mercredi 11 octobre 2017

La dame de fer - Michel Constant

« La salope a cané, bordel ! »

8 avril 2013, Margaret Thatcher passe l’arme à gauche et une grande partie de l’Angleterre se réjouit de cette excellente nouvelle. Quelques jours plus tard Donald, Abby et Owen se retrouvent après des décennies de séparation. Les deux derniers ont quitté leur bourgade d’enfance du Kent pour rallier Londres tandis que Donald est resté sur place pour succéder à son père aux commandes du seul pub du village. Avec le retour de ses amis d’enfance, il revit sa jeunesse tumultueuse, à l’époque où les mesures économiques de Miss Maggy la Dame de fer en faisaient baver à la classe ouvrière de tout le pays.

Une bière à la main, un bomber noir sur le dos, des Doc Martens aux pieds et les Clash en fond sonore dans un troquet enfumé alors que la pluie tambourine aux fenêtres, Michel Constant fait revivre l’Angleterre de 1985 avec un joli soupçon de nostalgie. C’est une belle histoire d’amitié, bon enfant et positive. Le dessin très « ligne claire », typique des BD franco-belge des années 80, est parfait pour restituer les décors de l’époque thatchérienne.

Pas forcément l’album de l’année mais un sympathique moment de lecture teinté d’optimisme mettant en scène des personnages touchants en diable. Simple et efficace à défaut d’être inoubliable, je connais quelques quinqas qui avaient 20 ans sous le premier septennat de Mitterand à qui cet album rappellera de bons souvenirs.


La dame de fer de Michel Constant. Futuropolis, 2017. 72 pages. 15,00 euros. 










mardi 10 octobre 2017

T’arracher - Claudine Desmarteau

Elle a le cœur en lambeaux, Lou. Découpé au hachoir, en fines tranches. Depuis que l’histoire avec Toi s’est achevée, elle a plongé. Des nuits sans sommeil, des notes en chute libre. Plus le goût à rien, plus envie de rien. L’année du bac en plus, au moment où l’orientation devient la préoccupation principale des parents. Et devrait aussi être la sienne.

Lou va mal. La fatigue devient insupportable, les yeux se creusent, le corps lâche prise. Et ses coups de poignard dans la poitrine qui viennent la terrasser à n’importe quel moment de la journée. Lou s’enfonce depuis que Tu es parti, c’est bien plus qu’un chagrin d’amour, c’est une blessure, une douleur, une cicatrice impossible à refermer.

Un roman qui claque. J’avais découvert la plume de Claudine Desmarteau il y a des années avec son personnage de Gus, un sale gosse très drôle à la langue bien pendue. Je la retrouve ici dans un registre différent, sombre, torturé, dérangeant. Lou se confie. Elle écrit comme elle parle. Et elle ne cache rien de ses états d’âme. C’est cash, ça agace souvent, ça touche énormément. On a envie de la secouer, Lou, de lui dire d’aller de l’avant, de penser à demain plutôt qu’à hier. On la sent trop borderline, on se dit qu’elle va trop loin, qu’elle a besoin d’apaisement. Et d’un avenir où le champ des possibles, même réduit à son strict minimum, lui offrirait quelques signes d’espoir.

Un roman jeunesse qui gratte là où ça fait mal, qui montre une souffrance d’ado sans filtre ni pincette. Un roman jeunesse difficile à encaisser dont on sort rincé et essoré, mais que l’on n’oubliera pas de sitôt.

T’arracher de Claudine Desmarteau. Édition Thierry Magnier, 2017. 160 pages. 13,80 euros. A partir de 15 ans.


Et une nouvelle pépite que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.



samedi 7 octobre 2017

Nanar Wars : Quand les grands succès d’Hollywood se font plagier - Vincenot et Prelle

Tarzan, Zorro, King Kong, les super-héros, Rocky, Rambo, Harry Potter, Robocop, Jurassic Park, les dents de la mer, E.T, Star Wars et Indiana Jones. Qu’ont en commun ces grandes licences du cinéma hollywoodien ? Elles ont toutes été plagiées, détournées, contrefaites. Elles ont toutes donné naissance à des nanar improbables, œuvres de faussaires à l’imagination débordante.

Ce Nanar Wars dresse un inventaire (forcément non-exhaustif) de ces contrefaçons aussi kitchissimes que cultissimes. Au menu, une version turque de la guerre des étoiles tournées dans les faubourgs d’Izmir, une vision bollywoodienne de Zorro, un King Kong du Bangladesh, Tijuana Jones l’Indiana Jones mexicain, un Rambo indonésien ou encore les dents de la mer revisitées par les brésiliens ou le requin est remplacé par une morue géante (si, si, je vous jure !).

Le Zorro indien
Amateurs d’ovni cinématographiques, cette anthologie désopilante est faite pour vous. Les auteurs présentent chaque film par le menu, comparant l’original et sa copie avec un ton léger, drôle et en offrant un maximum d’informations. La réflexion est amusée mais jamais gratuitement moqueuse, Vincenot et Prelle préférant souligner l’inventivité et le côté iconoclaste parfaitement assumés par les réalisateurs. Difficile de faire la part des choses entre l’hommage appuyé à l’original, l’opportunisme à visée financière (certains de ces nanars ont attiré dans leurs pays des centaines de milliers de spectateurs) et une volonté réelle d’être dans le pastiche totalement décalé (clairement, ces remake illégaux ne sont pas tous drôles malgré eux).

Betmen, le batman turc
Qu’en conclure en refermant cette mine d’informations aussi instructive que divertissante ? Que le plagiat « exotique » des blockbusters hollywoodiens, sous-genre cinématographique à part entière et symbole de la mondialisation culturelle, se révèle depuis les années 50 d’une richesse et d’une diversité sans limite.



Nanar Wars : Quand les grands succès d’Hollywood se font plagier de Vincenot et Prelle. Wombat, 2017. 160 pages. 19,90 euros.


