vendredi 23 septembre 2011

Dessine !

Trois enfants arrivent au parc. Deux filles et un garçon. Il pleut. Sur une structure à ressort en forme de dinosaure, ils trouvent un sac. Dans le sac, des craies. Une des fillettes prend une craie jaune et dessine sur le sol un soleil. Comme par magie, le soleil apparaît alors, trouant les nuages. La seconde jeune fille prend une craie orange et dessine des papillons. Comme par magie, des papillons multicolores sortent du sol. Le garçon s’empare quant à lui d’une craie verte et trace les contours d’un dinosaure. C’est là que les ennuis commencent…

Un album bluffant. Entièrement sans texte, dans un format à l’italienne où chaque nouvelle action est déclinée sur une double page. Les illustrations sont incroyables. Hyperréalistes, elles permettent de distinguer le grain de la peau, la texture des vêtements, les éclaboussures créées par les gouttes d’eau, bref une infinité de détails sur lesquels le regard peut s’attarder de longues minutes. S’il y avait un message à retenir, il pourrait être résumé dans le titre, comme une invitation : vas-y, dessine ! Le dessin possède des pouvoirs magiques et autorise tous les rêves.

Lorsqu’un auteur se lance dans la réalisation d’un album sans texte, il prend de gros risques. Quand la lecture de l’image est le seul mode de narration, il faut redoubler d’effort pour proposer, à travers les illustrations, une parfaite lisibilité. Bill Thomson relève le défi avec brio. Tout est fluide, immédiatement compréhensible. Ma fille qui vient d’avoir six ans n’a pas lâché cet album du week-end. Fascinée par le dessin mais aussi par la façon dont les événements s'enchaînent.

Un beau cadeau pour les petits bouts, même non lecteurs. Quel plaisir pour eux de découvrir un livre et d’en comprendre le sens sans avoir besoin de demander à un tiers de lui faire lecture !


Dessine ! de Bill Thompson, L’école des loisirs, 2011. 40 pages. 13,50 euros. A partir de 4 ans.


mercredi 21 septembre 2011

La saga d'Atlas et Axis 1

C’est la cata à Kanina ! Les vikiens ont débarqué de leur drakkar et ont saccagé le village, tuant les mâles et enlevant les femelles. Atlas et Axis n’étaient pas présents au moment de l’attaque. Pour retrouver leurs chères et tendres, ils n’ont qu’une piste : un énorme étron apparemment laissé par les pillards sur les lieux du drame. Après avoir consciencieusement uriné sur la crotte afin de marquer leur territoire, les deux amis se lancent à l’aventure…

Petite précision utile pour éclaircir ce résumé un brin étrange, Atlas et Axis sont des chiens. Le premier est un lévrier afghan et le second un petit terrier. Ils évoluent dans un monde animalier principalement habité par la gent canine. Dans cet univers médiéval fantastique pour le moins farfelu, les deux compères ne brillent pas par leur intelligence. Courageux, altruistes, plein de bonne volonté, ils se laissent parfois rattraper par leur instinct, en oubliant par exemple leur quête dès qu’une odeur de viande grillée vient leur titiller les narines. La bave aux lèvres, ils perdent alors tout sens commun et redeviennent de simples chiens.

Quand deux toutous qui n’ont pas inventé la poudre se lancent dans une quête au souffle épique, le résultat s’avère aussi drôle que convaincant. En alternant les scènes cocasses à l’humour potache et les moments plus dramatiques, Pau semble avoir trouvé la bonne formule. Sachant que son intrigue est tout sauf originale, il a préféré bousculer les codes pour que le lecteur n’ait pas d’emblée une impression de déjà-vu. Résultat, des péripéties rocambolesques, des situations incongrues et des héros un peu niais mais foutrement attachants.

