dimanche 14 février 2010

Le narval T1 : l'homme de fond

Son nom, c’est Robert. Mais appelez-le bob. Son boulot ? Plongeur. Pas dans un restaurant. Dans tous les océans et les mers du monde. De la méditerranée à la Polynésie, de l’océan indien à l’arctique, le Narval est l’un des meilleurs plongeurs en activité. Il travaille pour son père, un drôle de personnage qui a fondé l’agence Bloodshift en 1954. L’agence répond aux missions les plus délicates : récupérer un container radioactif, retrouver l’épave d’un galion qui a disparu depuis des siècles, plonger sous la banquise pour des expériences scientifiques… Le problème, c’est que si le Narval est à l’aise comme personne au fond de l’eau, en surface, les choses sont souvent plus compliquées.

L’album contient cinq histoires différentes d’une dizaine de pages chacune. C’est un recueil de nouvelles, mais en BD. Beuzelin et Supiot ont créé un héros qui s’inspire de quelques grands anciens : un soupçon de Spirou, une bonne rasade de Gil Jourdan, et même une petite dose de Natacha, l’égérie hyper sexy de Walthéry (surtout pour les similitudes avec les scènes sous-marines du Treizième apôtre, un des meilleures albums de la série). Certes, leur Bob est plus dans l’air du temps. Ce n’est pas le héros indestructible qui s’en sort toujours sans encombre. Il a un coté loser qui est une marque de modernité en bande dessinée.

Au niveau graphique, un nom me vient à l’esprit lorsque je regarde le travail de Boris Beuzelin : Vehlmann et son Spirou chercheur de trésors archéologiques dans Les géants pétrifiés (Dupuis, 2006). La ressemblance est surtout frappante dans l’histoire qui se déroule en Polynésie. De toute façon, il n’y a pas de doute à avoir. On est en pleine BD franco-belge. C’est du grand classique, et c’est pour cela que les amateurs ne seront pas déçus. Cet album propose du dépaysement, des rebondissements et de l’action. Un bon divertissement, rien de plus. Un souci quand même avec les dialogues. Je n’ai pas les oreilles chastes, loin de là, mais j’ai un peu été surpris par la grossièreté des dialogues dans la première histoire. Cette grossièreté un peu gratuite sonne faux et alourdit la fluidité du récit. Mais tout rentre dans l’ordre par la suite et les échanges entre les protagonistes deviennent moins artificiels.

Voila donc un premier tome qui mérite que l’on s’y attarde pour peu que l’on aime la bande dessinée classique. Vous l’aurez compris, il n’y a là rien de révolutionnaire, mais personnellement je ne regrette pas mon achat et je serais partant si un second volume voit le jour.

Le narval T1 : l'homme de fond, de Boris Beuzelin et Olivier Supiot, édition Treize étrange, 2010. 9,90 euros.

L’info en plus : Les éditions Treize étrange, qui appartenaient au groupe Milan, ont été rachetées il y a quelque temps par Glénat. Elles possèdent un catalogue qui comprend des séries de très grande qualité. Citons en particulier Achab et Ratafia qui sont les symboles d’une maison d’édition ayant toujours privilégié la qualité à la quantité. C’est suffisamment rare pour être signalé.




vendredi 12 février 2010

Tête de piaf

Il y a Mickey, nounours, Maxime et Pierre. Ceux-là se sont rencontrés par un concours de circonstances peu banal. Il y a aussi Madeleine, Paul, Azznavour et Martine. Tous se retrouvent pour une raison ou une autre chez Jeannine et Robin, au Point du Jour. Dans cette pension de famille accueillante, ces âmes en peine vont se reconstruire. Ensemble, elles vont découvrir les bonheurs simples et la notion de chaleur humaine qu’elles pensaient sans doute ne jamais plus connaître.

Philippe Crognier situe son intrigue sous les cieux bas et gris de Picardie. Entre l’Aisne et la baie de Somme, dans une région au premier abord quelque peu tristounette, il met en scène des autochtones qui ont un cœur gros comme ça. Peut-être est-ce une façon pour lui de réhabiliter cette terre trop souvent dénigrée et qui peut parfois paraître « hostile » aux yeux de ceux qui ne la connaissent pas.