PS : pour ceux souhaitant savoir où dénicher ces perles, les auteurs donnent des pistes très concrètes en fin d’ouvrage (sans forcément être obligé de se fader une version de seconde main « sur une copie DVD tirée d’une vieille VHS provenant d’une unique diffusion TV, qu’un ami, d’ami, d’ami vous fait parvenir de l’autre bout du monde »).







jeudi 5 octobre 2017

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières - Barney Norris

« Les histoires s’entremêlent. Les vies s’entrelacent. Et quand on dessine ces motifs dans l’air, on apprend à connaître un peu mieux l’espace où elles évoluent.
Il y a environ un an, alors que je m’étais arrêté au McDonald’s avant d’aller travailler, j’ai été témoin d’un accident. De la fenêtre, j’ai vu une voiture conduite par un vieil homme percuter une femme à mobylette. J’ai vu un adolescent et une autre femme qui regardaient, chacun d’un côté de la route. La scène avait quelque chose d’irréel, comme une pièce de théâtre. »

Rita était au guidon de la mobylette. Fleuriste et dealeuse occasionnelle au passé difficile, cette quinqua jeune grand-mère peine à joindre les deux bouts. George est celui qui conduisait la voiture. Le jour de l’accident, il venait de perdre sa femme et n’était pas dans son état normal. Sam, un lycéen dont le père est en phase terminal d’un cancer, se trouvait sur un coté du trottoir. De l’autre côté il y avait Alison, une femme de soldat. Son mari absent depuis des mois, elle rumine une existence sans joie avec un fils qui s’éloigne d’elle depuis qu’il est entré à la fac.

Tour à tour ces cinq personnages prennent la parole et racontent leur quotidien. Des vies minuscules unies par un drame aussi soudain qu’inattendu. Tous au mauvais endroit, au mauvais moment…

Finalement je n’ai pas grand-chose à dire sur ce premier roman dont j’attendais énormément. Ce n’est pas qu’il ne m’a pas plu, loin de là, mais je n’ai pas été emporté comme je le pensais. C’était pourtant magnifiquement parti. La voix de Rita est merveilleuse de douleur, de spontanéité, de colère et de résignation. Celle de Sam, tout en fragilité, m’a essoré le cœur. Au bout de 150 pages et de deux narrateurs différents, j’étais plus qu’emballé. Avec George, le soufflé a commencé à retomber. Je suis resté à distance de son chagrin, je l’ai regardé de loin, sans la moindre émotion. Quant à Alison, elle m’a achevé. Pleurnicheuse et geignarde, son journal intime s’est étiré en longueur et ce fut un vrai soulagement d’en venir à bout.

C’est souvent le problème avec un récit choral, il y a à boire et à manger. Ici les histoires de chacun suintent de tristesse, le canevas se tisse pour relier chaque existence et l’ensemble tient solidement debout mais je ne peux m’empêcher de constater que l’ennui m’a accompagné tout au long de la seconde partie. Heureusement, la parole de Liam en conclusion synthétise joliment les trajectoires et offre une touche finale permettant de rester sur une note positive. Pas le coup de cœur attendu donc, mais un premier roman des plus prometteurs et un auteur que je vais suivre de près, c'est une certitude.

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières de Barney Norris (traduit de l’anglais par Karine Lalechère). Seuil, 2017. 300 pages. 20,00 euros.










mercredi 4 octobre 2017

Paroles d’honneur - Leïla Slimani et Laetitia Coryn

« Toute ma vie j’ai vécu un combat intérieur entre la volonté de me libérer de la tyrannie du groupe et la crainte que cela n’entraîne l’effondrement des structures traditionnelles à partir desquelles je m’étais construite. »

La « hchouma ». Cette injonction très utilisée dans la société marocaine renvoie à un code moral tacite. Son sens oscille entre la honte et la pudeur : « être bien élevé, être un bon citoyen, c’est aussi avoir honte ». Les femmes marocaines rencontrées par Leïla Slimani font souvent référence à la hchouma quand elles parlent de leur vie intime. Etre vierge ou épouse, il n’y a pas d’autres choix. La soumission plutôt que la transgression, il n’y a pas d’autre choix. En apparence du moins. Car peu à peu les lignes bougent. Certes doucement, mais le frémissement est là, indiscutable.

Ces femmes, Leïla Slimani les a rencontrées au cours d’une tournée promotionnelle effectuée au Maroc après la publication de son premier roman « Dans le jardin de l’ogre », où elle abordait sans tabou la question de l’addiction sexuelle. Face à l’écrivaine, la parole se libère. Les faits rapportés sont édifiants : IVG clandestine, reconstruction de l’hymen, adultère et homosexualité punis par la loi, impossibilité de rester célibataire sans être durement jugée, violeur pouvant échapper à la prison en épousant sa victime (ce tristement célèbre article 475 du code pénal a finalement été abrogé par les députés en 2014 après le suicide d’une adolescente de 15 ans ayant dû se marier avec celui qui l’avait agressée), etc.

A travers les propos de ces femmes se dresse le portrait d’un pays oscillant entre hypocrisie et schizophrénie. Un pays qui élève la pudeur en vertu absolue mais est « le cinquième consommateur mondial de pornographie sur internet ». Une société patriarcale où suinte chez les hommes autant de frustration que de peur de voir éclore des femmes fortes qui assument leur sexualité et s’assument en dehors du groupe. Un pays d’où se dégage un terrible manque d’éducation sexuelle et où la religion est brandie comme un étendard pour mettre un terme à toute tentative de discussion : « Dès qu’on veut vous dominer on vous assène cette phrase : c’est le coran qui le dit ». C’est instructif et sans langue de bois mais ce n'est pas non plus provocateur ou rentre dedans. Le jugement est à charge mais la volonté d’explication apporte une lumière bienvenue sur « les racines du mal ».

Un album courageux, militant et engagé qui décrit une situation effarante avec beaucoup de calme et d’intelligence, avec une réflexion et une sincérité qui honore chaque femme ayant osé se livrer sans retenue. Surtout l’espoir demeure de voir les choses changer et la société évoluer peu à peu. Croisons les doigts pour qu’un retour en arrière obscurantiste ne vienne pas mettre à mal les rares signaux d’émancipation émergeant à l’heure actuelle.

