jeudi 3 avril 2025

Sur la touche - Karen Viggers

Le roman s’ouvre avec l’arrivée d’une ambulance sur un terrain de football amateur australien. Apparemment une agression a eu lieu, on ne sait pas comment ni pourquoi. On sait juste qu’un joueur est allongé sur le sol et que sa mâchoire est fracassée. On rembobine ensuite neuf mois plus tôt pour faire la rencontre de Jonica, une mère de famille dont les jumeaux ados jouent dans une équipe de foot mixte. Alex le garçon et Audrey la fille sont mis sous pression par leur père, avocat et ancien joueur, qui voit en eux de futurs champions. Puis on découvre Carmen, maman de Katerina, l’autre fille de l’équipe. Au fil des chapitres on entre dans les pensées des parents et de leur progéniture, pour découvrir à quel point des enjeux extra-sportifs viennent pourrir une activité qui ne devrait pourtant rester qu’un simple loisir. Et on finit par comprendre comment les événements se sont enchaînés pour aboutir à l’arrivée de l’ambulance un jour de match.

La réflexion menée sur l’implication trop importante des parents dans les clubs de foot, sur et en dehors du terrain, est intéressante et présentée de manière plutôt réaliste. Tout comme les réactions des enfants, leur passage à l’adolescence qui fait évoluer leurs centres d’intérêt, quitte à les éloigner des occupations qu’ils adoraient étant plus jeunes. Karen Viggers jongle avec aisance entre ses protagonistes mais son propos est souvent aussi simpliste que caricatural. Même la question du harcèlement, abordée frontalement, se règle d’un claquement de doigt et transforme le coupable en agneau une fois ses agissements démasqués. 

Bref, l’autrice du best-seller La mémoire des embruns est, quelque part, tombée dans la facilité alors que le sujet aurait pu se prêter à bien plus de finesse et de nuances. Dernier point négatif, la platitude de son écriture, noyée dans un océan de dialogues aussi creux que dispensables. Vraiment pas une réussite.

Sur la touche de Karen Viggers (traduit de l’anglais par Aude Carlier). Les Escales, 2025. 360 pages. 23,00 euros.





mercredi 26 mars 2025

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu - Léna Merhej et Sélim Nassib

Le Liban au début des années 70 est une mosaïque de communautés vivant en paix les unes à côté des autres. A Beyrouth, dans la rue Rizkallah, on trouve des chrétiens maronites, des juifs, des Chiites, des arméniens, des filles grecques, turques et égyptiennes travaillant dans les cabarets du front de mer. Épiciers, coiffeur, boulanger, menuisier et teinturier vivent en bonne entente, sans se mélanger. Tout le monde se connaît mais personne ne se voit vraiment. Les relations se limitent à la famille et aux lieux de culte. On ne se soucie pas des autres, ils font partie du décor, de la vie du quartier, on s’accepte sans se poser de question. C’est le génie de Beyrouth, « faire tenir ensemble ce qui ne devrait pas ». Jusqu’au jour où les palestiniens réfugiés au Liban prennent les armes pour provoquer Israël, le pays qui les a chassés de leur terre. L’armée libanaise veut mater les provocateurs pour éviter l’extension des combats sur son territoire mais les musulmans du pays se joignent à leurs frères palestiniens. En réponse, la population chrétienne crée des milices pour ne pas se laisser marcher dessus. C’est le début d’une guerre civile qui durera plus de quinze ans, entre 1975 et 1990.

Dans la rue Rizkallah, l’entente cordiale n’a plus cours. On se méfie du voisin, on espionne, on s’interroge. Et quand les combats ravagent le centre-ville, l’artère pleine de vie se vide petit à petit, de ses commerces et de sa population. Léna Merhej et Sélim Nassib racontent l’évolution des relations entre les habitants, le malaise, d’abord insidieux, prend une dimension concrète lorsque la guerre devient une réalité palpable pour tous. Le propos est aussi historique qu’instructif, il montre, à une échelle très locale, un phénomène qui a touché la société libanaise dans sa globalité et a signé la fin du vivre ensemble. La confrontation des personnages avec la guerre n’est pas frontale, ça reste finalement assez doux et bienveillant, donnant à l’album un charme particulier et indéfinissable.

Ce premier tome d’une trilogie se veut plus nostalgique que politique, plus mélancolique qu’engagé, autant pour se souvenir des temps heureux que pour signifier une forme d’évidence : oui, c’était mieux avant. 

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu de Léna Merhej et Sélim Nassib. Dargaud, 2025. 130 pages. 22,95 euros.










lundi 24 mars 2025

Les mémoires de la forêt T4 : La saison des adieux - Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe

Voilà, ça y est, j’ai fini les mémoires de la forêt. Quatre tomes avalés en quelques semaines, ce fut un vrai plaisir de parcourir en long et en large les sentiers de Bellécorce, de prendre le train vers le Grand Nord, de saliver devant les tonnes de pâtisseries englouties et de vivre tant d’événements marquants au fil des aventures de la famille Renard. Je persiste à penser que, sous ses airs enfantins (anthropomorphisme, décor sylvestre, illustrations douces et enchanteresses), cette série est davantage destinée aux adultes qu’aux enfants, c’est sans doute pour cela que j’y ai autant trouvé mon compte.

