mercredi 28 août 2013

Manolis - Allain Glykos et Antonin

1923. Suite à la défaite des armées grecques face aux troupes de Mustafa Kémal, des centaines de milliers de grecs vivant sur la côte ouest de la Turquie furent expulsés vers leur mère patrie. Un déplacement de population massif effectué à marche forcée et qui laissa sur le carreau nombre de réfugiés. Ayant tout perdu au moment de leur départ ces réfugiés durent de plus, une fois de retour en Grèce, affronter les réactions hostiles de la population locale qui ne les considérait pas comme des compatriotes mais voyait plutôt en eux des immigrés. Une intégration difficile voir impossible et des conditions de vie extrêmement précaires ont longtemps fait de ces Micrasiates (Grecs d’Asie Mineure) des parias dans leur propre pays.

Ce roman graphique raconte l’histoire de Manolis, enfant grec né en Turquie et frappé de plein fouet par « la grande catastrophe ». Séparé de ses parents et de ses frères au moment de monter sur le bateau devant les ramener en Grèce, le jeune garçon reste sous la protection de sa grand-mère. Ensemble ils vont connaître bien des épreuves et échouer dans une ville du Péloponnèse où personne ne fait grand cas d’eux. Placé un temps en famille d’accueil, Manolis apprend que les membres de sa famille sont en Crète. Décidé à les rejoindre coûte que coûte, il part seul pour Athènes afin d’embarquer dans le port du Pirée…

Voila une fois encore un album qui entremêle la petite et la grande histoire. Personnellement j’ai préféré m’attarder sur l’aspect individuel du destin de Manolis plutôt que sur l’universalité de la réflexion concernant les ravages de la guerre. Ce récit d’exil et d’initiation à hauteur d’enfant est simple et touchant, sans excès de pathos. Il est intéressant de constater qu’en grandissant le gamin au départ un peu perdu se forge une identité forte et pose un regard lucide et déterminé sur son avenir.

La narration, surtout dans les premières pages m’a fait penser à la très jolie série « Marzi » de Sylvain Savoia et Marzena Sowa. Graphiquement, on sent l’influence de Craig Thompson mais aussi du Sergio Salma de « Marcinelle, 1956 » (surtout à cause de l’encrage épais et charbonneux).

Tout en émotion et en retenu, ce destin individuel pris dans le tourbillon de l’histoire permet de mettre en lumière un épisode tragique sans doute trop peu connue sous nos contrées. Une belle réussite.

Manolis d’Allain Glykos et Antonin. Cambourakis, 2013. 190 pages. 20 euros.












mardi 27 août 2013

Encore un Award !


Chic, un tag, il y avait longtemps. Cette fois-ci c’est L’irrégulière qui a eu la gentillesse de penser à moi et qui m’a décerné cet Award. Sincèrement touché par sa démarche, je vais me plier à l’exercice de bon cœur mais je préfère prévenir tout de suite que si d’autres venaient à avoir la même idée, je serais obligé de décliner. D’une part parce que ma vie n’est pas assez palpitante pour que je trouve à chaque fois des choses à raconter et d’autre part parce qu’il va m’être difficile de dénicher 15 « victimes » pas encore désignées par d’autres…

Le principe est simple :
Afficher le logo de cet award en tête du billet ; remercier la blogueuse/le blogueur qui vous l’a décerné ; lister 7 points sur soi ; nominer 15 autres blogueurs méritants ; les prévenir que vous avez pensé à eux.

J’ai déjà rempli haut la main les deux premières conditions ci-dessus alors j’enchaîne avec 7 choses me concernant, entre le sans intérêt et le parfaitement lamentable. Tout moi quoi…

- Je n’exclus pas entièrement le fait de devenir un jour ou l’autre l’égal du Dr March.
- Attention scoop : j’adore ce bébé.

