samedi 20 juillet 2019

Blagues pour miliciens - Mazen Maarouf

J’aime les auteurs aux parcours originaux, tortueux, douloureux. Avec Mazen Maarouf, j’ai été gâté. Né en 1978 au Liban, d’une famille palestinienne, il s’installe par la suite en Syrie, qu’il doit quitter en 2008 après avoir critiqué le régime d’Al-Assad. Vivant aujourd’hui en Islande, il est considéré comme l’un des plus grands poètes arabes de sa génération.

Il signe ici un recueil de nouvelles inclassable aux accents tragicomiques. On découvre dans ces textes un père humilié par des miliciens qui perd tout crédit aux yeux de son enfant, un oncle revenu d’entre les morts avec son habit de matador sur le dos, un autre père qui demande à son fils, après avoir été amputé des bras, de lui donner un des siens pour une greffe, un frère cherchant LA blague qui fera rire son aîné obligé de mendier pour nourrir la famille, un garçon réfugié dans un cinéma pendant que la ville croule sous les bombes ou encore un vieil homme qui transforme les voitures en biscuits.

Mazen Maarouf décrit un univers déroutant, un pays en guerre que l’on imagine facilement être le Liban. Ses narrateurs sont souvent des enfants portant un regard décalé sur le monde, des enfants qui constatent avec tristesse les défaites de leurs pères et font de leur imagination fertile le dernier rempart de résistance face à la barbarie. L’écriture est à la fois crue et poétique, oscillant sans cesse entre réalisme et fantastique. La farce côtoie l’absurde et la violence est contrebalancée par un humour féroce. 

Inclassable, étrange, déroutant, inquiétant, surréaliste, les adjectifs manquent pour qualifier un tel recueil. Reste au final la certitude, en ce qui me concerne du moins, d’avoir découvert un auteur sans concession sortant clairement des sentiers battus. Tout ce que j’aime, quoi.

Blagues pour miliciens de Mazen Maarouf (traduit de l’arabe par Bruno Barmaki). Flammarion, 2019. 170 pages. 17,00 euros.





mercredi 17 juillet 2019

A la ligne : feuillets d’usine - Joseph Ponthus

L’usine est / Plus que tout autre chose / Un rapport au temps / Le temps qui passe / Qui ne passe pas / Éviter de trop regarder l’horloge / Rien ne change des journées précédentes

Ce paragraphe résume à lui seul le sentiment que j’ai toujours gardé par rapport à l’usine. Et ce premier roman de Joseph Ponthus m’a replongé 25 ans en arrière sur les lignes de production d’une usine de crèmes glacées où les machines ont failli avoir ma peau.

C’est simple, j’ai tout aimé dans ce texte. Le contexte de sa création d’abord. L’auteur n’est pas entré à l’usine pour écrire un livre, faire un reportage ou une enquête sociologique. Il y est entré parce qu’il avait besoin d’argent pour bouffer, ni plus ni moins. Et l’air de rien ça change beaucoup de choses sur le contenu du propos et surtout la vision du travail, sa portée « alimentaire », la nécessité, quelle que soit la pénibilité de la tâche, de s’y plier pour ne pas perdre la mission d’intérim en cours et les indispensables revenus qui en découleront. Ensuite la forme. Une sorte de long poème en prose où les vers libres offrent une respiration particulière au texte et lui donnent un rythme tout sauf linéaire. Le fond enfin. Tous les sentiments et sensations propres au travail sur une chaîne de production sont restitués. L’ennui, la fatigue, l’impression que jamais ça ne s’arrêtera, que jamais la journée ne se finira. Sans oublier la douleur du corps qui voudrait dire stop alors que l’esprit le pousse à continuer ou le rapport à la hiérarchie, entre crainte et détestation.

Pour autant le tableau dressé n’est pas perpétuellement orienté vers les aspects les plus négatifs de l’expérience. Bien sûr il y a les réveils difficiles, les prises de poste au petit matin, le rythme infernal, les collègues pénibles, les machines qui tombent en panne, les odeurs insupportables que l’on ramène à la maison une fois la journée terminée et cet épuisement qu’aucune nuit de sommeil ne pourra réparer. Mais il y a aussi les pauses café, les collègues solidaires, la satisfaction du travail accompli, le fait que l’usine révèle une force de caractère insoupçonnée. Et puis il reste une vie hors du travail avec la femme aimée, le chien fidèle et la mère aimante. Le narrateur oscille entre colère et abattement, respirations bienvenues en bord de mer et rapport salvateur à la littérature. C’est parfois drôle, terriblement réaliste et en même temps suffisamment distancié pour ne pas sombrer dans le récit de vie bêtement autocentré.

