mardi 5 mars 2013

Le premier mardi c'est permis (14) : Dévoile-moi

Day © J'ai lu 2012
J’aurais dû savoir que le « mommy porn », ce n’était pas pour moi. Mais comme je ne veux pas mourir idiot, j’ai tenté. Pas avec 50 nuances de Grey mais avec Dévoile-moi, un autre roman qui deviendra lui aussi à n’en pas douter un classique du genre d’ici peu.

Le pitch tiendrait sur un timbre alors je vous la fais courte. Un beau mec richissime rencontre une jeune stagiaire. Ils tombent amoureux, copulent comme des bêtes et vivent une belle histoire. Quoique, les choses ne sont pas si simples, chacun cache en lui des fêlures et des traumatismes au moins aussi profonds que l’amour qui les unit (blablabla et blablabla…).

Le mâle dont on parle se prénomme Gidéon (oui je sais c’est spécial comme prénom. Ça me rappelle le canard Gédéon dans la BD de Benjamin Rabier). En gros, c’est l’homme parfait : incroyablement séduisant, incroyablement friqué, incroyablement bien monté, incroyablement bon au pieu. En fait, il se situe entre le prince charmant et le personnage de science fiction.

Soyons clairs, l’idylle de ces deux tourtereaux vivant dans les quartiers chics de New York et navigant d’apparts sublimes en soirées fastueuses n’a strictement aucun intérêt (de mon point de vue du moins). Heureusement qu’il y a quelques scènes vraiment hot pour pimenter le tout. Je crois que c’est le coté « romance » que je ne supporte pas. Normal me direz-vous, c’est du « mommy porn », pas du « daddy porn ». Disons que j’ai lu ce bouquin comme je regarde un film de Marc Dorcel, c'est-à-dire en appuyant constamment sur la touche avance rapide de la télécommande pour me concentrer sur les moments les plus croustillants (oui, « concentrer », c’est le mot juste).

Je crois que le problème majeur tient au fait que le narrateur est une narratrice. Son récit à la première personne nous apprend que les biceps de Gidéon sont d’une « dureté minérale », que son abdomen est « aussi rigide qu’une planche », que ses épaules sont larges, ses hanches étroites, etc. Et encore je ne vous parle pas de sa voix, de ses yeux ou encore de la taille de son sexe… C’est bien joli tout ça mais elle ressemble à quoi Eva ? Tout juste apprend-on qu’elle est blonde et que ses seins sont lourds. Un peu léger pour se faire une idée. Vous me direz, on s’en tape de son physique quand on est une lectrice hétérosexuelle. Pas faux, je m’incline.

On est donc ici face un texte écrit par une femme pour les femmes. Il faut décidément tout compartimenter de nos jours. Après la Chick Lit et la Bit Lit, nous voici avec un nouveau genre. La chercheuse Françoise Hache-Bissette parle de Clit Lit. Plutôt bien trouvée comme appellation. Ça me parle davantage que le « Mommy Porn » et au moins je sais avant même de commencer que ce n’est pas pour moi.  

Je préviens donc d’avance la première blogueuse qui lancera le challenge Clit Lit : je ne m'inscrirai pas ! Par contre je peux suggérer comme logo L’origine du monde de Courbet (soyons glamour jusqu’au bout).       
   

Dévoile-moi de Sylvia Day. J’ai Lu, 2012. 406 pages. 13,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’IMMENSE plaisir de partager avec Noukette. Filez-vite découvrir son avis.



lundi 4 mars 2013

Akim court - Claude K. Dubois

Claude K. Dubois © Pastel 2012
Akim joue tranquillement avec d’autres enfants au moment où les premières bombes éclatent. Le jeune garçon veut rentrer chez lui mais sa maison est détruite. Plus aucune trace de sa famille. Il trouve refuge auprès d’autres victimes des bombardements. Une femme avec un bébé le prend dans ses bras toute la nuit. Quand les soldats viennent chercher les enfants et les emmènent avec eux, c’est pour en faire leurs esclaves. Profitant d’un moment de confusion, Akim s’échappe. Il rejoint une colonne d’habitants fuyant les combats. C’est finalement dans un camp de réfugiés qu’atterrit Akim. Il y trouvera la sécurité et surtout il pourra enfin revoir sa mère.