- Non, je n’ai jamais vu Dirty Dancing et j’en suis fier.
- On a promis à Pépette n°1 qu’on l’emmènerait à Londres visiter les studios Harry Potter l’an prochain. Si vous avez des bons plans pour les hôtels ou des infos diverses et variées sur la question, je suis preneur.
- Plus jamais je ne dormirai tout nu dans une chambre infestée de moustiques. Certaines parties de mon anatomie sont vraiment trop sensibles aux piqûres. Résultat, quelques séances de grattage intempestifs certes incontrôlables mais visuellement tout sauf glamour.
- J’ai vu "Les schtroumpfs 2" au cinéma il y a peu et je n'arrive pas à m'en remettre. C’est sans doute l’une des pires horreurs commises par le cinéma d’animation ces dernières années. La vie de parent n’est pas facile tous les jours.
- J’ai développé cet été une passion aussi soudaine qu’inattendue pour les shorts en jean. J’ai eu l’impression d’en voir partout. Quand on y pense, c’est un des rares accessoires qui, en fonction de celle qui le porte, peut être extrêmement sexy ou totalement vulgaire et j’avoue que ça me fascine…

Voila, voila, je vous avais prévenu…

Pas facile de trouver 15 blogueurs / blogueuses, entre ceux qui vont être sollicités plus souvent qu’à leur tour et que je ne voudrais pas embêter à nouveau et ceux qui ne répondent jamais aux tags… Pour faire simple, j’ai mis des tas de noms qui me tiennent à cœur dans un grand chapeau et voila ce que ça donne :

Mo’
Cristina
manU
Nahe
Un chocolat dans mon roman
Aaliz
Athalie
Marie
Choco
Soukee
In Cold Blog
Canel
Philisine Cave
Le petit carré jaune
Un autre endroit

Voila, je pense avoir joué le jeu. A qui le tour ?




lundi 26 août 2013

La Lettre à Helga - Bergsveinn Birgisson

A plus de 90 ans, Bjarni Gislason a décidé d’écrire une dernière lettre. Une lettre destinée à sa chère Helga, son seul véritable amour. Avec sa femme Unnur, ce n’était pas pareil. Elle n’a jamais pu avoir d’enfant et leurs relations en ont été particulièrement détériorées. Une vie de couple pleine de rancœur et d’amertume que Bjarni fuyait dès qu’il le pouvait. Éleveur de moutons et contrôleur cantonal des réserves de fourrage, il devait souvent se rendre dans les fermes alentour pour évaluer la santé des cheptels. C’est dans une de ces fermes, pendant la seconde guerre mondiale, qu’il a rencontré Helga. Une femme sensuelle à la poitrine opulente qui l’a rendu fou de désir. Leur adultère fut aussi passionné que foudroyant. Lorsqu’Helga tomba enceinte, elle lui proposa de quitter leur trou perdu pour partir à Reykjavik. Mais le fermier refusa d’abandonner sa terre et brisa à jamais leur relation. Quarante ans plus tard, il ressent le besoin d’écrire cette longue lettre pour expliquer à Helga les raisons de son choix. Forcément trop tard…  

Ce pourrait être la triste litanie d’un vieillard en bout de course. Ce pourrait être un texte tire-larmes où un homme se retourne une dernière fois sur des occasions manquées. Et bien c’est tout sauf ça. Certes Bjarni constate qu’il a raté quelque chose. Mais il le fait avec tellement de détachement, d’humour et d’autodérision que c’est un régal. Avec lui on découvre la vie dans les campagnes islandaises au tournant de la modernité. On accueille les premiers tracteurs mais l’isolement est tel qu’il faut parfois fumer les morts comme des poissons au cœur de l’hiver pour les conserver en attendant de pouvoir les enterrer au printemps. Pour traiter les brebis contre la gale, il faut les tremper manuellement dans une mixture composée à 90% d’urine. Il raconte aussi son échec au concours du plus beau bélier où il était pourtant certain de gagner. Des pratiques d’un autre âge sur lesquelles il revient sans amertume mais avec un réel plaisir. Concernant la fin de leur histoire, il assume totalement son choix même s’il sait que c’était sans doute une erreur : « Ici, à la campagne, j’ai eu de l’importance. Et si ce n’est qu’une idée, au moins aurais-je eu l’impression d’en avoir. Voila une différence qui compte. »     

Ce qui est formidable, c’est le ton sur lequel il rédige sa lettre. Léger et fleuri, souvent très drôle (« Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall. »), c’est franc, direct, en toute sincérité. J’ai aussi adoré la façon dont il parle du désir qui a été l’aiguillon de sa relation avec Helga : « Ensuite je t’aurais embrassée, des attouchements hâtifs auraient eu lieu avant que je ne baisse mon froc tandis que tu relevais ton pull de grosse laine pour dénuder tes seins et là, mes cuisses couleur d’aspirine se seraient mises à claquer contre toi, tandis que le courlis roucoulais dans l’air lourd du parfum de la bruyère, et nous deux, pauvres créatures, là, dans le creux, n’en aurions plus fait qu’une, l’espace d’un instant, jusqu’au dernier soupir de la montée de sève, quand la gelée blanche aurait dégouliné sur la face  interne de ta cuisse sur quelques brins d’herbe sèche, seuls témoins de l’embrasement qui nous avait saisis. »  Ces quelques lignes sont à des années lumières du purin que nous offre les Cinquante nuances de grey et consorts. Tellement supérieur, tellement plus proche de la littérature que j’aime.