Je laisse le dernier mot à Leïla Slimani, il me semble que tout est dit dans sa conclusion :

« Tous ces témoignages confirment le rôle central que joue la place de la femme dans ces problématiques. Malgré les avancées législatives, malgré l’évolution de la société, le corps de la femme reste contraint par le groupe. Avant d’être un individu, une femme est une mère, une sœur, une épouse, une fille, garante de l’honneur familial, et, pire encore, de l’identité nationale. Sa vertu est un enjeu public.
Il reste à inventer la femme qui ne serait à personne, qui n’aurait à répondre de ses actes qu’en tant que citoyen lambda et pas en fonction de son sexe. La femme qui pourrait s’affranchir de la qa’ida, c’est-à-dire de la norme, de la coutume admise par tous. »

Paroles d’honneur de Leïla Slimani et Laetitia Coryn. Les Arènes, 2017. 105 pages. 20,00 euros.












mardi 3 octobre 2017

Pablo de la Courneuve - Cécile Roumiguière

Pas facile la vie à la Courneuve quand on vient de Colombie. Pas facile d’accepter la ville triste, la grisaille ambiante, les HLM sans âme. Pas facile non plus le statut de sans-papiers. Ne pas faire de bruit, ne pas faire de vagues, ne pas attirer l’attention. Affronter les regards en biais et les petites humiliations sans broncher, ne pas répondre aux provocations, à ceux qui vous font comprendre que vous n’êtes pas le bienvenu. Pablo, 12 ans, se résigne difficilement au déracinement. Dans sa tête, il ne cesse de retourner à Santa Maria del Cauca. Là-bas il faisait beau et chaud tout le temps. Là-bas les papillons et les oiseaux multicolores illuminaient le ciel. Là-bas il avait des amis et se sentait chez lui. Depuis que ses parents ont fui sa terre natale avec sa sœur et sa grand-mère, il se sent seul et perdu.

Heureusement il y a Nina et la Goule. Heureusement il y a Georges et une maîtresse compréhensive. Heureusement, quelques rencontres peuvent adoucir le quotidien.

Réédition d’un texte publié il y a près de dix ans, Pablo de la Courneuve reste malheureusement d’une brûlante actualité. Un texte qui dit à hauteur d’enfant la vie comme elle est, avec ses coups durs, ses coups bas, ses coups de blues et ses coups de chance qui éclaircissent un horizon plein de nuages. L’exil devient supportable quand l’autre vous ouvre les bras, quand l’écoute, l’échange, le dialogue et l’altruisme prennent le pas sur la haine et le ressentiment. C’est simple, c’est plein de tendresse et d’espoir, c’est sans angélisme, ça déborde d’humanité et ça réchauffe le cœur. Un roman jeunesse tout en douceur à lire, à faire lire et à partager sans modération.


Pablo de la Courneuve de Cécile Roumiguière. Seuil, 2017. 95 pages. 10,00 euros. A partir de 9-10 ans.


Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










mercredi 27 septembre 2017

Strangers in Paradise : intégrale 1 - Terry Moore

Si on m’avait dit un jour que je lirais un soap opera de 600 pages en noir blanc… Et encore, ces 600 pages ne représentent qu’un tiers de la série puisque deux autres intégrales aussi volumineuses sont prévues. Le pire, c’est que j’ai vraiment apprécié ce comics fleuve auto-édité par Terry Moore entre 1993 et 2007 qui a remporté un Eisner Award en 96.

L’histoire est celle de Katchoo et Francine, deux colocs qui se connaissent depuis le lycée. Katchoo est très amoureuse de Francine, qui vient de plaquer son mec après l’avoir découvert en pleine partie de jambes en l’air avec sa secrétaire. Le jour où Katchoo rencontre David, un jeune homme sorti de nulle part prêt à tout pour la séduire, les relations entre les deux amies se compliquent grandement.

J’avoue, au départ, j’ai eu peur d’une ambiance digne des feux de l’amour. Au bout de quelques pages j’ai davantage misé sur la comédie romantique avec triangle amoureux et guimauve trop sucrée. Mais très vite l’atmosphère se charge de mystère et d’électricité. Katchoo n’est pas celle que l’on croit. Le FBI possède un dossier top secret la concernant plus épais qu’un annuaire, David connaît trop de choses sur elle pour être honnête et Francine se retrouve ligotée sur une chaise, un flingue collé contre la joue. La romance bascule dans le polar bien noir et je commence à m’accrocher aux rideaux, ce qui est franchement bon signe.

Terry Moore est un maître pour mélanger les genres. Il excelle dans les scènes intimistes et les dialogues au cordeau mais est aussi très à l’aise pour développer des séquences extrêmement drôles et d’autres aussi sombres que violentes. Ses personnages n’ont rien de caricatures, ils sont d’une touchante fragilité et il est impossible de ne pas s’attacher au duo Katchoo/Francine. Après, mon intérêt pour leurs tribulations n’a pas été d’une même intensité d’un épisode à l’autre, ce qui est logique dans la mesure où une telle narration au long cours n’est pas simple à maîtriser sur la durée.

Je ne crierais donc pas au coup de cœur mais je suis certain de poursuivre l’aventure aux côtés de ces deux femmes aux caractères bien trempés parce que j’ai très envie de savoir ce que l’avenir leur réserve.

Strangers in Paradise : intégrale 1 de Terry Moore. Delcourt, 2017. 600 pages. 39,95 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.











mardi 26 septembre 2017

Une fille de… - Jo Witek

« Moi je ne suis pas une enfant de l’amour, je suis une fille de passe. Ça calme. Ça tue d’entrée de jeu les rêves romantiques en rose et bleu. »

Une fille de passe, une fille de p… Hanna a compris très jeune ce que faisait sa mère pour payer le loyer, et le reste. Même si au départ ça restait un peu flou dans sa tête, au bout de quelques années tout était devenu très clair. Un « métier » à part, un statut impossible à assumer quand on est une fille de… Le regard des autres, ces phrases qui fusent, définitives, pour juger, condamner, exclure. Pas d’autre solution que le repli sur soi pour la jeune fille, pas question de lier des amitiés durables ou de ramener les copains et les copines à la maison.

Avec le temps surgissent les questions. Et si c’était héréditaire ? Et comment on fera quand maman ne sera plus en état de continuer, quand il va falloir la prendre en charge de A à Z ? Et comment imaginer que l’amour existe quand on voit sa mère suivre les hommes avec toujours la même froideur, quand on voit comment eux se comportent en consommateurs égoïstes et sans la moindre douceur ? Comment se construire et s’imaginer un avenir sentimental quand on est la fille d’un client parmi des milliers d’autres, quand on devient pour tous ceux qui connaissent la situation une pestiférée ou une proie forcément facile, puisque les chiens ne font pas des chats.

