mercredi 2 mars 2011

Légendes de la Garde T2 : Hiver 1152

Hiver 1152. Les souris qui vivent dans les territoires forment une communauté répartie entre différents villages construits en des lieux sûrs et cachés de la vue des prédateurs. Pour faciliter les échanges de marchandises et pour se protéger, les petits rongeurs ont créé en des temps immémoriaux un corps d’élite, la Garde. Ses membres forment des escortes, servent d’éclaireurs et de guetteurs. Ils protègent les frontières et sont surtout de farouches combattants. Après avoir déjoué la tentative de prise de pouvoir du félon Minuit (dans le tome 1), les souris affrontent un terrible hiver. Constatant le manque de vivres et de médicaments, Gwendoline, la matriarche de la Garde, envoi onze aventuriers affronter les dangers d’un environnement hostile pour assurer au plus vite le ravitaillement…

David Petersen est parti d’une idée toute simple : les souris, trop petites pour aller avec les autres animaux, ont formé une communauté capable de vivre en totale autarcie. Mais comment peuvent-elles survivre dans un monde où les prédateurs potentiels pullulent ? Réponse : en s’appuyant sur un corps d’élite prêt à tout pour protéger les siens. Sur ce canevas plutôt sommaire, il a su tisser une organisation politique et sociale cohérente tout en créant des personnages attachant aux caractères bien marqués. Surtout, il n’est pas tombé dans le piège disneyien consistant à faire de son récit une bluette sans saveur. Sa série s’adresse aux enfants mais il n’hésite pas à mettre en scène de terribles combats qui ne laissent pas les protagonistes indemnes. Ses souris souffrent, elles meurent. Leur environnement n’est pas doux et chaleureux, il est d’une grande rudesse. C’est aussi le décalage entre le dessin animalier très orienté « jeunesse » et le contenu parfois difficile qui donne un cachet vraiment particulier à ces Légendes de la garde.

Le dessin justement, parlons-en ! L’auteur propose un format de planche atypique, proche du carré. Il n’hésite pas à réaliser des cases énormes où les détails fourmillent et surtout ou aucune place n’est laissée à la moindre erreur de perspective ou de proportion sous peine de sauter aux yeux du lecteur. Résultat, c’est sublime, tout simplement. Le mouvement de la caméra est incroyablement fluide. Les plans se succèdent, plus emballant les uns que les autres. Tout y passe : très gros plan, plongée, contre plongée, illustration pleine page… Une vraie leçon de dessin au service de la narration qui évite l’écueil de la pure démonstration technique. Le travail sur les couleurs est lui aussi impressionnant. Les pages se déroulant à l’extérieur sous la neige font froid dans le dos et celles dans un obscur souterrain sont angoissantes à souhait. La restitution des ambiances en fonction des décors est proche de la perfection.

Pas grand-chose à ajouter. C’est beau, très beau. Pas original sur le fond, certes. Mais parfaitement mené et limpide dans sa construction. Je ne sais pas à quoi ressemblent les volumes en VO mais pour l’édition française, Gallimard a sorti le grand jeu : format carré, cartonnage épais, carte des territoires en page de garde, papier de très grande qualité, épilogue et bonus en fin d’ouvrage, bref, un objet livre magnifique.

Entre Tolkien et Béatrix Potter, un comics jeunesse d’une qualité exceptionnelle.

PS : la série a reçu en 2008 deux Eisner Awards, les plus prestigieux prix américains de la bande dessinée (prix de la meilleure publication jeunesse, prix du meilleur graphisme).

Légendes de la garde T2 : Hiver 1152 de David Petersen, Gallimard, 2011. 162 pages. 20.00 euros.

L’info en plus : Pour les amateurs d’originaux, sachez que David Petersen vend sur son site certaines de ses planches. Il faut compter plus de 300 dollars (hors frais de port). Certains fans français en ont déjà acquis et ne le regrettent pas tellement son travail en noir et blanc est éblouissant. Pour découvrir les travaux encore disponibles, rendez-vous sur la page officielle de Mouse Guard.








lundi 28 février 2011

Les murs, l'usine

Derrière les murs, il y a l’usine. Le bruit assourdissant, la cadence infernale. La fatigue. La machine à café et son jus dégueulasse. Quelques copains aussi. Et de temps en temps la satisfaction d’en voir un partir en retraite, même s’il est dans un sale état. Il y a aussi les cadres, les chefs, les sous-chefs, ces trous du cul qui font semblant de vous porter une quelconque attention mais qui s’intéresse uniquement au fait que vous produisiez le nombre de pièces prévues dans la journée. A l’usine, les satisfactions sont rares. Quand la bécane tombe en rade par exemple. Mieux, si on graisse la patte du régleur avec quelques confiseries pour qu’il fasse durer les réparations, on peut gagner deux heures. Finalement, l’usine, l’idéal, ce serait de la quitter. Mais comment faire quand on a rien entre les mains, pas un diplôme ?