Dessinateur espagnol, Pau a créé Atlas et Axis en 1995. En 1999, n’ayant toujours pas trouvé d’éditeur, il se résout à travailler dans un hôtel des Baléares pour pouvoir payer ses factures. N’abandonnant pas pour autant son projet, il peaufine son album pendant une dizaine d’années avant de convaincre les éditions Ankama de le publier. Graphiquement parlant, on est proche de Jeff Smith (Bone) ou de son compatriote José Luis Munuera. Ses cabots ont aussi des attitudes dignes des loups de Tex Avery grâce à un trait « cartoonesque » fluide et dynamique. Petit bémol, si les mouvements et les scènes d’action profitent d’un découpage au cordeau, les décors sont souvent trop pauvres, certaines grandes cases donnant l’impression d’être bien vides.

Sans révolutionner la BD animalière, Atlas et Axis offrent au lecteur un périple rafraîchissant à prendre pour ce qu’il est, à savoir un bon divertissement qui, sans se prendre au sérieux, fait passer un excellent moment de lecture.


La saga d’Atlas et Axis T1 de Pau, Éditions Ankama, 2011. 76 pages. 14.90 euros.





Le challenge Palsèche de Mo'


dimanche 18 septembre 2011

Une anglaise à bicyclette

1890. A la veille de Noël, un massacre est perpétré par l’armée américaine à Wounded Knee, dans les grandes plaines du Dakota du Sud. Parmi les rares survivants se trouve Ehawee, une fillette sioux Lakota de 3 ou 4 ans. Après la bataille, Jason Flannery, photographe anglais engagé par les officiers du 7ème de cavalerie, immortalise le tipi du chef Big Foot haché par la mitraille. Jason est veuf, sans enfant et il vit dans le Yorkshire où il a l’habitude de photographier des vieilles actrices ou des jeunes mariées. Jason et Ehawee se rencontrent dans une église servant d’hôpital. La petite est confiée aux bons soins du photographe. Celui-ci pense la déposer dans un orphelinat de New York, ville d’où il doit embarquer pour rentrer en Angleterre. Mais il se ravise et décide de la ramener dans son manoir de Chippingham. Pour les habitants du village, elle sera Emily, une orpheline irlandaise adoptée par le veuf. Bien des années plus tard, elle deviendra son épouse et passera des journées entières à parcourir le Yorkshire à bicyclette…

Didier Decoin possède un vrai talent de conteur doublé d’une belle érudition. Son écriture très académique évoque avec bonheur le charme de la campagne anglaise au début du 20ème siècle. Dans ce roman, il convoque aussi la figure mythique de Conan Doyle. Le père de Sherlock Holmes y apparaît en ardent défenseur de l’existence des fées.

Un texte dense et généreux qui a à l’évidence demandé un énorme travail de documentation. Pour le lecteur, les images se bousculent. Et à travers la prose extrêmement travaillée on décèle l’engouement de l’auteur pour la Grande Bretagne, ses paysages et ses jardins. La fin m’a déçue mais il n’en reste pas moins que cette Anglaise à bicyclette possède suffisamment de souffle pour que je lui pardonne ce petit écueil.


Une anglaise à bicyclette de Didier Decoin, Éditions Stock, 2011. 375 pages. 20,50 euros.

vendredi 16 septembre 2011

Skoda - Olivier Sillig

Stjepan reprend conscience. Dragan, Milivoj, Ivan et Ljubo sont à ses cotés. Couchés. Immobiles. Morts. Stjepan ne se souvient de rien. Un peu plus loin, il voit une voiture. La portière arrière est ouverte. Des jambes en dépassent. La jeune femme à qui elles appartiennent est morte elle aussi. Le chauffeur de la voiture n’a plus de tête. Seul survivant dans ce chaos absolu, un bébé. Il dort. Stjepan décide de s’en aller. Après quelques pas, il s’arrête, revient en arrière. La voiture est une Skoda. Stjepan prend le bébé et s’en va. Il le baptise Skoda…

Olivier Sillig vous prend par la main. Sa voix vous raconte une histoire simple, belle et tragique. L’absurdité de la guerre. Sa brutalité. Stjepan et Skoda sur les routes d’un pays en plein conflit. Des rencontres, bonnes ou mauvaises. Des moments de tendresse, mais aussi la violence et la mort qui surgissent sans crier gare.