On est loin cependant des poncifs du roman de terroir. L’écriture est ici très elliptique : descriptions succinctes, courts paragraphes et incessants changement de focalisation sur les nombreux personnages. Il y a une certaine exigence vis-à-vis du lecteur. A lui de rester attentif pour ne pas perdre le fil. Le roman est très court. Il se déguste plus qu’il ne se dévore. Il faut l’apprécier à sa juste mesure, avec la sérénité des gens simples et heureux.

Bien sûr, les grincheux vont trouver que ce texte dégouline de bons sentiments. Qu’ils passent leur chemin et replongent dans l’autofiction française actuelle si la neurasthénie est pour eux un gage de qualité littéraire. Pour ma part, je remercie Philippe Crognier de m’avoir fait passer un peu de temps avec des personnages d’une telle humanité.

Tête de piaf, de Philippe Crognier, Éditions Abel Bécanes, 2007. 12 euros.

L’info en plus : les éditions Abel Bécanes sont une micro-structure éditoriale basée dans l’Oise. Il n’y a que six titres au catalogue. Uniquement des écrivains Picards. Cette maison d’édition qui fait du succès commercial de ses titres le dernier de ses soucis veut avant tout permettre à des auteurs peu connus d’avoir la chance de voir leurs textes édités de manière professionnelle. Abel Bécanes n’est pas diffusée dans les librairies. Si vous souhaitez acquérir un titre du catalogue, contactez-moi, je pourrais faire suivre votre demande.



mercredi 10 février 2010

Collection Mini Syros Soon : des histoires de futurs

L’enfaon, d’Éric Simard

Leïla est amoureuse. Mais l’élu de son cœur n’est pas un enfant comme les autres. C’est un HGM, un Humain Génétiquement Modifié. Lorsqu’il n’était encore qu’un embryon, les scientifiques qui l’ont conçu ont détecté en lui une maladie très rare, mortelle chez l’homme mais inoffensive chez les cerfs. Ils lui ont donc injectés des gènes de cerf. Il est ainsi devenu un mélange d’enfant et de faon que l’on a baptisé L’enfaon. Mais être un élève différent dans une école « normale », c’est loin d’être un cadeau…

Robot mais pas trop, d’Éric Simard

Adam vit dans une maison entièrement robotisée : on déclenche la chasse d’eau en chantant, le lit se transforme en toboggan lorsque l’on crie « Tarzan » et un robot vous déshabille quand il est l’heure d’aller se coucher. Il y aussi Nestor, un serviteur androïde programmé pour répondre aux besoins des humains. Le problème, c’est que beaucoup d’appareils sont détraqués. Alors quand le directeur de l’école et sa femme s’invitent chez Adam pour prendre le thé, la situation devient vite incontrôlable !

Le Très Grand Vaisseau, d’Ange

Le TGV (Très Grand Vaisseau) a quitté la Terre en quête d’un monde meilleur il y a plus de 800 ans avec à son bord, 3000 « passagers ». Guillaume y est né il y a dix ans. Et comme tous ses congénères, il connaît les consignes par cœur : ne jamais poser de questions sur l’Organisation qui dirige le vaisseau ; ne jamais ouvrir les portes rouges ; ne jamais accéder au niveau 0, celui des pilotes. Mais le jour de son anniversaire, Guillaume va enfreindre ces trois consignes…

A la poursuite des Humutes, de Carina Rozenfeld

Certains humains deviennent sans raison des mutants dotés de superpouvoirs. On les reconnaît à la bosse qui s’est formée sur leur nuque. Les mutants sont pourchassés sans merci par les hommes « normaux » qui les enferment dans des prisons gigantesques dont personne ne ressort jamais. Le jeune Tommy a du mal à comprendre cette haine envers les mutants. Son incompréhension s’est peu à peu transformée en terreur depuis qu’il a senti pousser une légère excroissance à l’arrière de son cou.

