lundi 11 avril 2011

80 millions de voyeurs

Stan Gifford, l’animateur au 40 millions de téléspectateurs, s’écroule au beau milieu de son show. Verdict du légiste : empoisonnement. Carella et Meyer son chargés de l’enquête. Problème, les suspects sont nombreux. Entre sa femme, son médecin et beaucoup de membres de la production qui le détestaient cordialement, Gifford possédait beaucoup « d’ennemis » potentiels. Les deux inspecteurs vont donc plonger avec délectation dans l emonde merveilleux de la télé. Parallèlement, Bert Kling doit protéger Cynthia Forrest, une jeune femme harcelée par un fou furieux qui tabasse tous les hommes l’approchant de trop près...

80 millions de voyeurs est le 21ème épisode de la saga du 87ème District. Cet incroyable feuilleton débuté en 1956 et narrant la vie d’un commissariat de la ville d’Isola (sorte de sœur jumelle imaginaire de New York) compte en tout plus de soixante romans. Pourquoi l’écriture d’Ed Mc Bain est tellement novatrice ? Il fut le premier à décrire le travail de la police de façon hyper réaliste. Le premier également à dérouler au cœur de ses romans des intrigues multiples mettant en scène des inspecteurs chargés d’enquêtes totalement différentes. Le premier enfin à mêler la vie professionnelle et la vie privée de ses personnages, alternant les passages sur le terrain et les moments d’intimité au foyer. Son écriture a tout simplement préfiguré le schéma sur lequel sont construites la majeure partie des séries policières de ces dernières années. L’exemple le plus frappant (pour ceux qui connaissent) est celui de New York Police Blues, une série plus qu’inspirée de l’univers du 87ème District.

Ed Mc Bain (de son vrai nom Salvatore Lombino) est donc un écrivain majeur dans son domaine. Un maître qui a inspiré un nombre incalculable de romanciers et de scénaristes. Son décès en 2005 a mis un terme à la plus grande saga policière de l’histoire de la littérature américaine. Heureusement pour moi, il me reste plus de quarante romans à découvrir avant d’en avoir terminé avec inspecteurs si attachants. Ça tombe bien, ils m’attendent tous bien au chaud dans ma PAL.

80 millions de voyeurs, d’Ed Mc Bain. Gallimard, 1996. 222 pages. 5,95 euros.

vendredi 8 avril 2011

L’Ours Barnabé, intégrale volume 1

J’ai rencontré l’Ours Barnabé au début des années 80. Je m’en souviens très bien, c’était à l'école primaire, je devais être en CE1 ou CE2. Il y avait au fond de la classe une pile de magazines « Amis-Coop ». C’est dans cette revue pour écoliers rédigée par des enseignants que l’Ours de Philippe Coudray a fait ses premiers pas. Comment se fait-il que je m’en souvienne encore trente ans après ? Aucune idée. Tout ce que je sais c’est que quand j’ai vu cette intégrale en librairie la semaine dernière, des tas de souvenirs sont remontés. Et après avoir feuilleté quelques pages, je suis parti à la caisse, mon exemplaire sous le bras, me demandant si cette madeleine de Proust serait toujours aussi savoureuse ou si, au contraire, elle m’apparaîtrait franchement rassie.

Verdict ? Un peu de patience. Laissez-moi d’abord vous présenter ce drôle de personnage. L’ours Barnabé est un ours. Ok. Jusque là, tout va bien. Mais cet ours parle, observe la nature avec une acuité toute personnelle et fait preuve d’une logique parfois déroutante. Souvent accompagné d’un lapin poseur de questions, il affronte notamment avec une facilité déconcertante les éléments naturels, toujours prompt à trouver des solutions pleines de bons sens pour se jouer de la pluie, du vent ou de la neige.

Le cocktail servi par Philippe Coudray est frais et peut être dégusté par toute la famille. C’est là la grande force de l’Ours Barnabé. On a rarement vu autant de niveaux de lecture et d’interprétation possibles. Entre humour, non sens, absurde, poésie et réflexion philosophique, ce personnage inclassable enchante quel que soit l’âge. Avec une simplicité narrative époustouflante et un art consommé de l’ellipse, l’auteur propose une BD d’une intelligence peu commune. Indémodable, intemporel, L’ours Barnabé est véritablement une œuvre tout public. C’est suffisamment rare pour être crié sur tous les toits. Et puis zut, trêve de discours, je préfère vous mettre quelques planches qui, je n’en doute pas, seront beaucoup plus parlantes que n’importe quel argumentaire.

