vendredi 24 février 2012

Ernest et Rebecca 4 : Le pays des cailloux qui marchent

Bianco et Dalena © Le Lombard 2012
Enfin ! Après deux ans d’absence, Ernest et Rebecca reviennent. Pas trop tôt ! Pour ceux (honte à eux) qui ne la connaîtraient pas, cette série narre les aventures d’une petite fille à la santé fragile dont le meilleur ami est un microbe (un vrai microbe, pas un petit frère pot de colle ou je ne sais quoi d’autre). Entre la séparation récente de ses parents et la crise d’adolescence de sa grande sœur de 15 ans, Rebecca n’a pas une vie facile. Mais cette gamine pétillante et drôle possède des ressources insoupçonnées et a déjà charmé de nombreux lecteurs.

Dans le troisième tome, Rebecca passait ses vacances à la campagne chez son pépé. Ce nouvel épisode démarre par un long trajet en voiture. Toujours en vacances, la petite fille va découvrir la nouvelle maison de son père au bord de la mer, au pays des cailloux qui marchent…

Je ne sais pas quand cet album sortira. Probablement en juin. Comment se fait-il que je puisse déjà en parler ? Tout simplement parce que le magazine Spirou le propose en prépublication à partir du mercredi 29 février. Mais comme je suis abonné, je reçois mon exemplaire avec une semaine d’avance. Voila, vous savez tout (même si vous vous en fichez un peu, je le sens bien^^). La prépublication va s’étaler sur six semaines. Je ne peux donc vous parler pour l’instant que des 9 premières pages. Et franchement c’est toujours aussi excellent. Rebecca malade en voiture, ça vaut le détour !

Bref, vous l’aurez compris, Ernest et Rebecca est une série que je recommande plus que chaudement (voir mon billet sur les tomes 1 et 2). D’ailleurs je ne suis pas le seul, les avis enthousiastes sont légions sur la toile : Véro, Mathilde, Erato, Petite Noisette, Snow

Ernest et Rebecca T4 : Le pays des cailloux qui marchent Guillaume Bianco et Antonello Dalena, Le Lombard, 2012. 46 pages. 10.60 euros. A partir de 8 ans.


Bianco et Dalena © Le Lombard 2012

jeudi 23 février 2012

Dégoûtant !

Guilloppé et Chapron
© Glénat 2010
Arno le crapaud est amoureux de Linette la rainette. Aujourd’hui, c’est décidé, il va lui déclarer sa flamme ! Malheureusement, à chaque fois qu’il s’apprête à se lancer, il est interrompu par de surprenants obstacles…

Un album mignon comme tout mais pas seulement. Les enfants y trouveront à la fois une belle histoire d’amour et une réflexion sur la protection de l’environnement. Attention, ne vous méprenez pas, les auteurs ne donnent pas dans le militantisme écolo forcené. Ils abordent la question de manière simple et très parlante.

L’ouvrage s’organise en double-pages combinant illustrations expressives et couleurs pétaradantes. Parce qu’il y a très peu de texte et que les événements s’enchaînent de manière linéaire, l’histoire s’avère facile à suivre pour les apprentis lecteurs qui voudront se lancer en solitaire. Sinon, en lecture offerte, c’est également un régal. Pour peu que l’adulte joue avec les intonations de sa voix et enfile tour à tour le costume du crapaud et celui de la reinette, le succès sera garanti.

Dégoûtant ! d’Antoine Guilloppé et Glen Chapron. Glénat, 2010. 32 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.


Guilloppé et Chapron
© Glénat 2010

mercredi 22 février 2012

Nu-men 1 : guerre urbaine

Néaud © Quadrants 2012
Moitié du XXIème siècle, en Europe. Alors que des bouleversements climatiques ont rayé de la carte l’Amérique du Nord et ont ravagé l’Afrique, le néolibéralisme s’est imposé comme la seule doctrine politique mondiale, creusant de façon démesurée l’écart entre riches et pauvres. La colère gronde et les manifestations de la population se multiplient. Appelée pour contenir une émeute urbaine, la brigade d’intervention du sergent Anton Csymanovic doit faire face à l’effondrement d’un immeuble vétuste. En essayant de sauver une petite fille restée devant le bâtiment, le chef de la brigade est enseveli sous les décombres. Au même moment, un objet lumineux apparaît au-dessus des ruines. Tous les témoins les plus proches de la scène, irradiés par les rayons émanant de l’objet, sont enlevés par une officine gouvernementale et emmenés dans un bunker isolé…