Un homme porte un regard désabusé sur sa condition d’ouvrier. Pas forcément en colère ni revendicatif, il constate, tout simplement. Il passe en revue quelques moments forts qui viennent bousculer le train-train comme la grève ou les journées portes ouvertes. Il s’attarde aussi sur sa vie en dehors de l’usine : une femme, qu’il n’a sans doute jamais aimée. Une maîtresse qui le comble sexuellement. Et puis l’image du père, disparu depuis peu.

Le texte de Robert Piccamiglio me parle. J’ai eu la chance de passer quelques mois à l’usine pour payer mes études. Je dis la chance car rien ne m’a donné plus envie de réussir les concours qui font aujourd’hui de moi un petit fonctionnaire satisfait du métier qu’il exerce. Je me rappelle ces réveils au milieu de la nuit pour se retrouver, à l’aube, les yeux collés, debout devant une machine qui ne vous attend pas en vous demandant comment vous aller faire pour tenir le coup pendant huit heures. Et ces ouvriers, taiseux ou expansifs, coléreux ou un brin neurasthéniques, la plupart attachants.

Loin des clichés véhiculés par les journalistes, des discours formatés des politiques et des syndicalistes, Robert Piccamiglio, qui a passé plus de trente ans à l’usine, fait découvrir au lecteur la solitude et l’angoisse de l’ouvrier. De la littérature prolétarienne comme on n’en fait plus, dans la lignée des grands anciens, Navel et Poulaille et tête.

Les murs, l’usine de Robert Piccamiglio, Éditions Alphée, 2010. 220 pages. 19,90 euros.

L’info en plus : R. Piccamiglio avait publié un premier texte intitulé Chroniques des années d’usine aux éditions Albin Michel en 2002. La quatrième de couverture se passe de tout commentaire : La pluie et le froid du petit matin, l'odeur entêtante de la machine à café, la lenteur du jour ouvrable, l'attente du week-end et des congés, les photos de filles à poil que l'on regarde pour penser à autre chose... L'usine dont nous parle Robert Piccamiglio n'est pas celle des journalistes, des sociologues ou des patrons, ni même celle des "travailleurs", comme disent les leaders syndicaux. C'est un espace immense et hostile qui dévore le tiers de la vie d'un homme, une zone de bruit, d'angoisse et d'ennui, où il va falloir chaque jour se battre, attendre, rêver peut-être... Ces pages de solitude, de révolte, de secrète affection aussi, évoquent un monde totalement inconnu de la plupart d'entre nous. Parce qu'il n'arrive presque jamais, à cause du bourdonnement des machines et de la fatigue, qu'un ouvrier devienne écrivain.

vendredi 25 février 2011

Messire Dimitri

Yvette et Jules les poulets partent pour la première fois en vacances au bord de la mer. Une fois arrivés sur la plage, les consignes de la petite fermière sont claires : « Je ne veux voir personne s’éloigner de la plage, on ne va pas dans les rochers et, quand on n’a plus pied dans l’eau, on fait demi-tour et on revient… ». Mais Yvette et Jules vont désobéir et franchir les rochers pour trouver des coquillages. Quand la marée remonte, les petits poulets se retrouvent coincés par les flots. Ils devront leur salut à un albatros et à une baleine chanteuse…

A travers une histoire toute simple, Isabelle Bonameau embarque ses lecteurs dans une balade au long cours qui devrait les ravir. Ces poulets désobéissants sont accueillis avec une rare bienveillance par Dimitri, la baleine au grand cœur. Cette dernière symbolise le ventre maternel douillet et protecteur dans lequel rien ne peut arriver. Solidarité, entraide et gentillesse, voila en filigrane les thématiques abordées par ce petit texte.

Un titre idéal pour les enfants qui commencent à lire tout seul. La différence entre les dialogues et la narration est bien marquée tandis que l’interligne et la taille des caractères sont parfaitement adaptés. Un bémol toutefois, les nombreuses césures de mots en fin de ligne peuvent constituer un handicap pour ceux qui éprouvent encore quelques difficultés de déchiffrage.

Quoi qu’il en soit, les aventures maritimes d’Yvette et Jules devraient à n’en pas douter combler les amateurs de grand large.

Messire Dimitri d’Isabelle Bonameau, L’école des loisirs, 2011. 46 pages. 7,50 euros. A partir de 6 ans si on aime lire tout seul.