Dernier petit détail tout de même, les éditions La boîte à bulles proposent avec cette intégrale un magnifique objet livre (dos toilé, épais cartonnage et papier glacé) qui donne au plantigrade aujourd’hui trentenaire l’écrin qu’il mérite. Seul bémol, le prix est franchement élevé. Mais quand on aime… et puis il faut espérer que les bibliothèques de France et de Navarre vont dare-dare ajouter ce volume à leurs fonds.

L’Ours Barnabé, intégrale volume 1 de Philippe Coudray, Éditions La boîte à bulles, 2011. 192 pages. 22 euros. De 3 à 103 ans. 


L’info en plus : Lors du dernier festival d’Angoulême, cet album a remporté le prix des écoliers de la ville. Intemporel je vous dis…






Le challenge Pal sèche de Mo'




jeudi 7 avril 2011

Concours BD : vous avez dit adaptation ?

Ce mois-ci, je vous propose de gagner des adaptations de romans jeunesse en BD. Un genre qui a connu une croissance exponentielle ces dernières années, pour le meilleur et pour le pire. Les quatre titres que je vous propose sont à la fois variés et de qualité :

Tom Sawyer T1 à 4, adapté par Istin et les frères Akita d’après Mark Twain. Éditions soleil.
Les enfants du Capitaine Grant T1, adapté par Alexis Nesme d’après Jules Verne. Éditions Delcourt.
Heidi (version manga), adapté par Yumiko Igarachi d’après Johanne Spyri (one shot). Éditions Glénat.
Le magicien d’Oz T1, adapté par David Chauvel et Enrique Fernandez d’après L. Frank Baum. Éditions Delcourt.

Le premier nom qui sortira du chapeau remportera l’intégrale en quatre volumes des aventures de Tom Sawyer. Le second devra piocher dans les trois titres restant, le troisième n’aura plus que deux choix possibles et le dernier n’aura plus de choix du tout !

Comme d’habitude trois questions simplissimes (encore plus simples que d’habitude, j’avoue que je ne me suis pas foulé mais en même temps je n’ai pas envie de faire des questions trop compliquées. Mon but premier, c’est que la très grande majorité des participants puisse trouver les bonnes réponses sans passer des heures à les chercher).

La ville de Tom Sawyer

Dans quelle ville de Louisiane se déroulent les aventures de Tom Sawyer ?

a) Saint-Petersburg
b) Saint-Martinville
c) Saint-Francisville


Comment s'appelle le berger qui devient le meilleur ami de Heidi ?


a) Anthony
b) Huck
c) Peter


Dans le Magicien d’Oz, où doit se rendre Dorothée pour rencontrer le magicien ?


a) Au château de la bête
b) A la cité d’émeraude
c) Chez sa mère grand




Vous avez jusqu'au jeudi 14 avril 2011 à minuit pour participer. Les réponses sont à envoyer à l'adresse suivante : dunebergealautre@gmail.com


Les belges, les suisses, les québécois, les habitants des Dom/Tom et tous les membres de l'union européenne peuvent participer.

 

mercredi 6 avril 2011

Walking Dead T1

Rick est un policier qui s’est fait tirer dessus au cours d’une intervention. Lorsqu’il sort du coma, il découvre que des zombies ont envahi notre monde, pourchassant les derniers humains pour se repaître de leur chair. Rick s’enfuit en direction d’Atlanta, espérant retrouver dans cette ville sa femme et son fils…

Un pitch qui tient sur un post it pour un des plus incroyables comics de ces dernières années. Personnellement, je pensais que Walking Dead était dans la lignée des films de morts-vivants de série B de Robert Romero ou Georges Rodriguez. Pas du tout mon truc en fait. C’est en lisant le mois dernier une interview du dessinateur dans l’excellente revue Casemate et en découvrant dans le classement hebdomadaire de Livres Hebdo que le 13ème volume de la saga était entré directement à la première place des ventes de BD en France que je me suis dit que je passais peut-être à coté de quelque chose. Car voila une série qui a connu un succès que l’on peut qualifier de phénoménal. Ce nouveau tome, tiré à 30 000 exemplaires, a été épuisé dès sa mise en place en librairie, nécessitant une réimpression de 20 000 exemplaires. Et tout ça sans aucun artifice promotionnel particulier. Les libraires constatent juste que les nouveaux lecteurs qui achètent le tome 1 reviennent rapidement acquérir la suite. Une sorte d’addiction dont j’ai moi-même été victime puisqu’après avoir lu ce premier tome, je suis retourné le lendemain chercher les deux suivants.