Voila une nouvelle collection jeunesse franchement intéressante. La collection Soon existe chez Syros depuis 2008. Elle regroupe des romans d’anticipation en grand format pour adolescents. La collection Mini Syros Soon, qui voit le jour en ce début d’année 2010, est en quelque sorte la petite sœur de Soon. Son catalogue propose des titres destinés aux 9-10 ans dans un format poche au prix riquiqui de 2,95 €. Le cahier des charges est identique à celui des autres séries Mini Syros (Romans, Polar, paroles de conteurs) : un genre commun (la science fiction), moins de 50 pages, des chapitres très courts, un même illustrateur pour toutes les couvertures…
Et il faut bien reconnaître que cela fonctionne. Tout d’abord, c’est idéal pour les « petits lecteurs », ces enfants qui ont quelques difficultés en lecture ou qui ne voient tout simplement aucun intérêt dans cette activité. Avec un texte de 40 pages que l’on va lire en vingt minutes maximum, pas le temps de se fatiguer ou de s’ennuyer (pour peu que le contenu nous intéresse, évidemment). De plus, les thèmes abordés interpellent, ils peuvent être source de questionnements et de débats (la génétique, la différence, les évolutions technologiques, l’état de la planète…). Enfin, le coût d’achat ne devrait pas être une barrière pour les parents qui ont quelques soucis financiers. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut acheter un livre neuf qui coûte moins cher qu’un Big Mac (j’ai suffisamment dénoncé le prix excessif des livres dans certaines chroniques précédentes pour ne pas encourager l’effort qui est fait ici !).

Je salue donc avec plaisir la naissance de cette nouvelle collection de littérature jeunesse et lui souhaite une longue vie !

Collection Mini Syros Soon : des histoires de futurs, édition Syros, 2010. 2,95 euros. A partir de 9 ans.

L’info en plus : Deux autres titres viennent compléter le lancement de la collection. Il s’agit de L’enfant-satellite de Jeanne-A. Debats et Opération « Maurice » de Claire Gratias.

mardi 9 février 2010

Les gaulois expliqués à ma fille

J’ai reçu ce livre dans le cadre de l’opération Masse critique organisée par le site Babelio. En plein débat sur l’identité nationale, une telle lecture m’apparaissait tout à fait appropriée. Bien sûr j’aurais pu craindre une présentation « vieille France » de nos ancêtres les Gaulois comme celles qui illustraient les manuels scolaires de la première moitié du XXème siècle. Mais dans une publication de 2010 éditée au Seuil, de telles craintes n’ont aucun fondement. J’aurais par contre aimé en savoir un peu plus sur l’auteur. Certes, la bibliographie présente en fin d’ouvrage ne laisse planer aucun doute sur les connaissances de Jean-Louis Brunaux en matière de civilisation gauloise, mais une petite biographie aurait néanmoins été bienvenue pour faire plus ample connaissance avec l’auteur.


Le principe de la collection « expliqué à », est extrêmement simple : tout fonctionne sous forme de questions/réponses. En l’occurrence dans ce volume, c’est une enfant qui pose des questions à un historien. Parmi les autres titres de la collection, on peut noter Les barbares expliqués à mon fils, Les origines de l’homme expliqués à nos petits enfants ou encore Les machos expliqués à mon frère.

Le découpage en chapitres permet d’organiser clairement les propos échangés. Les réponses sont courtes (rarement plus d’une page) sans être lapidaires. Le vocabulaire est précis sans être trop technique. Bref, c’est un véritable effort de vulgarisation réalisé par l’historien qui a conscience de s’adresser à une jeune fille, mais qui ne veut pas pour autant infantiliser son discours. Quelques remarques tout de même concernant la mise en page. Des illustrations disséminées au fil de l’ouvrage auraient aéré le texte qui, de prime abord, apparaît assez dense. De plus, un glossaire et un index auraient enrichis grandement l’ensemble et permis de plus facilement retrouver les différents thèmes abordés dans les chapitres. Mais ce ne sont là que quelques détails.

