mercredi 12 septembre 2012

Lakota de Paolo Serpieri

Serpieri © Mosquito 2012

Vous connaissez Paolo Serpieri ? Druuna, ça vous dit quelque chose ? Allons, messieurs les amateurs de BD, ne faites pas semblant, je sais que vous n’ignorez rien de cette charmante jeune fille (et surtout pas sa plastique avantageuse). Il faut peut-être vous rafraîchir la mémoire ?  Ok, jetez-donc un coup d’œil ci-dessous, un petit dessin vaut mieux qu’un long discours. 



C’est bon, vous y êtes maintenant ? Serpieri, donc, est essentiellement connu pour cette série post-apocalyptique dans laquelle il met en scène une héroïne pulpeuse et peu farouche. Mais à ses débuts ce dessinateur italien ne donnait pas dans la SF érotico-porno. En 1975, il publie dans les magazines Skorpio et Lanciostory des récits historiques se déroulant au Far West. Les éditions Mosquito rééditent aujourd’hui quelques uns de ces récits de jeunesse et force est de constater que Serpieri y expose déjà une sacrée maturité graphique. Du noir et blanc ultra réaliste qui peut certes apparaître aujourd’hui un brin daté mais qui, personnellement, me convient parfaitement.

Cinq épisodes différents composent ce recueil. Les trois premiers retracent la vie du chef sioux Crazy Horse et plus particulièrement la période allant de la victoire indienne à Little Big Horn jusqu’à sa mort le 5 septembre 1877. Le deux derniers reviennent sur cette fameuse bataille mais du point de vue des tuniques bleues et notamment à travers l’histoire du célèbre lieutenant-colonel Custer qui mourra au cours de l’assaut donné par les indiens.

Faisant fi de la représentation fantasmée des « peaux rouges » que proposaient nombre de publications de l’époque, Serpieri et son scénariste Raffaele Ambrosio reviennent vers des fondamentaux historiques en s’appuyant sur une rigoureuse documentation. Décors, vêtements, traditions… tout est respecté à la lettre. Au final, le lecteur découvre la complexité des relations inter-indiennes au moment où nombre d’entre eux commencent à être parqués dans des réserves.

Je sais bien que le western, un genre usé jusqu’à la corde, n’est pas la tasse de thé de tout le monde. Je sais bien qu’un tel album, en noir et blanc et avec un dessin pareil, rappellera à certains l’histoire de France en BD des éditions Larousse et sera immédiatement associé avec mépris à la bande dessinée à papa qui prend la poussière dans le grenier. Bref, je sais bien que je ne soulèverais pas un élan d’enthousiasme avec ce titre. A vrai dire, peu m’importe. J’aime ça, la BD à papa, et quand les éditeurs font l’effort de remettre sur les rayons des librairies un tel patrimoine, je ne peux que m‘en réjouir… et vous en parler.


Lakota de Paolo Serpieri. Mosquito, 2012. 82 pages. 18 euros.



Serpieri © Mosquito 2012







Ce billet signe une nouvelle contribution au challenge il viaggio de Nathalie




dimanche 9 septembre 2012

Peste & choléra de Patrick Deville (rentrée littéraire 2012)

Deville © Seuil 2012
« Alexandre Yersin 1863-1943 »

Né en Suisse. Très tôt orphelin de père, il part pour l’Allemagne. Puis ce sera l’institut Pasteur où il découvrira la toxine diphtérique. Devenu médecin (et français), il œuvrera en Asie pour les Messageries Maritimes avant d’enfiler les habits de l’explorateur le temps de tracer un chemin de l’Annam au Cambodge. C’est finalement au Vietnam, à Nha Trang qu’il créera une cité utopique devenue aujourd’hui une station balnéaire fréquentée par les milliardaires russes et asiatiques. Chercheur, médecin, ethnologue, agriculteur et géographe, Yersin aura vécu mille vies. Surtout, il restera dans l’histoire comme celui qui a découvert et vaincu le bacille de la peste.