Un premier roman somptueux, tragi-comique à souhait et qui m’a fait passer un délicieux moment de lecture. Un véritable coup de cœur. Pour le plaisir, je vous offre une dernier extrait : « Je te le dis du fond du cœur, ma Belle, je ne suis plus qu’une vieille bûche vermoulue et pourrie gisant sur le rivage du temps, d’où le ressac m’emportera bientôt. Et nul ne pleurera ma disparition. C’est bien vrai ce que disaient les anciens : on devient lâche en vieillissant. »  


La Lettre à Helga
de Bergsveinn Birgisson. Zulma, 2013. 130 pages. 16,50 euros. 


Comme hier c'est une lecture commune que je partage avec Marilyne et comme hier c'est un coup de cœur commun. Jamais deux sans trois ?









dimanche 25 août 2013

Monde sans oiseaux - Karin Serres

C’est un village isolé au bord d’un lac. Un village sur roulettes où chaque maison peut être déplacée quand les eaux montent pour éviter l’inondation. Un village où les cochons sont fluorescents et savent nager. Au fond du lac repose une forêt de cercueils, ceux des habitants morts qu’on laisse glisser sous les flots sombres en guise d’enterrement. Dans ce village est née « Petite boîte d’os », la fille du pasteur. A l’adolescence, la gamine est en crise : «  Je ne les supporte plus, tous, leurs vies, nos vies ordonnées, régulières et policées. Je déteste notre joli village aux maisons multicolores, bien droites et propres au-dessus de leur joli reflet. Je hais les jours qui se succèdent, toujours les mêmes. Le temps passe, je grandis, mon destin se dessine au-dessus de l’eau plate, planche après planche, pas après pas : mariage, enfants, promenade, vaisselle… et je n’en veux pas. » Mais quand  le vieux Joseph réapparaît comme par enchantement, la donne change. Le vieux Joseph que la légende qualifie de cannibale et qui va devenir l’amour de sa vie.

Ce premier roman est magique. Une bulle hors du temps et des modes. Karin Serres vous prend par la main et vous emmène dans un univers étrange, à la fois improbable et tellement réel. Elle raconte une histoire d’amour et de mort(s),  la fin d’un monde. Sa prose au lyrisme contenu est ciselée, très musicale. On traverse avec délice l’existence de Petite boîte d’os, ses joies et ses peines. L’originalité tient dans le ton choisi, ce souffle de liberté que l’on ressent dans chaque phrase. Aucune timidité dans cette écriture qui allie poésie, sensualité et réalisme mais au contraire beaucoup d’audace. Forcément je suis fan.

Le texte est truffé de très beaux passages :
-  sur la mort (après une fausse couche) : « Je ne pense qu’à la mort. Elle est entrée en moi, elle y a tué quelque chose que je n’ai pas su protéger réparer, ressusciter, alors elle peut bien rester, me coloniser tout entière, je ne résisterai pas. Plus de force. Je suis une enveloppe vide, une cosse humaine qui parle, mange ou dort sans savoir pourquoi. »
- sur la douleur (au moment d’un accouchement) : « La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible mais réel, qui habite à l’intérieur de notre corps. Parfois il se réveille, s’agite violemment, mais le reste du temps il dort. Du bout de ses tentacules, soudain, il appuie sur nos gencives, nos tympans, nos seins adolescents ou notre utérus comme là, maintenant, aaargh ! […] Mais que devient-il quand on meurt ? »

- sur la perte des êtres chers : « On ne sait jamais, la dernière fois qu’on voit les gens qu’on aime, que ce sera la dernière fois. »

Un grand premier roman, je pèse mes mots.

Monde sans oiseaux de Karin Serres. Stock, 2013. 106 pages. 12,50 euros.