L’info en plus : Messire Dimitri est la troisième aventure des jumeaux Yvette et Jules. Les deux précédents, intitulés Le loup qui mangeait des bêtises et La soupe aux fraises sont parus respectivement en 2000 et 2007.

mercredi 23 février 2011

Tous à Matha T1 et T2

1967. Antoine a 16 ans, va au lycée et vit en région parisienne. Guitariste dans un groupe de copains, il voudrait aller camper avec eux sur l’île d’Oléron. Sachant pertinemment que ses parents ne le laisseront jamais partir seul, il les convainc de passer quelques semaines sur l’île dans une cabane appartenant à son oncle. Mais à peine arrivé sur place, Antoine les abandonne et file au camping. Il va y passer le plus bel été de sa vie avec Christelle, son premier amour.

Jean-Claude Denis revient avec un soupçon de nostalgie sur un moment clé de sa jeunesse. Un récit initiatique ou l’ado se construit, entre rejet de la figure parentale, désir de liberté et questionnement sur son avenir. Et puis, bien sûr, il y a les premiers émois, encore bien chastes et fort éloignés de la révolution sexuelle des années 70.

L’auteur revendique le coté anodin, banal, de ces souvenirs. Il dévoile son histoire par petites touches successives, un peu à la manière des impressionnistes. Chanter autour d’un feu, partager quelques moments d’intimité avec sa bienaimée, affronter les jeunes autochtones qui veulent se payer les parigots… Les scénettes se succèdent et tracent au final un tableau tout en simplicité.

Graphiquement, Jean-Claude Denis propose une ligne claire assez classique. Son travail sur les ombres et la lumière est par contre impressionnant. Époque oblige, un gros effort est fait sur les tenues vestimentaires : chemisette, tee-shirt manches longues ou gilet noir pour les garçons, petit top, maillot de bain une pièce ou pull marine pour les filles.

Un dytique plein de nostalgie qui rappellera sans doute bien des souvenirs aux jeunes retraités actuels. Une période charnière de la France du 20ème siècle, entre insouciance des trente glorieuses et bouleversements sociaux à venir.

Tous à Matha T1 de Jean-Claude Denis, Éditions Futuropolis, 2010. 64 pages. 16.00 euros.
Tous à Matha T2 de Jean-Claude Denis, Éditions Futuropolis, 2011. 64 pages. 16.00 euros.


L’info en plus : Fin mars 2011 paraîtra chez Drugstore L’ombre aux tableaux et autres histoires, recueil de 3 albums parus à l'aube des années 90 dans lesquels JC Denis porte un regard lucide et tendre sur le monde qui l’entoure.





lundi 21 février 2011

Danses de guerre

Un homme surprend un cambrioleur et la situation vire au drame. Un autre, persuadé d’être gravement malade, repense aux derniers jours de son père. Le fils d’un sénateur participe à une agression homophobe un soir de beuverie. Un apprenti journaliste doit rédiger sa première nécrologie… Six nouvelles en tout, entrecoupées de poèmes et d’aphorismes. Autant de variations sur des relations humaines compliquées où l’affrontement n’est jamais très loin.

Cela me fait mal au ventre de le reconnaître mais ce recueil de l’immense Sherman Alexie m’a déçu. Pour la toute première fois je ne referme pas un ouvrage de cet auteur en me disant qu’il a une fois de plus fait preuve d’un exceptionnel talent. Il y a eu Indian Blues et Indian Killer, ses chefs-d’œuvre. Il y a eu Phoenix Arizona, La vie aux trousses et Dix petits indiens, des recueils de nouvelles éblouissants. Et puis il y a eu Le premier qui pleure a perdu, le plus fabuleux roman de littérature jeunesse que j’ai lu ces dix dernières années. Mais là, avec ces Danses de guerre, la magie n’opère pas. Un manque de liant entre chaque texte. Certains apparaissent anecdotiques (La ballade de Paul Néanmoins, Effrayante symétrie), d’autres caricaturaux (Le fils du sénateur). Et l’insertion des poèmes entre les nouvelles n’apporte aucune valeur ajoutée.

Heureusement, tout n’est pas à jeter. Il reste quelques pépites où l’on retrouve le Sherman Alexie que l’on aime. Entre humour et colère, autodérision et fulgurances littéraires. La nouvelle qui donne son titre au recueil est sans aucun doute une des meilleures que l’auteur ait écrites. Un indien y revient sur la mort de son père, à priori tout sauf un modèle pour lui. Le texte se conclut par ces phrases sublimes : « Il me manque ce salaud d’alcoolo. C’est toujours de l’homme qui m’a le plus déçu que je me sentirai le plus proche

Danses de Guerre reste quand même dans l’ensemble ma première déception concernant Sherman Alexie. Mais finalement peu importe. Il y aura toujours une place dans ma bibliothèque pour les futurs ouvrages de cet auteur considéré à juste titre comme l’un des plus talentueux de sa génération.

Danses de guerre, de Sherman Alexie, Albin Michel, 2011. 195 pages. 19,00 euros.