Tout cela tient en 100 pages. Une leçon d’écriture concise et limpide. Pas un poil de gras. Le texte est parfaitement épuré, débarrassé des scories inutiles qui alourdissent ou affadissent le propos. Un vrai beau et grand travail d’écrivain qui, au-delà de l’exercice de style, touche en plein cœur. N’hésitez pas. L’heure que vous passerez avec ce magnifique roman risque de vous marquer durablement. Dans le bon sens du terme.

Skoda, d’Olivier Sillig, éditions Buchet Chastel, 2011. 102 pages. 11 euros.


mercredi 14 septembre 2011

Boule et Bill 33 : A l'abordage !

Pas la peine de vous les présenter, je suppose que vous les connaissez déjà : Bill le chien, Boule le petit garçon, Papa, Maman, Caroline la tortue, Pouf le meilleur copain... ça fait maintenant 52 ans qu’ils existent et ils n’ont pas pris une ride. Leur environnement et leurs gags n’ont pour ainsi dire pas bougé d’un iota depuis la première planche. La 2CV rouge, Boule et Pouf qui jouent dans le jardin, Bill terrorisé à l’idée de prendre un bain et obsédé par les os et les bouchers charcutiers... Quelque part, c’est bien là le problème. Cette série qui voit aujourd’hui paraître son 33ème volume continue de mettre en scène les péripéties de la vie quotidienne d’une famille heureuse, rien de plus. Après tout, la recette fonctionne à merveille, alors pourquoi en changer. Et puis pour être honnête, il y a bien quelques petites choses qui se sont modifiées. Boule s’intéresse aux filles, Caroline est beaucoup plus présente et, comble de la modernité, on aperçoit parfois un ordinateur au détour d’une case. Malgré tout, ça ne suffit pas. Il y a aujourd’hui des séries jeunesse tellement plus modernes et tellement plus intéressantes. C’est un fait, Boule et Bill ont pris un sérieux coup de vieux depuis quelques années.

Par contre, s’il y a une chose qu’on ne peut pas reprocher à cette BD, c’est la qualité du dessin. Verron a endossé avec brio le costume du regretté Roba et il propose des planches qui respectent à la lettre l’esprit du maître. Vraiment très impressionnant !

Je dois l’avouer, Boule et Bill, c’est toute mon enfance. C’est la première BD que j’ai lue, mes parents m’achetaient un tome tous les mois et c’était à chaque fois un enchantement de revenir de la librairie avec mon exemplaire sous le bras pour m’installer sur le canapé en ouvrant religieusement la première page. Des souvenirs de lecture dont je me souviens encore parfaitement des dizaines d’années plus tard. Aujourd’hui, quand je reviens avec un nouvel album sous le bras, je dis à ma femme que je l’ai acheté pour notre grande fille qui vient d’avoir neuf ans. Evidemment, je le lis d’abord et je lui offre après. Évidemment, je sais que Boule et Bill ne l’intéressent pas du tout (en ce moment, elle ne voit que par L’élève Ducobu et le manga Chi) et évidemment la BD traîne au pied de son lit pendant des semaines avant qu’elle se décide à la ranger dans sa bibliothèque sans même l’avoir ouverte.

Je sais bien que depuis la mort de Roba, Boule et Bill, ce n’est plus vraiment ça. Mais je sais aussi que si un 34ème album paraît, je me précipiterais pour l’acheter. Que voulez vous. Même si certaines madeleines de Prout laissent en bouche comme un goût de poussière, on a toujours l'impression de les apprécier comme au premier jour.


L'avis de Lystig

Boule et Bill T33 : A l’abordage, de Verron, d’après Roba, Éditions Dupuis, 2011. 46 pages. 10,45
euros.