Un premier roman qui m’a particulièrement touché pour un tas de raisons qui ne regardent que moi. Je n’avais rien lu d’aussi beau sur le monde ouvrier d’aujourd’hui depuis les superbes Chroniques des années d’usine de Robert Piccamiglio publiées il y a vingt ans chez Albin Michel. C’est une évidence, Ponthus est un digne héritier de la littérature prolétarienne chère au coeur de Michel Ragon (dont je peux que vous conseiller l'indispensable Histoire de la littérature prolétarienne de langue française). Une littérature que j’ai beaucoup étudiée à la fac et qui n’a jamais cessée de me passionner depuis.

A la ligne : feuillets d’usine de Joseph Ponthus. La Table Ronde, 2019. 266 pages. 18,00 euros.





lundi 15 juillet 2019

Conseils de lectures estivales (enfin, si on veut...)

Il n’est peut-être pas trop tard pour vous conseiller quelques titres à lire cet été. Enfin « conseiller » est un bien grand mot vu mon manque d’enthousiasme pour la lecture depuis le début de l’année. Disons qu’en fonction de vos envies et de vos besoins, certaines références de cette liste pourraient éventuellement vous être utiles…

(cliquez sur les couvertures pour lire mon avis - quand j'ai eu le courage de le donner)






Pour un soupçon de délicatesse




Pour une bonne dose de nostalgie




Pour se dire qu’on aura lu au moins un bouquin exigeant dans l’année




Pour les amateurs d’Histoire (et d’utopie)




Pour les soirs d’été poétiques et bluesy




Pour les amateurs de (bonne) BD




Pour se marrer un peu




Pour faire lire les grands ados




Pour lire le Goncourt du premier roman et se dire que le jury a vraiment des goûts de chiottes (ben oui quoi, ce lauréat est tellement fade et il y a avait tellement mieux à récompenser – Joseph Pontus par exemple…)




Pour les fans de (mauvaise) série télé



Pour faire des économies de somnifères
(une vingtaine de pages chaque soir suffira pour vous endormir)















jeudi 11 juillet 2019

Mes beaux habits au clou - Langston Hughes

New-York, 1927. Langston Hughes publie « Mes beaux habits au clou » et la critique l’assassine. Membre éminent du mouvement culturel afro-américain « La renaissance de Harlem », le poète subit les foudres de la bourgeoisie noire. Cette dernière lui reproche une langue populaire sans esthétisme et des thématiques « de caniveau ». Comme le souligne le traducteur Frédéric Sylvanise dans la postface, pour cette bourgeoisie singeant de plus en plus les blancs, ce recueil est trop « noir ». Trop noir parce que plusieurs poèmes respectent strictement la forme « vulgaire » du blues (un vers répété puis un troisième qui rime avec les deux premiers). Trop noir parce qu’il est écrit en vers libres dans une langue vernaculaire à la tonalité très orale. Trop noir parce qu’il « raconte des histoires de prolétaires dans leur vie de tous les jours » et que ces prolétaires ont une vie bien trop dissolue pour être respectables.

Ils sont tous là, ces prolo du ghetto, la poisse collée aux basques : Gin Mary l’alcoolique, filou le clodo, le boxeur, le joueur de craps ou la nouvelle fille du cabaret. Les histoires d’amour finissent mal, le gars qui travaille rentre chez lui sans trouver sa traînée de femme et dans « La chanson pour une fille foncée », l'amoureuse au coeur brisée pleure son chéri lynché par le klan : Là-bas, au fin fond du Sud / (J’en ai le cœur brisé) / Ils ont pendu mon jeune amant noir / A un arbre au croisement routier / Là-bas, au fin fond du Sud / (Un corps meurtri haut dans les airs) / J’ai demandé à notre Seigneur blanc Jésus / A quoi servait la prière / Là-bas, au fin fond du Sud / (j’en ai le cœur brisé) / L’amour est une ombre nue / Sur un arbre nu et déformé.

