En cette fin d’année 2003, Jake Gallo a les nerfs à vif. Il vient encore de rater un entretien d’embauche, son père a fait une attaque, son frère, star du cinéma, ne prend plus le temps de lui parler et sa sœur May va épouser un humain, ce qui, pour lui, est totalement impensable. Et oui, un humain ! Il faut dire que chez les Gallo, on est poulet de père en fils. Depuis l’événement qui s’est déroulé le 3 février 1979, toutes les poules et tous les coqs de la planète sont doués de raison et capables de parler. Après bien des combats, les gallinacés sont aujourd’hui considérés comme appartenant au genre humain. Dans les faits, les différences de traitement continuent d’exister mais l’intégration des poulets dans la société est devenue la norme.
Jake va opérer un retour aux sources en se rendant dans la maison familiale pour assister aux derniers instants de son père. Après l’enterrement, sa mère lui donne le journal intime du défunt et Jake y découvre un témoignage bouleversant sur les premiers mois qui ont suivi la transformation des poulets...
Elmer est un OVNI complet. Déjà, il me semble que c’est la seule et unique bande dessinée Philippine jamais publiée en France. Et que dire de l’intrigue imaginée par l’auteur ? Dans une interview de janvier 2011, il explique d’où lui est venue l’idée : « Un jour, assis devant ma maison, je me suis demandé : Et si les poulets parlaient ? Que feraient-ils ? Que diraient-ils ? Seraient-ils en colère ? ». Les choses auraient pu en rester là où tourner à la série Z de science fiction (L’attaque des poulets mutants !) mais Gerry Alanguillan a réussi le tour de force de créer une œuvre tout en finesse. En faisant de la famille de Jake l’épine dorsale de son intrigue, il recentré le récit sur des thèmes intimistes tels que la perte d’un proche et les liens familiaux. Entremêlant sans cesse la petite et la grande histoire, il déroule une partition sans faute où les événements s’enchaînent naturellement malgré les nombreux flashbacks.
Jake Gallo est un personnage touchant sous ses airs d’écorché vif. Un individu en colère, en conflit perpétuel, persuadé que tous les humains sont des racistes anti-poulet. En plongeant dans les souvenirs de son père, il découvre que les choses ont progressé en à peine quelques années et que les combats menés pour l’égalité entre humains et poulets ont été aussi douloureux que salutaires.
Concernant les relations père/fils, l’auteur avoue qu’il s’est inspiré de son histoire personnelle : « Pendant des années, j’ai vécu dans la crainte de perdre mes parents, d’un âge avancé. Dans ce bouquin, on trouve beaucoup de mes souvenirs. [...] Mon père et moi n’étions pas si proches. Après sa mort, je me revois fouiller dans des vieilles boîtes pour trouver son journal... ». Un point de départ totalement irrationnel, un développement centré sur la cellule familiale et la mise en perspective de son propre vécu : avec ces ingrédients pas forcément évidents à accommoder Gerry Alanguilan a concocté une recette délicieuse.
Si je devais concéder un très léger défaut, je dirais que le dessin n’est pas le point fort du recueil. Un noir et blanc par moment assez maladroit mais qui reste suffisamment efficace pour ne pas desservir le propos. L’influence des auteurs de comics indépendants saute aux yeux. Personnellement, le trait d’Alanguilan m’a rappelé celui de Terry Moore, l’auteur de la série Strangers in Paradise.
Une superbe découverte (une de plus !) des éditions ça et là. Publié il y a tout juste un an, Elmer a déjà reçu la reconnaissance du public et de la critique, remportant notamment le prix Asie-ACBD 2011. A découvrir d’urgence pour les amateurs de BD atypique et de grande qualité.
Un grand merci à
Mo’ qui, une fois de plus, m’a offert un album que je ne suis pas près d’oublier.
Elmer, de Gerry Alanguilan, éditions ça et là, 2010.
140 pages. 14 euros.
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Le Roaarr challenge
(Prix Asie-ACBD 2001) |