L’info en plus : Danses de guerre a remporté le prix Pen-Faulkner 2010, décerné par la fondation du même nom à l'auteur américain de la meilleure fiction de l’année. Au palmarès depuis 1981, quelques grands noms devenus des incontournables : Philip Roth (3 fois), TC Boyle, James Salter, Don DeLillo, Richard Ford, Michael Cunningham ou encore John Updike.

vendredi 18 février 2011

Le potager de Lili

La souricette Lili et son ami Henri cultivent des légumes toute l’année. Janvier est le mois des choux-fleurs, février celui des poireaux, mars celui des salades… Les deux souris bêchent, protègent, désherbent, arrosent ou cueillent. Enfin surtout Lili parce que Henri est plutôt un jardinier maladroit et pas très courageux. Au final, les tout-petits découvrent, dans l’ordre, tous les mois de l’année et douze des légumes les plus courants.

La malice, la joie et la bonne humeur traverse l’album. La construction est simple et répétitive : une double page par mois, quasiment aucun décor et des illustrations minimalistes mais très parlantes où chaque légume se reconnaît au premier coup d’œil. Mais ce qui rend cet ouvrage vraiment unique pour les enfants c’est que l’auteur révèle ses secrets de fabrication et notamment la technique qu’elle utilise pour représenter les légumes. Les pages de garde finales expliquent très clairement la démarche à suivre (que je ne vous révèlerais pas !) et tout le monde peut la reproduire sans problème.

Le printemps va bientôt pointer le bout de son nez. Le potager de Lili est l’album idéal pour aider les tout-petits à identifier avec plaisir les différents légumes que l’on trouve au jardin au fil des saisons.


Le potager de Lili, de Lucie Albon, édition L’élan vert, 2011. 40 pages. 10,00 euros. A partir de 2-3 ans.



L’info en plus : Le Potager de Lili est le second ouvrage mettant en scène Lili et Henri. Le premier album de ses attachantes petites souris est paru l’année dernière et il s’intitule Souris Lili.

mercredi 16 février 2011

Doggy Bags T1

Une jeune femme est pourchassée à la fin d’un concert par des loups-garous bikers. Une tueuse à gage se bat contre des yakusas avec un bébé attaché dans le dos. Dans le désert d’Arizona, un flic traque un braqueur de station service. Trois histoires totalement différentes d’une trentaine de pages chacune où le scénario se résume à une attitude où à l’expression d’un sentiment : la peur, la fuite, la vengeance, le sens du devoir…

Après Ernest et Rebecca et les Souvenirs de Mamette, l’envie m’est venue de faire le grand écart (au niveau lecture de BD pas en vrai parce que sinon je ne vous raconte pas les dégâts, mais c’est une autre histoire). Place donc à un recueil plein de sueur et de testostérone, un recueil pour les mecs, les vrais, les tatoués (pas du tout pour moi en gros).

Doggy Bags est inspiré des Double Feature, ces séances de cinéma typiques des années 70 où l’on pouvait voir deux films de série B pour le prix d’un. Les références plus récentes sont apparemment à chercher du coté de Tarantino ou de Robert Rodriguez (Kill Bill ou Machete). Je dis apparemment parce que je suis une vraie buse au niveau cinématographique et je n’ai vu aucun des films précités. Pour moi, ce recueil se rapproche plutôt des comics comme les Contes de la crypte. Quoi qu’il en soit, comme tout recueil collectif qui se respecte, Doggy Bags souffre d’une certaine inégalité qualitative. La première histoire est très faiblarde niveau scénario et est aussi vite lu qu’oubliée. La seconde propose une héroïne d’une plus grande épaisseur psychologique mais le tout est un peu trop bavard à mon goût. A noter tout de même pour les fans de Freak’s Squeele que Florent Maudoux y met en scène la mère de Petit-Panda, l’un des personnages phares de sa série fétiche. Finalement, c’est le duel dans le désert d’Arizona imaginé par Run qui justifierait presque à lui seul l’achat du fascicule. L’ambiance est sombre, crépusculaire, la violence omniprésente et la pirouette finale fort bien trouvée. Un régal !

Graphiquement, si les traits des trois auteurs sont différents, la mise en page est à chaque fois ultra dynamique avec cadrages ébouriffants et découpage sans aucun temps mort. Je ne peux m’empêcher de citer une phrase tirée de la chronique parue le mois dernier dans le mensuel Casemate qui résume l’album mieux que tout grand discours : « Oubliez les tisanes nuit-calme, Doggy Bags se lit une bière à la main ». Et surement aussi avec la bande son adéquate, à savoir un rock’n’roll crasseux et dégoulinant hurlé par Lemmy, le chanteur de Motörhead.