Alors, que retenir de cette discussion à bâtons rompus sur nos ancêtres les gaulois ? Du coté de l’anecdote, j’ai découvert la passion qu’avaient les guerriers pour les têtes de leurs ennemis tués au combat. On les accrochait à la façade des maisons, comme des trophées de chasse et on se les transmettait de père en fils, une sorte d’héritage à entretenir et une collection familiale à agrandir pour les enfants. Pour ce qui est de la grande histoire, un constat s’impose : les gaulois ont quasiment disparus de notre imaginaire collectif. D’une part, le mot « gaulois » s’est peu à peu effacé au profit de l’appellation « peuples celtes », et d’autre part, les français se considèrent plutôt comme des descendants de Charlemagne et des Mérovingiens. Vercingétorix est devenu une lointaine figure à laquelle on s’identifie de moins en moins. Bien sûr il reste Astérix pour entretenir la flamme gauloise dans la société française, mais je doute que cela soit suffisant. Quoi qu’il en soit, pour ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire gauloise, la vie quotidienne, l’art de la guerre, les druides, les dieux et la civilisation en général, la lecture de ce petit livre s’avère indispensable.

Voila un ouvrage qui a toute sa place dans un CDI de collège. Il sera fort utile pour les élèves de 6ème qui abordent ce sujet dans le programme d’histoire. Dans le cadre de la sphère familiale, l’achat de ce titre sera sans doute à réserver aux enfants passionnés par le sujet ou aux parents qui voudraient renforcer leurs connaissances sans avoir à se farcir des publications universitaires plus épaisses qu’une côte de bœuf.

Les gaulois expliqués à ma fille, de Jean-Louis Brunaux, édition Seuil Jeunesse, 2010. 8 euros.

L’info en plus : Jean-Louis Bruneaux a publié début 2009 un ouvrage au format poche intitulé Les druides : des philosophes chez les barbares dans la collection Points Histoire. Pour ceux qui voudrait approfondir leurs connaissances sur les gaulois avec un titre forcément moins vulgarisateur mais sans doute tout aussi intéressant.

lundi 8 février 2010

Jonah Hex T1 : Le colt de la vengeance

Jonah Hex a été vendu par son père à une tribu apache alors qu’il avait treize ans. Éduqué à la dure par les indiens, il rejoint les confédérés pendant la guerre de sécession. De retour dans le camp apache après-guerre, il est défiguré par le chef de la tribu après avoir tué le fils de ce dernier. Dès lors, Jonah Hex sillonne seul l’ouest américain et devient chasseur de primes pour gagner sa vie. Ses talents de tireur et sa « gueule » inimitable en font une sorte de légende dont la seule évocation du nom fait frémir les despérados les plus endurcis.

Tous les clichés du western sont ici présents : le cow-boy solitaire fine gâchette, les saloons enfumés, les filles faciles, les rues poussiéreuses des villes champignons et la justice rendue sommairement. Il y a aussi et surtout une violence permanente, l’absence totale d’états d’âme chez la très grande majorité des protagonistes et des hectolitres de sang versés au fil des pages. Le héros est lui-même un tueur méthodique qui ne laisse transparaître aucune once d’humanité. Il n’y a peut-être que dans la première histoire du recueil que l’on décèle chez lui un semblant d’émotion (en même temps, c’est normal puisqu’il doit euthanasier un enfant agonisant dont les souffrances sont devenues insupportables. On peut comprendre que cet acte le bouleverse profondément !).

La série originelle publiée par DC Comics date de 1972. Dans ce volume sont réunis les douze premiers épisodes d’une nouvelle série publiée depuis 2006 aux Etats-Unis. Pour chaque épisode, le schéma est immuable ; un épisode complet en 22 pages. Tout cela ressemble beaucoup à une série télé. Le problème, c’est que chaque épisode est illustré par un dessinateur différent. Or il n’y a pas vraiment d’homogénéité graphique et c’est un souci pour la cohérence du recueil. Le fait qu’il n’y ait aucune continuité scénaristique entre les histoires ne plaide pas non plus en faveur de l’ensemble. Résultat : les épisodes sont aussi vite lus qu’oubliés.

Les amateurs de violence (presque) gratuite et les fans de western spaghetti y trouveront surement leur compte. Pour ma part, je préfère me replonger dans la lecture de la série Durango d’Yves Swolfs. Décidément, même si je ne déteste pas m’égarer sur les chemins inconnus des comics ou des mangas, je reviens toujours à cette bonne vieille BD franco-belge qui me berce depuis l’enfance. Que voulez-vous, on ne se refait pas !