Publié pour la première fois en France par un petit éditeur nantais, le recueil est proposé en version bilingue avec chaque poème en VO sur la page de gauche et sa traduction sur celle de droite. Ne tournons pas autour du pot, Mes beaux habits au clou est un monument de la poésie afro-américaine. De la poésie américaine tout court, même. Un monument à découvrir d'urgence, évidemment.

Mes beaux habits au clou de Langston Hughes (traduit de l’américain par Frédéric Sylvanise). Joca Seria, 2019. 150 pages. 13,50 euros


Rieurs

Chanteurs du rêve / Conteurs d’histoires / Danseurs / Grands rieurs entre les mains du Destin / Mon peuple / Plongeurs / Garçons d’ascenseur / Femmes de chambres / joueurs de dés /  Cuisiniers / Serveurs / Jazzmen / Nourrices / Dockers / Noceurs / Auteurs de revues / Comédiens de cabaret / Et musiciens de cirque / Des chanteurs du rêve, tous / Mon peuple / Des conteurs d’histoires, tous / Mon peuple / Danseurs / Et Dieu ! Quels danseurs / Chanteurs / Et Dieu ! Quels chanteurs ! / Chanteurs et danseurs / Danseurs et rieurs / Rieurs ? / Oui, rieurs… rieurs… rieurs… / Rieurs aux éclats entre les mains du Destin.   








Toute une vie et un soir - Anne Griffin

« Aujourd’hui, les gens adorent parler. Dire ce qu’ils ont sur le cœur. Comme si c’était facile. Les hommes, en particulier, se font beaucoup reprocher de pas faire leur part dans ce domaine. Pour ce qui est des Irlandais… Crois-moi sur parole, ça s’arrange pas avec l’âge. C’est comme si on s’enfouissait toujours plus loin dans notre solitude. Pour régler nos problèmes nous-mêmes. »

Voila, c’est fini. Maurice Hannigan, 84 ans, vient de fermer pour la dernière fois la porte de sa ferme. Il s’installe seul au bar du Rainsford House Hotel et commande son premier verre de la soirée. Une soirée au cours de laquelle il va porter cinq toasts aux cinq personnes qui ont le plus compté pour lui. Son grand frère adoré Tony, son modèle, emporté par la tuberculose. Sa fille Molly, morte in-utero. Sa belle-sœur Noreen, l’excentrique, la « dérangée ». Son fils Kevin devenu journaliste et exilé sur la côte Est des États-Unis. Et enfin sa femme Sadie, disparue deux ans plus tôt et sans laquelle la vie n’a plus aucun sens. Cinq verres pour résumer une existence, pour se rappeler les joies et les douleurs, les bons et les mauvais moments. Une soirée pour se retourner sur le passé et solder les comptes avant de partir. Définitivement.

Ah, Maurice et ses souvenirs ! Pas toujours glorieux, loin s’en faut. Son sale caractère, son manque de tact, sa cupidité, son désir de vengeance. Son discours ne vire pas pour autant au mea culpa larmoyant, le gaillard connaît et assume ses faiblesses, sans remords ni regrets, tandis que sa lucidité se teinte de pudeur, l’irlandais n’étant pas du genre à s’épancher.

Ce premier roman ambitieux dresse le portrait intime d’un homme seul, fatigué, fragile, qui n’a jamais pu surmonter le décès de sa femme. Un homme conscient qu’il n’a rien d’exemplaire, prêt à s’effacer sans coup d’éclat après avoir levé une ultime fois son verre aux souvenirs des êtres chers. La narration est limpide, l’ensemble solidement charpenté et la simplicité de façade cache sous le vernis du propos parfois léger une réflexion profonde sur le sens de la vie et les ravages du temps qui passe. Malgré une fin un poil trop mélo à mon goût j’ai été touché en plein cœur par ce vieux bonhomme en bout de course et sa nostalgie d’une insondable tristesse : « Je suis ici pour me souvenir - de ce que j'ai été et de ce que je ne serai plus. »

Toute une vie et un soir d’Anne Griffin (traduit de l’anglais par Claire Desserrey). Delcourt, 2019. 270 pages. 20,50 euros.






mardi 18 juin 2019

Les vraies richesses - Cathy Ytak

Été 1913, dans la somme. Émile, 13 ans, croise par hasard Louise, venue livrée un poêle à bois dans l’école de son village. La discussion s’engage et très vite cette gamine sûre d’elle l’agace, surtout lorsqu’elle lui annonce qu’elle habite dans un palais avec piscine et que, dans sa classe, filles et garçons sont mélangés. Pour le fils de paysan vivant dans la misère, impossible de croire cette petite menteuse effrontée. Malgré tout, après le départ de Louise, Émile s’interroge. Finalement, il décide de partir à sa recherche afin de découvrir par lui-même ce fameux palais soi-disant construit par monsieur Godin pour ses ouvriers. Après un long voyage, il va non seulement constater que le bâtiment existe, mais il va également trouver sa place au sein d’une communauté qui a fait de l’utopie sociale une réalité bien concrète.

