Drôle de société que celle imaginée par Ugo Bienvenu. Une
société qui, pour permettre à la population de publier ses vidéos et photos sur
les réseaux sociaux, doit effacer les traces du monde d’avant. Films, livres,
musique, tout y passe tant que ça libère de l’espace disponible pour les
nouvelles données personnelles. Et si les « sages » décidant du sort
des œuvres ont sauvé de justesse les romans de Victor Hugo, ils n’ont eu aucune
pitié pour Rimbaud, Kubrick ou Céline Dion. Dans ce futur s’affranchissant de
la culture du passé tout est triste, gris, aseptisé. Un avenir proche glaçant et finalement pas si irréaliste que cela.
Après Paiement accepté, Ugo Bienvenu aborde à nouveau la
question de la transmission. Son message d’apparence pessimiste n’est pourtant
pas sans espoir. La partie « urbaine » de l’album est aussi froide qu’anxiogène alors que les événements se passant à la campagne
offrent une bouffée d’air frais bienvenue. Et paradoxalement, c’est au moment
où le robot est au centre du récit que ce dernier devient plus chaleureux, plus
humain.
Graphiquement, la référence à Charles Burns saute aux yeux.
Le trait hyperréaliste est parfois trop statique dans la représentation des
personnages mais les décors et les accessoires possèdent un design rétro-futuriste
vraiment stylé. Au final, on aurait tort de voir dans cette fable sur la
transmission et la filiation un message simpliste et un peu cucul jouant sur l’opposition
entre la nature et la technologie. La réflexion est bien plus profonde, elle
interroge notre rapport aux données stockées et partagées, à l’immédiateté qui
prend le pas sur l’intemporel, au contenu du quotidien qui, bientôt, chassera
les œuvres et les créations du passé. Un album en tout point abouti, qui mérite
grandement le Grand Prix de la critique ACBD 2020 remporté il y a quelques
jours.
Préférence système d’Hugo Bienvenu. Denoël Graphic, 2020.
170 pages. 23,00 euros.