Un drôle de personnage que ce savant autodidacte d’une curiosité insatiable et d’une ingéniosité sans pareille. Solitaire, misanthrope, il aura passé près de 50 ans dans un chalet perdu en pleine jungle. Membre historique de « la bande à Pasteur » avec Roux et Calmette, il restera constamment à la marge, préférant les recherches individuelles aux travaux collectifs. Se méfiant comme de la peste des idéologies et de la politique, il traversera les horreurs du 20ème siècle avec une certaine distance, en ermite. Yersin meurt avant les attaques japonaises sur le Vietnam. Jusqu’au bout, il sera resté à l’écart de la folie des hommes.

Je ne suis d’ordinaire pas fan des biographies. Celle-ci m’a tout simplement enthousiasmé. Peut-être parce qu’elle ne ressemble en rien aux biographies habituelles. Patrick Deville est écrivain et non historien, c’est ce qui fait toute la différence. Faisant fi de la chronologie, il tricote son texte dans un désordre parfaitement maîtrisé, alliant l’érudition à une pointe d’humour bienvenue. Il n’hésite pas non plus à mettre en scène le « fantôme du futur », narrateur enquêtant dans les lieux fréquentés par Yersin, un carnet à couverture en peau de taupe à la main. Au-delà du portrait du génial découvreur du bacille de la peste, l’auteur dresse celui d’une époque où les aventuriers avaient encore de beaux jours devant eux, « où la nature n’est pas encore une vieillarde fragile qu’il faut protéger mais un redoutable ennemi qu’il faut vaincre. »

Patrick Deville écrit comme on explore. Sa langue est belle, sa plume affutée donne au roman le mouvement et le souffle qui emportent le lecteur. Il y a dans son propos beaucoup d’élégance, de précision et de virtuosité, la force d’un écrivain sûr de son art et qui ne tombe jamais dans l’esbroufe. Mon premier vrai coup de cœur de la rentrée littéraire !

PS : Peste & Cholera vient de remporter le prix du roman Fnac. Il fait également partie de la première sélection du Goncourt et Bernard Pivot, membre du jury du plus célèbre des prix littéraires français, lui a consacré un article élogieux dans le Journal du dimanche. De là à dire que Patrick Deville s’annonce comme le futur Goncourt 2012, il y a un pas que je me garderais bien de franchir. Réponse le mercredi 7 novembre…

Peste & choléra de Patrick Deville. Seuil, 2012. 220 pages. 18 euros.


vendredi 7 septembre 2012

Home de Toni Morrison (rentrée littéraire 2012)

Morrison © Bourgois 2012
Frank Money, soldat noir rentré brisé de la guerre de Corée, s’échappe d’un hôpital psychiatrique de Seattle et part vers le sud pour venir au secours de sa sœur, Cee. Cette dernière, utilisée comme cobaye par un médecin blanc, agonise. Sans autre richesse que sa médaille militaire, Franck se lance sur la route. Après avoir gagné Atlanta et arraché Cee aux griffes de son tortionnaire, le soldat Money retourne avec elle à Lotus, un bled perdu et arriéré où tous deux ont grandi. « Le pire endroit du monde » selon Frank, mais aussi le seul où il pourra trouver l’aide nécessaire au sauvetage de celle qui représente sa seule famille.

Le titre pourrait faire penser au fameux « Home Sweet home ». C’est tout le contraire. Frank, soldat rejeté par son propre pays à cause de sa couleur de peau ne peut-être chez lui nulle part. Dans cette Amérique de l’après-guerre où les droits civiques n’existent pas encore, un noir buvant un café au milieu de clients blancs peut se faire tabasser en toute impunité. Même à Lotus, dans la bicoque où une grand-mère indigne l’éleva, Frank n’était pas chez lui. Le roman raconte l’errance de cet homme au bord de la clochardisation, incapable de trouver un foyer. Un homme qui ne pourra même pas se réfugier en lui-même pour trouver un semblant de paix à cause des terribles cauchemars qui le hantent.

Le roman alterne l’histoire de Frank et celle de Cee jusqu’au moment de leurs retrouvailles. Tous les thèmes habituels de Toni Morrison sont présents dans ce texte court et dense : les liens familiaux, les fantômes du passé, le racisme ordinaire, le rôle des femmes et l’indispensable liberté individuelle. Dans ce portrait cinglant de l’Amérique des années cinquante, l’auteur décrit la colère des siens, la solidarité, l’entraide et le partage qui permettent de supporter l’oppression. Sans morale ni pathos, elle peint le tableau de vies complexes, parfois contradictoires. La construction est habile, la prose est dépouillée, elle va à l’essentiel même si de temps en temps surgissent quelques passages proche d’une certaine poésie. Il se dégage de ce texte d’à peine 150 pages une surprenante puissance romanesque, véritable marque de fabrique de celle qui reste à ce jour le seul auteur afro-américain couronné par le prix Nobel de littérature.