Amiens, Saint-Quentin, Guise, le voyage d’Émile offre une plongée réaliste dans la Picardie du début du 20ème siècle. Une terre rurale, pauvre, sans horizon pour sa population la plus démunie. Émile et les siens vivotent dans une ferme délabrée. Son père a l’alcool mauvais et la main lourde, sa mère s’épuise aux tâches ménagères entre deux accouchements et sa sœur Léonie, qui se rêve institutrice, sait que sa condition paysanne lui interdit d’accéder à un tel statut. Au familistère de Guise, le garçon découvre un mode de vie basé à la fois sur le coopératisme, une répartition égalitaire des richesses, l’éducation et l’émancipation des femmes. Un univers à ses yeux révolutionnaire dont il va vite comprendre le fonctionnement, les enjeux et surtout les bienfaits.

Cathy Ytak signe un roman jeunesse engagé avec ce qu’il faut de subtilité pour ne pas tomber dans la caricature. Elle dresse à travers le personnage d’Émile le portrait touchant d’un enfant sensible, rêveur, déterminé et naïf qui ne va cesser de s’enrichir au fil de ses rencontres. Le contexte historique est extrêmement bien rendu, sans lourdeurs didactiques, et le caractère utopiste et humaniste du familistère parfaitement expliqué, sans occulter les limites d’un tel « palais social » (promiscuité, forme de paternalisme, etc.).

Un roman qui se veut bien plus positif que politique, aussi captivant qu’instructif. Parfait en somme pour faire découvrir aux jeunes lecteurs un pan trop méconnu de notre histoire sociale.

Les vraies richesses de Cathy Ytak. Talents hauts, 2019. 235 pages. 9,00 euros. A partir de 9-10 ans.




Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette







mercredi 12 juin 2019

Stray Bullets - David Lapham

Avec Stray Bullets, je suis dans mon élément. L’Amérique des paumés, des cinglés, des drogués, des bas du front. L’Amérique rurale, violente, à la bêtise crasse. L’Amérique des communautés repliées sur elles-mêmes, enfermées dans leur ignorance avec des rêves de grandeur ridicules. Tout ce que j’aime, quoi !

Au départ, cet album ne semble être qu’une succession de nouvelles, plus noires les unes que les autres. Sauf que d’une histoire à l’autre on retrouve quelques protagonistes, des lieux identiques, une cohérence chronologique (tout se déroule au cours de l’année 1983), des trajectoires qui se croisent et, inévitablement, se percutent. Il va de soi que l’on meurt beaucoup dans ces pages, et jamais paisiblement. Il suffit d’un grain de sable pour que le plan prévu au départ foire dans les grandes largeurs et que l’on perde le contrôle. La première nouvelle est à ce titre exemplaire. Deux gars avec un cadavre dans le coffre de leur bagnole doivent changer une roue, en pleine nuit, sur une route déserte. Un flic s’arrête pour leur porter secours et à partir de là, tout part en cacahuète. Pareil pour Orson, gamin naïf qui s’approche de trop près d’une fleur vénéneuse prénommée Rose. Orson, Rose, Amy la tueuse professionnelle, Nina la camée, Beth la fonceuse, Nick le couillon, Virginia la fugueuse et Lilly la vache à cinq pattes forment une galerie de personnages aussi déglingués qu’hauts en couleur.

C’est glauque, poisseux, parfois drôle, toujours pathétique, sobrement illustré par un noir et blanc au trait épais particulièrement expressif. La série compte en tout quarante épisodes et ce premier volume de près de 500 pages regroupe les quatorze premiers. Une série d’abord auto-éditée, récompensée en 1996 par l’Eisner Award du meilleur scénariste / dessinateur. Une série ovationnée par tous les amateurs de polar décapant, qui lorgne du côté de Chuck Palahniuk littérairement parlant et offre un croisement ébouriffant entre les univers cinématographiques de Tarantino et David Lynch. Rien que ça.