Très bel album au format à l’italienne contant le destin d’un enfant victime de la guerre. Un destin à la fois individuel et semblable à celui de milliers d’autres. Très peu de texte, de nombreuses pages d’illustrations totalement muettes. J’aime beaucoup ce parti pris narratif. Pas besoin de mots pour décrire de tels événements, l’image se suffit à elle-même. Le dessin de Claude K. Dubois est épuré à l’extrême, proche du crayonné. Quelques touches de gris et un peu d’ocre pour seules couleurs. Les ciels délavés renforcent la tristesse ambiante. Le petit miracle final est bienvenu et donne une indispensable note d’espoir.  

Encore un album à lire, à feuilleter et à partager. Je suis content de l’avoir découvert avec mes filles. Leur silence au moment de tourner la dernière page en disait bien plus que tout autre commentaire.

Akim court de Claude K. Dubois. Pastel, 2013. 90 pages. 11,50 euros. A partir de 6 ans.

Claude K. Dubois © Pastel 2012



Cet album signe ma 1ère participation aux lectures communes
du  Prix sorcières 2013 proposées par Libfly (catégorie Albums)






vendredi 1 mars 2013

Rouge Tagada - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Bousquet et Rubini ©
Gulfstream 2013
C’est le jour de la rentrée qu’elle l’a vue pour la première fois. Toutes deux se retrouvaient dans la même classe, en 4ème D. Alex a tout de suite remarqué son allure de gazelle. Quand Layla lui a tapé sur l’épaule pour lui demander un stylo, ça l'a électrisée. Un début  de complicité est vite né entre elles, au point qu'elles sont devenues les meilleures amies du monde. Mais après les vacances de Pâques, tout a changé. Partie une semaine chez son père, Layla y a rencontré un garçon : « Trop sympa, trop mignon, trop drôle, trop cool… » Alex a eu mal au ventre, au cœur, à l’âme. Elle a eu envie « de vomir, de fuir, d’en finir, de mourir. »
  
Une très jolie BD pour ados sur le thème difficile de l’homosexualité féminine. C’est fin et sensible, entre le récit de vie et le journal intime. A l’heure où beaucoup se cherchent encore une identité sexuelle, Alex tombe amoureuse d’une camarade de classe dont elle devient la meilleure amie. Mais leurs sentiments ne sont pas réciproques, Layla préférant les garçons. Les auteurs décrivent avec intelligence le cheminement de leur relation, la naissance du désir, les aspects douloureux de cette histoire d’amour impossible.       

Le dessin et le découpage sont simples, efficaces. Les couleurs pastel donnent beaucoup de fraîcheur à l’ensemble. Et cette couverture toute rouge et douce comme une peau de pêche rend cet album délicieux à manipuler.

Une belle réussite, à lire, à faire lire, à faire aussi entrer dans les CDI de collège. Un livre précieux il me semble s’il l’on souhaite aborder intelligemment ce sujet délicat.               


Rouge Tagada de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulfstream, 2013. 68 pages. 15 euros. A partir de 12-13 ans.


Bousquet et Rubini © Gulfstream 2013


jeudi 28 février 2013

Sur les nerfs - Larry Fondation

Fondation ©
Le Livre de Poche 2013
Il y a quand même de drôles de loulous dans la littérature américaine actuelle. Des gars sortis de nulle part qui ont été ouvriers, soldats, camionneurs, bûcherons ou que sais-je encore. Des autodidactes qui racontent leur Amérique cauchemardesque et c’est pas joli à voir. Je pense à Donald Ray Pollock, à l’indien emprisonné pour meurtre Joël Williams, à Benjamin Whitmer, à Eric Miles Williamson ou encore à Frank Bill (je vous en parle tout bientôt). Larry Fondation est de la même trempe. Médiateur de rue depuis plus de 20 ans, il connaît les pires endroits de Los Angeles comme sa poche. C’est à l’évidence dans son quotidien qu’il puise son inspiration.    