Home se termine sur une note positive. Au bout du chemin, Frank et Cee trouveront une forme de rédemption et d’apaisement. Une porte ouverte sur un avenir meilleur…


Home de Toni Morrison. Christian Bourgois, 2012. 152 pages. 17,00 euros.


L'avis de Choco






1ère participation au mois américain de Plaisir à cultiver


jeudi 6 septembre 2012

Les sisters : Mon journal intime

Cazenove et William
© Bamboo 2012
Tous les lecteurs (et surtout lectrices) des Sisters connaissent le running gag du journal intime présent dans chaque album de la série. Wendy (l’ainée) y consigne les petits et grands événements de sa vie d’ado et Marine (la cadette) passe son temps à retourner la maison afin de dénicher cet obscur objet du désir qu’elle se plaît à parcourir et à « enrichir » de quelques annotations très personnelles.

Ce journal intime est un élément tellement central de l’univers des Sisters que les éditions Bamboo le publie aujourd’hui dans une version richement illustrée. Au menu, une année complète de la vie de Wendy, entre petits secrets et anecdotes plus ou moins essentielles. L’ouvrage permet également de découvrir davantage le travail du dessinateur William grâce à quelques croquis, études sur les personnages et autres magnifiques illustrations pleine page.  Au final, un bel objet-livre, sans doute à réserver aux aficionados de la série. Certains reprocheront à l’éditeur d’exploiter le filon à l’excès après les romans, le guide pratique (Les Sisters mode d’emploi) et le spin-off (Les Super Sisters) publiés précédemment. Personnellement, je vois dans ce carnet secret l’occasion de ravir les petites lectrices, point barre.

Alors, opportunisme commercial ou cadeau idéal pour les fans ? A chacun de se faire sa propre idée. En tout cas, c’est qui le papou-chéri-d’amour qui va faire trop plaisir à sa fille en rentrant à la maison ce soir ? C’est bibi !

Les sisters : Mon journal intime de Cazenove et William. Bamboo, 2012. 192 pages. 13,90 euros. Dès 8-9 ans.

Cazenove et William © Bamboo 2012

mercredi 5 septembre 2012

Marcinelle, 1956 de Sergio Salma

Salma © Casterman 2012
8 août 1956. Un incendie se déclare dans la mine du Bois du Cazier, à Marcinelle. 262 mineurs perdent la vie dont 132 de nationalité italienne. C’est la pire catastrophe industrielle de l’histoire de la Belgique. Dans ce roman graphique en noir et blanc, Sergio Salma raconte ce jour funeste. Mais pas seulement. Il fait aussi revivre le travail harassant, répétitif et dangereux des gueules noires. Surtout, à travers le personnage de Pietro, immigré atypique peu nostalgique de son Italie natale, il prend à contre-pied la figure classique de l’ouvrier viscéralement attaché à ses racines. Pour Pietro, son pays est celui qui lui donne à manger. Peu importe que ce soit la Belgique ou le royaume de Zanzibar ! Et même s‘il retourne chaque été voir la famille, même s’il roule en Vespa et qu’il passe chaque dimanche avec sa communauté autour d’une grande tablée, il voit son avenir et celui de son fils sous la pluie et le ciel bas du plat pays qui est devenu le sien.    

Salma ne donne pas dans l’autobiographie. Son père (italien) n’a jamais été mineur et lui-même est né en 1960. Il a néanmoins grandit à Fontaine-l’Evêque, près de Charleroi, à moins de 500 mètres d’un puits d’extraction. Son récit mélange donc des souvenirs d’enfance et une solide documentation. Beaucoup de finesse et d’intelligence dans son propos qui ne se limite pas à un hommage rendu au monde de la mine. Avec Pietro, il navigue entre mémoire familiale, instants de vie privée, questionnement sur la place des immigrés dans la société et réflexions sur le déracinement.    