Un indispensable de la BD américaine indépendante dont j’attends évidemment  la suite avec la plus grande impatience !

Stray Bullets de David Lapham (traduit de l’américain par Hélène Remaud-Dauniol). Delcourt, 2019. 465 pages. 34,95 euros.








mardi 11 juin 2019

Diabolo fraise - Sabrina Bensalah

Elles sont quatre sœurs, âgées de 18 à 11 ans. Antonia, l’aînée, est enceinte. Marieke, de son côté, découvre le désir et le plaisir dans les bras du beau Basile. Jolène pour sa part est mal dans sa peau, elle désespère de ne pas encore avoir eu ses règles. Quant à Judy, la petite dernière, elle s’apprête à rentrer au collège avec pas mal d’appréhension. Quatre filles et des parents plutôt cools dans leur genre, une famille soudée qui traverse les années d’adolescence bille en tête, entre tempêtes et accalmies. Les sœurs sont unies comme les doigts de la main. Elles s’aiment, s’engueulent et se soutiennent en cas de coup de dur. Chacune avance à son rythme, avec sa propre personnalité, son propre caractère, ses propres problèmes. Pour autant la solidarité n’est pas un vain mot et la tribu aime plus que tout partager ensemble les bons moments que leur offre l’existence.

Les ingrédients sont simples mais le tour de main virtuose de Sabrina Bensalah donne à ce roman jeunesse une saveur délicieuse. C’est pêchu, pétillant, moderne. La sexualité des ados est abordée sans caricature ni langue de bois et les histoires s’entrecroisent dans un bel équilibre, donnant l’impression que chaque personnage a droit à la même attention. Un exercice de haute voltige où la dynamique du récit ne fléchit à aucun moment, portée, entre autres, par des dialogues aussi percutants que réalistes.

J’avoue, ces quatre sœurs ont fait vibrer mon petit cœur tout mou de papa. Je les ai trouvées particulièrement attachantes et étant moi-même père de trois filles, inutile de préciser que ce roman a fait résonner bien des éléments de mon quotidien. Une réussite totale donc, je me suis régalé du début à la fin !

Diabolo fraise de Sabrina Bensalah. Sarbacane, 2019. 275 pages. 16,00 euros. A partir de 13 ans.




Une nouvelle lecture commune partagée avec Noukette


samedi 8 juin 2019

Bof, bof, bof...

Trois bof, rien que ça. Bientôt un mois et demi que je n’ai pas parlé de littérature « adulte » ici-même et ce n’est pourtant pas faute d’en avoir lue. Mais rien qui ne justifie à mes yeux l’intérêt d’en faire un billet. A part peut-être pour les trois titres suivants dont j’attendais beaucoup et qui ne se sont pas révélés à la hauteur de mes espérances.


J’adore Antoine Choplin, c’est un auteur d’une intelligence et d’une sensibilité qui me touchent particulièrement. Avec ce roman-là pourtant, la magie n’a pas fonctionné. Une fois encore il mélange la petite et la grande histoire en situant son récit dans le Chili de l’après-dictature. Un astronome solitaire rencontre une belle inconnue au musée de la mémoire dédié aux victimes de Pinochet. Elle lui rend visite quelques temps plus tard dans son observatoire au bord du Pacifique. Et puis rien. Rien de notable du moins. Pas d’intensité ni d’émotion particulière, j’ai regardé se nouer leur idylle de loin, pas franchement concerné ni séduit par le déroulement des événements. Encéphalogramme plat malgré une écriture toujours pleine de charme. Dommage.

Partiellement nuageux d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2019. 135 pages. 16,00 euros.


Encore un auteur que j’adore et encore un encéphalogramme plat. Je me suis contenté de retenir une intrigue sans relief (l’empoisonnement de truites, c’est moyen comme grand crime à résoudre, non ?), des personnages sans épaisseur (Tucker par exemple, le propriétaire des truites, n’est qu’une grosse caricature sans nuance du beauf prêt à tout pour s’enrichir) et des coups de théâtre tellement prévisibles qu’on les voit venir à des kilomètres. Bref, pas grand-chose à sauver dans ce roman tout sauf inoubliable.



Un silence brutal de Ron Rash. Gallimard, 2019. 272 pages. 19,00 euros.



