Il se dit qu’Alexandre Jacob a inspiré à Maurice Leblanc son
fameux Arsène Lupin. Le garçon, anarchiste humaniste et cambrioleur des « ennemis
du peuple » qui s’amusait à laisser à ses victimes des petits mots plein d’ironie
signés Attila avait, il est vrai, le profil idéal. D’abord marin, ses voyages
autour du globe lui confirment que la réalité du monde n’est pas belle à voir.
De retour sur terre, il fréquente les milieux anarchistes, devient typographe,
est condamné une première fois à six mois de prison pour association de
malfaiteurs et se lance dès sa libération dans la cambriole, devenant rapidement
un expert en la matière avec ses camarades que la presse finira par surnommés « les
travailleurs de la nuit ». Après son arrestation à Abbeville, Jacob est
envoyé dans l’enfer du bagne de Guyane, où il restera 22 ans, de 1905 à 1927.
Typiquement le genre de personnage que j’aime. Ni Dieu ni maître,
une conscience politique assumée, des principes moraux et des idéaux auxquels
on ne déroge pas, une vie picaresque traversée par les drames et les coups
durs, Alexandre Jacob est un hors-la-loi comme on n’en fait plus. Au-delà de l’image
d’Épinal, Matz et Chemineau s’appliquent à présenter son parcours dans son
ensemble, depuis la petite enfance jusqu’au dernier souffle, ce qui permet de
mieux appréhender le cheminement qui fut le sien au fil des décennies. Vincent
et Gaël Henry s’y étaient déjà essayé l’an dernier dans un album intitulé « Alexandre
Jacob, journal d’un anarchiste cambrioleur » mais j’ai trouvé leur projet
plus brouillon, bien moins dense et bien moins abouti graphiquement.
Ici, Jacob possède
une vraie épaisseur, sa révolte, son humour et sa lucidité le
rendent attachant. Je l’ai quitté à regret cet anarchiste humaniste mais
néanmoins ravi de constater qu’il a reçu avec cette BD un hommage à la hauteur
de son destin hors-norme.
Le travailleur de la nuit de Matz et Chemineau. Rue de
Sèvres, 2017. 130 pages. 18,00 euros.