Fondation, c’est un peu comme si Carver oubliait pour un temps les petites gens et allait traîner ses guêtres du coté des damnés de la terre. Dans son Los Angeles, on est loin d’Hollywood. On y trouve des crétins qui font boire de la vodka pure à un gamin de quatre ans hyperactif pour l’assommer un bon coup. Des gangs qui sortent les flingues à la moindre broutille. Dans les quartiers sinistrés, on s’occupe en tirant sur les rats au fond des caves désaffectées ou alors on se bourre la gueule en fumant du crack sur des parkings à l’abandon. 

L’écriture est minuscule, fragmentaire. Certains textes font à peine quelques lignes. De la microfiction qui vous saute à la gorge. Une juxtaposition de petites séquences formant un tout désordonné ou la violence et le désenchantement prédominent. Une peinture froide, glaciale même de ces populations misérables qui ont perdu toute humanité. Pas de jugement, aucune empathie, juste un coup de projecteur furtif sur une forme de déchéance absolue.

A bien des égards, la construction de ce recueil m’a fait penser à la dernière partie du cultissime Last Exit to Brooklyn de Selby qui s’intitule Coda : on saute de personnage en personnage, de lieux en lieux dans un périmètre très restreint. C’est électrique, sans fioriture, nerveux à souhait. Tout ce que j’aime.

Est-ce que pour autant je vous conseillerais une telle lecture ? Surement pas. Trop peur de me faire enguirlander si au final vous en concluez  que c'est trop barré ou sans queue ni tête. Moi en tout cas j’y ai trouvé mon compte.

Allez, un petit extrait pour vous mettre dans le bain. C’est une nouvelle qui a pour titre Tu veux bien ? Je la reproduis en entier (je vous ai prévenu, c'est de la microfiction):

"Il n’a pas vraiment aimé frapper le vendeur avec la crosse de son pistolet, mais il aimait le fric. Il s’était toujours dit que les magasins d’alcool devaient avoir pas mal de cash.
Il a pris le bus pour rentrer à la maison.
Elle avait les pieds sur le canapé en simili-cuir.
- J’ai braqué le magasin, il lui a dit. Tu veux bien baiser avec moi, maintenant ?
"

Sur les nerfs de Larry Fondation. Le livre de poche, 2013. 120 pages. 5,10 euros. 


mercredi 27 février 2013

Ghostopolis - Doug Tennapel

Frank Gallows est un agent de la force d’intervention de l’immigration surnaturelle.  Son boulot consiste à traquer les fantômes se dissimulant chez nous pour les renvoyer dans leur monde. Mais Gallows est un peu au bout du rouleau et a tendance à forcer sur la bouteille. Pas étonnant donc qu’au cours d’une intervention il envoie sans le faire exprès Garth, un gamin bien vivant, au royaume des morts. Viré manu-militari par son patron, Gallows décide néanmoins d’aller lui-même rechercher Garth à ses risques et périls. Pendant ce temps le jeune garçon découvre les joies de Ghostopolis, la ville des fantômes, où un mystérieux tyran fait régner la terreur...

Un billet un peu particulier aujourd’hui puisque ma comparse préférée en matière de BD (à savoir Mo’) m'a proposé de réaliser une lecture commune vraiment commune. Kesaco ? Et bien au lieu de donner notre avis chacun dans notre coin, on les regroupe dans un seul et même billet. Un peu d’indulgence, c’est une première tentative. En tout cas l’exercice m’a beaucoup plu. Il faut pas mal d’échanges pour arriver à un résultat correct mais c’est aussi tout l’intérêt de la chose. Merci pour cette lecture commune vraiment commune Mo’, ce fut un plaisir. On recommence quand tu veux^^

Ma courtoisie légendaire m’impose de laisser en premier la parole à ma partenaire :

