleville. Épuisé par la solitude, l’alcool, le manque de confort matériel, il s’est laissé emporter… Sentant la fin arriver, il a griffonné un dernier poème, retrouvé près de son corps :

Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrais jamais
Je siège là-haut
Parmi les élus
Près des astres froids
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre, j’ai fait
Un chemin de pèlerin
Je m’éloigne totalement sans voix
Le Vécu m’a mille et mille fois brisé, vaincu
Moi le fils des Rois.

Ultime tour de force pour un poète qui aura marqué à jamais ma vie de lecteur. Les Éditions de la Différence ont publié en octobre 2008, toute l’œuvre poétique d’André Laude dans un recueil de plus de 700 pages. Il trône fièrement dans ma bibliothèque. Il m’arrive souvent de le parcourir au hasard. J’y ai corné les pages contenant mes poèmes préférés. Je retrouve pendant quelques minutes cette voix singulière, le cri d’un homme entier, sans concession. Je passe alors un moment de pur bonheur et je comprends pourquoi la lecture est devenue pour moi une activité vitale.

Allez, avant de se quitter, un petit dernier pour la route :

Calmement j’annonce les temps neufs
Calmement j’annonce les revendications
De soleil et de chair du peuple
Calmement je vous crache à la gueule
si vous dites que tout ceci n’est pas de la poésie
Calmement j’écris ce qui précède
Et ce qui va suivre
En sachant bien que la langue
Doit coller à la vérité des hommes
Qu’elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Trainer dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu

dimanche 4 mars 2012

Gatsby le Magnifique

Fitzgerald © Gallimard 2012
Dans l’Amérique des années 20, le narrateur, Nick Carraway, a quitté son Middle West natal pour venir s’installer à New York et apprendre le métier de courtier en valeurs. Préférant ne pas vivre en ville, Nick emménage dans le quartier de West Egg, à Long Island. Une banlieue chic où son plus proche voisin, Jay Gatsby, organise de somptueuses fêtes dans sa non moins somptueuse villa. Gatsby est un personnage mystérieux. Certains affirment qu’il a été espion à la solde des allemands durant la première guerre mondiale. D’autres ont entendu dire qu’il mène des activités douteuses. Personne en tout cas ne sait réellement d’où vient sa fortune. Devenu rapidement l’ami et le confident de Gatsby, Nick comprend surtout que si cet homme multiplie les réceptions extravagantes, c’est dans le but d’attirer chez lui la belle Daisy Buchanan, un amour de jeunesse aujourd’hui mariée à un autre et qu’il souhaite ardemment reconquérir.

Gatsby est le chef d’œuvre de Fitzgerald. Un roman à ranger parmi les classiques de la littérature américaine. C’est surtout une satire mordante de l’égoïsme d’une partie de la société obnubilée par la gloire et l’argent. Le récit est traversé par l’amertume, la mélancolie et le constat de la vacuité de l’existence. Sur le personnage de Gatsby plane l’ombre du désenchantement. Il représente une sorte d’homme-enfant bercé par la nostalgie de ses souvenirs amoureux d’avant guerre.

La construction du roman et son découpage en neuf chapitres ne relèvent pas du hasard. Dans les quatre premiers Fitzgerald célèbre la jeunesse, l’espoir, l’éclat de la fête. Dans les chapitres six à neuf, c’est la mélancolie qui l’emporte. Gatsby réalise son rêve mais il perd ses illusions, le drame se noue, il pleut quasiment tout le temps. Le changement d’atmosphère est radical. Entre ces deux parties très différentes se trouve le 5ème chapitre, point central où tout bascule. C’est celui des retrouvailles entre Gatsby et Daisy, celui à partir duquel l'amoureux transi va doucement glisser vers son funeste destin.