Coté dessin, l’épaisseur du trait donne de la profondeur aux planches en noir et blanc. Les nombreuses séquences sans textes racontent quant à elles mieux que de longs discours la pesanteur des habitudes au fond de la mine. Le découpage simple et les courts chapitres rendent l’ensemble dynamique et très agréable à lire. En fin d’ouvrage, un dossier rédigé par le journaliste Morgan di Salvia met en perspective l’importance de l’industrie charbonnière belge des années 50 et apporte des précisions sur le déroulement de la catastrophe et son retentissement.    

Une belle réussite que je recommande chaudement.

Marcinelle, 1956 de Sergio Salma. Casterman, 2012. 255 pages. 17 euros. 


Salma © Casterman 2012


mardi 4 septembre 2012

Le premier mardi, c'est permis (9) : Mahârâja

Artoupan et Labrémure
 © Drugstore 2012
1917. Le prince Raghubir Singh Bahadur et son harem viennent passer quelques jours dans une luxueuse villa au bord du lac de Côme. Les services secrets anglais sont sur les dents car ils soupçonnent la mahârâja de profiter de son séjour en Europe pour entrer en contact avec des agents allemands devant l’aider à mener une révolte contre les britanniques et à déclarer l’indépendance de son état. Homme taciturne et secret, le prince est surtout un sacré obsédé qui n’hésite pas à mettre en œuvre les préceptes du Kâma-Sûtra à la moindre occasion. Ce ne sont pas ses cinq épouses et la directrice de la villa qui diront le contraire… 

Artoupan et Labrémure (deux pseudos) donnent dans l’érotisme un brin rétro. Leurs influences sont sans doute à chercher du coté des italiens Manara et Crepax. Si Mahârâja est une BD coquine aux accents surannés, elle dégage un charme indéniable qui tient pour beaucoup aux décors de rêve du Lac de Côme et de ses environs. Dans cet univers luxueux, la débauche est classe et raffinée. Le prince indien et son harem apportent quant à eux une note d’exotisme bienvenue et les personnages féminins sont d’une grande sensualité (avec une mention spéciale pour la rousse incendiaire de la couverture !). Rien de glauque donc. Au contraire, avec les petites touches d’humour disséminées ici ou là, les auteurs offrent un récit plus joyeux que dramatique.

Si le scénario est un peu léger, la qualité majeure de cet album tient dans le dessin d’Artoupan. Ce dernier travaille uniquement au crayon, sans encrage. Un procédé qui donne à son trait une certaine patine et permet de créer une atmosphère délicieusement vaporeuse. Les couleurs chaudes et lumineuses renforcent de leur coté les sensations suaves laissées par la lecture.      

Quelques regrets tout de même. La fin est trop abrupte, l’ensemble est trop court (quoique…) et manque de profondeur (quoique…). Il n’empêche, je ne boude pas mon plaisir de découvrir une BD érotique légère et émoustillante à l’heure où la rentrée littéraire se complait dans le viol et l’inceste (n’est-ce pas Mr Djian et Mme Angot…).   

Allez, puisque c’est la rentrée et que nombreux sont ceux (et celles) à avoir le moral dans les chaussettes après les vacances, je vous offre ci-dessous un extrait « revigorant » qui devrait redonner un peu de tonus à tout le monde. Et pour découvrir d’autres lectures inavouables, n’hésitez pas à foncer chez Stefie.

Mahârâja, d’Artoupan et Labrémure. Drugstore, 2012. 48 pages. 15.50 euros.


Artoupan et Labrémure © Drugstore 2012



dimanche 2 septembre 2012

L’insatiable homme araignée de Pedro Juan Gutierrez (rentrée littéraire 2012)

Gutierrez © 13e note 2012
Il m’a manqué ce salopard. Cinq ans qu’il n’avait pas donné de nouvelles. Son dernier roman, Le nid du serpent, m’avait terriblement secoué. A la limite de l’insoutenable, il m’avait laissé au bord de la nausée, au sens propre du terme. Il faut dire que celui que l’on surnomme le Bukowski cubain n’y va pas avec le dos de la cuillère. Depuis son premier texte publié en France en 2002, Gutierrez utilise toujours à peu près les mêmes ingrédients : La Havane, le rhum, les filles, la crasse et la misère. Un cocktail explosif que l’on ingurgite à chaque page et qui est parfois difficile à digérer.