Mo’ :
Tout d’abord, j’ai vite plongé dans l’histoire. Découvrant progressivement Garth, puis Franck… puis Garth… ces deux personnages aussi différents que complémentaires ont de suite eu ma sympathie. La maladie incurable de Garth titille notre empathie, le côté looser paresseux de Franck nous fait comprendre que nous n’avons rien à craindre de ce gars-là.
Le rythme narratif est pourtant assez linéaire. Outre quelques passages qui orientent radicalement l’intrigue dans une nouvelle direction, l’action n’est pas (pour moi) le point fort de cet album. Il se situerait plutôt du côté de la construction des deux personnages principaux ; c’est à eux que les clés de compréhension de Ghostopolis sont données (un monde qui a ses codes, ses règles, son histoire… sa prophétie !). Doug TenNapel soigne donc leur présentation ainsi que celle des personnages secondaires que l’on prend le temps d’accueillir (qui est-il ? que fait-il ? que veut-il ?...). Le lecteur dispose donc en permanence de toutes les cartes pour se repérer dans cet univers fantastique. De même, l’auteur n’hésite pas à casser son rythme narratif lorsqu'il s’emballe, donnant ainsi l'opportunité à ses « créatures de papier » d’analyser la situation et d’inventer un plan d’action. Doug TenNapel jongle en permanence avec le comique de situation qui, outre le fait de faire rire, dédramatise la situation et ouvre cet album à un large lectorat. Loin d’être alambiqué, le scénario emmène donc le lecteur dans un monde qui lui semblera à la fois étranger (on y côtoie momies, squelettes, fées, loup-garou, gobelins…) et familier (ceux qui l’habitent reproduisent en partie les règles du monde des vivants). Quelques clins d’œil épicent la lecture, à l’instar de cette référence à la Genèse où il est dit que Dieu créa la Terre en six jours et il s’est reposé le septième… dans Ghostopolis, le grand architecte de ce monde imaginaire se nomme Joe, « il a posé chaque brique de Ghostopolis pour que les fantômes aient un endroit pour vivre. Certains disent qu’il lui a fallu six jours pour tout construire, d’autres parlent d’un milliard d’années… ». D’autres références sont à relever (peut-être) comme la présence des sept royaumes de Ghostopolis qui pourraient être une allusion aux sept rois de Rome, ou à l’Apocalypse « Les sept étoiles sont les anges des sept Eglises et les sept candélabres sont les sept Eglises ») voire des Sept royaumes de Cinda Williams Chima voire… rien de tout cela, le chiffres sept n’est certainement que le fruit du hasard (bien que certains articles me fassent penser le contraire : ici, ici et de manière fréquente sur son autre blog).

Pure fiction ? Simple coïncidence avec les textes du Nouveau testament ? Jérôme, comment as-tu perçu cette histoire et son intrigue ? Quels effets ont-elles eu sur toi ?

Jérôme :
J’avoue que j’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’album. Les univers fantastiques, c’est pas vraiment mon truc. Après, j’ai aimé les différentes figures qui composent le royaume des ténèbres. Squelettes, momies, fantômes, gobelins, etc, c’est plutôt bien trouvé et c’est parlant pour le lectorat, quel que soit son âge. Contrairement à toi je n’ai pas vu les références au nouveau testament (mon inculture en matière de religion est affligeante !) mais j’ai apprécié  le fait que le grand architecte de ce monde imaginaire soit un géant noir. S’il avait été une géante noire, cela aurait été encore mieux de mon point de vue mais c’est déjà une trouvaille originale et qui sort des sentiers battus.
Après, l’intrigue en elle-même ne m’a pas passionné. Une mission d’exfiltration assez classique finalement, tout comme l’affrontement final entre Garth et Vaugner qui m’a rappelé certains combats de Godzilla. Le grand méchant de l’histoire manque par ailleurs singulièrement d’épaisseur. Pas assez retors à mon goût ce gros vilain ! Même le personnage de Garth m’a paru assez fade. Finalement, Frank Gallows est de loin celui que j’ai préféré : paresseux, aigri, alcoolique, de mauvaise foi, avec une bonne dose d’humour souvent grinçant, c’est tout ce que j’aime. L’autre personnage qui m’a bien plu est le roi des squelettes. Ses aspirations à fuir les mondanités dues à son rang, sa volonté de vivre l’aventure par lui-même et ses blagues souvent foireuses apportent beaucoup de fraîcheur. Donc pour moi les personnages secondaires sont plus intéressants que l’histoire en elle-même.