Une magistrale plongée dans la tête d’une ado pas vraiment comme les autres. Le monologue intérieur permet de focaliser le point de vue sur les pensées intimes d’Hanna, de montrer le cheminement qui va lui permettre d’accepter la situation, de garder intact son affection pour cette mère au parcours si difficile, de ne plus baisser la tête et d’affronter le regard des autres, de chasser cette honte qui n’a pas lieu d’être et d’accepter, devant l’évidence, que l’amour existe.

C’est beau, c’est fort, ça sonne juste, ça remue. Hanna court, elle trace le sillon d’une vie en dehors des sentiers battus. Et elle marque au fer rouge un lecteur qui jamais n’oubliera son histoire et sa voix.

Une fille de… de Jo Witek. Actes Sud Junior, 2017. 95 pages. Neuf euros. A partir de 13-14 ans.


Une pépite jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.




dimanche 24 septembre 2017

A la vie à la mort T1 : Pierrot le fou

Février à novembre 1946. Le gang des tractions terrorise la France et réalise le casse du siècle en braquant la Poste de Nice. Menée par Pierrot le fou qui devient le premier malfaiteur de l’histoire à porter le titre « d’ennemi public n°1 », la bande écume Paris et la province semant la mort et la désolation sur son passage.

Rodolphe adapte ici plus ou moins fidèlement son récit publié en 2015 « La légende de Pierrot le fou ». La chronologie est davantage bousculée, c’est plus rythmé, plus visuel (forcément !) mais les nombreuses ellipses risquent de perdre en route plus d’un lecteur peu au fait de l’histoire du fameux « gang des tractions » ayant terrorisé pendant quelques mois une France à peine libérée de l’occupant allemand.

L’album s’ouvre sur la mort de Pierrot, fait un crochet par sa rencontre avec Joe Attia en Tunisie pendant son service militaire, s’attarde sur la formation du gang, revient sur le passé de résistant et de collabo de son chef. Se dresse au fil des pages le portrait d’un opportuniste prêt à tout pour s’enrichir, d’un homme à femmes séducteur, d’une tête brûlée préparant méticuleusement chacun de ses coups mais capable de coups de sang ravageurs.

C’est bien mené, prenant, la narration est fluide, le dessin parfaitement au service du récit. Beaucoup de choses restent en suspens à la fin de ce premier tome, même si on sait depuis le début comment tout cela va se terminer puisque l'album s'ouvre sur la mort de Pierrot. Quoi qu'il en soit, vivement la suite.

A la vie à la mort T1 : Pierrot le fou de Rodolphe, Séjourné et Verney. Soleil, 2017. 60 pages. 15,50 euros. 


jeudi 21 septembre 2017

Sur l’écriture - Charles Bukowski

« Quand tu écris juste dans l’optique d’être célèbre tu finis par faire de la merde. Je veux pas établir de règles mais s’il y en a une c’est celle-ci : les seuls écrivains qui ont du style sont ceux qui doivent écrire pour ne pas devenir fous. »

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Bukowski est mon héros. Enfin, pas mon héros parce que je n’idolâtre personne. Mais il est celui qui a fait de moi le lecteur que je suis devenu. Alors forcément attaquer une anthologie de textes inédits signés de sa main ne me laisse pas indifférent.

Je savais à quoi m’attendre parce que j’avais déjà lu sa correspondance dans un ouvrage publié il y a plus de dix ans. Bien sûr ici le contenu est inédit mais sur le fond, rien ne change. Le vieux dégueulasse éructe, provoque, se moque, semble bourré 24h/24, se répète beaucoup, passe du coq à l’âne, égratigne ses confrères. Il parle d’écriture. La sienne et celle des autres. Entre la fin des années 40 et le début des années 70 il n’y a que la poésie qui compte. La sienne est la meilleure, les autres sont nuls (« ça fait des années que la poésie me gonfle, depuis des siècles, mais j’ai continué à en écrire parce que les autres s’y prenaient tellement mal »). Par la suite, quand son travail en prose commence à être reconnu, il s’apaise un peu. Mais dans l’ensemble il reste égal à lui-même. Il en fait des caisses, il surjoue, passe à la moulinette poètes, écrivains, éditeurs et critiques. Il endosse son habit préféré, celui du détestable misanthrope atrabilaire se plaignant de son pauvre sort de crève-la-faim incapable de garder un job, en permanence au bord de la folie et du suicide. Rien de neuf sous le soleil quoi.

Il faut dire aussi que ne suis pas fan de correspondance. D’abord parce que ça relève du domaine privé, donc ça ne me regarde pas. Ensuite parce que ce type d’échanges ne m’intéresse pas vraiment. Pour autant tout n’est pas à jeter dans cet amas de lettres. Je me suis amusé à le trouver obséquieux dans ses courriers à Henry Miller, j’ai apprécié ses références constantes aux très rares auteurs trouvant grâce à ses yeux (le Hemingway des débuts, Céline, Dostoïevski, Knut Hamsun et Sherwood Anderson) et j’ai adoré sa lettre la plus sincère et la plus poignante adressée à celui qu’il considère comme le plus grand de tous, John Fante (« Je ne sais pas d’où vous tenez votre talent mais les dieux vous en ont assurément bien doté. Vous avez représenté et représentez pour moi plus que n’importe quel homme mort ou vivant. Il fallait que je vous le dise »).

J’ai aussi apprécié ses réflexions sur l’écriture disséminées au fil des pages, son refus obstiné de l’académisme (« Il n’y a aucune excuse pour une création mutilée par les directives de l’académisme, de la mode, ou le livre de messe valétudinaire qui dit : la forme, la forme, la forme !! Autant foutre les mots en cage. Autorisons-nous l’espace et l’erreur, l’hystérie et la peine. »), sa soif de simplicité (« Je ne crois pas aux histoires de techniques, d’écoles ou de divas… Je crois plus au fait de s’accrocher aux rideaux comme un moine ivre… pour les réduire en morceaux encore, encore, encore… »), son humour toujours aussi ravageur, sa capacité à rire de lui-même, à savoir d’où il vient, à ne jamais se voir plus beau qu’il n’est (« C’est du côté des incultes que je me range, les incapables, les gens si avides de jeter leurs pensées sur papier qu’ils n’ont pas eu la patience d’attendre des années pour acquérir une base solide »).