Le challenge Palsèche de Mo'




dimanche 11 septembre 2011

Bienvenue à Oakland - Eric Miles Williamson

"Ce dont on a besoin, c’est d’une littérature imparfaite, d’une littérature qui ne tente pas de donner de l’ordre au chaos de l’existence, mais qui, au lieu de cela, essaie de représenter ce chaos en se servant du chaos, une littérature qui hurle à l’anarchie, apporte de l’anarchie, qui encourage, nourrit et relève la folie qu’est véritablement l’existence quand nos parents ne nous ont pas légué de compte épargne, quand on n’a pas d’assurance retraite, quand les jugements de divorce rétament le pauvre couillon qui n’avait pas de quoi se payer une bonne équipe d’avocats, une littérature qui dévoile la vie de ceux qui se font écrabouiller et détruire, ceux qui sont vraiment désespérés et, par conséquent, vraiment vivants, en harmonie avec le monde, les nerfs à vif et à deux doigts de péter un câble, comme ces transformateurs électriques sur lesquels on pisse dans la nuit noire d’Oakland".

Cette très longue phrase résume à elle seule tout l’esprit de Bienvenue à Oakland. T-Bird Murphy, le narrateur, a grandi dans l’un des pires quartiers de la ville. Un univers de crasse, de misère et de violence où se côtoient les noirs, les chicanos et les blancs les plus pauvres. Son monde est celui des ouvriers de chantiers, des conducteurs de camion benne ou encore des garagistes à la petite semaine. L’incarnation du prolétariat américain, proche de la folie et du désespoir, mais qui tient à rester férocement libre et vivant : « Y a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu’on baigne dans le désespoir absolu. L’espoir, c’est pour les connards. Il n’y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir ». Avec T-Bird, on découvre une incroyable galerie de personnages : Pop, Louie, Blaise, Jorgensen, Jones… des âmes meurtries, torturées, qui vivent dans des caravanes ou des maisons complètement déglinguées. Des hommes pour qui la solidarité n’est pas un vain mot et qui, quelque part, refusent de se résigner. Mi-clodo, mi-prolo, vivant de petits expédients, T-Bird vous emmène dans son monde. Et franchement, c’est pas joli-joli.

Eric Miles Williamson braque les projecteurs sur le quart monde occidental. Sans concession. Ce n’est pas un scoop, j’aime beaucoup ce ton, quand le narrateur vous attrape à la volée pour vous faire une clé de bras et vous oblige à vous pencher sur SA réalité. T-Bird interpelle le lecteur, l’invective, l’insulte. Il se pose en fou furieux indomptable et incontrôlable. La narration est très déstructurée. Les phrases peuvent faire plusieurs dizaines de lignes et T-Bird s’égare souvent, alors qu’il a commencé à raconter une histoire, vers d’autres horizons. Des digressions qui peuvent durer de nombreuses pages avant qu’il ne reprenne le fil de sa pensée. Une construction de prime abord déstabilisante pour le lecteur mais qui reste finalement facile à suivre. La structure du roman fait penser à une grande improvisation de jazz. D’ailleurs, la musique est très présente, T-Bird étant passionné par la trompette.

Malgré toutes ces évidentes qualités, a-t-on pour autant le roman enthousiasmant que l’éditeur et certains critiques veulent nous vendre ? Je n’en suis pas certain. Le magazine Transfuge parle d’un « Bukowski érudit ». Pour l’éditeur, on tient l’héritier de Céline et d’Henri Miller. Euh, il faudrait peut-être voir à ne pas trop s’emballer. Ce texte n’a pas la fluidité, l’humour et l’art des dialogues de Bukowski. Il n’a pas non plus le souffle de Céline. Bref, pas la peine de survendre le truc. J’ai beaucoup apprécié cette lecture mais il n’y a là rien de vraiment nouveau ni de révolutionnaire. Un très bon roman américain plein de bruit et de fureur, voila ce qu’est Bienvenue à Oakland. Et c’est déjà pas mal !