Fitzgerald a écrit son roman pendant un séjour en France, à un moment où Zelda, l’amour de sa vie, le trompe avec un autre. Une situation qui le poussera dans une crise sentimentale extrême. Il déclarera d’ailleurs : « J’ai arraché Gatsby le magnifique de mes entrailles dans un moment de détresse. » Que retenir de ce texte magnifique ? Peut-être simplement une vérité trop souvent vérifiée : « Tout s’écroule lorsqu’un rêve poursuivi pendant des années devient une réalité. »

Gatsby le magnifique, de Francis Scott Fitzgerald. Folio, 2012. 200 pages. 6.20 euros.

 
Un  grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard de m’avoir fait découvrir ce texte incontournable.



Ce billet signe ma 1ère participation au challenge d'Asphodèle intitulé Fitzgerald et ses contemporains.

samedi 3 mars 2012

Les enfants de la mer 1 de Daisuke Igarashi


Igarashi © Sarbacane 2012
Umi et Sora (en japonais : la mer et le ciel) sont deux enfants qui ont été élevés par des dugongs (mammifères marins herbivores de la famille des lamantins). Capables de vivre sous l’eau, leurs extraordinaires capacités sont étudiées par les scientifiques d’un aquarium. Ruka, la fille d’un océanographe va devenir leur ami et partager avec eux les secrets de la mer...

La transposition du mythe de l’enfant sauvage élevé non pas par des loups mais par des mammifères marins est une idée originale et plutôt bien trouvée. Tout comme le fait de mettre en scène non pas un mais deux enfants dont les caractères sont très différents. Pour le reste, j’ai eu du mal à être embarqué. Cette fable animiste et très écolo ne m’a fait ni chaud ni froid. Une lecture poussive, un vrai manque d’intérêt pour les développements de l’intrigue, à tel point que je ne me soucis guère de savoir pourquoi des milliers poissons disparaissent partout dans le monde et pourquoi nombre d’autres deviennent lumineux et se rassemblent près des côtes ou vivent Umi et Sora (le fin mot de l’histoire sera sans doute dévoilé dans le second tome). Je ne sais pas, il faut peut-être avoir une sensibilité plus maritime que terrienne pour apprécier ce récit à sa juste valeur ? En tout cas pour moi l’alchimie n’a pas fonctionné.

Par contre, si le scénario m’a laissé de marbre, j’ai beaucoup aimé le dessin. Daisuke Igarashi possède une vraie patte, un trait élégant assez éloigné des standards propres aux mangas les plus commerciaux. Les scènes sous-marines, notamment, sont magnifiques.

Oserais-je dire que ce manga n’a été pour moi qu’un coup dans l’eau ? Un peu facile. Disons plus simplement que je suis passé à coté. J’ai vraiment l’impression que c’est une question de sensibilité et je reste persuadé que ce titre aux qualités indéniables va rencontrer le succès qu’il mérite. D’ailleurs je n’ai pour l’instant lu que des avis positifs à son sujet.


Les enfants de la mer T1 de Daisuke Igarashi. Sarbacane, 2012. 320 pages. 15 euros.


Igarashi © Sarbacane 2012


vendredi 2 mars 2012

L’écureuil et la lune / L’écureuil et l’étrange visiteur

Meschenmoser ©
Minedition 2012
Petit coup de projecteur aujourd’hui sur le travail de l’illustrateur allemand Sebastian Meschenmoser qui mérite vraiment que l’on s’attarde sur son cas. Je l’ai découvert il y a quelques années avec l’album L’écureuil et la lune. Le voila de retour aujourd’hui avec un nouvel ouvrage mettant en scène le même personnage et intitulé L’écureuil et l’étrange visiteur.

Dans L’écureuil et la lune, l’écureuil se réveille un beau matin en constatant avec stupeur que la lune est tombée sur sa maison pendant la nuit. Persuadé que quelqu’un l’a volée, il s’imagine déjà accusé à tort et condamné à passer le reste de ses jours en prison. Il s’en débarrasse donc en la faisant tomber de la branche sur laquelle elle repose. Problème, la lune atterrit sur le dos d’un hérisson et reste coincée dans ses épines. Un bouc qui passe par là veut délivrer le pauvre animal et fonce sur la lune, l’embrochant avec ses cornes. Voici donc la lune sur les cornes du bouc, avec le hérisson toujours accroché à l’astre « si gros, si rond et si jaune » tandis que l’écureuil ne peut que constater les dégâts. Comment tout cela va se terminer ? Ne comptez pas sur moi pour vous donner le fin mot de l’histoire !