Dans ce dernier volume, alors que le village s’apprête à fêter en grandes pompes les quatre-vingts ans de la librairie de Bellécorce, l’arbre qui l’abrite est frappé par le croquebois, une maladie incurable rongeant ses branches et son tronc. Pour le jeune Ernest Renard, la disparition du chêne signifierait perdre à tout jamais les derniers souvenirs de sa maman Anouchka, morte quelques années plus tôt. Son seul espoir ? Trouver l'arbre des souhaits, un pommier magique censé accomplir des miracles.

Une conclusion pleine de mélancolie et de nostalgie. On retrouve les protagonistes 25 ans après les événements du précédent. Bartholomé a pris la succession de la librairie, il est devenu père et c’est son fils Ernest qui part à l’aventure avec une petite taupe qui lui sera d’un grand secours pendant son périple. C’est clairement l’histoire la plus triste de la série, l’ambiance est sombre du début à la fin, il y a moins d’humour et les lieux visités font moins rêver. Pour autant, c’est toujours très fin au niveau de la psychologie des personnages, pétri de bienveillance et bourré de sucreries qui mettent l’eau à la bouche. Une conclusion à la hauteur de cet univers hyper touchant dans lequel Mickaël Brun-Arnaud n’a pas eu peur d’aborder des thématiques “pesantes” comme le deuil, la maladie où les violences intra-familiales avec une finesse et une intelligence qui forcent le respect et l’admiration.

Les mémoires de la forêt T4 : La saison des adieux de Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe. L’école des Loisirs, 2024. 330 pages. 15,50 euros. A partir de 9-10 ans





mercredi 19 mars 2025

L'adoption T5 : Le sourire du plombier - Zidrou et Arno Monin

L’album s’ouvre sur la mort du père. Un papa poule qui a élevé ses trois filles après le décès de sa femme. Sur les trois enfants, une seule est sortie du ventre de sa mère. Les deux autres ont été adoptées. Mais peu importe les liens du sang, elles ont toujours été des sœurs fusionnelles. La disparition de leur papa ravive les souvenirs. Avec elles nous replongeons dans leur passé. Quand maman était là, passionnée de littérature, nulle en cuisine mais toujours prête à leur lire les aventures de Fifi Brindacier. Et après sa mort, quand Papa a tout assumé, sans jamais se départir de sa bonne humeur, prêt à tous les sacrifices pour rendre la vie plus douce en dépit des épreuves à affronter.

Un album plein d’ondes positives malgré le deuil qui reste un sujet central. Contrairement aux autres opus de la série, on a ici affaire à un one shot et pas à un diptyque. Et contrairement aux autres opus de la série, l’adoption est vue comme un élément du passé et non comme le présent des protagonistes. Franchement, j’ai adoré cette histoire qui serre le cœur et en même temps donne le sourire. Zidrou revient à l’esprit des Beaux étés je trouve, ce mélange entre légèreté et gravité, cette volonté de laisser la lumière prendre le pas sur l’ombre, magnifiée par le dessin hyper expressif et tout en souplesse d’Arno Monin, qui prend parfois des faux airs de Jordi Lafebre.

Une lecture qui met du baume au cœur sans pathos ni nunucherie. La construction du récit est limpide, imparable. Une masterclass !

L'adoption T5 : Le sourire du plombier de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2024. 70 pages. 16,90 euros









lundi 17 mars 2025

La dame de ses pensées : lettres érotiques - Cécilia Dutter

Ce bouquin, je l’ai trouvé dans une boîte à livres. Le sous-titre « Lettres érotiques » m’a évidemment intrigué. La forme épistolaire aussi, assurance d’une lecture courte qui ne me ferait pas trop perdre mon temps si l’histoire et l’écriture venaient à tourner au fiasco. 

La première lettre est l’œuvre d’Edouard, un avocat parisien tombé fou amoureux d’une amie de sa femme. C’est évidemment à elle qu’il écrit. Elle s’appelle Alice, est psychologue, a vingt ans de moins que lui et n’est pas prête à recevoir ses missives enflammées. Elle l’envoie donc sur les roses sans prendre de gants mais il persévère. Elle se moque des scénarios qu’il élabore pour la séduire, lui répond qu’il s’y prend comme un manche et lui explique comment il pourrait corriger le tir. Edouard va alors commencer à respecter les consignes. Et petit à petit Alice va se prendre au jeu. Au point de devenir la plus entreprenante des deux.