Pour celui-ci, j’avais vraiment de gros espoirs. Du noir rural au fin fond des Vosges, un village paumé, des autochtones mal embouchés et une ambiance poisseuse à souhait, le pitch était alléchant. Je m’imaginais un truc violent dans l’esprit de L’été des Charognes ou au moins aussi  âpre et rugueux qu’un roman de Franck Bouysse. A la limite une atmosphère plus poétique et proche du nature writing à la André Bucher m’aurait convenu aussi, mais malheureusement on en reste très éloigné.

Le problème de ce texte vient clairement de l’écriture. Bien trop ample, bien trop bavarde, bien trop ampoulée. Chez les taiseux vosgiens, il aurait fallu que chaque phrase aille à l’essentiel, sans circonvolutions inutiles. Pelot s’égare dans une prose boursouflée alors qu’il aurait clairement dû rester sur l’os. J’ai eu la désagréable impression qu’il se regardait écrire, qu’il se perdait dans une démonstration de style non seulement sans intérêt mais qui, en plus, desservait grandement son propos. Au final une très grosse déception pour ce pavé qui aurait gagné à être largement dégrossi.

Brave gens du purgatoire de Pierre Pelot. Éditions Héloïse d’Ormesson, 2019. 510 pages. 22,00 euros.


Trois bof donc, et rien de transcendant à l’horizon parmi mes lectures en cours, le problème vient peut-être de moi mais tout me semble fade en ce moment. Une mauvaise passe qui je l’espère prendra fin avec la pause estivale à venir. Wait and see... 







mercredi 5 juin 2019

Trashed - Derf Backderf

Akron, Ohio, début des années 80. J.B a arrêté ses études et glandouille chez ses parents. Répondant à une petite annonce du service d’entretien de la ville, il pense être embauché pour tondre les pelouses municipales mais se retrouve finalement accroché à l’arrière d’un camion poubelle. Chaque jour de sa vie d’éboueur devient une aventure aussi épuisante que déprimante et sa plongée dans l’enfer des déchets lui montre que le contenu des poubelles révèle souvent la nature peu reluisante de leurs propriétaires.

Hilarant et affligeant. Édifiant et effrayant. Ce roman graphique inspiré de la propre expérience d’éboueur de Derf Backderf est l’occasion pour lui de dénoncer avec force humour à la fois la surconsommation et le j’menfoutisme total de ses congénères dans la gestion de leurs déchets. Au fil de leurs tournées J.B et son copain Mike accumulent les déconvenues. Sacs surchargés qui se déchirent dès qu’on les soulève, poubelles infestées de vers et de mouches, encombrants laissés au bord de la route en dehors des jours de ramassage, animaux écrasés à décoller du bitume avec une pelle avant de les jeter dans la benne du camion, chaque nouvel arrêt est source de désagrément et d’écœurement. Sans compter les aléas climatiques et les agissements d’habitants toujours prompts à dénoncer un ramassage bâclé ou à profiter de leurs relations dans les hautes sphères municipales pour obtenir des passe-droits et compliquer la tâche des éboueurs.

C’est drôle et effarant mais pas seulement. J.B et Mike développent une rancœur tenace. Ils ont sur le dos un chef zélé qui ne les lâche pas d’une semelle. Trop crevés pour sortir le soir, puants comme des rats morts même après une douche prolongée, ils voient leur vie sociale disparaître sous l'amoncellement des ordures et en viennent à détester tous les habitants de leur bled, au point de se venger à leur façon, sans finesse mais avec une redoutable efficacité.

Au-delà du portrait décapant de J.B et de sa « vie de merde », comme il la qualifie lui-même, Derf Backderf interroge le rapport de l’américain moyen (voire en dessous de la moyenne) avec son mode de vie consumériste tout en dénonçant sa totale absence de réflexion sur son impact environnemental. Sous le vernis de la chronique déjantée affleure donc une prise de position engagée doublée d’une dimension pédagogique assumée, notamment dans les notes de conclusion où l’auteur offre des explications aussi sérieuses que documentées sur le traitement des déchets aux États-Unis. Une lecture évidemment peu ragoûtante mais qui se révèle au final distrayante et instructive.

Trashed de Derf Backderf (traduit de l’anglais par Philippe Touboul). Ça et Là, 2015. 240 pages. 22,00 euros.