En conclusion, ce Jonah Hex m’aura laissé de marbre. Mais après tout, quoi de plus normal pour un personnage aussi froid.

PS : Je vais encore pousser un coup de gueule contre le prix exorbitant de cette publication. Les quelques lecteurs réguliers de ce blog (on peut les compter sur les doigts d’une main !) savent que je peste régulièrement contre le prix trop élevé de certains livres. Mais là franchement, 29 euros pour un recueil broché au dos collé carré, il ne faut pas se moquer du monde. Bien sûr, il y a près de 250 pages, bien sûr l’éditeur annonce fièrement sur son site que « ce titre inaugure une nouvelle ère pour la collection Big Book, celle d'un papier de qualité supérieure », il n’empêche. Aux Etats-Unis, les Trade Paper Backs (Réédition en intégrale des fascicules parus individuellement) de Jonah Ex réunissent seulement 6 épisodes pour moins de 15 dollars. Pourquoi n’avoir pas publié un recueil identique en France. Cela m’aurait suffi pour voir que cette série ne me convenait pas et j’aurais économisé 15 euros.

Jonah Hex T1 : Le colt de la vengeance, de Justin Gray et Jimmy Palmiotti, Éditions Panini Comics, 2010. 29 euros.

L’info en plus : En juin 2010 doit sortir aux Etats-Unis un film tiré du comics. C’est Josh Brolin qui tiendra le rôle de Hex. Le casting réunit également Mégan Fox et John Malkovic. Je ne pense pas que je courrais le voir…



dimanche 7 février 2010

Petit Pierrot T1 : décrocher la Lune

Petit Pierrot est un rêveur. Il ne vit pas de grandes aventures, n’affrontent pas des monstres poilus ou des ennemis sanguinaires. Son monde est celui d’une enfance pleine de poésie et d’interrogations à la fois simples et pertinentes. Fasciné par la Lune (quoi de plus normal quand on s’appelle Pierrot ?), il ne se lasse pas de la contempler et imagine avec elle les jeux les plus surprenants. Il dialogue avec son animal de compagnie, un escargot qui représente en quelque sorte le monde des adultes et tente parfois de le ramener à la réalité. Difficile d’en dire plus sans en dire trop. C’est un regard plein de tendresse sur l’enfance, ce moment de la vie qui fleure bon l’innocence et où tout semble possible.


Le couple humain/animal de compagnie n’est certes pas nouveau en bande dessinée : Snoopy et Charlie Brown, Boule et Bill, Calvin et Hobbes, Lucky Luke et Jolly Jumper… Mais l’escargot est à ma connaissance une première. C’est un peu le Jiminy Cricket de Petit Pierrot, tenant à la fois le rôle du confident et de la bonne conscience.

Cet album au format atypique (27x25 cm) est un recueil de petites scènes de deux pages maximum. On y trouve aussi de magnifiques illustrations pleine-page qui feraient à n’en pas douter de magnifiques ex-libris dignes des plus beaux travaux de Roba en la matière. Graphiquement, le personnage de Varanda me rappelle le Jojo de Geerts : un gamin en culotte courte avec une tête proéminente et un regard malicieux qui vous fait fondre. Les couleurs aux tons sépia accompagnent parfaitement le dessin. Bref, voila un bel objet-livre (papier épais, cahier cousu..) qui comblera aussi bien les parents que les enfants.

Deux petit bémols toutefois : il manque le dos toilé qui aurait vraiment donné un plus à l’ensemble (il faut dire que je suis un fan absolu des dos toilés !) et le prix est un peu excessif et constituera un frein pour beaucoup d’acheteurs potentiels. J’avais déjà fait cette remarque à propos des Comptines malfaisantes chez le même éditeur. Il faut croire que les éditions Soleil ont choisi de mettre en œuvre une politique commerciale sur ce type de collection pour la jeunesse qui pourrait se résumer par le slogan « c’est beau mais c’est cher ».