Un roman épistolaire bourgeois, un peu suranné, à la prose chic et précieuse. On aurait pu tomber dans le ridicule absolu mais ce n’est pas du tout le cas. On n’est certes pas au niveau des Liaisons dangereuses mais le côté désuet est plein de charme, au point qu’on finit par se passionner pour la relation entre cet homme et cette femme, pour les atermoiements de l’avocat et la force tranquille de la psy, pour l’évolution de leurs points de vue respectifs et le réalisme des changements qui s’opèrent en eux au fil de leurs échanges. C’est fin, bien mené, sans jamais forcer le trait ou l’allure. La chute est inattendue, en tout cas je ne l’avais pas vue venir. Niveau érotique, tout est dans la suggestion, pas de gros sabots et aucune vulgarité, ça reste chic et précieux jusqu’au bout. Un texte de “boomer”, tellement pas à la mode qu’il ne pouvait que me plaire !

La dame de ses pensées : lettres érotiques de Cécilia Dutter. Ramsay, 2008. 150 pages. 15,50 euros.

PS : si j'ai bien compris, ce roman épistolaire a été réédité chez Milady sous le titre "Cher Alice" en 2016. Après, je ne sais pas si le texte a été remanié ("modernisé") pour l'occasion.





lundi 10 mars 2025

Le clan des Brumes 2 : Les héritiers - Antonio Pérez Henares

Alors que le paléolithique touche à sa fin et qu'apparaît la révolution néolithique qui bouleverse le cours de l'humanité, deux jeunes hommes du clan des brumes, le fils de l'Aigrette et l'Archer, se lancent dans une aventure initiatique. Leur voyage les mène des montagnes du cœur de l’Espagne jusqu'à la mer. Ils découvrent de nouvelles tribus, leurs coutumes et leurs techniques.

Une fiction préhistorique hyper réaliste, didactique, vulgarisatrice et captivante. On est à un moment charnière, ce moment de bascule du paléolithique vers le néolithique où cro-magnon vit ses derniers moments de cohabitations avec des néanderthaliens sur le point de disparaître définitivement. Les hommes se sédentarisent, ils cultivent des céréales et élèvent du bétail, abandonnant peu à peu leur profil “unidimensionnel” de chasseur-cueilleur. Un changement religieux et sociétal s’engage également. La déesse mère est peu à peu abandonnée au profit de figures divines masculines. Le patriarcat fait ses premiers pas, la place égalitaire, voire supérieure, de la femme par rapport aux hommes commence à être remise en cause. Nos deux héros découvrent d’autres peuples, ils s’ouvrent au monde, sont confrontés à la violence, découvrent la sexualité et l’amour. Les éléments historico-scientifiques sont amenés avec fluidité au fil du récit, rien n’est forcé, ça reste un roman avant tout. Et un roman passionnant à tous points de vue.

Le clan des Brumes 2 : Les héritiers d’Antonio Pérez Henares (traduit de l’espagnol par Anne-Carole Grillot). Hervé Chopin éditions, 2024. 245 pages. 21,50 euros.

mercredi 5 mars 2025

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... - Matt Kindt et Dan McDaid

Il y a quelques années, l’armée américaine a découvert un portail quantique permettant de se rendre sur une planète habitée par des entités extraterrestres. Une planète baptisée Terminus, sur laquelle un pied à terre a été construit pour les humains. Sur cette planète l’homme n’est pas vraiment le bienvenu, c’est pourquoi n’y sont envoyés en mission que la crème des marines. Robin est journaliste. Elle s’est jointe à l’équipage en route vers terminus pour rédiger le premier article consacré à cette incroyable planète. Problème, au bout d’à peine dix minutes sur place, les soldats censés la protéger ont tous été massacrés. Robin se retrouve seule, se demandant comment elle va pouvoir survivre… et mener à bien son reportage.

Un one shot de science-fiction qui se veut efficace mais qui balaie trop rapidement les enjeux qu’il soulève. L’équilibre entre action et réflexion est bancal, les scènes spectaculaires prenant le pas sur les questionnements philosophiques concernant la capacité de l’homme à salir tout ce qu’il touche. Car au final le propos se veut engagé, dénonçant ce travers humain qui consiste à aborder chaque nouveau territoire en conquérant plutôt qu’en invité curieux et bienveillant. L’idée est bonne mais sa mise en œuvre manque d’épaisseur. Dommage parce que le dessin est parfait pour de la SF, l’architecture de la planète Terminus s’apparentant parfois à un décor digne de Lovecraft. Une lecture agréable mais à laquelle il manque pas mal d’atouts pour passer dans la catégorie des incontournables.

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... de Matt Kindt et Dan McDaid. Delcourt, 2025. 95 pages. 17,95 euros.




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lundi 3 mars 2025

Déchéance d'un homme Suivi de Goodbye - Osamu Dazai

Le narrateur de « Déchéance d’un homme » raconte son parcours dans trois cahiers distincts. Le premier est consacré à son enfance. De constitution fragile, il grandit dans le Japon des années 30, au sein d’une famille aisée. Gamin solitaire, ne trouvant pas de sens à son existence, il constate que « rien ne peut faire [son] bonheur ». Abusé sexuellement par les domestiques de ses parents, il cache son mal-être en faisant le clown et en passant pour un enfant espiègle.