C'est un fait, il n’y a rien de transcendant dans ce recueil. Rien de nouveau pour ceux, comme moi, qui ont tout lu de lui et sur lui. Mais cette somme est représentative de ce qu’il a toujours été et de ce qui m'a toujours séduit chez lui : un gars qui n’en a jamais rien eu à foutre. Des gens, des élites, des penseurs, des modèles à suivre, des casse-couilles et des culs serrés. Un gars qui a mené sa barque sans s’occuper de personne et a marqué de son empreinte indélébile tout un pan de la contre-culture américaine.

Sur l’écriture de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au diable Vauvert, 2017. 320 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.









mercredi 20 septembre 2017

Le voyageur - Koren Shadmi

Il parcourt les États-Unis en auto-stop. Dans son sac à dos, du sable. Toutes les directions sont bonnes à prendre, le voyageur erre à la recherche du remède pouvant guérir son mal. Sa quête est la même depuis trois cents ans : il cherche à vaincre l’immortalité, cette malédiction qui lui fait traverser les siècles et constater à quel point la situation ne fait que se dégrader. Dans un futur proche, l’Amérique suffoque, les catastrophes naturelles s’enchaînent, une guerre a semé la désolation. La planète devient invivable et le voyageur continue à vivre malgré lui.

De la SF de haute voltige par un auteur israélo-américain dont l’univers graphique n’est pas sans rappeler celui de Frederik Peeters et de sa série aâma. La construction est imparable. Chaque chapitre, dessiné dans une gamme chromatique différente, peut se lire comme une histoire indépendante faisant partie d’un grand tout. Un grand tout qui se tient de bout en bout où l'on traverse différentes époques. Je craignais une fin sans réelle explication, un truc un peu mystérieux, hermétique et facile. J’avais tout faux. La dernière partie, explicitement intitulée « Où le voyage s’achève », donne les clés du cheminement du voyageur et offre une cohérence indiscutable à l’ensemble.

Excellent cet album, vraiment excellent. Sombre, désespéré, cynique, lucide. Je n’ose pas dire visionnaire mais on ne doit malheureusement pas être loin du compte. J’ai adoré parce que c’est une réflexion sur la solitude, le temps qui passe, l’inexorable fin annoncée à laquelle personne n’échappera. C’est le portrait sans concession d’un pays, et plus largement d’une planète, qu’une espèce s’acharne à détruire avec une minutie et une volonté sans faille. C’est un regard porté sur l’humanité qui ne laisse place à aucune illusion. C’est d’un pessimisme absolu, un pavé dégoulinant de noirceur lancé dans l’océan de feelgood tellement à la mode en ce moment. Et bordel que ça fait du bien !

Le voyageur de Koren Shadmi (traduit de l’anglais par Bérengère Orieux). Ici même, 2017. 175 pages. 25,00 euros.




mardi 19 septembre 2017

Dans la forêt de Hokkaido - Éric Pessan

 « Les médecins n’expliquent rien parce qu’il n’y a rien à expliquer. Un garçon se perd, appelle à l’aide et c’est moi qui le trouve. Point. » Enfin, tout n’est pas si simple. Julie s’est réveillée un matin en hurlant. Elle avait fait un rêve. « J’étais un petit garçon. J’étais dans la forêt d’Hokkaido. J’étais seul. J’étais perdu. Pire que perdu. Abandonné. » Très vite la collégienne comprend que ce rêve n’en est pas vraiment un. Que ce garçon existe. Qu’à des milliers de kilomètres de la France, il est entré en contact avec elle. Ou l’inverse. Et à chaque fois qu’elle s’’endort, elle se retrouve dans son corps. Elle le guide comme elle peut. Affronte avec lui le froid, la faim, la peur des ours qui rôdent. Et plus le garçon faiblit, plus Julie sombre dans une fièvre qui la met en grand danger.

Quel bonheur de retrouver la plume délicate d’Éric Pessan. Il y a dans son écriture un charme indéfinissable qui m’emporte à chaque roman. Ici il met en scène Julie, un personnage déjà présent dans « Plus haut que les oiseaux » et « Les lumières dansaient dans le ciel ». Une Julie frappée malgré elle par un don de télépathie qui lui fait ressentir les maux de celui dont elle est devenue l’ange-gardien, sans le vouloir ni le choisir. On vit intensément le désespoir du petit garçon, on écoute avec lui les bruissements, cris et craquements de la forêt, tout sonne juste quand les esprits de Julie et de l’enfant partagent le même corps, tout s’imbrique parfaitement, même lorsqu’une histoire parallèle concernant les migrants vient se greffer à l’intrigue principale.

Un roman jeunesse entre rêve et réalité où les passerelles reliant les deux mondes se tissent avec un naturel et une limpidité qui forcent l’admiration. La partition est sans faute, le plaisir de lecture immense.

Dans la forêt de Hokkaido d’Éric Pessan. L’École des loisirs, 2017. 135 pages. 13,00 euros. A partir de 13-14 ans.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.









dimanche 17 septembre 2017

Les lectures de Charlotte (42) : L'ours qui fixe

Il était une fois un ours qui aimait fixer tout le monde d’un air concentré. TRÈS CONCENTRÉ. Mais les animaux qu’il fixait sans dire un mot n’appréciaient guère son comportement. Les coccinelles s’enfuyaient, les oisillons arrêtaient de manger et le blaireau lui demanda de ne plus l’espionner.

Dépité, l’ours se sentait incompris : « Ce n’est pourtant pas mon intention de déranger les gens, se dit-il. Je suis curieux, c’est tout. Mais je suis trop timide… ». Heureusement, près de la mare, il rencontra une grenouille pleine de bon sens qui lui donna le plus judicieux des conseils.

Il est touchant cet ours pataud et penaud qui voudrait tant échanger avec les autres animaux mais ne sait pas comment s’y prendre. Les dialogues sont savoureux, le dessin, coloré et expressif, est un régal pour les yeux et évidemment tout se termine très bien pour le pauvre plantigrade.

Un album parfait pour aborder en douceur la question de l’estime de soi, du rapport aux autres ou même de la politesse. Charlotte l’adore cet ours qui fixe !