Les 19 nouvelles présentes dans ce recueil permettent à Gutierrez de répéter ses gammes. Le narrateur, double littéraire de l’auteur, est aigri et désenchanté. Il vit de l’écriture et de la peinture, boit beaucoup et est un sacré obsédé sexuel. Sa femme le sermonne : « Tu es choquant et lourd. Tu écris toujours sur la même merde de tous les jours, sur la misère et les emmerdes. Même moi je peux pas lire tes livres. Écris quelque chose de plus gai, de plus convenable. » Difficile de lui donner tort. Loin du Cuba des cartes postales, Gutierrez décrit la vie des moins que rien. Ses personnages sont cinglés, alcooliques et cradingues. Une de ses conquêtes, lucide, affirme : « Cette île est une cage. » Et force est de reconnaître que les spécimens qu’elle renferme ont de quoi vous foutre la trouille.

La prose, d’une grande vulgarité, reste étonnamment fluide. Beaucoup de sueur, de sexe, de brutalité, d’odeurs nauséabondes. Au cœur de tous les textes, la survie. Souvent, elle passe par les petits trafics, les touristes que l’on peut plumer ou la prostitution. Le narrateur navigue dans cette faune haute en couleur, toujours très à l’aise. J’aime son coté macho, latin, toujours prompt à parler de ses exploits au lit, à exhiber fièrement ses 18 cm et à vanter son endurance digne d’un coureur de fond.

Évidemment, L’insatiable homme araignée n'est pas à mettre entre toutes les mains. Trop cru, trop choquant, trop sensuel. Personnellement, c’est mon truc, mais je ne conseillerais cet auteur à personne. Faites-vous votre propre idée, en commençant par exemple par Trilogie sale de la Havane, publié en grand format par Albin Michel (réédité depuis en 10/18). Si vous passer ce cap, vous pourrez vous enquiller la suite sans sourciller et découvrir un auteur totalement inclassable. A vous de voir…


L’insatiable homme-araignée de Pedro Juan Gutierrez. 13e note éditions, 2012. 218 pages. 20,00 euros.


jeudi 30 août 2012

La vie de Régis de Sa Moreira (rentrée littéraire 2012)

R. de Sa Moreira ©
Au diable Vauvert 2012
Les personnages se croisent le temps de quelques lignes. Ils se succèdent de façon cohérente, la fin du propos des uns lançant celui à venir des autres. Chaque paragraphe se termine par des points de suspension permettant à ce flux ininterrompu de paroles de continuer sa route jusqu’à la dernière page. De quoi parlent ces gens ? De tout et de rien, d’un souvenir, d’une pensée qui surgit, de la description d’une scène, d’un décor. Une forme de hasard semble tirer les ficelles et mener la danse. Hommes et femmes sont ici tous plus banal les uns que les autres, même si certains s’expriment depuis l’au-delà. Ne cherchez là aucune véritable histoire, n’imaginez pas que vous pourrez ressentir une quelconque empathie pour ces anonymes qui traversent le temps d’un instant le fil du récit.

La vie est un exercice de style original. Déstabilisant de par sa forme mais malheureusement sans grand intérêt en terme de fond. J’ai juste eu l’impression de parcourir un micro trottoir géant où ceux à qui l’on donnait la parole n’avaient finalement pas grand-chose à dire. L’aspect répétitif de l’ensemble fini par lasser et la prose, si elle peu faire sourire de temps en temps, reste dans l’ensemble d’une grande platitude.

Au final, la seule chose qui m’intéresse vraiment est de savoir comment ce texte a été écrit. Est-ce que Régis de Sa Moreira a établi un plan ultra précis détaillant l’enchaînement des paragraphes ou bien a-t-il laissé son imagination prendre le pouvoir de façon totalement libre, un peu à la manière de l’écriture automatique d’un Kerouac ? Sans doute un peu des deux. J’avoue que la seule question qui me passionne au sujet de cette œuvre concerne le passage à l’acte d’écrire. Pour le reste, La vie m’a laissé de marbre.