Le deuxième cahier correspond à son entrée au collège, puis au lycée et, parallèlement, dans une école d’art. C’est dans cette dernière qu’il rencontre Horiki, un camarade qui va lui faire découvrir « l’alcool, le tabac, les femmes vénales, le prêt sur gage et les idées de gauche ». Sa famille lui coupe les vivres, il connaît une existence misérable et finit par se mettre en couple avec une serveuse. Ils décident ensemble d’un double suicide en se jetant dans l’océan. Il survivra, pas elle.

Dans le dernier cahier notre homme devient dessinateur de mangas bas de gamme. Il sombre dans l’alcool, se marie sur un coup de tête, tombe dans la drogue et finit par être interné en hôpital psychiatrique.

Rarement un titre de roman aura été si pertinent. La déchéance d’un homme, c’est le parcours chaotique d’un inadapté. Un texte culte, par un auteur considéré comme l’enfant terrible de la littérature japonaise. Le récit est profondément autobiographique, que ce soit par rapport à la rupture familiale, le double suicide, la drogue, l’alcool et les femmes ou encore l’engagement politique auprès du parti communiste. Le portrait dressé est celui d’un homme mal dans sa peau, pas à sa place. Un décadent lucide maniant l’autodérision, un désespéré à l’ironie mordante. « Goodbye », texte inachevé, est plus léger, moins nihiliste que « Déchéance d’un homme ».  Le couple qui y est mis en en scène a quelque chose d’absurde, l’humour est grinçant, les dialogues savoureux. Dommage que Dazai se soit suicidé avant d’en avoir écrit la conclusion…

Déchéance d'un homme Suivi de Goodbye d’Osamu Dazai (traduit du japonais par Didier Chiche). Les Belles Lettres, 2024. 220 pages. 23,00 euros.





mercredi 26 février 2025

L’abîme de l’oubli - Paco Roca et Rodrigo Terrasa

Septembre 1940, en Espagne, dans la province de Valence. Des prisonniers républicains sont fusillés par les franquistes et jetés dans une fosse commune. Parmi eux, José Celda, un père de famille accusé de rébellion. Soixante-dix ans plus tard, sa fille Pepica arpente les méandres de l’administration pour sortir la dépouille de son père du charnier et lui offrir la sépulture qu’il mérite.

C’est l’histoire d’une octogénaire ayant promis à sa mère de ramener son mari près de lui, dans leur dernière demeure. Une fille déterminée à réunir ses parents malgré les difficultés. En 2007, une loi sur la « mémoire historique » a permis pour la première fois une condamnation explicite de la dictature et la reconnaissance des martyrs du franquisme. Dans cette loi, l'État s'engageait également à aider à localiser et éventuellement exhumer les victimes de la répression dont les corps étaient encore disparus. Pepica a profité de cette opportunité et est parvenue à obtenir la mobilisation d’une équipe d’archéologues. Grâce à une mèche de cheveux qu’elle a gardée pendant des décennies, son papa a pu être identifié, et sa dépouille lui être restituée.

Les auteurs montrent à la fois la détermination de Pepica, le sérieux des archéologues et le manque de volonté d’instances politiques réfractaires à revenir sur des épisodes douloureux de l’histoire du pays. Le passé et le présent s’entremêlent, mettant en lumière la figure héroïque de Leoncio Badia, le gardien du cimetière au moment des exécutions. Prenant tous les risques pour offrir un minimum de dignité aux suppliciés qu’il enterrait, il s’évertua également à garder des traces des défunts, ce qui facilitera leur identification bien après sa propre mort.

Le travail de Paco Roca et Rodrigo Terrasa offre une magnifique réflexion sur le devoir de mémoire et montre à quel point la question de l’héritage de la guerre civile espagnole est un enjeu complexe, relevant aujourd’hui encore d’une forme de « malaise national ». Un album poignant, alliant pudeur, respect et humanité.

L’abîme de l’oubli de Paco Roca et Rodrigo Terrasa. Delcourt, 2025. 300 pages. 29,95 euros.



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lundi 24 février 2025

Azincourt par temps de pluie - Jean Teulé

Azincourt, 24 octobre 1415. Ils sont venus, ils sont tous là, ils sont 15 000 (à peu près), sous des trombes d'eau. Demain, la fine fleur de la chevalerie française va écraser quelques milliers d’anglais se dirigeant vers Calais pour rentrer chez eux après une longue campagne en Normandie. L’écart entre les forces en présence est énorme. Les Français, bien plus nombreux, vont botter les fesses de l’ennemi, pas possible autrement. Mais alors pourquoi ce qui devait être une victoire écrasante va devenir l'une des pires débâcles de l’histoire ? Pourquoi un tel désastre ? Comment en est-on arrivé là ? Jean Teulé revient sur les événements. L’avant et le pendant. Comment chaque camp s’est préparé, comment vainqueurs et vaincus ont manœuvré. Et surtout comment l’arrogance française a pu prendre une telle déculottée.