Quoi qu’il en soit, dans le cas du Petit Pierrot, l’investissement me paraît justifié. Rangé en évidence dans la bibliothèque familiale, ce bel album fera partie de ceux que l’on prend plaisir à relire régulièrement. Et en ce qui me concerne, il n’y en a pas tant que ça.

Petit Pierrot, d’Alberto Varanda, éditions Soleil, 2010. 17 euros.

L’info en plus : Petit Pierrot est né sur un blog (http://petitpierrot.vefblog.net/) en juin 2008. Une belle occasion pour ceux qui auront découvert ce petit bonhomme grâce au livre de continuer à profiter de son univers si attachant sur la toile.




jeudi 4 février 2010

Les enchantements d'Ambremer

Voila un roman difficile à résumer. Disons que l’action se passe dans le Paris de la Belle Époque : chapeaux melon, corsets et jupons, les premières voitures, les grands boulevards et la Tour Eiffel. Sauf que cette dernière est en bois blanc, que des sirènes se baignent dans la Seine et que l’on peut croiser au coin des rues des chats ailés, des arbres philosophes ou des magiciens tels que Louis Denizart Hippolyte Griffont, le personnage principal de cette drôle d’aventure. En s’intéressant de trop près à un trafic d’objets enchantés, Griffont va s’embarquer dans une enquête palpitante et pleine de danger où se côtoient un antiquaire malhonnête que l’on rend amnésique, un diplomate mondain assassiné, des russes massacrés, des gargouilles sanguinaires et surtout la très séduisante Isabelle de Saint-Gil, qui n’est autre que sa propre femme dont il était sans nouvelle depuis plusieurs années.

Comment rendre crédible un univers aussi décalé et improbable ? La réponse est simple, il suffit de s’appeler Pierre Pevel et d’être un des maîtres de l’uchronie à la française. Franchement, le pari semblait au départ difficile. Et Pourtant… Parce qu’il connaît sur le bout des doigts la mécanique des romans d’aventure, parce que ses descriptions sont si réalistes que même une conversation entre un homme et un arbre dans un parc parisien semble naturelle et surtout parce que son ambition première est d’embarquer le lecteur dans un pur divertissement, Pierre Pevel réussit à rendre ses personnages et son intrigue plausibles. Surtout, il a ce talent rare qui permet d’amener les différents événements avec fluidité en alternant les séquences « calmes » (dialogues et descriptions), les scènes d’action et les coups de théâtre.

Bien sûr, tout n’est pas parfait. Il y a quelques ellipses malvenues et la fin n’est pas convaincante. Mais peu importe. La copie rendue mérite largement une belle mention. Hommage à Gaston Leroux, à Dumas ou encore aux grands feuilletonistes (Eugène Sue, Ponson du Térail ou Paul Féval), Les enchantements d’Ambremer signe le renouveau d’un genre que le regretté Frédéric H. Fajardie fut l’un des premiers à relancer avec succès en 2001 avec Les foulards rouges.

Je ne peux que conseiller à ceux qui ont découvert et apprécié Pierre Pevel avec ce roman de se jeter sur la trilogie Wieldstadt qui, à mes yeux, constitue à ce jour son travail le plus abouti.

Les enchantements d’Ambremer, de Pierre Pevel, Éditions Le pré aux Clercs, 2003. 350 pages. 15,90 euros.

L’info en plus : Les enchantements d’Ambremer ont connu une suite en 2004 intitulée L’Élixir d’oubli. Une belle occasion de retrouver Griffont et Isabelle de Saint-Gil dans le Paris des merveilles. Malheureusement, cet ouvrage n’est pas encore paru en poche et il est épuisé chez son éditeur d’origine (Le pré aux Clercs). Il doit cependant encore être possible de se le procurer chez un bouquiniste, sur une brocante ou un site internet spécialisé. Personnellement, un exemplaire est bien au chaud dans ma PAL !

mercredi 3 février 2010

Moi et Rien


C’est l’hiver. Lila est une petite fille que les autres enfants trouvent bizarre. Sa maman est partie dans le ciel et son Papa a des soucis. De toute façon, il n’est presque jamais là. C’est Madame Nellis qui s’occupe d’elle. Pour Lila, rien n’est important si Rien reste avec elle. Rien est un personnage imaginaire qu’elle s’est inventée pour tromper l’ennui et surmonter sa tristesse. Quand le printemps arrive, Lila plante les fleurs préférées de sa maman dans le jardin. Grâce à ces pavots bleus de l’Himalaya, la petite fille va renouer les liens avec son père et vivre une très belle saison.