L’intérêt majeur réside dans le fait que le récit est avant tout post apocalyptique et s’intéresse essentiellement aux relations humaines dans un contexte désespéré. Les zombies ne sont ici qu’un prétexte. La question majeure est plutôt : vous vous réveillez un matin et votre univers est complètement bouleversé. Plus rien ne sera jamais comme avant. Vous êtes en permanence en danger de mort. Comment réagiriez-vous dans une telle situation ? Le génie du scénariste Robert Kirkman tient dans cette mise en scène ultra crédible des attitudes humaines dans des conditions de crise extrême : comportements totalement nouveaux, nerfs à fleur de peau, rôle joué par la faim et la fatigue, tension extrême à l’intérieur du groupe de survivants, introduction homéopathique de nouveaux personnages qui donnent à chaque fois davantage d’épaisseur à l’ensemble… S’il y a des passages très gores, ils ne sont jamais gratuits. Par ailleurs, la toile de fond sur laquelle repose la série est sombre mais elle laisse aux personnages un soupçon d’espoir pour ne pas tomber dans un nihilisme qui ferait fuir les lecteurs.

Visuellement, le noir et blanc renforce les aspects tragiques de la situation. Le dessinateur a changé après le tome 1 mais le style réaliste est resté quasi identique avec un superbe travail sur l’expression et les attitudes des zombies.

Walking Dead, c’est un peu le Seuls des adultes. Pour Charlie Adlard (le dessinateur), cette série est « un fichu voyage en enfer ». Pour ma part, je dirais que c’est un fichu bon comics qui mérite largement le succès qu’il connaît chez nous.

Walking Dead T1 : passé recomposé de Robert Kirkman, Tony Moore et Charlie Adlard, Éditions Delcourt, 2007. 142 pages. 13.50 euros.



L’info en plus : La saga Walking Dead a été adaptée à la télé dans une mini-série de six épisodes, actuellement diffusée en France sur la chaîne Orange Cinéchoc. Au États-Unis le succès de la première saison a été tel qu’une seconde de 13 épisodes est en cours d’écriture. Les zombies ont décidément la cote, aucun doute là-dessus !



Le challenge Pal sèche de Mo'



dimanche 3 avril 2011

L'Aphrodite profanée : Une enquête de Kaeso le prétorien

Rome en 33 ou 34 après JC. Des enlèvements d’enfants dans la haute société se succèdent. La garde prétorienne chargée de mener l’enquête est ridiculisée à chaque demande de rançon. Son chef Kaeso, très irrité par la situation, doit en plus subir les foudres de son supérieur Macro, préfet du prétoire. Envoyé par ce dernier surveiller un banquet chez Claude, l’oncle de Caligula, il ne peut empêcher le vol d’une inestimable statuette du grand sculpteur grec Praxitèle. Hors de lui, Kaeso se jure de retrouver la statuette et les kidnappeurs afin de mettre un terme à ces échecs à répétition.

Je me faisais un plaisir de retrouver le beau Kaeso pour une troisième aventure après Les mystères de Pompéi et Meurtres sur le Palatin. Les principaux personnages des romans précédents sont toujours là : Concordia, Caligula, Donar, Io le léopard, Hildr, Matticus… On découvre aussi comme d’habitude et avec intérêt les détails parsemés le long du texte éclairant le fonctionnement de la société romaine de l’époque. La rigueur et les connaissances historiques de Cristina Rodriguez donnent toujours autant de crédibilité aux situations décrites. Bref, les ingrédients qui ont fait le succès des deux premiers opus de la série sont de nouveau intelligemment exploités. Et pourtant, cette lecture s’est révélée décevante. Les deux enquêtes menées parallèlement par Kaeso sont plutôt « fades ». Certes on apprend que le trafic d’œuvres d’art existait déjà à l’époque, mais il n’y a là rien de bien palpitant. Et contrairement à Meutres sur le Palatin, la plèbe est totalement absente du roman. Tout se déroule dans les villas cossues des patriciens, entre sénateurs et grandes familles bourgeoises. Pas de grands complots politiques, pas de scènes d’action trépidantes ni d’orgies débridées. Sans compter que les relations entre les personnages évoluent très peu : Concordia toujours amoureuse transie de son cousin Kaeso, Caligula le bon copain magnanime, Matticus le fidèle second… Une sorte de ronronnement qui traverse tout le texte et finit par engendrer un certain ennui. J’ai refermé l’ouvrage en me disant : tout ça pour ça !