Bienvenue à Okland, d’Eric Miles Williamson. Fayard, 2011. 412 pages. 22 euros.


vendredi 9 septembre 2011

Les nombrils tome 5 - 1ère partie : noir cauchemar

Rappelez-vous. A la fin du quatrième tome, Karine, après avoir traversé une période difficile, parvient à révéler la véritable nature de la perfide Mélanie et à rétablir son honneur. Dan, son ex-petit ami, réalise qu’il a fait une terrible erreur en l’abandonnant au profit de l’affreuse manipulatrice aux allures d’écolo. Mais c’est trop tard, car Karine a rencontré Alban. Cet étrange chanteur de rue l’a convaincue de se reprendre en main. Avec cette confiance en elle qui lui était jusqu’alors inconnue Karine décide qu’elle ne sera plus jamais la même. Pour Jenny et Vicky, c’est la douche froide : avec cette nouvelle Karine, elles voient disparaître leur tête de turc préférée.
Ce nouvel opus pose bon nombre de questions : Et si Karine devenait la reine du lycée ? Et si Jenny devenait intelligente ? Et si Alban n’était pas aussi blanc qu’il en a l’air ? Après deux ans d’attente, la suite des Nombrils sort enfin. Le constat s’impose, c’est toujours aussi bien. L’intérêt majeur réside dans le fait que, contrairement à la majorité des séries proposant des gags en une planche, les personnages évoluent constamment. L’histoire avance et ne donne pas du tout l’impression de tourner en rond. Le ton est toujours aussi moderne et juste. Niveau dessin, c’est un plaisir de retrouver le trait souple de Delaf. Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour les nombrils. Sauf que…

Si je n’ai que de bonnes choses à dire sur le contenu de la série, j’aimerais néanmoins pousser un petit coup de gueule par rapport à la façon dont elle est exploitée par l’éditeur. Avant la sortie définitive de l’album prévue le 4 novembre, Dupuis nous gratifie d’une pré-publication en trois min-albums de 128 pages avec jaquette. Ce découpage « en tranches » du tome 5 n’a strictement aucun intérêt en dehors du fait de vendre deux fois l’album. En bon fan collectionneur, je vais me précipiter sur ces mini-album annoncés en tirage limité (tu penses, un collector mérite forcément un tirage limité !), ce qui ne m’empêchera pas de racheter l’album grand format (tu penses, maniaque comme je suis, je veux voir mes albums alignés au cordeau sur les étagères de ma bibliothèque). Bref, le couillon que je suis va passer deux fois à la caisse pour lire exactement la même chose. Coût total de l’opération : 3 x 5,50 € + 1 x 10,45 € = 26,95 euros. Tout ça pour un seul et même album de 46 planches. Bon je sais, j’ai qu’à être moins couillon et n’acheter qu’une version, mais que voulez-vous, un collectionneur de BD se laisse toujours tenter par les tirages limités, les éditions spéciales, les versions noir et blanc et tous ces artifices purement mercantiles qui n’ont qu’un objectif : augmenter artificiellement les ventes d’un album sans forcément accroître le nombre réel de lecteurs.

C’est un fait, ce type de prépublication n’est pas une nouveauté. Pellerin l’a fait avec L’épervier et Tardi avec L’étrangleur et Putain de Guerre. Mais ici, avec Les nombrils, le passage du grand au mini format s’avère désastreux. Le redécoupage des planches permet certes de grossir les cases mais il y a aussi beaucoup de vide sur certaines pages. Le confort de lecture n’est clairement pas le même qu’avec un grand album cartonné où l’on découvre chaque gag sur une seule et même page. Bref, si un tel « saucissonnage » peut fonctionner pour un portage vers les smartphones, ça ne marche pas pour une publication au format livre de poche.

Il n’empêche, les Nombrils restent les nombrils, et en dehors de ce coup marketing aussi détestable que savamment orchestré, il faut reconnaître les indéniables qualités de cette série. Pour autant, ne vous précipitez pas sur cette prépublication indigne et attendez sagement la sortie officielle de l’album, ce sera beaucoup plus raisonnable (en gros faites ce que je dis mais surtout pas ce que je fais…).


Les Nombrils, intégrale T5 – première partie : Noir cauchemar de Delaf et Dubuc, Dupuis, 2011. 128 pages. 5,50 euros.

PS : la deuxième partie est prévue pour le 23 septembre et la dernière pour le 7 octobre.