Un roman historique à la sauce Teulé, c’est-à-dire solide sur le fond mais en roue libre sur la forme. En tout cas au niveau de l’écriture, toujours très gouailleuse (vulgaire diront certains), cynique, moqueuses, ironique et plutôt drôle. L’armée française est tournée en ridicule, elle croule sous la boue et les sarcasmes de l’auteur, qui se montre sans pitié face à tant de morgue et de stupidité. La violence est parfois un peu gratuite mais en même temps, vu l’épouvantable charnier à la fin de la bataille, il aurait été malvenu de suggérer mollement plutôt que de décrire crûment. Pas le roman du siècle, loin de là, mais une façon plutôt décalée d’enrichir sa culture historique sans être assommé par la précision scientifique des « vrais » spécialistes. A déconseiller toutefois aux patriotes défenseurs de la grandeur de la France, ils risqueraient d’en prendre un sacré coup au moral.

Azincourt par temps de pluie de Jean Teulé. Ed. Miallet-Barrault, 2022. 200 pages. 19,00 euros.





mercredi 19 février 2025

Le chœur des sardinières - Léah Touitou et Max Lewko

1924. Á Douarnenez, les sardinières se rebiffent. Réclamant un meilleur salaire et le paiement des heures supplémentaires, les ouvrières des nombreuses usines locales engagent un bras de fer avec leurs patrons. Soutenues par les communistes et ce qui sera les prémices de la CGT, reçues à Paris par un ministre du travail qui les soutient mais reconnaît ne rien pouvoir faire pour elles, rejointes par leurs hommes pêcheurs qui refuseront de sortir en mer et confrontées à des casseurs de grève, elles ne lâcheront pas leur combat avant d’avoir obtenu gain de cause. Et tant pis pour le salaire manquant, il faudra se serrer les coudes pour tenir, pour que personne ne flanche, pour qu’aucune usine ne reprenne la production tant que le patronat n’aura pas accédé à leurs demandes.

L’album décrit parfaitement l’ambiance pesante sous le crachin breton, le rythme infernal de l’usine où les sardinières sont appelées par une cloche dès que les bateaux rentrent au port, car la sardine n’attend pas, elle doit être traitée dès son débarquement. Il est question de la violence des maris allant boire leur maigre pécule au bar, du travail des enfants, mis à contribution dès 10 ans, et surtout de l’impossibilité d’imaginer un avenir meilleur avec un salaire permettant tout juste de faire bouillir la marmite et, pour les jeunes, aucune chance de poursuivre leurs études. Les auteurs montrent la solidarité entre les ouvrières, le combat mené par le maire de la ville, qui n’a jamais cessé de défendre leur cause, l’intervention d’une militante syndicale venue de la capitale et le mépris de ces patrons considérant les sardinières comme des petites mains ne méritant pas la moindre considération de leur part. 

Un one shot que j’ai dévoré et qui m’a permis de découvrir à la fois un moment important de la lutte sociale de l’entre-deux guerres et un grand combat féministe, mené par des travailleuses aspirant simplement à vivre dignement du fruit de leur dur labeur. Aussi instructif qu’inspirant ! 

Le chœur des sardinières de Léah Touitou et Max Lewko. Steinkis, 2025. 135 pages. 20,00 euros.


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vendredi 14 février 2025

Le dernier enfant du Blitz - Julia Kelly

Liverpool, janvier 1935. Viv s’apprête à se marier avec Joshua, le père de son futur enfant. Elle est catholique, il est juif, et sans cette grossesse « accidentelle », jamais leur union n’aurait pu être possible. Lui, musicien, rêve d’Amérique alors que la jeune fille vit encore chez ses parents, aussi stricts que pieux. Le jour du mariage, juste après l’échange des vœux, la mère de Viv propose à Joshua une somme conséquente pour qu’il disparaisse de la vie de sa fille. Quatre ans plus tard, alors que l’Angleterre s’apprête à subir les assauts aériens allemands, Viv, qui élève seul sa petite Maggie, doit se résoudre à l’envoyer dans une famille d’accueil à la campagne pour la mettre à l’abri. Joshua de son côté quitte New-York, où sa carrière n’a jamais décollé, pour s’engager dans la Royal Air Force. Quand, quelques mois après le début de la guerre, Maggie disparaît, sa mère ne supporte pas la douleur de la perte. 

Une fresque historique où les tensions familiales vont de pair avec celles engendrées par la guerre. La description du quotidien des Anglais sous le déluge de feu nazi est aussi réaliste que poignante. Réaliste dans la mesure où le fonctionnement de la société pendant cette période est raconté avec force détails. Poignante car elle montre la solidarité d’un peuple prêt à se serrer les coudes pour affronter ce terrible moment, un peuple décidé à ne pas courber l’échine face à l’ennemi. 