Changement complet de registre pour Fabrice Néaud, chantre de l’autobiographie dessinée depuis la publication de son célèbre Journal (4 volumes parus chez chez Ego comme X). Avec Nu-men, il se lance dans une vaste saga d’anticipation mêlant politique fiction et science-fiction. Ce premier tome possède les défauts propres à ce type de mise en bouche. Pour installer son univers et son intrigue, l’auteur se montre très bavard et densifie au maximum le récit. Résultat, les personnages sont nombreux, les situations complexes et le déroulement des événements n’est pas toujours évident à suivre. Autre souci, l’impression générale de déjà vu. Le complot gouvernemental, la situation mondiale post-apocalyptique intenable, le développement des nanotechnologies et l’apparition de « transhumains » capables de voler par leurs propres moyens, il n’y a là rien de bien nouveau sous le soleil. Malgré tout, il faut reconnaître la méticulosité avec laquelle Néaud a construit ce volume « d’installation ». Les informations sont diffusées au compte goutte mais l’on sent déjà que rien n’a été laissé au hasard. De la situation géopolitique aux questions sociétales, tout a été pensé dans les moindres détails. Par ailleurs, les dialogues sont crus mais sonnent juste et la violence, omniprésente, est adaptée au contexte.

Graphiquement, malgré des cadrages serrés et un grand nombre de cases par planche, l’ensemble reste très lisible. L’influence des comics est assez évidente, tant au niveau du trait que des couleurs même si plusieurs passages m’ont également rappelé des séquences du Akira de Katushiro Otomo.

Au final, si je suis impressionné par la richesse de l’univers mis en scène, mon sentiment général reste mitigé. Peut-être parce que je ne suis pas un habitué de la SF en BD ou tout simplement parce que ces 48 pages laissent en bouche un goût de trop peu. Trois tomes sont pour l’instant prévus mais l’auteur assure que si le succès est au rendez-vous, il a déjà en tête des développements bien plus importants. Une affaire suivre, donc…

Nu-men T1 : guerre urbaine de Fabrice Néaud, éditions Quadrants, 2012. 48 pages. 13,95 euros.


Néaud © Quadrants 2012



dimanche 19 février 2012

Souvenirs d’un enfant des rues

El Souwaim © Phébus 2012
« Kasshi le cassé » est un enfant des rues de Khartoum. Né avec des moignons à la place des jambes, il vit parmi ces bandes de gosses mendiants, vendeurs à la sauvette, voleurs à la tire et sniffeurs de colle qui ont colonisé la capitale soudanaise depuis la fin de la guerre civile. Kasshi rampe sur les trottoirs ou s’accroche sur le dos de ses compagnons de misère. Il a fréquenté quelques temps une école coranique et a appris les rudiments des sciences occultes auprès d’un cheik véreux roi de l’arnaque. Il a connu les centres de redressement et la prison. Doté d’un sexe hors norme, sa réputation d’étalon lui attire beaucoup de faveurs féminines. Mais surtout, Kasshi est intelligent et a très tôt compris qu’il lui faudrait user de malice pour s’extirper de cette improbable cour des miracles.

Quel voyage ! Ces Souvenirs d’un enfant des rues narrent les tribulations d’un gamin hors du commun. Autour de lui gravite une tripotée de personnages hauts en couleur que le lecteur n’est pas près d’oublier. Les épisodes s’enchaînent sans temps morts, tantôt joyeux, parfois d’une infinie tristesse, souvent touchants. Mansour El Souwaim a l'intelligence de ne pas tomber dans le pathos dégoulinant de bons sentiments. Il endosse avec brio les habits du conteur oriental et force est de reconnaître que sa voix envoutante possède une rare musicalité.

Mais au-delà de ses qualités littéraires incontestables, ce roman finalement très moderne permet à son auteur de dénoncer la violence et la misère d’un pays en guerre perpétuelle ou encore de défendre le statut des femmes. Il n’oublie pas d’égratigner l’obscurantisme religieux et de se gausser de la crédulité d’une population refermée sur elle-même.

Un roman superbement construit, à la fois rude, drôle et, malgré les apparences, bourré d’optimisme. A découvrir et à faire découvrir !