Un lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Marilyne. Mon petit doigt me dit qu'elle a aussi beaucoup aimé.








samedi 24 août 2013

Myrmidon T1 : Myrmidon au pays des cow-boys - Loïc Dauvillier et Thierry Martin

Il a une bonne bouille ce Myrmidon avec ses cheveux roux et son sourire en coin. En plus il est un peu magicien. Il suffit qu’il enfile un costume pour que le monde qui l’entoure change radicalement. Ici c’est en coiffant un chapeau de cow-boy qu’il se retrouve avec des indiens  aux trousses. En route pour la grande aventure !

Myrmidon, c’est l’imagination au pouvoir.  Avec lui les jeux d’enfants les plus classiques prennent une tournure exceptionnelle. Cow-boy contre indiens, fuite à cheval et pluie de flèches, il va falloir au jeune garçon une bonne dose de malice et de courage pour s’en sortir.

Encore un album sans texte des éditions de La Gouttière qui est une vraie réussite. Dans ce type d’ouvrage, le plus important reste la lisibilité. Loïc Dauvillier et Thierry Martin (dont j’avais soit dit en passant adoré l’adaptation du Roman de Renart en BD) l’ont bien compris : se focaliser sur le déplacement de la caméra, le rendre le plus fluide possible ; réduire le décor au minimum pour concentrer l’attention su le mouvement, la recette est bien moins facile à mettre en œuvre qu’il n'y parait. Finalement il faut développer une forme de complicité avec le tout jeune lecteur, lui offrir des codes de compréhension simples lui permettant de s’affranchir de longues explications. L’hermétisme n’a pas lieu d’être dans un tel album, il serait un frein trop important au plaisir de la lecture. Ici, l’alternance entre les illustrations pleine page, et les planches en deux cases où se succèdent bandes horizontales te verticales donnent du rythme à la course folle de Myrmidon et évite toute lassitude.

Un gamin auquel il est possible de s’identifier au premier coup d’œil, une aventure que l’on aimerait pouvoir vivre soi-même et un livre que l’on peut lire en totale autonomie dès 3-4 ans. Que demander de plus ?

Myrmidon au pays des cow-boys de Loïc Dauvillier et Thierry Martin. Éd. de la Gouttière, 2013. 32 pages. 9,70 €. A partir de 3-4 ans.

Une lecture commune avec Mo' et Noukette. C'est toujours un bonheur pour moi de partager un album de La Gouttière avec vous mesdames !





vendredi 23 août 2013

Just Kids - Patti Smith

A quoi ça tient un destin parfois ? Celui de Patti Smith s’est joué dans une cabine téléphonique. L’été 1967, à 21 ans, elle décide de quitter son New Jersey natal et de rejoindre New York avec pour seule possession une valise et le montant exact du trajet en petite monnaie. Arrivée à la gare routière, elle découvre que le prix du billet a presque doublé depuis la seule et unique fois où elle s’est rendue dans la Big Apple. Honteuse à l’idée de devoir rentrer chez elle, elle s’isole dans une cabine téléphonique pour réfléchir à la situation et découvre un sac à main posé sur un annuaire. A l’intérieur, 32 dollars, largement de quoi se payer le voyage : «  J’ai pris l’argent et déposé le sac au guichet. […] Je ne peux que remercier, comme je l’ai bien souvent fait intérieurement toutes ces années durant, cette bienfaitrice inconnue. C’est elle qui m’a donné l’ultime encouragement, le porte-bonheur de la voleuse. J’ai accepté le don du petit sac à main blanc comme si c’était le doigt du destin qui me poussait en avant. »

Passionnée de dessin, de peinture, de littérature et de poésie, Patti quitte les siens sans véritable but. Arrivé sur place, elle pense pouvoir se loger chez des amis mais ceux-ci ont déménagé sans laisser d'adresse. Se retrouvant à la rue, elle dépose des CV dans des librairies et des magasins de mode. En attendant des réponses qui tardent à venir, elle dort dans des cimetières, des cages d’escalier ou des wagons de métro. Elle trouve enfin un boulot de caissière dans une échoppe vendant des bijoux fantaisies et son destin bascule à nouveau le jour où elle sert un jeune homme qui deviendra son inséparable compagnon de route. Il s’appelle Robert Mapplethorpe et avec lui elle veut refaire le monde. Fascinés par l’art, ils vont se lancer dans de nombreuses expérimentations allant du collage à la photographie en passant bien sûr par le dessin et la poésie.  Pendant des semaines, des mois et même des années, le couple va subir quelques tempêtes et bouffer de la vache enragée.  D’abord amants puis liés par un indéfectible lien d’amitié, Patti et Robert vont traverser la fin des années 60 et le début des années 70 portés par le souffle d’intense créativité qui balaie New York. Dans leur sillage, on croise Andy Wharol, Allen Ginsberg, Janis Joplin, Jimi Hendrix et tant d’autres.