Le challenge Palsèche de Mo'


mercredi 7 septembre 2011

En mer

Dans une ville portuaire, un géant roupille au fond d’une taverne. C’est un poète. Quand le patron lui demande de régler sa note, le poète propose de le payer avec une magnifique dédicace dans son tout premier recueil qui paraîtra un jour peut-être. Viré avec fracas, il échoue sur un ponton, les pieds au dessus de l’eau et le moral en berne. Le constat est rude : il n’y a rien à faire, l’inspiration ne veut pas venir. Embarqué de force sur le bateau du capitaine Conrad Porter, le poète devient matelot malgré lui. Une vie rude commence alors. Pensant qu’il n’est pas du tout taillé pour être un marin, il va pourtant devenir le héros du navire. Par la suite, ses voyages sur tous les océans du globe vont faire de lui un véritable loup de mer. Surtout, cette nouvelle existence va lui permettre, enfin, de devenir un écrivain publié.

Voila un comics qui ressemble fort à un OVNI graphique. Chaque page de ce tout petit format (17 x 13 cm) ne contient en effet qu’une seule case ! Ce surprenant choix narratif ne nuit en aucun cas à la fluidité du récit, bien au contraire. Au final, l’utilisation d’un tel dispositif minimaliste conjugué à une quasi-absence de texte se révèle des plus convaincantes. Autre point important, l’auteur gère à merveille les nombreuses ellipses permettant à l’histoire d’avancer pendant de longues séquences entièrement muettes.

Le dessin en noir et blanc est très travaillé, surtout pour les scènes se déroulant en mer, et la grosseur de chaque case permet au lecteur de s’attarder sur les nombreux détails. Pour ce qui est des personnages, on pense au travail de Jeff Smith sur sa série Bone.


Évitant l’écueil de l’exercice de style et de la démonstration purement technique, Drew Weing a su endosser les habits du conteur avec cette histoire simple et touchante d’un poète qui, pour renouer avec sa muse, devra affronter un parcours initiatique aussi éprouvant que salvateur. Ce roman graphique atypique qui a demandé cinq années de labeur à son auteur avant d’être publié aux États-Unis mérite à l’évidence que l’on si attarde avec la plus grande attention.

L'avis de Mo'

En mer de Drew Weing, éditions ça et là, 2011. 144 pages. 13 euros.









Le challenge Palsèche de Mo' 


lundi 5 septembre 2011

L'homme aux cercles bleus

Le commissaire Adamsberg utilise de drôles de méthodes. Donnant constamment l’impression de rêvasser, il passe son temps à griffonner des croquis dans un carnet. Et puis un jour il rapplique en disant simplement à ses collègues : il faut arrêter untel, c’est lui le coupable. Après avoir élucidé cinq meurtres en quatre ans en Province, il est monté en grade : d’abord inspecteur, aujourd’hui commissaire. Nommé à Paris, sa première affaire est pour le moins étrange. Depuis des mois surgissent sur les trottoirs de la capitale des cercles bleus entourant un objet quelconque : pince à linge, bougie, bigoudi… Chaque cercle est accompagné d’une phrase étrange : « Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors ? ». Pour Adamsberg, ces agissements ne sont pas une simple lubie. L’homme aux cercles va passer à la vitesse supérieure, il en est persuadé. Lorsqu’un matin on retrouve une femme égorgée au milieu d’un cercle, Adamsberg se dit que, malheureusement, son pressentiment était le bon…

J’ai cette sale habitude de vouloir découvrir un auteur en essayant toujours de lire ses textes de manière chronologique. C’est une bonne chose pour voir l’évolution d’un écrivain mais c’est aussi un pari risqué car souvent les premiers travaux publiés sont loin d’être les meilleurs. Et là, pour le coup, attaquer Fred Vargas avec L’homme aux cercles bleus est un très mauvais choix. Certes, c’est le roman qui présente les personnages mythiques de l’auteur : Adamsberg, Danglard, Camille, Mathilde… Certes, on ressent déjà l’ambiance très particulière qui va traverser toutes les aventures du célèbre commissaire. Mais quel ennui ! Quel manque de rythme ! J’ai rarement eu autant de mal à finir un livre de poche de 200 pages. Il y a tellement de longueurs inutiles qu’on pourrait réduire le texte d’un bon tiers sans que cela nuise au dynamisme de l’intrigue, bien au contraire. Et que dire des dialogues ? Les discussions d’Adamsberg avec Reyer ou Mathilde sont assommantes. Celles de Danglard avec ses enfants frôlent le ridicule.