Souvenirs d’un enfant des rues de Mansour El Souwaim, Éditions Phébus, 2012. 232 pages. 19 euros.

samedi 18 février 2012

La grande épopée des petits pois

Cullen et Rickerty © Glénat 2010
On ne se rend pas compte à quel point la vie d’un petit pois est haletante. D’abord, ils sont semés et grandissent en plein air. Ensuite on les cueille et on les emballe. Puis ils prennent la route jusqu’à la conserverie où ils sont écossés et mis en boîte (il paraît même que certains sont surgelés). Commencent alors une longue expédition en train, en bateau ou en avion pour atterrir dans les rayonnages des magasins. C’est là que papa et maman les achètent. Les petits pois, après tant d’aventures, finissent leur vie dans une assiette, devant des princes et des princesses (les enfants) qui font la grimace en les regardant. Mais si le petit pois sait se montrer persuasif, ces majestés se laissent tenter et ne le regrettent pas !

Un régal cet album ! Trait minimaliste mais expressif, peu de texte par pages, des couleurs pétantes… idéal pour accrocher les tout-petits. Il y a de plus une vraie fantaisie dans les illustrations, toutes plus variées les unes que les autres. Et puis le propos est à la fois instructif, drôle et fort bien construit, ce qui donne au final un résultat plus qu'alléchant.

A lire avant un repas où les petits pois sont au menu. Ça leur évitera peut-être de finir noyer sous une tonne de ketchup ou de rouler sous la table et d’être écrasés par la semelle d’un chausson !

La grande épopée des petits pois de Simon Rickerty et Andy Cullen. Glénat, 2010. 32 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.

Cullen et Rickerty © Glénat 2010

Cullen et Rickerty © Glénat 2010

vendredi 17 février 2012

Jack Palmer : L'affaire du voile

Pétillon © Albin Michel 2006
Clara Pèlerin, sans nouvelle de sa fille Lucie depuis un mois, demande à Jack Palmer de la retrouver. Ce dernier, en faisant du porte à porte chez les commerçants de Belleville, apprend que la jeune femme s’est convertie à l’islam le plus radical et fait désormais partie d’une école coranique de Mantes-la-Jolie. Le choc est rude pour ses parents. Sa mère ne comprend pas : « Elle avait des préoccupations de son âge… Les petits amis, les études, les fringues, sortir, la techno, un pétard de temps en temps… Elle lisait Houellebecq… ». Aidée d’une amie et du flegmatique détective, Mme Pèlerin imagine un stratagème pour kidnapper sa fille…

J’aime beaucoup Jack Palmer, ce privé maladroit attifé comme Colombo et vivant sous les toits dans une chambre de bonne. Un personnage minable dont chaque enquête vire à la catastrophe et dont la criante incompétence déclenche chez le lecteur de nombreux fou-rire. Alors que les premiers albums donnaient plutôt dans l’absurde et le pastiche, les suivants ont peu à peu glissé vers le traitement des faits de société. Chaque nouvelle aventure a permis à Pétillon de passer à la moulinette un milieu social. C’est ainsi qu’il s’est successivement penché sur le cas des écrivains (Les disparus d’Apostrophes), des musiciens (Le chanteur de Mexico), du microcosme de la bande dessinée (Le prince de la BD), de la bourgeoisie (Le pékinois) ou encore de la mode (L’affaire du Top Model). Avec L’enquête Corse, L’affaire du voile et Enquête au paradis, le dessinateur a changé de registre pour plonger son héros en pleine actualité.

Dans L’affaire du voile, Pétillon aborde un sujet ultra-sensible. Mais parce que son regard un rien décalé ne donne pas dans la surenchère ou la dénonciation gratuite, l’album fait mouche. Sans méchanceté, sans cynisme, loin des poncifs, il renvoie dos à dos l’extrémisme et les clichés sur l’islam, usant avec délice de cette tendre ironie qui caractérise son oeuvre. Le sujet n’est pas simple et ne se prête pas à l’éclat rire mais l'humour est néanmoins bien présent. Seul petit regret, Palmer semble totalement effacé de sa propre enquête et ne sert finalement que de faire valoir aux autres personnages. Il n'empêche, voila un album construit avec une rare intelligence et qui m'a fait passer un excellent moment de lecture.

Un grand merci à Valérie qui m’a offert cet album dans le cadre du loto BD organisé par Mo’.

Jack Palmer T13 : l’affaire du voile, de Pétillon, Éditions Albin Michel, 2006. 48 pages. 12.50 euros.


Pétillon © Albin Michel 2006


jeudi 16 février 2012

Les années n°3

Au menu de ce troisième numéro, des portraits de Pierre Bergougnioux et Marcel Paul, une nouvelle d'Olivier Mellor, la chronique du professeur Hernandez, une chronique chanson consacrée à Rémo Gary, une réflexion sur les ateliers d'écriture et un hommage au fabuleux Raymond Carver. De mon coté, je présente Atar Gull, une BD coup de poing traitant de l'esclavage.