Une déception donc, qui tient essentiellement au choix de l’intrigue et au manque d’évolution de la psychologie des personnages. Mais la description scrupuleuse de l’époque et les précisions historiques disséminées au fil du texte justifieraient presque à elles seules la lecture de cette Aphrodite profanée. J’espère seulement que la suite des aventures de Kaeso réservera son lot de rebondissements et donnera un nouveau souffle à cette série qui mérite d’être suivie avec attention.

L’Aphrodite prophanée, de Cristina Rodriguez, Éditions du Masque, 2011. 280 pages. 17,00 euros.

L’info en plus : Pour tout connaître sur Kaeso et son époque, je vous recommande la visite de l’excellent site dédié à la série : http://www.kaesolepretorien.com/. Une mine d’informations indispensable pour les fans.

PS : Ce billet signe ma première participation au challenge Au coeur de la Rome antique de Soukee.




vendredi 1 avril 2011

Le garçon qui volait des avions

Vous vous souvenez de Colton Harris-Moore ? Cet adolescent américain a défrayé la chronique l’an dernier au moment de son arrestation. Surnommé le bandit aux pieds nus, il vivait de rapines dans les demeures cossues servant de maison de campagne aux riches habitants de Seattle. Pendant deux ans, il a nargué les forces de police, se cachant dans les bois, toujours en mouvement, insaisissable. Sa « carrière » a commencé lorsqu’il avait huit ans, le jour où il a cambriolé son école. Par la suite, ce furent des glaces, des pizzas, des consoles et des jeux vidéo chez les voisins. A dix ans, on le plaça en foyer. Il s’évada presqu’aussitôt pour passer à la vitesse supérieur : vol de voitures, de bateaux et, pour finir en beauté, les avions. Uniquement des Cessna, qu’il parvenait à faire décoller sans jamais avoir pris un cours de pilotage.

Colton Harris-Moore le sauvageon, honni par la population locale, est devenu une star adulée par des ados du monde entier et ayant des dizaines de milliers de fans sur Facebook. On imprima même des Tee-shirt à son effigie ! Sa cavale éperdue prit fin le 11 juillet 2010 après une spectaculaire poursuite en bateau dans un port de l'île des Bahamas.

Élise Fontenaille imagine les derniers jours de liberté du « héros ». Optant pour le mode choral, elle donne successivement la parole à la mère de Colton, à la policière censée l’avoir arrêté, à l’éducatrice qui l’a accueilli au foyer ou encore aux voisins qui se sont organisés en véritable milice pour traquer ce sale gosse venant piller leur congélateur. Le gamin s’exprime lui aussi. Il raconte son enfance très perturbée dans la caravane familiale. Une mère alcoolique, un père qui a tenté de l’étrangler lorsqu’il était bébé. Il parle de ses nuits passées seul dans les bois. Cette fatigue engendrée par le fait de devoir toujours se tenir aux aguets. Et la certitude que tout cela allait prendre fin un jour, peut-être pour son plus grand soulagement.

L’auteur prend parti et ne s’en cache pas. Son texte est un docu-fiction qui fait de Colton une victime, un héros : « Colton ressemble un peu à mon fils Rémi, qui, justement, pose en couverture du Garçon qui volait des avions. Bref, Colton m’a mis dans sa poche. Il avait toutes les forces de police des États-Unis à ses trousses, alors qu’il n’avait jamais agressé personne ! Personne ne l’avait jamais vu. Il ne volait que les riches (il entrait dans les belles maisons de vacances où l’on ne va jamais) et vivait dans les bois, seul, sans l’aide de quiconque, à quinze ans… ça aussi, ça m’épatait. Comme des milliers d’ados dans le monde entiers, et quelques adultes aussi, je suis devenue une fan de Colton sur Facebook, priant pour qu’il ne se fasse jamais prendre. Le jour où on l’a attrapé et jeté en prison en juillet 2010, j’ai écrit Le Garçon qui volait des avions en trois jours et trois nuits » (extrait du Making off du roman).