C’est un fait, les personnages d’Adamsberg et de Danglard sont bien trouvés, même, si en mettant en scène un flic si cérébral, le manque d’action peut constituer un écueil insurmontable pour nombre d’amateurs de polars. Au final, cette première prise de contact avec l’univers de Fred Vargas s’est révélée pour moi catastrophique. Il n’empêche que je ne m’avoue pas vaincu pour autant. Je tenterais donc à nouveau ma chance avec une autre enquête du célèbre commissaire, en espérant que le plaisir de la lecture soit cette fois au rendez-vous.


L’homme aux cercles bleus, de Fred Vargas, Éditions J’ai lu, 2008. 220 pages. 5,60 euros.

vendredi 2 septembre 2011

Clèves - Marie Darrieussecq

Solange aura passé toute son enfance à Clèves, petit bled paumé au pied des Pyrénées. Une enfance heureuse ? Pas vraiment. De la fin de l’école primaire à la fin du collège, elle a traversé l’ennui d’une existence où le père est absent et la mère trop occupée pour réellement s’intéresser à elle. Dans cette France des années 80, la jeunesse provinciale s’éveille à la sexualité en découvrant le porno sur Canal +. Pour Solange et ses copines, il faut faire semblant de s’y connaître pour ne pas paraître coincée. Le vocabulaire n’est pas toujours maîtrisé et les on-dit sont monnaie courante. Son éducation sexuelle, Solange la fera sur le tas. Pas farouche, confondant l’amour et faire l’amour, dévorée par ce désir qu’elle a parfois du mal à apprivoiser, l’adolescente navigue à vu. Les questions s’accumulent, deviennent trop nombreuses. Seule certitude à laquelle se raccrocher ? Garder chevillée au corps ce rêve de midinette où elle se voit partir loin, très loin, au bras d’un surfeur aux lèvres craquelées par le sel et le soleil.

Drôle de roman. Il m’a semblé très bancal, mal fichu, artificiellement dérangeant tout en gardant de superbes passages à la fois tristes et cruels. Et puis j’ai eu la douloureuse impression d’être passé à coté, comme si ce texte ne s’adressait pas à moi. Sans doute mon manque de sensibilité légendaire. Il faut dire aussi que Solange n’attire aucune empathie. Une adolescente entièrement focalisée sur la question du désir, c’est très limitatif. Tous les événements de la vie courante qui surviennent ne semblent pas la toucher. Son père qui disparaît du jour au lendemain sans donner de nouvelles ? Aucune réaction. La tentative de suicide d’une camarade ? Rien à cirer. Sa mère qui part en maison de repos ? A peine si ça la travaille. Elle prend tout cela de façon très détachée, ne donnant pas l’impression d’être concernée. Les seules choses qu’elle cherche à comprendre sont celles liées au sexe. Son dico sous le bras, elle part à la pêche aux définitions : orgasme, vagin, copulation, verge…

Niveau écriture, je ne suis pas fan de ce style très sec, syncopé. Sans compter que les dialogues sonnent faux avec cette utilisation quasi systématique de formules triviales pour faire jeune. D’ailleurs, je préfère prévenir les amoureux du langage châtié : le récit de cette éducation sentimentale dans les méandres de la France profonde est cru, très cru. Marie Darrieussecq jette le mot « bite » une centaine de fois à la face du lecteur. Sans doute veut-elle se poser en auteur libérée et provocatrice. A la longue, cette répétition devient ennuyeuse, pénible et ridicule.

Tout ça pour dire que je me suis rarement senti aussi perdu en renfermant un roman. Ou alors, tout simplement, je n’ai rien compris. Une critique professionnelle à comparé Clèves à du Houellebecq au féminin. Je ne peux pas me prononcer, je n’ai jamais lu Houellebecq. Décidément, je suis vraiment trop con.


Clèves, de Marie Darrieussecq, édition P.O.L, 2011. 345 pages. 19 euros.