Si vous souhaitez recevoir la revue par mèl, il suffit de me contacter (dunebergealautre@gmail.com).

Téléchargez le n°3

Prochain numéro le 29 février !





mercredi 15 février 2012

Frezzato : Memories of Sand

Frezzato © Mosquito 2012
Un OVNI complet, voila la première impression que laisse cet album de Massimiliano Frezzato. Quatre nouvelles graphiques sans lien apparent et surtout sans aucun texte. On le feuillette d’abord, incrédule. Puis on s’y attarde davantage pour tenter de comprendre où l’auteur veut nous emmener.

La première histoire m’a rappelé une nouvelle de Bukowski et j’ai vu dans la dernière une parabole sur l’amour et le terrorisme. Je n’ai pas compris grand-chose à la seconde quant à la 3ème, elle m’a semblé fortement inspirée par les univers de Lewis Caroll et de Tim Burton. Mais d’autres lecteurs pourront avoir des interprétations tout à fait différentes. C’est à la fois l’intérêt et la limite de l’exercice. Certains y verront une forme de facilité. Faire tout et n’importe quoi en laissant chacun décider du sens du message diffusé peut relever de la fumisterie. Personnellement, je pense le contraire. Si je devais faire un parallèle avec la littérature, je dirais qu’un auteur se mérite. Pour qu’il y ait littérature, il faut que le texte résiste, que le lecteur travaille. Et là, pour le coup, il a du boulot, le lecteur !

En fait, je crois que cet album est idéal pour aborder la question de la compréhension en lecture et de son lien avec les inférences. Kézaco les inférences ? Ce sont des « interprétations qui ne sont pas littéralement accessibles, des mises en relation qui ne sont pas explicites. La signification n’est pas donnée par le texte, elle est construite par le lecteur et varie donc autant en fonction de la base des connaissances et des stratégies du lecteur-compreneur qu’en fonction de l’information apportée ». Ces définitions tirées d’ouvrages portant sur l’apprentissage et le fonctionnement de la compréhension en lecture correspondent parfaitement à mon ressenti par rapport à cet album car j’ai dû mobiliser mes propres références pour donner du sens aux histoires proposées. Bon, pas la peine non plus de se la raconter et de disserter des heures sur la psychologie de la lecture (même si c’est un sujet qui me passionne). Disons seulement que cet ouvrage est un véritable « remue-méninges » qui ne laissera personne indifférent.

Graphiquement parlant, c’est très beau. Peinture, encrage épais ou plus fin, couleur flashy ou plus ternes, illustrations pleine page ou découpage plus serré, la variété des styles et des techniques est assez impressionnante.

Voila donc un titre étrange, à la limite entre la BD et l’album d’illustrations. Personnellement, j’ai été séduit sans être totalement conquis. Si vous voulez vous faire votre propre idée, je peux transformer ce Memories of Sand en livre voyageur, il suffit de m’envoyer vos coordonnées par mèl (dunebergealautre@gmail.com)


Memories of Sand de Massimiliano Frezzato, éditions Mosquito, 2012. 68 pages. 15 euros.

Un grand merci à News Book et aux éditions Mosquito pour la découverte.

Frezzato © Mosquito 2012

Frezzato © Mosquito 2012

Frezzato © Mosquito 2012



mardi 14 février 2012

La radio des blogueurs : spécial Saint Valentin

1991. J’avais 16 ans, les cheveux longs (qui a dit les idées courtes ?) et je portais des tee-shirts noirs siglés AC/DC ou Iron Maiden . Mes idoles s’appelaient Guns n’roses, Metallica, Slayer, etc. J’aimais aussi quelques groupes moins connu comme Skid Row, Faith no More ou Tesla. Ces derniers, originaires de Sacramento, faisaient dans le hard mélodique à la Bon Jovi. Avec un copain, nous sommes allés les voir à Bercy en première partie de Scorpion. Leur set était entièrement acoustique.

Je me rappelle une lumière bleutée et cinq gars chevelus sur scène. Des musiciens très techniques et la voix incroyable du chanteur Jeff Keith. Je me souviens surtout d’une chanson, Love Song qui avait littéralement électrisé le public (le comble pour un concert acoustique !). Bien sûr aujourd’hui je me suis pas mal éloigné de tout ça musicalement parlant. Il n’empêche, la voix de Jeff Keith me parle toujours autant.