Et ce n’est pas la première fois que nos ressentis sont radicalement opposés !! Et côté dessins… Mo’ ?

Mo’ :
Le graphisme quant à lui est on ne peut plus ludique même si effectivement, ce n’est pas ce qui se fait de plus beau en la matière. Une ambiance visuelle en noir et blanc aurait certainement mieux servi cet univers graphique (comme en témoignent les planches originales que l’on voit dans cette vidéo). Les couleurs sont parfois très appuyées, ce qui égaye l’univers et donne une touche récréative aux événements qui ont lieu. Là encore, j’imagine que la présence de la couleur a la même utilité que le comique de situation utilisé dans la narration : permettre à cet album de disposer d’un large lectorat. Je pense que petits et grands pourront parfaitement se saisir de cette aventure. Je ne pourrais lui reprocher que l’absence d’aplats qui impose un univers en 2D qui m’a parfois laissée sur ma faim, d’autant que les fonds de cases sont souvent négligés.

Cependant, j’imagine aisément que mon compagnon de lecture commune (Jérôme) n’a peut-être pas savouré cette déferlante de couleurs artificielles…. Jérôme ?

Jérôme :
Euh, il faut vraiment que l’on parle des couleurs ? Quand je regarde le générique  en première page et que je vois deux coloristes et huit assistants coloristes, je me dis qu’il faut s’attendre au pire ! Et en effet, c’est pas joli-joli. Des couleurs tellement froides, tellement « assistées par ordinateur » qu’elles perdent toute leur saveur. Si au moins elles avaient été utilisées à bon escient pour combler par endroit la pauvreté des décors, elles auraient servi à quelque chose mais ce n’est pas le cas. Parce que pour le coup il ne s’est pas foulé à ce niveau-là Mr TenNapel. Une profusion de gros plans pour cacher la misère et lors des scènes de combat ou de poursuites, rien d’autres que les protagonistes et quelques traits pour souligner le mouvement. La ville des fantômes aurait mérité plus de détails architecturaux, c’est incontestable.
Niveau dessin, l’encrage épais n’est pas pour me déplaire et j’ai souvent trouvé quelques comparaisons avec le travail de Frederik Peeters dans Koma (en moins bien quand même). Le découpage est quant à lui intelligent avec l’alternance entre des scènes « mouvementées » dans lesquelles TenNapel est très à l’aise et d’autres plus calmes, souvent teintées d’une jolie émotion.

Au final c’est pour moi du bon divertissement, pas l’album du siècle mais une lecture très agréable et réellement tout public, ce qui n’est pas si courant de nos jours.

Une lecture que nous partageons avec Mango




Les chroniques : David, Choco, Joëlle.


Tennapel © Milady 2012

mardi 26 février 2013

La servante et le catcheur - Horacio Castellanos Moya

Castellanos Moya
© Métailié 2013
Après un détour (réussi) par le roman d’amour adolescent, je replonge les mains dans le cambouis avec un récit se déroulant au Salvador pendant la guerre civile.