Julia Kelly a l’intelligence de ne pas faire pencher son récit du coté de la romance guimauve. Non, Viv ne pardonnera jamais à Joshua sa fuite le jour du mariage. Le focus se fait davantage sur la volonté sans faille de cette maman solo d’élever sa fille dans des conditions déplorables, avec des parents qui la rejettent et une indépendance financière impossible à acquérir. Surtout, elle montre à quel point l’amour d’une mère peut déplacer des montagnes et à quel point l’instinct maternel surpasse toutes les difficultés.

L’écriture est simple, hyper fluide, clairement pas de la grande littérature mais l’intrigue est menée avec une efficacité sans fausse note. Un portrait de femme touchant, doublé d’une précision historique des plus instructives, qui m’a fait passer un excellent moment de lecture.

Le dernier enfant du Blitz de Julia Kelly (traduit de l’anglais par Laurent Barucq). Eyrolles, 2025. 510 pages. 23,90 euros.






mercredi 12 février 2025

Lover Dose - Fortu

L’amour, un thème inépuisable. Qui peut vite devenir cucul si on n’y prend garde. Aucune chance que cela arrive à Fortu, tant son approche du sujet conjugue cynisme et humour décalé. Il aborde dans cet album des thématiques aussi variées que la répartition des tâches, la charge mentale, les centres d’intérêt divergents, la complicité de façade, les changements que l’autre ne remarque même plus et, bien évidemment, l’alchimie sexuelle qui n’est souvent qu’un mirage. Il y est aussi question de jardins secrets difficiles à cacher, d’efforts que l’on ne prend plus la peine de faire et de l’impossibilité d’être sur la même longueur d’ondes au même moment. S’il n’y avait qu’une seule conclusion à tirer ? : Dans les couples d’aujourd’hui, les intérêts individuels prennent (presque) toujours le pas sur le collectif !

Le ton n’est ni méchant ni violent, l’inspiration « artistique » de Fortu est clairement à chercher du côté de Fabcaro (Et si l’amour c’était aimer ?) et Emmanuel Reuzé (Faut pas prendre les cons pour des gens). De l’absurde, du dessin semi-réaliste un poil figé, du gag en une planche où la chute doit déclencher l’hilarité, les ingrédients sont les mêmes que ceux utilisés par ses célèbres modèles. Alors ça ne marche pas à tous les coups, c’est plus ou moins inspiré mais l’auteur n’enfonce pas trop de portes ouvertes et tombe rarement dans la facilité des grands clichés. Petit bémol, un certain manque de diversité dans les couples mis en scène. Disons que, malgré quelques couples mixtes, on donne surtout dans le couple blanc 100% hétéros et 100% sans enfants.

Au final, une succession de tranches de vie grinçantes et loufoques qui se lit avec plaisir et sans prise de tête. Attention toutefois à ne pas mettre cet album entre les mains des idéalistes de l’amour.

Lover Dose de Fortu. Expé Éditions, 2025. 80 pages. 18,95 euros.


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mercredi 5 février 2025

Les enquêtes de Louise Beauvoir T1 : Disparition en Corse - Bruno Lecigne, Jacques Batier et Toni Cittadini

Dans un hameau corse, un couple découvre une jeune femme inconsciente près d'une voiture accidentée. Une mallette remplie d'argent est à ses côtés. En vacances dans les Alpilles, Louise Beauvoir croit reconnaître la disparue dont parlent les journaux. Elle ressemble à l’adolescente qu'elle recherche depuis sept ans. Pas question d'annuler les vacances, Louise change simplement de destination... et se rend en Corse avec sa fille pour faire la lumière sur cette histoire. 

De la BD à papa, à l’ancienne. Une histoire simple, avec les préjugés classiques sur les corses et leurs “traditions”. On sait dès le départ qui sont les victimes et les coupables, l’enjeu consiste juste à savoir comment ils vont être démasqués. Là encore c’est plutôt convenu, amené avec une forme de logique où tous les éléments viennent s’imbriquer un peu trop facilement. Au final le moment de lecture, certes sans surprise, reste agréable, du moins si l’on n’est pas en recherche de modernité et de complexité en termes de scénario.

En fait, on se croirait dans un polar régionaliste de France 3 le samedi soir. N’y voyez rien de péjoratif, c’est juste un constat et c’est clairement la première référence qui me vient. D’ailleurs, cette impression est renforcée quand on sait que le scénariste Bruno Lecigne a écrit des dizaines de téléfilms pour France TV et qu’il envisage de placer chaque nouvelle enquête de Louise Beauvoir dans un coin de France différent (la prochaine se déroulera en Haute-Savoie). 