Vous l’aurez compris, Doggy Bags ne fait pas dans la dentelle. La maquette est particulièrement soignée avec la superbe couverture vintage, les petites publicités décalées qui ouvrent chaque récit et le poster détachable en fin d’ouvrage. L’objet est beau et agréable à prendre en main. Après, pour ce qui est du contenu, disons qu’il s’adresse à des lecteurs avertis. Un projet éditorial original en tout cas qui mérite que l’on s’y attarde pour peu que l’on aime la BD dans toute sa diversité.

Doggy Bags T1 de Run, Maudoux et Singelin, Éditions Ankama, 2011. 112 pages. 13.90 euros.

Guillaume Singelin

Florent Maudoux

Mort ou vif, de Run

L’info en plus : Un second volume de Doggy Bags devrait paraître en septembre. Une parution semestrielle qui devrait être pérennisée si le succès est au rendez-vous. Affaire à suivre donc…




lundi 14 février 2011

La ballade de Gueule-tranchée


« Un nouveau-né apparu en ville, c’est le diable qui parle, maman doit le noyer. »

Ainsi commença la vie d’Early Taggart, dans un coin paumé de la Virginie Occidentale, en 1903. Une mère illuminée qui pense avoir enfanté un démon et décide de le baptiser en plein hiver dans les eaux d’une rivière gelée. Le nourrisson s’en sort miraculeusement mais il gardera à jamais les stigmates de cet acte de maltraitance. En effet, suite à ce terrible plongeon, le bébé développe une infection majeure au niveau de la bouche et des gencives qui lui vaudra le surnom de Gueule-Tranchée. Quand sa mère est arrêtée puis internée, l’enfant est recueilli par une bouilleuse de cru et grandit dans une maison nichée au pied des montagnes. Très vite, il développe des dons particuliers pour l’escalade et le maniement de la fronde. Devenu adolescent, il s’engage auprès des syndicats de cette région minière dans le conflit qui oppose ouvriers et patrons. Ses talents de tireur d’élite feront de lui un assassin qui, pour échapper aux poursuites, va se cacher pendant 25 ans dans la montagne.

Entre 1946 et 1961, revenu à la civilisation, Gueule-Tranchée devient successivement bluesman puis journaliste, couvrant notamment la campagne électorale de Kennedy dans sa région natale. Puis ce fut un retour à la vie sauvage pendant près de 30 ans, jusqu’au début des années 90…

Par où commencer pour vous présenter La ballade de Gueule-Tranchée ? Peut-être par le petit bout de la lorgnette avec le nom du traducteur. Il s’agit de Brice Mathieussent, ce qui, pour moi, est déjà un gage de qualité. Le monsieur est en effet, entre autres, le traducteur de John Fante, ce qui n’est vraiment pas rien. Mais bon, heureusement, le roman ne se limite pas à l’excellence de sa traduction. La vie d’Early Taggart, c’est de la littérature américaine pur sucre, pleine de souffle et d’énergie. L’écriture est fluide, les dialogues ciselés, les descriptions précises, la galerie de personnages inoubliable, bref tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce texte un petit bijou.

Bien sûr, l’auteur en fait trop avec ce centenaire capable de vivre totalement isolé dans une cabane à flanc de montagne. Mais on se laisse berner avec délice par le coté plus qu’improbable des situations parce que ça fait du bien de lire en 2011 un récit picaresque mettant en scène un héros digne des plus grandes figures de la littérature made in USA. On pense à l’Ignatius Reilly de JK Toole, au Bandini de J. Fante ou encore à l’Edgar Mint de Brady Udall.

Rendez-vous compte, La ballade de Gueule-tranchée est un premier roman ! Loin, tellement loin de l’autofiction à la française où les auteurs passent leur temps à se regarder le trou balle, qu’il est bon de découvrir un auteur capable de lâcher la bride pour révéler de formidables talents de conteur. J’espère vraiment que Glenn Taylor rencontrera le succès qu’il mérite.

La ballade de Gueule-tranchée, de Glenn Taylor, grasset, 2011. 348 pages. 20 euros.

L’info en plus : Je profite de ce billet pour annoncer officiellement ma participation au challenge Nature Writing de Folfaerie. Pour moi, une grande partie du roman relève du Nature Writing, notamment les périodes où gueule-tranchée vit seul dans les montagnes pendant plusieurs décennies. Et puis le récit, qui traverse le 20ème siècle, aborde la question de l’exploitation des ressources minières de la Virginie Occidentale qui a conduit à l’arasement des montagnes pour permettre la création de mines à ciel ouvert, ce qui a défiguré le paysage et entraîné la disparition d’une grande partie de la faune et de la flore. Bref, la Ballade de Gueule-tranchée peut tout à fait s’inscrire dans la tradition du Nature Writing même s’il ne se résume pas qu’à cela. Il représentera en tout cas ma première participation au challenge de Folfaerie.


samedi 12 février 2011

Concours Ernest et Rebecca : les résultats


Le concours s’est terminé hier soir et les 3 gagnants sont connus.