La carrière de chanteuse de Patti commence par le biais de la poésie. Fascinée par Rimbaud (le chapitre où elle relate son périple à Charleville en 1973 est tout en émotion), elle parvient à placer quelques textes dans des revues avant de faire des lectures dans les bars. Elle y affronte un public difficile, chahuteur, indifférent ou vindicatif. C’est grâce à ces prestations souvent chaotiques qu’elle va se forger une identité scénique des plus solides. En posant des notes de musique sur ses mots, c’est la révélation. Entourée de musiciens, Patti déploie ses ailes et créé une parfaite fusion entre la poésie et le rockn’roll. Une recherche de simplicité dépouillée de tout artifice, une forme de sauvagerie et de pureté : « Nous avions peur que la musique qui était notre nourriture ne se trouve en danger de famine spirituelle. Nous avions peur qu’elle perde sa raison d’être. Nous avions peur qu’elle s’enlise dans un bourbier de spectacle, de finances et d’insipides complexités techniques. »

Cette autobiographie m’a passionné. Quelle femme, quelle vie, quelle époque ! Patti et Robert, c'est un couple indestructible à la curiosité intellectuelle permanente guidé sur la voie de l’art par la fréquentation de figures mythiques et qui n’aura cessé d’élargir le champ des possibles. Just Kids, des gamins inséparables qui seront parvenus à réaliser leurs rêves. Une histoire belle et tragique.

Les dernières pages sont bouleversantes. A la fin des années 80, Patti s’est mariée et a eu deux enfants. Robert est devenu un célèbre photographe. Malade du sida, il se meurt et sa compagne de toujours lui rend visite le plus souvent possible. Entre eux la magie est toujours présente. De leur ultime rencontre elle dira : « La lumière ruisselait à travers les vitres sur ses photos et ce poème silencieux que nous formions, assis ensemble une dernière fois. Robert mourant : il créait le silence. Moi, destinée à vivre, j’écoutais attentivement un silence qu’il faudrait toute une vie pour exprimer. »  Juste avant sa mort, elle lui écrit quelques mots : « l’idée m’est venue, en regardant tout tes objets, tes œuvres et en passant en revue mentalement des années de travail, que de toutes tes œuvres tu es encore la plus belle. La plus belle de toutes les œuvres. »

Robert s’est éteint le 9 mars 1989. Lorsqu’elle a appris sa mort, Patti écoutait La Tosca entamer la sublime aria « Vissi d’arte » : J’ai vécu pour l’amour, j’ai vécu pour l’art.  « J’ai fermé les yeux et joint les mains. La providence décidait des termes de mon adieu. »


Just Kids de Patti Smith. Folio, 2012. 380 pages. 7,70 euros.

Un grand merci à Manu sans qui je n'aurais jamais eu l'idée de me pencher sur ce titre. C'est son billet enthousiaste qui m'a convaincu et je ne le regrette pas !

L'avis de Voyelle et consonne

jeudi 22 août 2013

Une nuit d’angoisse - Clément Bouvier

On est à la veille de la rentrée scolaire et Tomy ne peut pas fermer l’œil. Demain il va découvrir sa nouvelle école et il angoisse terriblement. Peur de ne pas se faire d’amis, d’être pris à partie dans la cour de récré, de devenir la tête de turc de la classe. L’idée lui est insupportable. Il décide donc de fuguer. Pour aller où, il ne sait pas trop. Juste s’éloigner le plus possible du sombre lendemain qui l’attend. Mais quand un enfant part seul en pleine nuit à travers les rues d’une ville endormie, c’est risqué. Surtout quand un kidnappeur rôde et qu’il a déjà fait trois victimes.  

Un roman à suspens qui joue avec malice sur les codes du genre. La tension monte au fil des pages, le coté angoissant est bien amené et si tout se termine évidemment bien, on a quand même eu le temps de se faire quelques frayeurs. Avec ces chapitres courts, sa pagination limitée et son écriture très simple, c’est un ouvrage idéal pour remettre en confiance des enfants de 9-10 ans qui auraient quelques soucis avec la lecture. Pas si courant finalement de tomber sur des petits romans jeunesse à la mécanique aussi bien huilée.