Les enquêtes de Louise Beauvoir T1 : Disparition en Corse de Bruno Lecigne, Jacques Batier et Toni Cittadini. Les Humanoïdes Associés, 2024. 96 pages. 22,00 euros.










lundi 3 février 2025

Et toujours les forêts - Sandrine Collette

Corentin, enfant mal-aimé, est confié par sa mère à Augustine, son arrière-grand-mère habitant la vallée des Forêts. Devenu étudiant à la grande ville, il se plonge dans la fête permanente tandis qu'une chaleur anormale n'en finit plus de transformer la terre en désert. La nuit où le monde achève de s'effondrer, Corentin survit miraculeusement, caché au fond des catacombes. Revenu à la surface dans un univers dévasté, il est seul. Guidé par l'espoir insensé de retrouver Augustine, Corentin prend le long chemin des Forêts. Il y retrouve la vieille femme, qui a elle aussi survécu, et Mathilde, une jeune femme des environs avec laquelle il jouait pendant son enfance.

Le trio va survivre avec les moyens du bord, même si la terre, la rivière et la forêt n’offrent plus la moindre ressource. Au fil des ans les enfants de Corentin et Mathilde viendront agrandir la tribu, tandis que les conditions de vie ne cesseront de se dégrader.

Une catastrophe, un survivant miraculé qui va retrouver des survivantes miraculées. Des années passées au cœur des forêts en petit comité. Une famille qui se crée, des enfants et des chiens. Survivre malgré le manque de nourriture et l’absence d’espoir. Un roman sur l’effondrement du monde qui déborde de tristesse et d’humanité. L’intime plutôt que les effets de manche, les petits riens plutôt que le spectaculaire, Sandrine Collette aborde une thématique déjà vue cent fois sous l’angle du ressenti individuel plutôt que dans la mise en scène pleine de bruit et de fureur d’une sauvagerie collective.

Le résultat est impressionnant d’intensité, d’émotion et d’une forme de lucidité qui lacèrera les cœurs les plus endurcis.

Et toujours les forêts de Sandrine Collette. Le livre de poche, 2021. 380 pages. 7 ,90 euros.



vendredi 31 janvier 2025

Le ciel de Joy - Sophie Adriansen

Joy, 17 ans, connaît pour la première fois le grand amour. Avec Robinson tout est simple, fluide, limpide, évident. Même leur première fois. Les choses changent le jour où Joy découvre qu’elle est enceinte. Une grossesse adolescente, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Pour ces dernières, il faut garder l’enfant à venir, entretenir en quelque sorte la « tradition » familiale. Mais la jeune fille ne l’entend pas de cette oreille. Ce schéma à reproduire, elle n’en veut pas. Ce qu’elle veut, c’est être libre de son choix. Ce qu’elle veut, c’est ne plus porter en elle cet embryon qui gâcherait son avenir. La possibilité d’avorter existe pour les mineurs en France, sans le consentement des adultes. Néanmoins, la présence d’un majeur est obligatoire tout au long du processus. Et sans le soutien de sa famille, Joy va découvrir que son chemin vers l’IVG va être bien plus compliqué qu’elle ne l’imaginait.

Un roman pro-ivg forcément engagé. Sophie Adriansen aborde le sujet en finesse, elle dresse le portrait d’une jeune fille touchante, fragile et déterminée. Se faisant, elle décortique chaque phase du processus allant de la découverte de la grossesse jusqu’à l’avortement de façon didactique mais sans lourdeur. Une forme de vulgarisation fictionnelle qui, au-delà de l’aspect purement médical, aborde également les répercussions intimes et familiales d’un tel bouleversement dans la vie d’une ado. Les témoignages qui encadrent les chapitres montrent par ailleurs les difficultés, partout dans le monde, que rencontrent les femmes pour disposer de leur corps comme bon leur semble. Aussi édifiant que révoltant ! 

Le ciel de Joy de Sophie Adriansen. Flammarion, 2025. 230 pages. 16,90 euros. A partir de 15-16 ans.



mardi 28 janvier 2025

Chien des Ozarks - Eli Cranor

Mettre dans le même sac une famille de suprémacistes blancs, un gang mexicain et un ancien sniper de l’armée américaine décoré pour ses « exploits » au Vietnam équivaut à jeter une allumette dans un baril de poudre. Au départ pourtant, c’est le calme plat à Taggard, coin paumé du fin fond de l’Arkansas. Jeremiah s’apprête à accompagner sa petite fille Jo au bal de fin d’année. Il tient à cette gamine comme à la prunelle de ses yeux, lui qui l’a élevée depuis que son père a été condamné à perpétuité pour meurtre alors qu’elle n’était qu’un nourrisson, juste après que sa mère camée l’ait abandonnée. Problème pour Jeremiah et Jo, Evail Ledford veut gâcher la fête. Lui, dont le frère a été abattu par le père de Jo au cours d’un cambriolage, n’a que la vengeance en tête. Pour l’accomplir, son plan est simple : kidnapper l’adolescente et la vendre à un cartel mexicain contre des kilos de drogue. Évidemment, rien ne va se passer comme prévu. Et évidemment, le papy va faire de la résistance (et des dégats) pour protéger la seule chose qui lui reste.