Le viking, une ancienne star locale du catch, fait partie des escadrons de la mort. Avec ses acolytes, il embarque, torture et fait disparaître sans aucun discernement un nombre incalculable d’opposants au régime. Des étudiants, des « communistes » et tous ceux qui leur apportent une aide quelconque, même les médecins qui tentent de les soigner lorsqu’ils sont blessés suite à des affrontements avec la police. Depuis peu les éléments subversifs multiplient les actes anti-régime, de la manifestation qui dégénère en guérilla urbaine à l’attentat terroriste. Dans ce chaos permanent, la vieille servante Maria Elena tente de survivre. Elle habite avec sa fille, une infirmière qui vient de trouver une place en or à l’hôpital militaire dirigé par le gouvernement, et son petit fils, entré depuis peu dans la clandestinité. Maria Elena et le Viking se connaissent depuis longtemps. Parce que ses nouveaux patrons viennent de subitement disparaître, elle demande à l’ancien catcheur s’il peut leur venir en aide. Mais une fois que les prisonniers sont amenés dans les cachots du Palais noir, il n’y a plus rien à faire pour eux. Seules l’horreur et la mort les attendent...

Horacio Castellanos Moya plonge au cœur de la terreur. Il tisse avec une diabolique précision le canevas d’une implacable dramaturgie. Une danse macabre où la violence est omniprésente. Alternant les points de vue (celui du viking puis celui de la servante, du petit fils révolutionnaire et enfin de sa mère), l’auteur déroule un style neutre et indirect, d’une froideur clinique. Il n’omet aucun détail, même le plus sordide. Tout est net, précis, nerveux, tranchant comme une lame. Un sens de la tragédie où chaque maillon s’imbrique jusqu’à l’inéluctable dénouement.   

Un roman qui secoue furieusement, qui projette le lecteur au beau milieu d’une guerre civile, à la fois du coté des militaires et des insurgés. Âpre, corsé, brûlant, La servante et le catcheur montre sans aucune forme de jugement la montée de la violence et son expression la plus crue. Aussi fort que dérangeant.

La servante et le catcheur, d’Horacio Castellanos Moya. Métailié, 2013. 236 pages. 18 euros. 

lundi 25 février 2013

Le procès - Stéphane Henrich

Heinrich © Kaléidoscope 2013
C’est une affaire tragique qui va être traitée devant le tribunal des animaux. Bertrand Loup est accusé d’avoir dévoré un agneau, ce qu’il ne nie pas. Mais selon lui, seule la faim l’a poussé à tuer. Tout l’enjeu du procès est de savoir si l’accusé peut bénéficier de circonstances atténuantes ou doit au contraire subir la peine capitale.

Les témoins défilent à la barre. Le sanglier, voisin du loup, déclare qu’il n’a jamais connu quelqu’un d’aussi gentil. La taupe affirme qu’elle a tout vu mais personne ne la prend au sérieux. Les trois petits cochons, amis de la victime, lui reprochent son inconscience : « il faut être fou pour monter dans la voiture d’un loup. » Puis défilent les experts ayant étudié le caractère du loup avant l’intervention de l’avocat général qui ne trouve aucune excuse à l’accusé. Heureusement son défenseur maître Bouledogue fait preuve d’une belle éloquence. Au final, le tribunal se retire pour délibérer. Quel sera le verdict ?

Un album sacrément bien fichu, à la fois drôle et didactique. Tous les rouages d’un procès sont décortiqués. Invité sur les bancs du tribunal, le petit lecteur découvre le rôle de chaque intervenant, des témoins à l’avocat général en passant par les enquêteurs, les experts et les jurés. Et l’air de rien, toute la complexité des décisions de justice est mise en lumière. Le loup est-il un infâme criminel ou la simple victime de ce fléau abominable et incontrôlable qu’est la faim ? Difficile de se faire une idée définitive. En tout cas la légèreté reste de mise malgré le sérieux du propos. La taupe aveugle qui a tout vu, le clin d’œil au trois petits cochons, le président qui ne pense qu’à faire évacuer la salle au moindre bruit et quelques échanges savoureux entre les différents protagonistes font sourire. Tout comme la référence à Jules Renard, tueur de poule, en dernière page.

Un album aussi savoureux qu’instructif qui mérite vraiment le détour.

Le procès de Stéphane Henrich. Kaléidoscope, 2013. 32 pages. 13,20 euros. A partir de 5-6 ans.