Une nuit d’angoisse de Clément Bouvier. Oskar, 2013. 62 pages. 7,95 euros. A partir de 9 ans.

mercredi 21 août 2013

Mon ami Dahmer - Derf Backderf

Au cours des années 70, Derf Backderf a côtoyé Jeffrey Dahmer au collège puis au lycée. Dahmer qui sera arrêté en 1991 et reconnaîtra dix-sept meurtres perpétrés sur de jeunes hommes. Des crimes affreux commis pour la plupart à la fin des années 80 et accompagnés de viols, de nécrophilie et de cannibalisme. Dans ce roman graphique en noir blanc, Backderf revient sur cette période de sa jeunesse où il a fréquenté sans le savoir un serial killer en devenir.

L’exercice est casse-gueule. Ne pas tomber dans le sensationnalisme, ne pas non plus être dans le jugement mais simplement essayer de comprendre comment un ado à priori comme les autres a pu devenir un tel monstre. Je dis à priori parce que Dahmer était quand même un gamin un peu particulier. Taciturne, solitaire, vivant avec des parents qui passaient leur temps à s’enguirlander et qui ne se sont jamais intéressés à lui. Sans parler son homosexualité qui apparaît comme une évidence et qu’il voudrait refouler, son attirance pour les univers morbides et les cadavres d’animaux sur lesquels il se livrait à de sordides expériences, un alcoolisme chronique dès les premières années du lycée, bref pas vraiment un ado comme les autres en fait.

Soyons clair, je n’ai pas du tout été fasciné par le parcours de Dahmer ni par sa relation avec Backderf. Horrifié plutôt de constater que personne n’a pu, su ou voulu voir à quel point cet élève en souffrance avait besoin d’aide. Les profs surtout auraient dû déceler les signaux de ce mal-être persistant. Facile à dire après coup, c’est vrai, mais quand même.    

Quoi qu’il en soit voila un drôle d’album. Glaçant et dérangeant. Dérangeant dans la mesure où j’ai du mal à saisir les intentions de l’auteur. Pourquoi avoir voulu raconter cette relation qui n’était même pas amicale ? Comme ses camarades, Backderf a passé son temps à ignorer Dahmer. Tout juste le considérait-il comme une espèce de freaks capable d’amuser la galerie lorsqu’il se lançait dans d’étranges imitations. Son récit est très documenté mais il tombe parfois dans l’anecdotique. Alors quel est le but ? Dérouler comme il le prétend dans la préface le fil d’une « histoire tragique qui n’a rien perdu de sa puissance dramatique » ? Pourquoi pas mais je n’ai pas du tout ressenti cet aspect. Une manière pour lui d'exorciser une expérience qui, à posteriori, avait tout pour être flippante ?  Possible. Ou alors, mais je n’ose le croire, une tentative opportuniste de mettre en lumière son talent d’auteur en appâtant le chaland avec une figure de tueur en série qui exerce toujours une certaine fascination sur le grand public ?

Disons qu’il y a comme un malaise et que j’ai été incapable en refermant l’ouvrage de savoir si j’avais ou pas apprécié cette lecture. Très bizarre comme sensation, j’ai l’impression d’être un peu perdu…


Mon ami Dahmer de Derf Backderf. Çà et Là, 2013. 222 pages. 20 euros. 

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' ! Filez-vite voir son avis qui vous éclairera sans doute davantage que le mien.

Les avis de Lunch ; Choco ; Joëlle ; Theoma ; Yvan ; Oliv











mardi 20 août 2013

Pas assez pour faire une femme - Jeanne Benameur

Judith croise son regard dans un amphi bondé. Il parle avec éloquence. C’est le coup de foudre immédiat. Son premier amour, sa première fois. Elle a 17 ans et vient de rentrer à la fac, on est au cœur des années 70. Avec lui elle va grandir et exorciser les démons de l’enfance. Peu à peu, elle va se politiser et constater avec lucidité que le conservatisme paternel est un frein à sa propre liberté. 