Alors en ce jour de Saint Valentin, quoi de mieux que de repartir 20 ans en arrière pour vous faire partager cette Love Song qui m’a tant marqué à l’époque ?







Pour écouter d’autres chansons d’amour, rendez-vous chez Leiloona.



dimanche 12 février 2012

Chanson de la neige silencieuse

Selby © L'0livier 1998
J’ai lu la semaine dernière un article qui parlait d’un SDF accueilli dans un foyer Emmaüs. Ce jeune garçon, contraint de trouver refuge dans un endroit chaud au moment où le froid polaire avait envahi les rues, se plaignait de la promiscuité du foyer, de la violence et des vols. Il venait notamment de se faire dérober 140 euros et surtout le manteau qu’il considérait comme son bien le plus précieux. Ce témoignage m’a secoué et m’a donné envie de relire une nouvelle d’Hubert Selby Jr. intitulé Le manteau.

Selby fut une vraie déflagration dans ma vie de lecteur. Comparable à la découverte de Bukowski, de Carver ou de John Fante. C’est au début des années 90 que j’ai entendu parler de cet auteur dans une interview du chanteur Henry Rollins. J’avais à l’époque beaucoup d’admiration pour Rollins, ex-leader du groupe punk Black Flag, grand gaillard musculeux au cheveu ras et tatoué de la tête au pied. J’écoutais en boucle l’album The end of Silence de son nouveau groupe, le Rollins Band, sur mon walkman à cassette (je sais, c’était le moyen âge). Bref, tout ça pour dire que c’est parce que Rollins a toujours cité Selby comme une influence majeure que je me suis intéressé à lui. J’ai commencé par le sulfureux Last Exit to Brooklyn et j’ai pris une claque monumentale. J’ai enchaîné avec Le démon, La geôle, Retour à Brooklyn et enfin Chanson de la neige silencieuse. Ce dernier titre est un recueil de nouvelles publiées entre 1957 et 1981. Le manteau date de 1978 et c’est une de mes nouvelles préférées.

Le manteau raconte l’histoire d’Harry, un clochard new yorkais qui vit une véritable histoire d’amour avec son manteau. Harry le solitaire squatte les immeubles désaffectés. Il travaille au noir quelques soirs par semaine comme plongeur. Ce petit boulot lui permet de se payer ses bouteilles de muscat quotidiennes. Il ne demande rien de plus. Tant qu’il a son muscat et son manteau, la vie vaut la peine d’être vécue. Ce manteau est son seul ami, celui sur lequel il peut toujours compter pour lutter contre la morsure du froid hivernal. En été, il ne s’en sépare jamais, paniqué à l’idée de le perdre : « Il était long, tombant pratiquement sur ses chevilles, et lourd, et il faisait presque deux fois le tour de son corps, et quand Harry en relevait le col, il se sentait protégé du monde extérieur. C’était un manteau provenant de surplus militaires qui lui avait été donné par l’armée du Salut, l’un des derniers qui restaient. Ç’avait été le coup de foudre. » Un soir d’hiver, deux SDF l’agressent pour lui voler son vêtement préféré. S’accrochant désespérément à son bien, Harry est roué de coup et laissé pour mort mais il a toujours son manteau sur le dos. Il doit son salut à l’intervention d’une patrouille de police. Sauvé in-extremis par les médecins, il passe des mois à l’hôpital. Le jour de sa sortie, personne ne retrouve ses affaires dans les vestiaires. Pour Harry, la perte définitive de son meilleur ami signifierait la fin du monde...

Si vous passez régulièrement par ici, inutile de vous dire que c’est la littérature que j’aime. De la littérature à hauteur d’homme qui vous prend aux tripes. Pas de chichi, pas un mot de trop. L’écriture est brutale et réaliste. Selby déroule ses thèmes fétiches : la solitude, la misère et l’angoisse sans la vision apocalyptique qui caractérise ses romans. Car autant vous le dire tout de suite, Le manteau se termine sur une note positive.

Je me rappelle avoir lu cette Chanson de la neige silencieuse au cours de l’été 1998 sur les bords du lac d’Annecy. Je m’en souviens parfaitement tant ce moment à été magique. Grâce à un simple article paru dans un journal local, j’ai eu le plaisir de redécouvrir cette fabuleuse nouvelle. Comme quoi, il ne faut parfois pas grand-chose pour dépoussiérer les trésors de sa bibliothèque.


Chanson de la neige silencieuse, d’Hubert Selby Jr, L’olivier, 1998. 278 pages. 11 euros.