Moi et Rien est un album d’une grande sensibilité. La mort de la mère ne fait aucun doute, mais elle est plus suggérée qu’affirmée clairement : « Pourquoi ne suis-je pas partie avec Maman dans le ciel ? Elle doit être sur l’Himalaya maintenant ». C’est une réflexion sur le travail de deuil, sur la façon de surmonter une épreuve aussi lourde pour un enfant. A cet égard, le rôle du printemps est fondamental : c’est le symbole du renouveau, le début d’une possible reconstruction.

La mise en page est « éclatée », avec une relation texte/image très variable d’une page à l’autre : deux illustrations et deux blocs-texte ; une illustration et un bloc-texte ; une illustration et deux blocs-texte ; une illustration pleine page. La seule illustration pleine page de l’album représente le moment le plus important, celui des retrouvailles entre le père et sa fille. Les illustrations sont enfantines, comme-ci Lila avait voulu dessiner elle-même les passages de son récit à la première personne. La petite fille est toujours représentée de la tête aux pieds, il n’y a que des plans larges et des plans d’ensemble, ce qui renforce le coté enfantin. Les couleurs sont quand à elles très froides, ternes.

Au final, cet album propose de traiter le deuil avec douceur et beaucoup d’intelligence. Un ouvrage à connaître et à recommander à ceux qui ne savent pas comment aborder avec leurs enfants le thème si particulier de la mort d’un proche.

Moi et Rien, de Kitty Crowther, L’école des loisirs, 2003. 5,50 euros. A partir de 8 ans.

L’info en plus : Le talent de Kitty Crowther a une fois de plus été reconnu à sa juste valeur puisque son dernier livre, Annie du lac, vient de remporter le prix Baobab de l’album au salon de Montreuil 2009. Plus d’informations ici : http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/I_05_01_bao.php



Chronique réalisée dans le cadre du challenge Lectures d'écoles et du challenge Les mercredis de l'album.



lundi 1 février 2010

L’ombre de ce que nous avons été


Santiago du Chili. Un tourne-disque jeté par la fenêtre au cours d’une dispute conjugale fracasse le crâne d’un passant quelques mètres plus bas. Ce passant n’est pas n’importe qui. Il s’appelle Pedro Nolasco Gonzalez. A 70 ans, cet anarchiste est une légende vivante, plus connu sous le sobriquet du Spécialiste.


Dans un hangar, trois sexagénaires se retrouvent, de retour d’exil 35 ans après le coup d’état de Pinochet. Ces anciens militants d’extrême gauche attendent le Spécialiste. Il doit leur proposer de participer à une action révolutionnaire. Evidemment, le Spécialiste ne viendra jamais. Celui qui se présente à sa place n’est pas un inconnu, mais c’est loin d’être une flèche…

Roman de l’exil, du déracinement et du temps qui passe (le titre résume merveilleusement l’ensemble !), ce texte se distingue par sa truculence et ses fulgurances littéraires. Ces papys tiennent plus des Pieds Nickelés que des grands héros révolutionnaires. Il ne leur reste que des souvenirs, et c’est déjà beaucoup. Sepulveda porte un regard plein de tendresse sur ces compatriotes qui lui ressemblent tant (proche des jeunesses communistes, il fit deux ans de prison sous Pinochet avant de s’exiler en Allemagne puis en Espagne).

Il dresse une galerie de personnages secondaires plus touchant les uns que les autres : un vieil inspecteur humaniste au grand cœur, sa jeune collègue pleine de bonne volonté ou encore cette femme qui regrette amèrement son exil berlinois et ne vit que grâce aux doux souvenirs laissés en Europe. Et puis il y a la ville. Santiago est un personnage à part entière Noyée sous les trombes d’eau pendant tout le roman, elle vit, elle aussi, avec la mémoire de sa grandeur passée. Aujourd’hui terne, sale, s’étant développée en dehors de tout contrôle, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Sepulveda aurait pu faire de son texte une mélopée d’une insondable tristesse. Il a choisi au contraire de traiter son sujet avec humour et de dérouler cette prose jubilatoire qu’il maîtrise si bien. A consommer sans modération.

