Au départ, cet album ne semble être qu’une succession de nouvelles, plus noires les unes que les autres. Sauf que d’une histoire à l’autre on retrouve quelques protagonistes, des lieux identiques, une cohérence chronologique (tout se déroule au cours de l’année 1983), des trajectoires qui se croisent et, inévitablement, se percutent. Il va de soi que l’on meurt beaucoup dans ces pages, et jamais paisiblement. Il suffit d’un grain de sable pour que le plan prévu au départ foire dans les grandes largeurs et que l’on perde le contrôle. La première nouvelle est à ce titre exemplaire. Deux gars avec un cadavre dans le coffre de leur bagnole doivent changer une roue, en pleine nuit, sur une route déserte. Un flic s’arrête pour leur porter secours et à partir de là, tout part en cacahuète. Pareil pour Orson, gamin naïf qui s’approche de trop près d’une fleur vénéneuse prénommée Rose. Orson, Rose, Amy la tueuse professionnelle, Nina la camée, Beth la fonceuse, Nick le couillon, Virginia la fugueuse et Lilly la vache à cinq pattes forment une galerie de personnages aussi déglingués qu’hauts en couleur.
C’est glauque, poisseux, parfois drôle, toujours pathétique, sobrement illustré par un noir et blanc au trait épais particulièrement expressif. La série compte en tout quarante épisodes et ce premier volume de près de 500 pages regroupe les quatorze premiers. Une série d’abord auto-éditée, récompensée en 1996 par l’Eisner Award du meilleur scénariste / dessinateur. Une série ovationnée par tous les amateurs de polar décapant, qui lorgne du côté de Chuck Palahniuk littérairement parlant et offre un croisement ébouriffant entre les univers cinématographiques de Tarantino et David Lynch. Rien que ça.
Un indispensable de la BD américaine indépendante dont j’attends évidemment la suite avec la plus grande impatience !
Stray Bullets de David Lapham (traduit de l’américain par Hélène Remaud-Dauniol). Delcourt, 2019. 465 pages. 34,95 euros.