Il y a eu 35 participants et 33 ont correctement répondu.

Afin de réaliser le tirage au sort le plus neutre et le plus équitable possible, j’ai de nouveau utilisé le logiciel The Hat. Ci-dessous la liste des participants (je précise une fois de plus que le Jérôme de la liste, ce n'est évidemment pas moi !). Je réalise le tirage en une seule fois et je capture les écrans à chaque fois qu'un nom s'ajoute à la liste.


Avant de donner le verdict, voici d’abord les bonnes réponses aux 3 questions :

Le personnage ci-dessous est le héros d'une série de Strips publiés par Guillaume Bianco dans les suppléments du journal Spirou. Quel est son nom ?

a) Gloupik
b) Hot Dog
c) Epictète

Comment s'appelle le médecin souffre-douleur de Rebecca ?

a) Dr Mamour
b) Dr House
c) Dr Fakbert

Dans le troisième tome de la série qui vient de sortir, Rebecca passe ses vacances chez ses grands parents, Pépé Bestiole et Mémé...

a) Tambouille
b) Débrouille
c) Gribouille

Et maintenant, roulement de tambour… Les trois gagnantes sont :


La méga super gagnante qui repart avec le "coffret ultime collector de la mort qui tue regroupant les deux premiers volumes de la série et qu'on ne trouve plus en librairie tellement il est définitivement épuisé" est...


La seconde gagnante qui se voit attribuer le premier tome de la série se nomme...


Et la troisième et dernière gagnante qui remporte exactement le même lot que la gagnante n°2 se nomme...



Un grand bravo aux trois gagnantes, un grand merci à tous les participants et rendez-vous au mois de mars pour un nouveau concours !

PS : les gagnantes sont priées de me contacter par mèl pour me laisser leurs coordonnées et me préciser si je peux envoyer les BD dès la semaine prochaine ou si, vacances obligent, elles préfèrent que j'attende avant de faire partir leur lot.


















vendredi 11 février 2011

Gaspard le Léopard : Alors qui c’est le plus beau ?

Gaspard le Léopard est amoureux. Aujourd’hui, il a décidé d’inviter Léa pour une petite balade. Mais que voit-il en s’approchant de la belle gazelle ? L’affreux lion Léon est déjà en train de lui faire la cour. D’abord abattu, Gaspard se ressaisit et va voir ses amis pour trouver une solution. Mais chacun a un point de vue différent sur ce que les filles adooooorent chez les garçons : pour Marcel le Rhino, il faut être un sportif accompli ; pour Bob l’éléphant, il faut manger comme quatre car les filles adorent les gros nounours ; pour Théo le zèbre, c’est le look qui prime ; pour Ferdinand le singe, rien ne vaut l’humour alors que pour Jack le vautour, il faut surtout leur en mettre plein la vue. Dépité, Gaspard est sur le point d’abandonner. Mais il n’est pas dit qu’un Léopard va se laisser marcher sur les pieds par un lion…

Illustration pleine page, planche de BD, découpage « cartoonesque », mélange de récitatifs et de bulles…. La mise en page de ce petit livre est tout sauf répétitive et donne au récit un coté survitaminé des plus agréables. Les dialogues sont drôles et percutants et les dessins jouent énormément sur les mouvements et les expressions des visages.

Moderne. Voila sans doute l’adjectif le plus juste pour qualifier cette série de la collection Quelle rigolade des éditions Milan. Loin, très loin des publications jeunesse anxiogènes ou tristounettes, Gaspard le Léopard est un concentré de bonne humeur pour les lecteurs dès 7 ans.

Gaspard le Léopard : Alors qui c’est le plus beau ? de Gérard Mocomble et Éric Gasté, édition Milan Poche Benjamin, 2010. 40 pages. 5,90 euros. A partir de 7 ans.

Planche de BD

Découpage cartoonesque

Illustration pleine page


L’info en plus : La série Gaspard le Léopard compte actuellement 5 titres. Un sixième volume intitulé Un pingouin dans la savane devrait sortir fin mars 2011.

mercredi 9 février 2011

Les souvenirs de Mamette T2 : Le chemin des écoliers

En cette fin d’été 1935, Marinette reçoit une lettre de sa mère. Cette dernière lui annonce que son père et elle se séparent et qu’elle ne pourra pas venir la chercher comme prévu avant la rentrée des classes. Condamnée à rester à la campagne chez Pépé et Mémé pour une durée indéterminée, la petite fille prend très mal la chose, persuadée que ses parents ne veulent plus d’elle. Elle s’enfuit et se perd dans la forêt. Recueillie par Jeannot, elle finit la nuit dans sa cabane au fond des bois. Lorsque son grand père la récupère le lendemain, Marinette passe un sale quart d’heure. La fin des vacances se déroule un peu mieux, surtout grâce à Jacques, ce sale garnement avec qui elle vit de délicieuses journées.