L’ombre de ce que nous avons été, de Luis Sepulveda, Métailié, 2010. 150 pages. 17 euros.

L’info en plus : les éditions Points profitent de la sortie de ce nouveau roman pour publier en poche deux titres du grand auteur chilien. Le monde du bout du monde est paru pour la première fois en France en 1993. Réédité en poche dès 1995, il n’était plus disponible dans ce format depuis quelques années. La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli est l’avant dernier roman de Luis Sepulveda. Il paraitra pour la première fois en poche au mois de mars. Une belle occasion de compléter la bibliographie de ce magnifique romancier à moindre coût.

mardi 26 janvier 2010

Un bol plein de bonheur

Osaka, dans les années soixante. Ne supportant plus un mari alcoolique et joueur invétéré, Kazuo quitte le domicile familial avec Iroshi, son fils d’à peine 10 ans. Commence alors pour cette mère célibataire une existence rude faite d’efforts et de sacrifices pour donner à son enfant la meilleure éducation possible. « Je ne cède devant rien ni personne ». C’est avec cette maxime chevillée au corps qu’Iroshi et sa mère vont redoubler d’efforts et affronter avec une volonté de fer un quotidien parfois difficile. Le manga couvre en un volume plusieurs décennies de vie commune et se termine alors qu’Iroshi, devenu adulte et père de famille, enterre cette mère admirable qui lui aura tout donné sans jamais se plaindre.


L’entreprise de départ est noble. Montrer l’abnégation d’une mère célibataire prête à tout pour transmettre à son fils les valeurs morales nécessaires à faire de lui un homme bon, respectueux de soi et des autres est une idée remarquable et relativement originale. Cependant, la mise en scène de ce louable combat maternel sombre vite dans un pathos excessif. C’est essentiellement au niveau du dessin que le bât blesse. Les traits manquent de finesse, surtout pour les visages. Il y a énormément de gros plans où les expressions semblent forcées, très peu naturelles. On voit aussi couler beaucoup de larmes, des torrents entiers qui s’écoulent le long des joues et sous le nez. Là encore, la représentation des pleurs se veut grandiloquente, sans doute pour renforcer le caractère dramatique de la scène. Malheureusement, cela confine parfois au ridicule.

Vous l’aurez compris, le reproche majeur que je fais à ce manga est son manque de finesse. Le mélo atteint un paroxysme qui, en devenant outrancier, ne me touche plus.

Tsuru Moriyama a voulu réaliser un hymne aux mères courage qui n’hésitent pas à assumer seule l’éducation de leurs enfants. C’est une magnifique intention, mais je n’ai personnellement pas été embarqué dans ce drame trop larmoyant à mon goût.

PS : j’aimerais beaucoup avoir l’avis d’autres personnes sur ce manga car je pense que mon manque de sensibilité congénital (je n’ai jamais pleuré devant Bambi !) m’empêche sans doute de saisir toute l’intensité de ce drame. Ne vous fiez donc pas trop à mon opinion tranchée, il se pourrait bien qu’elle ne soit pas représentative de l’avis général.

Un bol plein de bonheur, de Tsuru Moriyama, Éditions Delcourt, 2010. 7,50 euros.

L’info en plus : La collection Gingko-Akata dans laquelle est publié ce manga est une collection qui s’adresse aux jeunes adultes en proposant des mangas de qualité très éloignés des blockbusters que l’on trouvent chez les grands éditeurs français de manga. C’est une collection qui est devenue prestigieuse grâce à son catalogue éclectique et souvent exigeant. On y trouve beaucoup de One Shot (Je ne suis pas mort, Le dernier été de mon enfance, Un bol plein de bonheur…), ce qui comble les lecteurs occasionnels de manga qui, comme moi, ne veulent pas s’embarquer dans des séries interminables. Bref, une collection qui vaut vraiment le coup d’œil.