Jeanne Benameur signe son retour chez Thierry Magnier avec un texte tout en sensibilité. Comme d’habitude me direz-vous. Il est ici question d’amour, de désir, d’éveil à une conscience politique, d’émancipation, du rapport au père, de secret de famille. C'est l'histoire d'une métamorphose, d'un chemin tortueux qui mène une jeune fille vers le statut de femme à part entière. Des phrases courtes, susurrées comme dans un souffle. Les livres tiennent évidemment une place importante dans ce récit à la première personne proche de la confession intime. Oscillant sans cesse entre retenue et sensualité, la voix de Judith résonne avec force.                

Un très beau texte (forcément avec Jeanne Benameur), peut-être un poil trop féminin (féministe ?) pour emporter ma totale adhésion. Mais bon, je chipote. Lire cette auteure reste un plaisir à nul autre pareil. Ce n’est pas ma chère Noukette, avec qui j’ai le plaisir de partager cette lecture commune, qui dira le contraire. Filez donc voir son avis, ce sera l'occasion de découvrir son nouveau "chez elle". En plus vous êtes certain d'y être accueilli avec le sourire. 

Pas assez pour faire une femme de Jeanne Benameur. Thierry Magnier, 2013. 90 pages. 12,80 €.

Les avis de : Un autre endroit pour lire ; Bricabook








lundi 19 août 2013

Arelate T1 et T2 - Laurent Sieurac et Alain Genot

Arles, fin du premier siècle après J-C. Vitalis le tailleur de pierres vient une fois de plus de se faire renvoyer d’un chantier. La fois de trop sans doute puisque plus aucun contremaître ne veut de lui. Bagarreur et incurable joueur de dés, il passe son temps à parier avec les autres ouvriers au lieu de travailler. Ayant contracté pas mal de dettes, il rentre chez lui la queue entre les jambes annoncer à sa femme enceinte qu’il est une fois de plus au chômage. Sollicité quelques temps plus tard par Atticus, un ancien gladiateur devenu entraîneur, Vitalis doit se résoudre à embrasser une carrière à laquelle il n’était absolument pas destiné au départ. En signant son contrat d’engagement auprès d’un promoteur, le jeune homme renonce à la citoyenneté mais trouve par la même le seul et unique moyen de gagner l’argent nécessaire pour rembourser ses créanciers. Seulement le plus dur commence, car pour devenir un gladiateur de talent, le parcours est long et difficile...

Une BD historique de plus sur la Rome antique ? Pas vraiment. Ne cherchez ici aucun empereur aux mœurs débridées. Point non plus d’épiques batailles ou d’intrigues politiques complexes mais plutôt une plongée dans le quotidien des gens du peuple. Le pari est très didactique. Aidé par un archéologue, Laurent Sieurac met en perspective les connaissances scientifiques les plus actuelles concernant le monde romain. Ainsi l’image des gladiateurs  présentée dans cette BD est à des années lumières des standards Hollywoodiens et du Gladiator de Ridley Scott. Contrairement aux idées reçues, la gladiature n’était pas une infâme boucherie au cours de laquelle des esclaves s’entretuaient pour le plaisir d’un public assoiffé de sang. Les gladiateurs étaient en fait des sportifs de haut niveau choyés par des promoteurs ayant beaucoup investi sur leur compte. Des athlètes volontaires grassement payés pour assurer un spectacle certes violent mais où, contrairement à ce que l’on croit, la mort des combattants était extrêmement rare.

Parfaitement documentée jusque dans les moindres détails (architecture, vêtements, objets), Arelate reste éloignée d’un ton professoral qui plomberait le déroulement des événements. Intelligemment, les auteurs ont préféré apporter les éclaircissements scientifiques nécessaires dans un copieux dossier à la fin de chaque volume. L’histoire racontée n’est donc en aucun cas parasitée par des considérations historiques et scientifiques qui rendraient la lecture pour le moins indigeste.

Visuellement les planches aux tons sépia sont du plus bel effet même si parfois les personnages souffrent d’une certaine raideur, notamment dans l’expression des visages. Quoi qu’il en soit, voila une série restituant le plus fidèlement possible la vie quotidienne d’une ville antique que j’ai trouvée passionnante et dont j’ai hâte de dévorer le troisième tome sorti il y a peu.

Arelate T1 : Vitalis de Laurent Sieurac et Alain Genot. Cleopas, 2012. 64 pages. 14,85 €
Arelate T2 : Auctoratus de Laurent Sieurac et Alain Genot. Cleopas, 2012. 64 pages. 14,85 €