Le parti pris peut être discutable mais l’auteur l’assume avec franchise et lucidité. Pour le coup, l’exercice est parfaitement maîtrisé et nul doute que ce tout petit roman fera vibrer les lecteurs, petits ou grands, qui ont gardé une âme de sauvageon.

Le garçon qui volait des avions d’Élise Fontenaille, Le Rouergue, 2011. 60 pages. 8,00 euros. A partir de 13 ans.

mercredi 30 mars 2011

Mémoires d'un guerrier

Miguel est un vieil homme taciturne qui passe ses journées assis sur un banc face à la mer. Un soir, alors que son petit fils vient le chercher pour diner, Miguel lui demande de venir près de lui. Alors qu’il ne lui parle pour ainsi dire jamais, alors qu’il ne se souvient même pas de son prénom, le grand père lui raconte ses souvenirs de jeunesse : « A l’époque, le monde était très différent, beaucoup plus dur. Seuls les plus acharnés, les plus féroces, pouvaient prétendre survivre. » Miguel a chassé des géants, il a été l’homme de main du caïd de la ville, il a recherché un trésor sur le territoire des orcs, bref, il a vécu dangereusement et intensément. Aujourd’hui, les grandes guerres d’épuration ont fait de l’homme la race supérieure et ont exterminé toutes les autres espèces. Les choses ne sont décidément plus ce qu’elles étaient. Miguel égraine ses souvenirs et son petit fils semble s’en contrefoutre. Mais le vieil homme ne s’interrompt pas pour autant. Après tout, c’est avant tout à lui-même qu’il s’adresse…

Jean-Louis Marco s’est lancé dans un étrange projet. Il met en scène le crépuscule de l’héroïc fantasy à travers le récit d’un des derniers aventuriers à avoir connu son âge d’or… Miguel a besoin de ressasser ses aventures de jeunesse pour ne pas oublier à quel point sa vie a valu la peine d’être vécue. L’attitude du petit fils est d’une grande modernité. Il n’est pas dans la posture d’idolâtrie que l’on retrouve en général lorsqu’un grand guerrier raconte ses exploits aux plus jeunes. Le discours de son grand-père l’ennuie profondément et il ne s’en cache pas.

L’ouvrage relate trois histoires totalement différentes. Les deux premières relèvent de la pure aventure alors que la troisième m’a fait penser aux Contes du Korrigan publiés chez Soleil. Loin des rondeurs que l’on retrouve généralement dans le franco belge classique, le trait est ici très aiguisé : nez pointus, cheveux hérissés, visages en lame de couteau... Les couleurs, où le gris vert et l’ocre dominent collent  parfaitement aux ambiances forestières et montagneuses où l’action se déroule.

Un album étrange, presque expérimental. Entre héroïc fantasy classique et modernité du propos, difficile de classer ces Mémoires d’un guerrier dans un genre bien précis. Une agréable découverte en tout cas.

Mémoires d’un guerrier de Jean-Louis Marco, Gallimard, 2011. 92 pages. 16 euros.



L’info en plus : Jean-Louis Marco est l’auteur de Rosco le rouge, une série jeunesse en trois tomes publiée aux éditions Le cycliste et racontant les aventures loufoques d'une bande de pirates qui ne respectent pas souvent les règles et préfèrent suivre leur instinct.



Le challenge PAL sèche de Mo'


lundi 28 mars 2011

La Merditude des choses

Ils sont affreux, sales, mais pas vraiment méchants. Alcooliques plutôt, et pas qu’un peu. Ils, ce sont les Verhuslt, quatre frères vivant chez leur mère. Ils, ce sont les trois oncles et le père de Dimitri, le narrateur. Le jeune garçon déroule ses souvenirs d’enfance dans cette famille de soiffards invétérés, entre virées aux cafés, bagarres d’ivrognes, visites des huissiers et des services sociaux. L’action (si on peut dire !) se déroule à Reetveerdegem, un trou perdu de la Belgique profonde.