Heinrich © Kaléidoscope 2013





samedi 23 février 2013

Nos étoiles contraires - John Green

Green © Nathan 2013
Je suis un lecteur curieux. J’aime plein de genres différents mais faut pas pousser. En fait, ce qui me plait c’est la littérature qui gratte, qui pique, une littérature nerveuse et à vif. J’apprécie plus que tout naviguer avec les sans grades, les paumés, les losers. Me perdre dans les vapeurs d’alcool et de vomi, me rouler avec eux sur un couvre lit crasseux dans la chambre d’un hôtel miteux  aux murs tâchés de graisse et de tabac. Par pour rien que mon idole littéraire s’appelle Bukowski. Un gars qui a écrit  « se gratter les hémorroïdes jusqu’au sang, c’est meilleur que la baise. » Un gars qui a intitulé une de ses nouvelles « Tous les trous du cul de la terre et le mien. » Bref, un insupportable misanthrope alcoolique dont la plume corrosive et drôlissime m’enchante depuis plus de vingt ans.

Tout ça pour dire que passer de Bukowski à un roman mettant en scène des ados cancéreux en phase terminale, c’est faire un grand écart auquel  mon entrejambe et ma curiosité de lecteur risquaient de ne pas résister.  Pourquoi m’y lancer alors, me direz-vous. Parce que quand Stéphie, Noukette, Hérisson et Leiloona font du même roman un coup de cœur, ça interpelle. Et comme en général l’avis de ces quatre lectrices expertes n’est pas à prendre à la légère, vous vous dites que ce serait couillon de passer à coté d’un texte qu’elles ont adoré. Alors du coup vous foncez à la librairie…

Nos étoiles contraires, c’est l’histoire d’Hazel et d’Augustus. Ils se rencontrent dans un groupe de soutien pour cancéreux. Elle a 16 ans et un cancer de la thyroïde dont les métastases ont migré vers les poumons. Condamnée à plus ou moins brève échéance, elle s’accroche sans se plaindre. Lui a eu une tumeur osseuse sur une jambe et a dû être amputé. Semble depuis en rémission. Pas envie de vous en dire beaucoup plus mais sachez juste qu’entre eux, le courant va tout de suite passer. Sachez aussi qu’il est question d’un livre et d’un écrivain antipathique en diable. Sachez pour finir que Nos étoiles contraires est un petit bijou. 

C’est un bijou parce que les malades que l’on rencontre sont des jeunes gens avant tout. Certes ils souffrent dans leur chair et ont plus souvent qu’à leur tour le moral dans les chaussettes. Mais ils font preuve d’une belle lucidité, d’une bonne dose d’humour et d’une délicieuse répartie. Et puis ils envisagent l’amour pour ce qu’il devrait toujours être : quelque chose de simple et de léger, une évidence face à laquelle il ne sert à rien de résister. Et c’est aussi et surtout un bijou parce que John Green n’a pas l’indécence de nous faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu’à  la fin une issue favorable est possible. Tout cela sans aucun pathos. Je pourrais ajouter que j’ai aimé ce vieux salopard de Van Houten comme j’ai aimé la dignité des parents d’Hazel, leur approche « intelligente » et tellement touchante de la maladie de leur fille. En fait je crois que j’ai tout aimé, la finesse du propos, ces personnages incarnés à la psychologie tellement bien construite que je ne suis pas près de les oublier. Nombreux sont ceux avant moi à avoir qualifié ce texte de « lumineux ». Je crois que c’est tout à fait ça.

Non, je n’ai pas pleuré en refermant ce livre. Pas même un sanglot dans la gorge. Il n’empêche. Cette magnifique histoire m’a touché, m’a secoué, m’a fait sourire, m’a profondément ému  et a fendu le cœur de pierre que l’on me prête (à juste titre) depuis des années. Un livre dont il ne faut pas avoir peur malgré le terrible sujet qu’il aborde. Un livre que je n’ai pas fini de prêter, assurément.

Nos étoiles contraires de John Green. Nathan, 2013. 330 pages. 16,50 euros.

