Baudouin est juriste pour une grosse boîte dans une tour de la Défense. Célibataire, sans enfant ni amis, il se tue au boulot et passe ses soirées en tête à tête avec son chat. Le retour de son frère du Bénin pour quelques semaines bouscule un peu son quotidien. Médecin dans l’humanitaire, Luc est un baroudeur, un séducteur qui brûle la chandelle par les deux bouts. Quand Baudouin apprend qu’une tumeur ne lui laisse que quelques mois à vivre, son frangin le persuade de tout plaquer pour l’accompagner en Afrique et profiter de la vie avant qu’il ne soit trop tard.
Ce pitch m’a fait tiquer. Le condamné à mort à l’existence triste qui décide de vivre enfin pleinement avant de casser sa pipe, c’est du vu et revu. En plus d’être plombant, le risque était grand d’enfiler les clichés comme des perles. D’ailleurs j’ai trouvé certains personnages plutôt caricaturaux (les parents notamment). Pour autant, mes craintes se sont assez vite évaporées. D’abord parce que Toulmé prend son temps, il déploie son histoire sur près de 300 pages, ce qui lui permet de donner une véritable épaisseur à son « héros ». En insérant de petits flashback sur l’enfance et l’adolescence de Baudouin entre chaque chapitre, il nous offre une vision bien plus large, bien plus dense de son parcours.
Ensuite parce qu’il ne simplifie pas les choses, il n’est pas non plus dans le jugement, il incite plutôt à la réflexion de manière assez universelle, au-delà de la situation particulière de son personnage, poussant le lecteur à s’interroger sur la priorité souvent donnée à la stabilité au dépend de l’épanouissement. Enfin, il ménage ses effets et surprend avec une conclusion que je n’avais pas vue venir.
Niveau dessin, j’étais en terrain connu. C’est simple et sans fioriture, la priorité étant donnée à la lisibilité. Mention spéciale aux couleurs de Valérie Sienno qui jouent sur le contraste saisissant entre le gris triste de Paris et la luminosité chaleureuse de Cotonou.
Les deux vies de Baudouin est donc un récit intelligent et malin qui ne cherche à aucun moment à faire vibrer artificiellement la corde sensible. Touchant mais jamais gnangnan (égal à lui-même en quelque sorte), l’auteur de Ce n’est pas toi que j’attendais transforme brillamment l’essai, certes en changeant de registre et en s'éloignant de l'autobiographie, mais en gardant cette petite musique si caractéristique qui n’appartient qu’à lui et que j’apprécie tant.
Les deux vies de Baudouin de Fabien Toulmé. Delcourt, 2017. 275 pages. 25,50 euros.
Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.