Le 30 septembre, c’est la rentrée. Marinette découvre son institutrice, Mme Chignolle. Vraie peau de vache, elle éduque ses élèves à la dure et les lignes à recopier se multiplient à la moindre petite incartade. Ainsi commence le premier automne à la campagne de la petite fille. Entre les travaux de la ferme, le trajet vers l’école et les devoirs, la fatigue s’accumule et les jours passent à la vitesse grand V. Heureusement qu’il y a le facétieux Jacques pour offrir quelques moments de liberté dans ce difficile quotidien…

Ah, quelle bonne idée a eu Nob en imaginant la jeunesse de Mamette ! Son héroïne a un petit quelque chose de Tom Sawyer (et Jacques a tout de Huck !) et ses aventures dégagent un charme inimitable. Ce second tome est peut-être un peu moins léger que le premier, même si l’on ne s’enfonce pas non plus dans une terrible noirceur. Disons que Marinette découvre simplement la vraie vie avec son alternance de moments difficiles et d’autres plus joyeux.

Graphiquement, c’est le franco belge « à gros nez » que j’adore. Les couleurs sont superbes et suivent parfaitement la transformation des paysages de campagne entre l’été et les premières feuilles mortes. Et que dire des magnifiques illustrations pleine page ou des séquences sans texte, toujours aussi sublimes (aussi parlantes, devrais-je dire !). Sans oublier les trois dernières planches où, comme dans le premier volume, la Mamette octogénaire apparaît pour donner encore plus de relief à l’ensemble.

Bref, c’est un vrai régal, surtout si l’on enchaîne la lecture des deux tomes à la suite. Un troisième volume devrait boucler le premier cycle des souvenirs de Mamette. L’attente va être longue…

Les souvenirs de Mamette T2 : Le chemin des écoliers de Nob, Édition Glénat, 2011. 88 pages. 9.95 euros.


C'est beau, non ?

L’info en plus : En 2006, Nob a créé une nouvelle série pour le magazine Dlire. Destinée aux enfants dès 8-9 ans, Mon ami Grompf raconte l’histoire d’Arthur, un garçon ayant pour animal de compagnie un Yéti. C’est tendre, drôle, tout en finesse, fort bien dessiné… Le sixième tome est paru en septembre 2010. A découvrir d’urgence !








lundi 7 février 2011

Les Mendiants des mers, tome 1 : Le Sceau de Ran

A l’aube de ses 16 ans, Rol Cortishane est chassé de l’île sur laquelle il a grandi par des villageois qui accusent sa famille de sorcellerie. Juste avant de mourir, son grand père lui ordonne de se rendre à Ascari pour trouver refuge auprès du mage Psellos. Prenant la mer en pleine nuit sur une embarcation de fortune, Rol parvient à rejoindre Ascari. Accueilli dans la tour de Psellos par la belle Rowen, il devient domestique au service de celui que son grand père lui a recommandé. Formé par Rowen à l’art des assassins, il découvre que le sang qui coule dans ses veines est celui de Ceux d’Avant, des créatures très anciennes considérées par certains comme des anges déchus. Ce lourd héritage va conduire le jeune homme à s’exiler sur les mers pour tenter de laisser derrière lui un passé qu’il veut oublier.

Le sceau de Ran, c’est de la fantasy ultra classique, même si le texte a la particularité de se composer de deux parties très distinctes. La première ressemble à un roman d’initiation : Ran découvre un nouvel environnement, vit ses premiers émois sexuels, tombe amoureux, prend conscience de ses capacités particulières et du destin extraordinaire qui l’attend. C’est la partie qui a le plus de profondeur. Le héros doute et se construit, la description de la vie et du fonctionnement politique d’Ascari permet de mieux appréhender la richesse de l’univers présenté et les personnages secondaires de Rowen et Psellos sont assez fascinants. Dans la seconde moitié du roman, l’intrigue devient uniquement de l’aventure au long cours avec succession d’affrontements sur terre et sur mer et enchaînement d’événements plus trépidants les uns que les autres. Du pur divertissement, sans autre véritable prétention.