Les avis de Hérisson ; Leiloona ; Noukette ; Stéphie.




vendredi 22 février 2013

Valentine remède - Jeanne Benameur

Benameur
 © Thierry Magnier 2002
Quand son père et sa mère se disputent, Valentine a beaucoup de chagrin. Un jour où elle se fait mal à la cheville, elle constate que ses parents se précipitent pour la consoler et oublient de se disputer. Alors Valentine devient malade chaque fois qu’elle entend crier dans la maison. D’abord de faux maux de ventre qui se transforment peu à peu en véritable douleur puis en vomissements. Seule la tendresse d’une maman pourra l’apaiser ainsi que la certitude que « les disputes, c’est pas si grave, elles passent... »

Un petit texte de rien du tout. Trois fois rien. Et pourtant la prose de Jeanne Benameur fait mouche. Pas besoin de grands effets de manche pour décrire la douleur de cette enfant qui intériorise son angoisse au point de s’en rendre malade. Quelques jolies phrases, une parabole autour d’un petit oiseau et le tour est joué. Du grand art !    

Valentine remède de Jeanne Benameur. Thierry Magnier, 2002. 46 pages. 5,10 euros. A partir de 9 ans.

Un billet qui signe ma seconde participation
au challenge Jeanne Benameur de Noukette


jeudi 21 février 2013

Ma nouvelle vie - Isabelle Lortholary

Lortholary © Casterman 2012
Violette vit seule avec sa mère à Paris. Quand cette dernière lui annonce qu’elles vont déménager dans l’Ariège, le coup est rude à encaisser. Quitter ses copains et la grande ville pour se retrouver dans une vieille baraque nichée au cœur d’un petit village, voila une perspective qui n’enthousiasme pas la jeune fille. Pour autant, la découverte de la vie rurale lui réserve de bien belles surprises et peu à peu Violette apprivoise son nouvel environnement au point d’oublier définitivement Paris sans aucun regret.  

Un roman jeunesse trop simple et trop simpliste. Trop simple parce que Violette accepte avec facilité le départ de la capitale annoncé quasiment la veille du déménagement. Comment peut-elle ne pas sortir de ses gonds et se révolter contre une situation qu’elle trouve intolérable ? Il manque à l’évidence quelques scènes de rébellion pré-adolescente pour pimenter l’ensemble. Trop simpliste ensuite parce que la rivalité Paris/province, qui tourne largement à l’avantage de cette dernière, ne cesse d’accumuler les clichés navrants : dans son village, les commerçants l’appellent par son prénom (la belle affaire) ; dans son village, elle peut se promener seule dans les rues (c’est bien connu les pédophiles kidnappeurs d’enfants n’agissent que près des champs Élysées) ; dans son village, le dimanche, tout le monde met son beau costume, va à la messe puis déjeune en famille (dans les années 50 peut-être mais aujourd’hui…) ; dans sa classe, ses nouveaux camarades trouvent qu’elle est toujours habillée à la mode (évidemment puisqu’elle vient de Paris alors que, c’est bien connu, les cul terreux se fringuent comme des sacs à patates) ; et quand elle écrit à son ancienne école, personne ne prend la peine de lui répondre (c’est bien connu les parisiens sont de sales individualistes qui ne pensent qu’à eux alors qu’en province l’altruisme est un art de vivre).

Vous l’aurez compris ce texte m’a profondément agacé, d’une part parce qu’il est d’un parti pris aussi flagrant que ridicule (je le dis d’autant plus facilement que je ne suis pas du tout parisien) et d’autre part parce qu’il est cul-cul la praline en diable. Et ce jusqu’à la dernière phrase, puisqu’il se termine au moment où la mère de Violette lui propose de partir une semaine en vacances et que la gamine refuse, préférant rester au village pour lire dans le grenier de la vieille maison au milieu des araignées. Bien sûr, bien sûr…

Ma nouvelle vie  d’Isabelle Lortholary. Casterman, 2012. 84 pages. 6,75 euros. A partir de 9 ans.