La vie de Régis de Sa Moreira. Au Diable Vauvert, 2012. 120 pages. 15 euros.



Merci à Babelio et Au diable Vauvert pour la découverte.





Ce billet signe ma 1ère participation au défi des 100 pages
de la Part Manquante


La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole

Printemps 1997. Faisant partie des derniers appelés du contingent à devoir effectuer le service militaire avant sa suppression définitive, je m’apprête à « faire mes trois jours » comme on disait à l’époque. Destination Cambrai pour une batterie de tests physiques et médicaux destinés à valider mon aptitude au service. Refusant obstinément de porter les armes et l’uniforme, je sais déjà que je serai objecteur de conscience, mais cela ne me dispense pas des trois jours. Avant de monter dans le train, je m’arrête dans une librairie afin de trouver un bouquin qui va m’aider à mieux supporter ce court séjour cambrésien. Déambulant dans le rayon de littérature étrangère, je tombe en arrêt devant un titre improbable mais on ne peut plus adapté à la situation : La conjuration des imbéciles, de John Kennedy Toole. Le clin d’œil est trop beau, c’est le livre que je me dois d’emmener à la caserne ! Voila donc comment j’ai rencontré, par hasard, un des plus beaux romans qu’il m’ait été donné de lire.

L’histoire de la publication de La conjuration des imbéciles est incroyable. John Kennedy Toole est né en 1937 en Louisiane. Couvé, surprotégé par une femme devenue mère à 37 ans alors que les médecins lui avaient certifiée qu’elle ne pourrait jamais l’être, le jeune garçon a très tôt développé des capacités intellectuelles au dessus de la moyenne. Devenu professeur dans un établissement de La Nouvelle Orléans, il continua à vivre chez ses parents. C’est pendant son service militaire (décidément !) qu’il rédigea La conjuration des imbéciles. Le roman fut refusé par plusieurs éditeurs, au grand dam de son auteur.

Le 26 mars 1969, à 31 ans, persuadé d’être un écrivain raté, JK Toole se suicide en inhalant les gaz d’échappement de sa voiture.

Sa mère est dévastée lorsqu’elle apprend la nouvelle. Pendant les années qui suivent, elle propose le manuscrit à de nombreuses maisons d’édition. Les refus s’enchaînent. Obstinée, Thelma Ducoing Toole décide de montrer le texte à Walker Percy, un enseignant de création littéraire à l’université de Loyola. Dans la préface de l’édition française, le professeur Percy relate cette rencontre « [elle] me tendit l’épais manuscrit. Il n’y avait pas moyen d’y couper. Il ne me restait qu’un seul espoir : qu’après avoir lu quelques pages, je les trouverais, en toute bonne conscience, assez mauvaises pour ne pas avoir à en lire davantage. D’habitude, c’est ainsi que cela se passe. En fait, le premier paragraphe suffit souvent et ma seule crainte est que celui-ci ne soit pas assez mauvais ou qu’il soit juste assez bon pour que je me sente obligé de poursuivre la lecture.

Cette fois-ci, je continuais à lire, encore et encore. Au début, avec le sentiment déprimant que ce n’étais pas assez mauvais pour en rester là. Ensuite, avec un vague titillement d’intérêt. Puis avec une excitation grandissante. Et finalement, avec une sorte d’incrédulité : il n’était pas possible que ce soit aussi bon. »

L’ouvrage est finalement publié par la Louisiana State University Press. En 1981, La conjuration des imbéciles remporte le prix Pulitzer de la fiction. A titre posthume, John Kennedy Toole, un jeune homme qui se suicida pensant être un écrivain raté, reçu la plus prestigieuse des récompenses américaines pour un roman.

