Martin Terrier est un tueur à gages. Sa dernière mission achevée dans une ruelle de Liverpool, il rentre à Paris pour annoncer à son employeur qu’il se retire définitivement. Son but est de repartir dans son village natal où, pense-t-il, un amour de jeunesse l’attend. Mais de vieilles rancœurs et une sombre machination vont contrarier ses plans.
Quand Tardi adapte Manchette, il faut s’attendre à déguster un petit noir très serré à l’amertume bien prononcée. Ne cherchez pas ici de héros au grand cœur, il n’y a que de pathétiques losers. Martin Terrier le tueur est surtout un pauvre gars naïf, stupide, incapable de s’en sortir avec les filles. Et que dire des autres personnages. Tous, absolument tous, sont au mieux antipathiques, au pire d’infâmes salauds. Même les femmes ! Pas un pour rattraper l’autre.
Dans une lettre adressée à son ami Pierre Signac datant de 1977 et reprise au début de l’album, Manchette écrivait à propos de son roman : « […] une histoire de tueur absolument sans intérêt intrinsèque, uniquement un exercice technique de mon point de vue. » La position du tireur couché relève donc de la mécanique de précision. Tout s’enchaîne pour aboutir à cette fin où le « héros » est plus pitoyable qu’il ne l’a jamais été. Pour Tardi, la difficulté était là : ne pas dérégler cette horlogerie en respectant au maximum le texte original. Et le challenge est relevé avec brio. Les 40 premières pages ronronnent un peu (trop de récitatifs qui nuisent à la fluidité du récit) mais la seconde partie est beaucoup plus prenante.
Pour le dessin, pas de surprise, Tardi fait du Tardi. Un noir et blanc maîtrisé, des trognes qu’on reconnaît au premier coup d’œil, quelques balades dans les rues de Paris ou à la cambrousse pour les décors. Les scènes ultra-violentes sont retranscrites avec froideur. Pas de théâtralisation, c’est net et précis : les os craquent, le sang coule, les cadavres s’accumulent… Le trait est parfait pour retranscrire le désespoir qui traverse l’œuvre de Manchette. Pas une once d’humanité, juste des hommes et des femmes dépassés par les événements.
Rein à rajouter, ce Tardi-là me plaît. Autant je n’ai jamais accroché avec Adèle Blanc-sec, autant je ne suis pas fan des titres sur 14-18, mais pour les adaptations, c’est toujours du très bon. Le Cri du peuple avec Jean Vautrin est monumental et les Nestor Burma sont tous excellents. Bref, vous l’aurez compris, je recommande chaudement cet album à tous les amateurs de polar en général et de Manchette en particulier. Même si je me doute qu’ils n’ont pas besoin de mon avis pour être convaincus.
La position du tireur couché, de Tardi et Jean-Patrick Manchette, Futuropolis, 2010.
100 pages. 19 euros.
L’info en plus : Les éditions Casterman rééditent l’album Griffu, première collaboration du duo Tardi/Manchette. Publié initialement en 1978, Griffu raconte les déboires d'un conseiller juridique embarqué dans une histoire de gros sous qui finira dans une mare de sang...