L’ours qui fixe de Duncan Beedie (traduit de l’anglais par Michèle Moreau). Didier jeunesse, 2017. 40 pages. 14,00 euros. A partir de 3-4 ans.

vendredi 15 septembre 2017

Le sympathisant - Viet Thanh Nguyen

1975. Saïgon vient de tomber et le narrateur, capitaine d’un général sud-vietnamien, va fuir sa terre natale et découvrir celle de l’Oncle Sam, ses supermarchés et ses autoroutes. Mais sous les habits du soldat pro-américain se cache une taupe Vietcong. Ce narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, est un espion communiste prêt à tout pour ne pas se faire démasquer, prêt à tuer pour prouver sa fidélité au général.

J’ai eu peur d’un banal roman d’espionnage aux considérations politico-stratégiques barbantes mais cette histoire d’espion n’est pas au cœur du récit, elle sert juste à alimenter une réflexion autour du déracinement, de l’impossibilité de trouver sa place dans une Amérique accueillant les rescapés de la première grande défaite militaire de son histoire. Et les vietnamiens qui l’ont soutenue sur place ne sont pas les bienvenus : « La plupart des américains nous regardaient avec dégoût, car nous étions le rappel vivant de leur défaite cuisante. Nous menacions la sacro-sainte symétrie d’une Amérique noir et blanc, dont la politique raciale du yin et du yang ne laissait place à aucune autre couleur, notamment ces petits jaunes pathétiques qui venaient piquer dans la caisse ».

Le roman dit l’exil et la déchéance d’une diaspora ayant tout perdu en fuyant la guerre dans l’urgence. A ce titre la scène du départ de Saïgon sous les bombes est d’un réalisme sidérant. Se sentant inutile et humiliée, cette diaspora devient une communauté perdue, pathétique, s’accrochant sans illusion à d’hypothétiques rêves de retour.

La partie se déroulant aux États-Unis est passionnante, la parenthèse cinématographique expliquant en détail le tournage d’un film hollywoodien sur la guerre du Vietnam ne m’a pas enthousiasmé et le retour final dans la jungle m’a ennuyé à mourir, à tel point que j’ai traîné près de trois semaines pour lire les cent dernières pages. Une lecture inégale, donc. Même s’il se dégage de ce prix Pulitzer 2016 une grande puissance narrative et une indéniable force d’écriture (la traduction est vraiment impeccable), je dois reconnaître que je n’ai pas été totalement emporté par la confession de cet agent double en quête d’identité.

Le sympathisant de Viet Thanh Nguyen (traduit de l’anglais par Clément Baude). Belfond, 2017. 490 pages. 23,50 euros.










mercredi 13 septembre 2017

Extases T1 - JeanLouis Tripp

« J’ai décidé de m’avancer sans masque. Nu. (C’est le cas de le dire). Je n’en tire aucune gloire, mais je n’en ai aucune honte. Voici ce que je suis. »

Extases où l’itinéraire d’une vie sexuelle. Ce premier tome sous-titré « Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas la forme d’un x… » s’étire de l’enfance au début de l’âge adulte avec quelques détours dans un passé beaucoup plus récent. JeanLouis Tripp, co-auteur avec son complice Régis Loisel du fabuleux Magasin général, dit tout et annonce la couleur en introduction : « Tout ce que je raconte dans ce livre est vrai. […] Le personnage principal, c’est moi, JeanLouis ».

On retrouve donc JeanLouis à l’école, dans les années 70. La vie en province, les parents communistes, les premiers questionnements autour de ce qui se cache sous les jupes des filles. Le premier baiser pendant un voyage en Angleterre, la première branlette, les premiers touche-pipi au collège avec la peu farouche Véronique. Et puis le lycée. Caroline. LE grand amour. La première fois. Des mois, des années avec Caroline. Des envies d’infidélité, une sexualité de couple qui tombe dans la routine, des tentatives pour relancer la machine. Le plan à trois, Caroline avec un autre homme, les partouzes. JeanLouis accro aux prostituées, JeanLouis et ses expériences homosexuelles. Tout est mis sur la table, sans fard ni faux semblant.

Rarement (voire jamais) un auteur aura autant dessiné sa bite. Et dans des proportions tout à fait raisonnables, il est important de le préciser. JeanLouis Tripp ne se met pas à nu pour fanfaronner ou pour la gaudriole. Sa biographie entièrement centrée autour d’une sexualité débordante n’a rien du grand déballage malgré les apparences. Loin d’une bête confession intime sans saveur, il allie franchise, modestie et pudeur (si, si, je vous jure !) avec une justesse des plus touchantes. Les trouvailles graphiques sont nombreuses pour analyser avec pertinence un ressenti brut et alimenter la réflexion. On ne cache rien mais on ne force pas le trait, on suggère autant que l’on montre. L’équilibre est fragile mais les fondations restent solides, en grande partie grâce à un sens du récit absolument bluffant.

Évidemment, ce n’est pas à mettre en toutes les mains. C’est cru, très cru. Jamais vulgaire pour autant, ni particulièrement excitant. J’ai adoré cet album pour sa sincérité, son autodérision, son mélange de sérieux et de légèreté et la limpidité de sa narration. 270 pages dans ce premier volume et il en reste deux à paraître. Autant dire que la vie sexuelle de JeanLouis Tripp est loin d’avoir livré tous ses secrets.

Extases T1 de JeanLouis Tripp. Casterman, 2017. 270 pages à réserver à un public averti. 22,00 euros.










mardi 12 septembre 2017

Le journal de Gurty T3 : Marrons à gogos - Bertrand Santini

Si Gurty n’existait pas, il faudrait l’inventer. Parce que même si vous avez le moral au fond des chaussettes, cette petite chienne trouvera toujours le moyen de vous redonner le sourire. Dans ce troisième volume de son journal, alors que l’automne s’annonce, Gurty revient à Aix-en Provence dans la maison de campagne de son maître Gaspard. L’automne, c’est une saison qu’elle adore parce que « la nature sent des fesses. Tout pourrit, tout croupit, tout moisit. C’est super ! ».

Sur place, la chienne retrouve sa copine Fleur et son émotivité exacerbée. Il y a aussi l’écureuil roublard que Gurty aimerait attraper et dévorer mais qui est bien trop malin pour elle, l’ennemi juré Tête de fesse et la vieille chienne Fanette. Parmi les nouveautés notables, une citrouille qui parle, un cerf-volant, des champignons hallucinogènes, des rêves prémonitoires et des kidnappeurs d’animaux.