L’écureuil et l’étrange visiteur raconte l’histoire d’un ours qui se réveille un beau matin en découvrant qu’un être bizarre, tout bleu, est posé sur sa tête. Trouvant ce visiteur inquiétant, l’ours tente de lui échapper. Il raconte sa mésaventure à l’écureuil et celui-ci en déduit qu’un petit être tout bleu terrorisant un ours gigantesque ne peut que venir d’une autre planète. Sans doute veut-il enlever le plantigrade et l’emporter dans son vaisseau spatial pour mener des expériences scientifiques. A partir de là, l’ours, l’écureuil et leurs amis vont tout faire pour ne pas tomber dans les griffes du soi-disant extraterrestre…

J’adore cet univers rempli d’animaux pas fute-fute mais tellement attachants ! C’est drôle, bien mené et il y a une sorte de douceur et de poésie très particulière qui fait mouche auprès des enfants. Sans compter que si le premier titre est résolument dans le registre de l’humour, le second aborde l’air de rien la question de la différence, de cet autre que l’on craint tout simplement parce qu’on ne le connaît pas.

Autre gros point fort, évidemment, la qualité des illustrations : aucun encrage, un travail tout en finesse aux crayons de couleurs, des animaux dont les attitudes sont parfaitement rendues et des décors fourmillant de détails. Une petite merveille !

Un vrai coup de cœur pour ces albums à partager absolument avec les enfants. Quand on tombe sur des titres d’une qualité pareille, il n’est pas difficile de les convaincre que les livres et la lecture leur feront toujours passer de bons moments.

L’écureuil et la lune (réédition) de Sebastian Meschenmoser. Minedition, 2012. 44 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.

L’écureuil et l’étrange visiteur
de Sebastian Meschenmoser. Minedition, 2012. 60 pages. 14 euros. A partir de 3 ans.



Meschenmoser © Minedition 2012


Meschenmoser © Minedition 2012

jeudi 1 mars 2012

Les années n°4

Au sommaire de ce quatrième numéro, des portraits d'Eric Holder et de Marcel Paul, une nouvelle de Michel Lalet, la chronique du professeur Hernandez, Trenet revisité, deux chroniques livres consacrées au Silence de la mer de Vercors et à Retour à Killybegs, le dernier roman de Sorj Chalandon et la présentation de recueils de nouvelles de Christian Bobin et Marie-Sabine Roger. De mon coté, je vous parle de l'adaptation en BD du dernier des Mohicans.

Si vous souhaitez recevoir la revue par mèl, il suffit de me contacter : dunebergealautre@gmail.com

Téléchargez le n°4

Le numéro 5, prévu le 15 mars, sera un spécial guerre d'Algérie.




mercredi 29 février 2012

Cent mille journées de prières : livre premier

Loo Hui Phang et Sterckeman
© Futuropolis 2011
Louis, 8 ans, est un enfant taciturne et solitaire. Il vit seul avec sa maman dans une petite ville normande. Il ne sait rien de son père, en dehors de ses origines asiatiques. Sa mère, française, ne lui en a jamais parlé. A l’école, Louis l’eurasien est habitué au racisme ordinaire de ses petits camarades qui le traitent de « fils de Bruce Lee ». Il n’a pas d’ami et cela lui convient très bien. Un jour, ne supportant plus de le voir tout le temps seul, sa mère lui offre un canari. Ce nouveau compagnon va devenir le confident de l’enfant jusqu’à l’arrivée d’une famille de réfugiés cambodgiens. Ces gens ont connu son père. Peu à peu, les coins du voile vont se lever et sa mère va devoir lui révéler la vérité...

