jeudi 13 juin 2013

Bandini - John Fante

La famille Bandini va mal. Il faut dire qu’être maçon en plein hiver dans le Colorado n’est pas la meilleure façon de faire rentrer un salaire régulier à la maison. Svevo, le paternel, compte sur l’arrivée prochaine du printemps pour se remettre à l’ouvrage. En attendant il perd le peu d’argent du foyer au poker. Joueur et coureur, ce Svevo est un fieffé salopard qui mène la vie dure aux siens. La mère, Maria, voit son ardoise chez l’épicier augmenter de jour en jour : « Bon Dieu, […] va falloir songer à me rembourser c’crédit Mme Bandini ! Ça peut plus durer. Vous m’avez pas donné un seul centime depuis le mois de septembre. »  Une mère bigote, toujours le rosaire à la main, victime des frasques de son incontrôlable mari et qui ne lui pardonnera pas de disparaître du jour au lendemain pour, croit-elle, se jeter dans les bras d’une richissime veuve. Quant aux trois frangins Bandini, s’ils fréquentent l’école catholique du coin, ce ne sont pas des anges. Arturo, l’aîné, est un sale gosse qui multiplie les bêtises. En proie aux remords, il passe son temps à se demander si ses péchés sont véniels ou mortels. Heureusement, un tour au confessionnal et une absolution rapide effacent ses tourments : « Ils étaient potes, Dieu et lui ; Dieu était un sacré chic type. » Une drôle de famille pour laquelle il est bien difficile de ressentir la moindre empathie.

Chronique en grande partie autobiographique d’une tribu italo-américaine tirant le diable par la queue au cœur des années 20, Bandini est un roman plein de verve. Une galerie de personnages principaux truculents ou détestables et quelques seconds rôles pas piqués des hannetons pimentent ce récit  où se côtoient en permanence humour et méchanceté.  

John Fante est pour moi un mythe. Il fait partie de ces rares auteurs qui ont façonné ma vie de lecteur. Je l’ai découvert grâce à Bukowski qui ne cessait de lui rendre hommage. Dans une de ses nouvelles, parlant de Fante, il écrit : « Les lignes roulaient facilement sur la page, ça coulait bien. Chaque phrase avait sa propre énergie et elle était suivie par une autre exactement pareille. La substance même de chaque ligne donnait sa forme à la page, on avait l’impression de quelque chose de sculpté dessus. » Après Bandini, j’ai enchaîné avec Demande à la poussière, un roman dans lequel on retrouve Arturo jeune adulte parti à Los Angeles pour devenir écrivain. Apprenant que ce texte est fortement inspiré par La faim de Knut Hamsun, je me suis rué sur les œuvres du prix Nobel norvégien. Et comme La faim fut, à l’époque de sa publication, préfacé par Octave Mirbeau, j’ai pu rajouter un grand auteur français à mon panthéon personnel. Bukowski, Fante, Hamsun et Mirbeau… tout ça pour dire qu’une identité de lecteur se construit parfois grâce à un effet boule de neige aussi inattendu que savoureux (surtout à une époque où internet n’existait pas encore…).

Ayant lu Bandini au début des années 90, je me demandais si j’y trouverais aujourd’hui le même plaisir qu’à l’époque. Quand on est étudiant en lettres modernes, que l’université restreint vos lectures aux grands classiques et que vous tombez sur Fante,  le choc est énorme. Découvrir la littérature américaine avec lui, c’est un peu comme quand vos parents vous lâchent la main à l’entrée du grand bain, ça fait un peu peur mais en même temps c’est tellement grisant. Vingt ans plus tard, alors que mes lectures « américaines » se comptent par centaines, l’effet n’est évidemment plus même. Il n’y a plus de surprise et j’ai trouvé quelques longueurs mais je ressors néanmoins de ce roman avec la confirmation que Fante restera à jamais un des chouchous de ma bibliothèque personnelle. Le ton du narrateur, plein de fiel, d’ironie et d’acidité me convient parfaitement. Et que dire de ces personnages qui s’emportent pour un rien, sont le plus souvent d’une totale mauvaise foi et voient constamment midi à leur porte. L’écriture est fluide, proche d’une certaine forme d’oralité et par moments des passages presque lyriques font prendre de la hauteur à l’’ensemble. En un mot comme en cent, je suis toujours fan !

Je conçois tout à fait qu’un roman tel que celui-là puisse secouer furieusement. Personnellement, c’est une des pièces essentielles de mon parcours de lecteur et je remercie Syl d’avoir accepté cette lecture commune suite au tag qu’elle m’a proposé il y a peu. Grâce à elle j’ai rajeuni de 20 ans. Et comme en plus Valérie et Emmanuelle se joignent à nous pour cette LC, Bandini est sous le feu des projecteurs aujourd’hui, pour mon plus grand plaisir !
   

Bandini de John Fante. 10/18, 2002. 282 pages. 7,10 euros. 


32 commentaires:

  1. Tu crois que c'est le genre de lecture qui secoue? On est loin de Selby par exemple. Je suis contente d'avoir enfin découvert cet auteur et je pense continuer la série d'Arturo.

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    1. Tout dépend du passé de lecteur de chacun mais une de nos lectrices communes du jour a été fortement secouée, c'est indéniable...