Humour potache, scènes proches de l’absurde, naïveté à toute épreuve, réflexions philosophiques surprenantes, bon sens mis à mal et petits bonheurs quotidiens, les ingrédients restent les mêmes mais Bertrand Santini sait se renouveler pour éviter de tourner en rond.

Certes, tout cela ne vole pas bien haut, je vous l’accorde. Certes, il n’y a pas besoin d’exégèse, pas de torture intellectuelle à attendre avec un roman jeunesse comme celui-ci. Gurty est juste là pour offrir une bonne tranche de rigolade, un plaisir simple et direct. Gurty se contente de faire du bien, de filer la banane. Et puis, je l’ai constaté un nombre incalculable de fois depuis la sortie du premier tome, Gurty a le pouvoir de faire aimer la lecture à des enfants qui ne voient dans cette activité qu’une perte de temps barbante. Et ce pouvoir-là n’a pas de prix. Alors surtout ne change rien ma petite Gurty !

Le journal de Gurty T3 : Marrons à gogos de Bertrand Santini. Sarbacane, 2017. 175 pages. 9,90 euros. A partir de 7-8 ans.


Une pépite partagée comme chaque mardi avec Noukette.











dimanche 10 septembre 2017

Hanada le garnement T1 - Makoto Isshiki

Hanada est un sale gosse, un vrai. Du genre à coincer une grenouille morte dans la fente de la boîte aux lettres, à maltraiter le chien du voisin ou à pisser sur la véranda. Pour lui, sa mère est une vieille bique, son père un pochtron, son grand-père un ancêtre et sa sœur une « groche », vu qu’elle est grosse et moche. Pour faire court, Hanada est un gamin incontrôlable qui passe son temps à faire des crasses. Il n’y a que les fantômes qui lui font peur, à tel point qu’il n’ose pas aller faire ses besoins la nuit venue au fond du jardin.

Après une énième bêtise, il enfourche son vélo et part à toute vitesse pour échapper à une fessée bien méritée. Dévalant une colline, il ne voit pas une voiture arriver et ne peut éviter l’accident. Après s’être miraculeusement réveillé à l’hôpital sans la moindre séquelle, Hanada se rend compte qu’il est désormais possesseur d’un étrange pouvoir : il peut voir les esprits. Pire encore, ces derniers lui demandent de les aider à accomplir leurs dernières volontés afin qu’ils puissent définitivement passer dans l’autre monde. Devenu malgré lui le messager des âmes errantes, Hanada le garnement va avoir bien du mal à accomplir ses missions.

Un manga frais et pétillant dont l’ambiance rurale n’est pas sans rappeler l’excellente série « Une sacrée mamie ». On frôle parfois l’absurde, c’est drôle et irrévérencieux, un poil touchant par moments même si l’humour reprend vite le dessus. Le dessin est simple mais hyper lisible, jamais surchargé.

Traduit pour la première fois en français, Hanada a été publié au Japon en 1994. La série est donc terminée depuis belle lurette et ne compte que cinq volumes. Il serait vraiment dommage de s’en priver.


Hanada le garnement T1 de Makoto Isshiki. Ki-oon, 2017. 224 pages. 7,90 euros.

PS : pour les collègues documentalistes c’est un manga vraiment sympa à proposer au CDI je trouve. Je suis certain qu’il ravirait bien des collégiens.




vendredi 8 septembre 2017

Éléphant- Martin Suter

Près de Zurich, Schoch le SDF se réveille au fond de sa grotte nez à nez avec un éléphant rose de 30 cm qui brille dans le noir. Rien d’affolant à première vue, étant donné la cuite qu’il s’est pris la veille. Sauf qu’après avoir dessaoulé, il constate que l’éléphant est toujours là. Le pachyderme, fruit d’une manipulation génétique, a été déposé par un soigneur de cirque voulant à tout prix le protéger. Car le professeur Roux, à la base de l’expérience lui ayant donné la vie, voit dans cette créature improbable un potentiel commercial phénoménal. Avec ses associés, il se lance sur la piste de « son » trésor et compte bien le récupérer coûte que coûte.

Un SDF, une vétérinaire, un chinois, un savant fou, un birman et surtout un mini éléphant rose phosphorescent. Des ingrédients incongrus pour un roman aux faux airs de conte fantastique, parfois proche du thriller, qui interroge sur les avancées de la génétique et plonge avec un réalisme sidérant au cœur du quotidien difficile des sans-domicile-fixe. Le tout en alliant courses poursuites endiablées et moments intimistes, humour noir un poil cynique et questionnements philosophiques.

Martin Suter a bâti son roman sur une implacable chronologie. Il a par ailleurs pris le temps d’échanger avec les plus grands spécialistes de la génétique et de la fécondation artificielle de l’éléphant pour donner à son propos, de prime abord délirant, des références solidement documentées. Pour autant, son art de la concision lui permet de garder en permanence les informations scientifiques au service du récit sans jamais l’alourdir, un vrai tour de force.

Un roman à la construction parfaite, qui se dévore comme un page-turner et surprend par sa profondeur de réflexion. Assurément une des plus belles surprises de la rentrée littéraire (pour l'instant et en ce qui me concerne du moins).

Éléphant de Martin Suter (traduit de l’allemand par Olivier Mannonni). Bourgois, 2017. 356 pages. 22,00 euros.






mercredi 6 septembre 2017

Chevalier Brayard - Zidrou et Francis Porcel

S’en revenant de croisade, le chevalier Brayard tombe, près de son château, sur une fuyarde s’avérant être une princesse arabe kidnappée par l’un de ses « confrères ». Après avoir passé quelques jours déprimants auprès de sa pimbêche d’épouse, Brayard décide de reprendre la route pour ramener la princesse chez elle et récupérer la rançon promise par son père. Mais forcément, le chemin vers Alep sera semé d’embûches...