Un terrible secret de famille, un enfant en souffrance, les stigmates d’une guerre épouvantable... tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce récit intimiste un concentré d’émotion. Avec beaucoup de pudeur, les auteurs dressent le portrait touchant d’un jeune garçon en quête d’identité. L’analyse de ses réactions est fine et sonne juste et la progression du récit, très lente, est d’une grande délicatesse. Si j’avais un reproche à faire, il concernerait les personnages secondaires : pourquoi une voisine acariâtre dont le mari sort de prison pour la terroriser ? Pourquoi un camarade de classe dont le père s’est suicidé ? Pourquoi une grand-mère mourante ? Il y a là comme une volonté d’en rajouter dans le pathos. Comme si absolument tous les protagonistes devaient être en souffrance pour se mettre au diapason de Louis. Il me semble au contraire qu’il aurait été plus judicieux d’équilibrer les choses en offrant ici ou là quelques « respirations » positives.

Graphiquement, Michaël Sterckeman navigue entre un découpage classique en gaufrier plus ou moins régulier et une mise scène onirique qui retranscrit à merveille les angoisses de Louis. L’utilisation d’une bichromie de noir et de gris colle à l’aspect terne et triste de l’existence des différents personnages. Les visages sont peut-être un peu trop figés et manquent d’expressivité mais le dessin reste dans l’ensemble très efficace et accompagne sobrement le récit.

Une belle histoire qui sombre néanmoins par moments un peu trop facilement dans la dramaturgie pure et dure. Mais le personnage de Louis est tellement attachant que mon impression concernant ce premier tome reste largement positive. J’attends donc la conclusion de ce diptyque avec une certaine impatience.

Un album découvert grâce à Mo' qui, une fois de plus, m'a donné l'occasion de lire un album que je ne serais jamais aller checrher par moi même . Un grand merci à elle.

L'avis de Mo'
L'avis de Madoka
L'avis de Choco


Cent mille journées de prières T1 de de Loo Hui Phang et Michaël Sterckeman. Futuropolis, 2011. 120 pages. 20 euros.


Loo Hui Phang et Sterckeman © Futuropolis 2011

samedi 25 février 2012

Le sillage de l’oubli

Machart © Gallmeister 2012
Texas, 1895. Klara Skala meurt en donnant naissance à son quatrième garçon, Karel.

Texas, 1910. Vaclav, le mari de Klara, élève seul ses fils, à la dure. Propriétaire d’une des plus grosses exploitations agricoles de la région, il bichonne ses chevaux de course et laisse trimer ses enfants dans les champs de coton, derrière la charrue. Il faudra un pari perdu pour que ses trois ainés quittent la ferme et se marient avec les filles de Guillermo Villasenor, un riche espagnol.

Texas, 1924. Karel a hérité des terres de son père. Il n’a plus de relations avec ses frères depuis des années. Marié, père de deux fillettes, sa femme est sur le point de mettre au monde leur troisième enfant…

Pour son premier roman, Bruce Machart frappe fort. Possédant un sens évident de la dramaturgie et du découpage, il déroule une histoire ample et vaste, une fresque familiale tragique et sombre. Effectuant des allers-retours dans le temps, il dévoile les zones d’ombre avec parcimonie, alternant montées d’adrénaline et scènes plus contemplatives, descriptions des travaux de la ferme et courses de chevaux frénétiques. Le personnage de Karel est le point central du roman. Sa naissance a plongé la famille dans le tourment. C’est à cause de lui que les enfants Skala ont grandi sans leur mère dans un environnement aussi brutal et dénué de toute affection. Il porte comme un fardeau ce sentiment de culpabilité, cette blessure béante impossible à refermer.

Un récit superbe, une prose sensuelle, attentive au moindre détail. Machart est un conteur. Il prend son temps et sait exactement où il veut emmener le lecteur. Après David Vann, Pete Fromm et Howard Mc Cord, les éditions Gallmeister peuvent se targuer d’avoir trouvé une nouvelle pépite. A l'évidence, un écrivain est né.

Le sillage de l’oubli, de Bruce Machart, éditions Gallmeister, 2012. 335 pages. 23.60 euros.