Ces gens là, comme le chantait Brel, sont des marginaux irrécupérables. Ils ne travaillent quasiment jamais, préférant boire la maigre pension de leur mère et multiplier les ardoises dans tous les troquets du village. Ils organisent des tours de France éthyliques ou participent à des courses de vélo nudistes. Le père de Dimitri va même tenter la cure de désintoxication, un échec total, évidemment. Le petit assiste en spectateur aux excès familiaux. Il porte un regard tendre sur ces cas sociaux qui l’ont élevé. Jamais moqueur, jamais révolté par ce qu’il a subit durant sa jeunesse, il oscille plutôt entre mélancolie et nostalgie. Dans les derniers chapitres, c’est le Dimitri adulte qui s’exprime. On comprend que grâce aux placements en foyer et en famille d’accueil, il a pu s’extraire d’un milieu qui le condamnait à une marginalité certaine. Mais ce n’est pas pour autant qu’il cloue au pilori ces oncles n’ayant pas changé d’un iota leur mode de vie depuis la mort de son père. Tout juste constate-t-il lorsqu’il retourne les voir : « Je ne suis plus l’un d’eux mais je voudrais encore l’être, pour montrer ma loyauté, ou mon amour, qu’importe le nom qu’on donne à ces sentiments. »

Je m’attendais à un roman franchement drôle, mais ce n’est pas du tout le cas. Certes, les premiers épisodes relatés font sourire et relèvent de la chronique d’enfance à la Cavanna des Ritals ou à la John Fante de Bandini. Mais par la suite, le ton devient beaucoup plus amer, notamment les passages où le Dimitri adulte s‘exprime. La négation de sa condition de père est d’une violence inouïe alors que les derniers moments qu’il passe avec sa grand-mère sont d’une insondable tristesse. Loin d’être une simple pochade, La Mertidude des choses est une réflexion assez profonde sur l’évolution d’un homme étant parvenu à s’extraire de son milieu sans pour autant y avoir gagné un équilibre définitif.

La Merditude des choses, de Dimitri Verhulst, Éditions Denoël, 2011. 238 pages. 18,00 euros.

L’info en plus : La Merditude des choses a été adapté au cinéma par Félix Van Groeningen et a remporté le prix Art & Essai au festival de Cannes 2009.

mercredi 23 mars 2011

WEST, cycle 1 : 1901

La première victime s’appelait William Burns, gouverneur adjoint de l’état de New York. Retrouvé pendu dans son salon. Le second était le procureur Edward Goldsmith. Condamné pour détournement de fonds publics, il s’est défoncé le crâne contre les murs de sa cellule. Puis ce fut au tour de George Coolidge, professeur de philosophie à Harvard. Il s’est immolé par le feu. Enfin, le magnat de l’armement Harvey Dawson, après avoir tué sa femme d’un coup de fusil, a retourné l’arme contre lui. Ces hommes ne se connaissaient pas et aucun n’était destiné à commettre de tels actes. Seul point commun, un symbole aperçu sur chaque cadavre qui a disparu une fois le corps arrivé à la morgue.

Pour résoudre ces morts mystérieuses, le gouvernement fait appel à la Weird Enforcement Special Team, une équipe de choc dont les membres ont chacun une spécialité bien particulière (tueur à gage, tireur d’élite, psychiatre, exorciste...). Très vite, la WEST découvre que ces suicides touchant les personnalités les plus influentes de la société américaine sont téléguidés par un personnage diabolique qui menace dorénavant le président de la république en personne...

Théorie du complot, western, surnaturel... La confusion des genres n’est pas loin, mais c’est ce qui fait tout le sel de cette série originale et percutante. Un conseil tout de même avant de vous lancer : installer vous confortablement, sans pollution sonore à proximité et en étant certain que votre lecture ne sera pas troublée par quelque perturbation que ce soit. Beaucoup de texte, beaucoup de cases, beaucoup de personnages et quelques problèmes de différenciation : le scénario de ce premier cycle demande de la concentration si l’on ne veut pas perdre le fil. Les auteurs ont d’ailleurs reconnu que l’histoire des deux premiers albums était touffue et compliquée et qu’il aurait été préférable qu’elle s’étire sur trois tomes. Il n’empêche. Une fois que tous les protagonistes ont été clairement identifiés, ont arrive à suivre les événements sans trop de difficulté.