Pourquoi La conjuration des imbéciles est un livre culte (au moins pour moi) ? Le roman met en scène un des personnages les plus marquants de l'histoire de la littérature américaine : Ignatius Reilly. Un gaillard de La Nouvelle Orléans surdoué intelectuellement, irascible, en révolte contre la stupidité de ses congénères, à l’égo démesuré, fainéant comme pas deux, souffrant d’importants troubles gastriques qui engendrent de nombreuses flatulences et éructations. Une sorte de Don quichotte (obèse) des temps modernes qui cherche à mener une croisade perdue d’avance contre les imbéciles de tout poil. Sa mère le pousse à trouver un travail : chacune de ses expériences professionnelles va tourner à la catastrophe. Ignatius a une petite amie, Myrna. La relation entre ces deux drôles d’oiseaux est pour le moins originale. Et puis il y a la ville. JK Toole plonge le lecteur dans sa Nouvelle Orléans. Un endroit bigarré, à l’atmosphère si particulière. On parcourt les bas-fonds avec un plaisir incroyable, croisant des personnages hauts en couleur et des endroits au charme indéfinissable. Bref, voila un roman franchement drôle, à la fois léger et profond. Après avoir dévoré les 500 pages, on referme le livre en se disant que l’on ne tombe pas tous les jours sur un tel texte. Et c’est bien dommage !


NB : la mère de JK Toole trouva dans les affaires de son fils le manuscrit d’un roman qu’il écrivit lorsqu’il avait 16 ans. La bible de néon fut publié en 1989 aux Etats-Unis. En France, les éditions 10/18 le sortirent en 1993.

La ocnjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. 10/18, 1992. 533 pages. 9,60 €.

Ce billet signe ma première participation au challenge Romans cultes de Métaphore. La liste des titres proposés me permettra de relire quelques pépites de ma bibliothèques (Les contes de la folie ordinaire, mon chien stupide, L'étranger, Le K...) ou d'en découvrir d'autres (Des souris et des hommes, Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur...). Bref, un beau programme en perspective.


mercredi 29 août 2012

Zone blanche de Jean-Claude Denis

J-C Denis © Futuropolis 2012
La zone blanche, c’est un endroit où les portables ne passent pas. Serge Guérin en rêve de cette zone, lui qui ne supporte pas les ondes électromagnétiques. Ce soir d’hiver où une panne d’électricité paralyse la ville, Serge revit. Problème, le digicode de son immeuble étant HS, il doit se réfugier au troquet du coin puis dans le hall d’un hôtel pour fuir le froid. C’est là qu’il rencontre une charmante jeune femme. Au fil de la discussion, chacun confie à l’autre ses malheurs et ses envies de meurtre. Après avoir passé la nuit ensemble, ils décident de mettre au point un plan imparable devant leur permettre de parvenir à leurs fins. Seulement, les choses ne se passent pas toujours comme prévu…
  
Jean-Claude Denis mélange les genres, tâtant à la fois du polar et de la sociologie. Mais pas de politique, les écolos « anti-ondes » en seront pour leurs frais. Le grand prix du festival d’Angoulême 2012 ne donne pas dans la dénonciation de la nocivité des antennes-relais. Zone blanche n’est donc pas un cri d’alarme. L’auteur concède que de toute façon, il n’a jamais cherché à délivrer des messages dans ses albums : « je n’ai jamais eu qu’une seule ambition, dans mon travail : parler de la vie. » C’est en recentrant son propos sur l’ambigüité des personnages que J-C Denis tricote le nœud de son récit. Serge est-il vraiment malade ou tout simplement givré ? Et cette femme croisée au bar de l’hôtel : femme fatale sincère ou fieffée mythomane ? Leur point commun tient dans l’absolue solitude qui semble les habiter. Pour le reste, chacun gardera jusqu’au bout sa part de mystère.

L’intrigue entremêle flashbacks et retour au présent. Un procédé classique mais qui fonctionne parfaitement bien. Niveau dessin, le trait de l’auteur se reconnaît au premier coup d’œil. Comme d’habitude, il a effectué un gros travail sur la lumière,  les ombres et les clairs-obscurs pour diffuser une ambiance d’ensemble plutôt feutrée.

Zone blanche n’est sans doute pas le meilleur album de J-C Denis mais il n’empêche que sa lecture fut pour moi un agréable moment. Petite cerise sur le gâteau, la pirouette finale (merci les écureuils^^), d’une crédibilité certes discutable, est aussi inattendue que surprenante et clôture le récit avec une maestria teintée d’un soupçon de désespoir (voir pour cela les trois dernières cases).

Zone blanche  de Jean-Claude Denis. Futuropolis, 2012. 68 pages. 16 euros.



J-C Denis © Futuropolis 2012