Un texte à la construction originale donc, qui se lit d’une traite. Rien de révolutionnaire certes, mais du travail bien fait. L’auteur connaît sur le bout des doigts l’univers maritime et le récit est truffé de termes de marine plus techniques les uns que les autres. Personnellement, cela ne m’a pas gêné le moins du monde, même si je n’y connais strictement rien en vocabulaire marin. Le seul souci, dans la seconde partie, concerne le coté « superhéroïque » de Rol. Dès que la situation devient désespérée il se transforme en une sorte de « Hulk » invincible. Limite ridicule, cela enlève tout intérêt aux combats. Le héros n’est pas suffisamment fragile, il souffre à peine à la fin de la bataille et l’on sait que rien ne peut lui arriver grâce à son super pouvoir. Difficile, dans ces conditions, de développer une quelconque empathie pour un tel personnage lorsque l’on ce rend compte que finalement rien de bien méchant ne peut lui arriver.

Reste que ce premier tome laisse présager d’intéressants développements par la suite. Les retrouvailles avec Rowen s’annoncent sulfureuses et les affrontements avec les bionariens devraient se multiplier. Une saga de fantasy à découvrir donc, même si le second volume n’est pas encore prévu en France.

Les mendiants des mers T1 : le sceau de Ran, de Paul Kearney, Le Livre de Poche, 2010. 426 pages. 6.95 euros.

L’info en plus : Au départ, Les mendiants des mers devaient compter quatre tomes, mais après la publication du second, l’éditeur anglo-saxon a décidé d’arrêter la série alors que le troisième volume était entièrement rédigé. Comme depuis Paul Kearns a attaqué une nouvelle saga intitulée The Macht, il y a fort à parier que l’on ne connaisse jamais le fin mot des aventures de Rol Cortishane.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et le Livre de Poche. Merci à eux !

vendredi 4 février 2011

Mon papi

Ah, ce Papi ! Heureusement qu’il est là. Quand je perds mon doudou ou mon livre préféré, c’est à lui que je peux confier mon chagrin. Le jour où j’ai fait percer mes oreilles, c’est lui qui m’a accompagné et a chanté une berceuse pour calmer ma douleur. Et quand ma première dent est tombée, il n’y a que lui qui a pu m’approcher et me rassurer. Papi, il vivait tout seul dans une grande maison avec son chien Biscotte. Mais il a dû déménager dans un endroit bien particulier où il y a plein de gens de son âge. Et là, c’est lui qui est devenu inconsolable, loin de sa maison et surtout de son chien. J’ai beau lui rendre visite tous les jours, impossible de le consoler, Papi ne sera plus jamais le même…

Y-a-t-il des albums de littérature jeunesse qui peuvent faire pleurer les enfants ? Si vous pensez que la réponse est non, lisez-donc celui-là et on en reparle après. En fait, la question à se poser concerne plus le sens de la démarche des auteurs. Le pire serait de tomber gratuitement dans le pathos le plus dégoulinant. Ici, il me semble que ce n’est pas le cas, même si on en n’est pas loin. Le but est plus de faire comprendre à l’enfant que rien n’est immuable, qu’avec le temps qui passe notre entourage et notre environnement le plus proche peut vite être bouleversé. Papi ne meurt pas mais sont état ne lui permet plus de rester chez lui. Cette situation est terrible, triste mais sans doute aussi inéluctable. C’est tout à la fois le problème de la dépendance et de la façon dont on traite la vieillesse dans nos pays occidentaux qui est abordé en filigrane.

Pour être honnête, si je trouve le texte touchant, je reste totalement hermétique face aux illustrations. Elles sont certes très évocatrices de la tendresse et de la douleur partagées par le grand père et sa petite fille mais je n’accroche pas du tout à ces collages où mouvements des personnages et proportions sont trop "biscornus". C’est un avis tout ce qu’il y a de plus personnel et je ne doute pas qu’il y ait des amateurs pour ce genre de traitement graphique si particulier.

On ne tombe pas tous les jours sur un album dont le l’histoire peut remuer grands et petits. Après, c’est une affaire de sensibilité. Je l’ai lu à ma fille de 5 ans qui va plusieurs fois par mois voir son arrière grand-mère à la maison de retraite. Sa première réflexion à la fin de la lecture a été de me dire : « Dis donc papa, qu’est-ce qu’ils pleurent les gens dans ton livre ».

J’aimerais beaucoup avoir d’autres avis concernant cet album. Malheureusement, il semble indisponible chez l’éditeur depuis quelques semaines. En attendant une éventuelle réimpression, espérons qu’il soit facilement trouvable en bibliothèque.

Mon papi, de David Bouchard et Josée Bisaillon, Les 400 coups, 2009. 32 pages. 13,90 euros. A partir de 5 ans.

L’info en plus : Mon papi fait partie de la sélection du prix Chronos 2011, catégorie maternelle. Ce prix, créé en 1996 par la Fondation Nationale de Gérontologie, propose aux participants de lire des ouvrages ayant pour thème les relations entre les générations, la transmission du savoir, le parcours de vie, la vieillesse et la mort. Plus d’infos sur le site du prix : http://www.prix-chronos.org/index.htm