Mêler du fantastique dans les codes du western, voila qu’elle était l’intention de départ. Une toile de fond ésotérique sur laquelle viennent se fixer des éléments touchant à la psychiatrie ou au paranormal pour, au final, donner une explication rationnelle. Mais attention, cette explication ne doit pas être complètement satisfaisante afin de laisser une part de doute.

Niveau dessin, c’est du tout bon. Christian Rossi campe à merveille l’Amérique du début du vingtième siècle. Les couleurs, où le ton bistre domine, rappellent les westerns de John Wayne. Rossi conçoit son récit comme un opéra : ouverture, mouvement d’ensemble, passages plus intimes... Son découpage est une leçon pour tous les dessinateurs voulant se lancer un jour dans le style réaliste.

WEST est une série à grand spectacle qui vaut le détour. Un divertissement bourré d’action mettant en scène des enquêteurs de l’étrange dans une Amérique en pleine construction, on ne trouve pas cela tous les jours.

WEST, cycle 1 : 1901, de Dorison, Nury et Rossi, Dargaud, 2011. 2 volumes de 58 pages. 13,95 euros.


L’info en plus : Dargaud profite de la sortie du 6ème tome pour rééditer le premier cycle dans un fourreau contenant les deux albums au prix de 13.95 € au lieu de 28,90 €. Une belle occasion de découvrir la série dans une présentation classieuse et à moindre coût.



Le challenge Palsèche de Mo'

lundi 21 mars 2011

Trois hommes, deux chiens et une langouste

Mitch, Doug et Kevin. Trois garçons poissards comme c’est pas permis. Le premier s’est fait virer de la grande surface dans laquelle il venait de trouver une place. Le second, cuistot, a trouvé un matin la porte de son restaurant fermé, le patron s’étant fait la malle avec la caisse. Quant, au troisième, à peine sorti de prison pour avoir cultivé de l’herbe dans sa cave, il vivote en promenant des chiens pour de riches particuliers. Difficile de s’en sortir dans ce petit bled de Pennsylvanie sans tremper dans quelques magouilles. Les trois amis vont d’abord voler une télé écran plat dans l’ancien magasin de Mitch. Ensuite, l’objectif sera de s’emparer d’une Ferrari pour un commanditaire prêt à les payer grassement. L’opération va être un fiasco total. Mais les graines de délinquants n’abdiquent pas aussi facilement. Et si, finalement, la chance finissait par sourire…

Iain Levison relate avec délectation et bonhomie les aventures improbables de ses hilarants pathétiques losers. Des gamins oisifs, fumeurs de shit invétérés mais aussi complètement paumés face à la crise économique qui frappe leur pays de plein fouet et ne leur laisse que très peu de possibilités d’avenir. S’ils se lancent dans des coups foireux, c’est bien parce qu’ils ont besoin d’argent pour vivre. Mitch s’adressant à Doug : « Moi, je me tracasse tout le temps. Pour les putains de factures, pour le loyer, parce que je peux rien me permettre. Je peux aller nulle part, je peux rien faire. Merde, pas même ce que les gens font dans les pubs pendant les matchs de foot. Faire du VTT, voyager, aller à la plage, au concert, en vacances. C’est comme si il y avait cet immense univers là-dehors, plein de tout ça, et nous, on n’en fera jamais partie. On peut même pas y goûter un peu, tu comprends ? ».

Un roman furieusement drôle, sans cynisme ni méchanceté. Les dialogues sont ciselés et quelques scènes ne s’oublieront pas de sitôt. Bref, si vous aimez Donald Westlake et le cinéma des frère Coen, jetez-vous sans tarder sur les pérégrinations de ces Pieds Nickelés modernes, vous ne devriez pas être déçus.

Trois hommes, deux chiens et une langouste, de Iain Levison, Éditions Liana Levi, collection Piccolo, 2011. 268 pages. 10,00 euros.

L’info en plus : Le tout nouveau roman de Iain Levison vient de sortir et il s’intitule Arrêtez-moi là. L’histoire d’un chauffeur de taxi embarqué malgré lui dans un implacable engrenage judiciaire auquel il ne comprend strictement rien.