Qui aime bien châtie bien ? Ok, alors laissez-moi sortir le fouet. Mais où est passé Zidrou ? Le Zidrou que j’adore je veux dire, celui qui allie humour, émotion, surprise et vraie profondeur de réflexion. Dans cet album il est clairement aux abonnés absents. Après une entrée en matière prometteuse aux faux airs de Don Quichotte, la suite, loin d’être picaresque, tient davantage de la chute vertigineuse : scénario plat comme le dos de la main, scènes d’escarmouches répétitives avec bandits de grand chemin aussi fade qu’un pain sans sel, chevalier braillant la même ritournelle à longueur de pages et humour au ras des pâquerettes (implorer « Saint coup fourré » pendant un guet-apens ou « Saint Titanic » au moment d’un naufrage, sérieusement ????), le menu est plus qu’indigeste.

Non, vraiment, je n’ai rien trouvé à sauver de ce bouillon, à part peut-être le dessin très dynamique de Porcel et sa jolie maîtrise des couleurs. Un album lourdingue, anecdotique, sans le moindre intérêt. Je n’aurais pas cru dire cela un jour d’un scénario de Zidrou, comme quoi tout arrive. Entre Les beaux étés et ce Chevalier Brayard l’écart est abyssal, sans doute la preuve que même les meilleurs ont droit à un coup de pompe de temps en temps.


Chevalier Brayard de Zidrou et Francis Porcel. Dargaud, 2017. 80 pages. 15,00 euros.



Une lecture commune partagée avec Noukette. Je me demande si cette fan absolue de Zidrou va lui trouver des circonstances atténuantes !
















mardi 5 septembre 2017

Naissance des cœurs de pierre - Antoine Dole

Dans un futur plus ou moins proche, Jeb est en route avec sa mère Niline pour la plus grande épreuve de sa vie. A 12 ans, il va devoir prouver qu’il est prêt à rentrer dans Le Programme et laisser derrière lui toute forme d’émotion. Les taire, les oublier, ne plus rien ressentir et œuvrer sans sourciller pour maintenir l’équilibre du Nouveau Monde. Afin d'y parvenir, il va ingurgiter un traitement lourd et passer un entretien pour confirmer qu’il est prêt à suivre le chemin tracé par les membres de la communauté. Dans le cas contraire, il disparaîtra, comme ces enfants ayant échoué à ce fameux entretien et dont plus personne n’a de nouvelles.

J’ai d’emblée senti que ce petit air de dystopie adolescente serait parfait pour ma grande pépette de 15 ans, fan du genre. Je lui ai donc mis ce livre entre les mains pour voir ce qu’elle en pensait. Verdict cinq minutes plus tard, après avoir parcouru le premier chapitre : « C’est nul, on dirait Divergente. De toute façon c’est toujours les mêmes histoires, ils changent juste les noms… ».

Bon, bon, bon… voilà donc un avis direct et concis (les chiens ne font pas des chats il paraît). Un avis que je ne partage pas du tout. D’abord parce que je n’ai jamais lu Divergente et consorts, donc j’ai porté un œil neuf sur ce roman. Ensuite parce qu’elle ne connait pas la plume et l’univers torturé d’Antoine Dole, un auteur qui ne laisse jamais indifférent. Enfin parce qu’elle n’est pas allée plus loin que le premier chapitre, grave erreur s’il en est puisque dès le second on bascule dans un passé qui ressemble beaucoup à notre présent avec l’histoire d’Aude, une lycéenne rentrant en seconde dans un établissement huppé. Ce changement de lieu et d’époque entre chaque chapitre joue beaucoup sur la mécanique du récit, notamment parce que l’on ne cesse de se demander quel est le lien entre Jeb et Aude.

Par rapport à ses romans précédents, l’écriture d’Antoine Dole m’a paru moins heurtée, moins « coup de poing ». Elle gagne en fluidité ce qu’elle perd en nervosité et ce n’est pas plus mal. Après, j’ai retrouvé avec plaisir sa propension à ne jamais ménager ses personnages, des écorchés à vif à fleur de peau particulièrement attachants, ainsi que son habitude consistant à ne laisser filtrer qu’un infime rai de lumière dans une ambiance des plus sombres. Sans oublier son allergie aux happy end qui est à mes yeux une réelle qualité pour un auteur de littérature jeunesse. Bref, un Antoine Dole égal à lui à même, entraînant ses lecteurs sur un terrain où on ne l’attend pas vraiment sans pour autant renier les fondamentaux qui sont depuis des années sa marque de fabrique.

Naissance des cœurs de pierre d’Antoine Dole. Actes Sud junior, 2017. 150 pages. 14,50 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager comme chaque mardi avec Noukette.











dimanche 3 septembre 2017

L'école : c'est pas si compliqué ! - Isabelle Delpuech et Rémi Saillard

La rentrée c’est demain. Forcément, le stress monte. Chez les profs, chez les parents et surtout chez les élèves. Du moins chez certains d’entre eux. Pour dédramatiser ce moment délicat, mieux vaut en parler. Avec ce petit livre, l’occasion est idéale. Il s’ouvre sur l’histoire de Nathan qui, au moment d’acheter ses fournitures trois jours avant la rentrée, est d’une humeur de chien. Pour lui l’école c’est « du travail, des contrôles et pire, des notes, souvent moyennes, parfois mauvaises ». Il tente dans un premier temps d’exprimer maladroitement son malaise mais quand il parvient vraiment à se confier à ses parents, les choses s’arrangent.

Une nouvelle collection pour les 6-9 ans intelligemment pensée qui aborde les petits et gros soucis du quotidien. Une histoire donc, puis dix grandes questions thématiques avec pour chacune d’entre elle réponses, conseils, astuces et pistes de réflexion. La mise en page est simple, aérée et intuitive, avec beaucoup d’illustrations, des paragraphes courts et des cartouches récurrentes d’une question à l’autre.

Parmi les interrogations sur le thème de l’école, nous avons donc : Tu as peur de ton maître ou de ta maîtresse ? Tu as peur de ne pas être dans la même classe que tes copains ? L’école te fatigue ? À l’école tu te sens nul(le) ? etc.



Le texte n'est ni trop généraliste ni cucul la praline. Isabelle Delpuech est professeur des écoles spécialisée, elle a su trouver le ton juste pour informer, rassurer et surtout dédramatiser. Un livre-outil d’une indéniable utilité.

L'école : c'est pas si compliqué ! d'Isabelle Delpuech (illustrations Rémi Saillard). Zethel, 2017. 34 pages. 9,90 euros. A partir de 6 ans.


Les autres titres de la collection :