J’ai craint au départ les clichés sur les beaux légionnaires sentant bon le sable chaud et se tapant, le treillis sur les chevilles, une chèvre crevée au piquet depuis trois jours en chantant « Tiens, voila du boudin ». Mais il n’en est rien. Djibouti est un très beau premier roman, plein de souffle, qui se laisse parfois déborder par quelques emportements lyriques mais dont l’écriture est dans l’ensemble magnifiquement tenue. Un texte charnel qui dit la moiteur d’une ville au bord de l’asphyxie, une ville où la chaleur épouvantable écrase les êtres, où le soleil dissout les âmes. Sur cette terre désolée, on suit les errements nocturnes de soldats paumés et de putains fatiguées partageant la même solitude dans des rues où « l'ivrognerie et la tension sexuelle sont partout palpables ».
Pierre Deram décrit un monde en faillite dans lequel chacun navigue les « yeux perdus au fond d’une nuit d’ivresse ». Une indicible mélancolie face à laquelle Markus veut trouver un semblant de sens : « Toute cette désolation… je veux croire qu’il y a… tout de même… quelque chose comme la flamme d’une bougie… si fragile… vacillante… Il faut qu’il y ait cela ou alors… […] ou alors c’est le naufrage ». Ici la chair est triste, la violence partout présente et l’alcool abrutit les esprits. Les corps trempés de sueur s’affrontent pour un regard ou par simple jeu, chacun semble au bord de l’abîme, toujours plus proche d’un chaos prêt à tout emporter sur son passage.
J’ai beaucoup aimé ce texte brutal et hypnotique, sans doute parce que les nuits d’ivresse et d’abandon, les bars crasseux et les rencontres d’un soir ravivent en moi les souvenirs d’une autre vie…
Djibouti de Pierre Deram. Buchet-Chastel, 2015. 114 pages. 11,00