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  2. Je pourrais écrire un com' de trois pages suite à ce billet, qui ravive bien des souvenirs. Quand j'ai arrêté les études de lettres (après deux ans de préparation infructueuses à l'agrégation), je suis tombée dans le monde des livres qui se lisent, qui sont vivants, et le choc a été énooooorme ! Pour moi, l'auteur le plus récent était au mieux Malraux (beurk), mais je maîtrisais les lais de Marie de France comme personne autour de moi (évidemment).
    Ceci dit, j'inscrirais bien Fante (père bien sûr, mais pourquoi pas fils, à petites doses) au programme de mon été. J'ai deux titres sur ma LAL : "Rêves de Bunker Hill" et "Les compagnons de la grappe" : une préférence ?

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    1. Rêve de Bunker Hill, c'est spécial. C'est son tout dernier livre, il était aveugle et il l'a dicté à sa femme. Très noir et désespéré, ce n'est pas son meilleur livre. Mais pour les compagnons de la grappe tu peux foncer, c'est dans le même registre que Bandini.

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  3. Un auteur à part. Pas de bons souvenirs de lecture.

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    1. Tu ne dois pas être la seule à ne pas avoir accroché...

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  4. Jérôme,

    Très beau billet! Il semble couler de source...

    Fante est un auteur que je découvre avec plaisir pour la seconde fois. Que me conseilles-tu pour la suite?

    Biz

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    1. Si tu n'as pas lu demande à la poussière, c'est un incontournable. Après si tu aimes les nouvelles, tu peux foncer sur Le vin de la jeunesse. Les compagnons de la grappe est très bien aussi. Un cran en dessous je trouve, Plein de vie et Rêves de Bunker Hill. Et deux cran en dessous, La route de Los Angeles, son tout premier texte.
      Voilou...

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  5. J'ai lu un roman de Fante il y a longtemps, et il demeure sur ma lsite des auteurs à lire (un jour, un jour)

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    1. Si ses textes étaient réédités par Gallmeister, je suis certain que tu les lirais de suite !

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  6. Wahou quel billet !! J'ai Demande à la poussière dans ma pal. Et tu me permets d'ajouter des noms sur mon carnet merci ;)
    Bonne journée !

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    1. Demande à la poussière, il faut le sortir de ta pal, et vite !

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  7. Je me retrouve quand tu parles du choc à la découverte de ces auteurs américains comme Miller, Fante, Bukowski. J'ai lu plusieurs Fante, et ils sont toujours dans nos rayonnages d'ailleurs, pour une relecture future...

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    1. C'est un des rares auteurs que je suis certain de relire, avec Bukowski bien sûr.

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  8. Je connaissais ton amour pour cet auteur et ça me fait plaisir de voir comme tu lui restes attaché même lors d'une seconde lecture. C'est aussi un auteur fétiche pour moi mais il me reste "Bandini" à lire. C'est "Mon chien stupide" (reçu gratuitement pour 2 achats Poche en librairie) qui a été un choc pour moi. J'ai tout de suite adoré alors que je ne savais rien encore de l'auteur. Depuis j'ai également aimé "Demande à la poussière" et "Rien dans les poches" de son fils Dante. Je remets Bandini à mon programme,tiens!

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  9. Tu n'as pas trouvé de sympathie pour cette famille ? Moi, je l'ai aimée. Malgré leur drame, leur misère, ils sont une unité. Pourtant ils sont bourrés de défauts !!! la violence en prime. Mais c'était aussi une époque, des déracinés.
    Je devais partir cet aprem, et puis je suis restée. Ici, il pleut beaucoup ! je vais voir les copines maintenant...
    Merci pour la LC Jérôme, je te l'ai dit, j'ai vraiment apprécié.

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    1. Disons que ce n'est pas le genre de famille que j'aimerais avoir comme voisins ! Sinon je suis heureux de constater que le risque prix avec ce roman assez éloigné de ce que tu as l'habitude de lire à payé ! Maintenant tu connais Fante et j'en suis ravi ;)

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  10. Un auteur que j'affectionne ! Il faut que je lise celui-ci ;-)

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    1. Celui-ci est un incontournable de sa bibliographie.

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  11. Je dois l'avoir lu il y a aussi longteps que toi, et jen ai lu d'autres ensuite. Il y a des points communs entre les Italiens émigrés et les Irlandais (question maris infidèles et catalogues de péchés très culpabilisants).

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    1. Ce sont deux communautés avec de telles personnalités qu'elles représentent du pain béni pour les écrivains.

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  12. Je n'ai jamais lu cet auteur et j'ai cette impression de "soit tu l'adores", soit "tu ne l'aimes pas du tout". Je connais ta réponse le conernant ! Bisous

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    1. Tu as raison, il y a de ça, c'est un auteur qui ne laisse pas indifférent !

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  13. Donc, un auteur qu'il me faut découvrir. Je note et je file lire Syl ;)

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    1. Et bien si tu files chez Syl tu seras encore plus convaincue !

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  14. J'ai 5 livres de Fante qui m'attendent dans ma PAL dont celui-ci.
    Il serait peut-être temps que je me lance....

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  15. Ce n'est pas la littérature américaine que je préfère. Ce roman a même failli me tomber des mains. J'ai quand même la suite dans ma PAL depuis des années.

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    1. Ben zut alors, je pensais pourtant que tu serais le public idéal pour ce genre de texte !

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  16. Je mes suis toujours régalé avec John Fante.

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    1. Moi aussi, j'ai toujours eu beaucoup de plaisir à le lire !

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