Eli Cranor sait jouer avec des ingrédients hautement inflammables pour créer une situation explosive. Il prend son temps, accélère quand la situation l’exige, enclenche une marche arrière pour mieux expliquer les motivations des uns et des autres et n’hésite pas à se lancer dans des dérapages incontrôlés pour tout faire valser. Pour autant il ne fonce pas tête baissée, en gros bourrin. Ces personnages ont de l’épaisseur. Sous le vernis de la brutalité pure, tous trimballent une sacrée cargaison de tristesse et de fragilité. Les héritages sont lourds à porter, les rancœurs tenaces et dès le départ, on sait comment les choses vont se terminer.

Du noir serré, amer, brûlant comme j’aime. Eli Cranor est assurément une nouvelle voix du polar américain à suivre de près, aux côtés de S.A Cosby, Benjamin Whitmer ou Jake Hinckson (liste évidemment non exhaustive).

Chien des Ozarks d'Eli Cranor (traduit de l'anglais par Emmanuelle Heurtebize). Sonatine, 2025. 300 pages. 22,00 euros.




vendredi 24 janvier 2025

Le testament de Sully - Richard Russo

Une ombre plane sur North Bath. Alors que la cité, au bord de la faillite, vient d’être rattachée à sa cossue voisine Schuyler Spings, ses habitants semblent hantés par la présence envahissante du défunt Sully. Le fils de ce dernier, Peter, a acheté des parts du bar dans le lequel son père passait la majeure partie de ses journées pour aider Birdie, la vieille tenancière de ce lieu iconique de la ville. Tandis que Ruth, ancienne maîtresse de Sully, entretient des rapports compliqués avec sa fille et sa petite fille, Rub, son meilleur ami, sombre dans la dépression. Au même moment Doug Raymer, shérif démissionnaire de North Bath, retrouve Charyce Bond, son ancienne adjointe nommée à la tête de la police de Schuyler Spings, après la découverte d’un corps en décomposition dans le hall d’un hôtel à l’abandon. Et que vient faire Thomas, le fils de Peter qu’il n’a pas vu depuis des années, sur le seuil de sa maison avec dans son coffre une cargaison de bidons d’essence ? Bref, la petite communauté est en pleine agitation, et les exactions du flic ripoux Delgado ne vont pas arranger les choses.

La boucle est bouclée. Après Un homme presque parfait et À malin, malin et demi, Richard Russo conclut la trilogie de North Bath comme il l’a commencée, avec beaucoup d’humanité. Orchestrant en maestro ce ramassis de médiocrité, il papillonne entre la myriade de personnages, offrant à chacun toute l’attention nécessaire. Des personnages qui, à défaut d’autodérision, démontrent une impressionnante capacité d’auto apitoiement. Il faut dire que leur quotidien ne les épargne guère et que leurs maladresses s’avèrent coûteuses. Tout le roman se passe en deux jours, les existences se croisent, les ressentiments s’accumulent, remords et regrets se conjuguent pendant que la neige tombe à gros flocons sur la ville. 

C’est beau comme du Russo. Mélancolique, désabusé, ambitieux, foisonnant. Avec peut-être un poil moins d’ironie mordante et de d’humour grinçant que d’habitude. Sans doute un choix judicieux pour achever la trilogie en douceur et offrir à ses protagonistes le réconfort qu’ils méritent après les avoir tant malmenés. Seul bémol pour mon goût de lecteur pessimiste, une conclusion « positive » qui aurait pu être saupoudrée d’une pincée supplémentaire de noirceur. Parce que oui, à la fin, tout se termine bien. Les méchants sont punis et les gentils s’en sortent. Un peu simple, un peu facile. Et pas forcément réaliste. Imaginer de la justice, de l’amour, de la joie et de l’espoir dans l’Amérique d’aujourd’hui, c’est presque de la science-fiction, non ?

Le testament de Sully de Richard Russo. La Table Ronde / Quai Voltaire, 2025. 550 pages. 24,00 euros.






mercredi 22 janvier 2025

Le Mystère Henri Pick - Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini

À Crozon, au début des années 90, la bibliothèque municipale a créé une section dédiée aux manuscrits refusés par les éditeurs. Trente ans plus tard, Delphine, une éditrice parisienne en vacances chez ses parents, découvre sur une étagère de cette section un roman intitulé : « Les dernières heures d’une histoire d’amour ». Persuadée d’avoir mis la main sur un chef d’œuvre, elle part en quête de son auteur, un certain Henri Pick. Décédé depuis peu, Mr Pick était le pizzaïolo du village. Sa femme, qui ne l’a jamais vu lire et encore moins écrire, peine à croire qu’il était un homme de lettres. Une fois publié, le roman rencontre un incroyable succès. L’histoire semble trop belle et les zones d’ombres sont trop nombreuses, à tel point qu’une partie du public et des médias ne se mettent à douter de sa véracité. Supercherie ou conte de fée ? Un critique littéraire va se lancer dans la résolution du mystère Henri Pick, persuadé de découvrir une vérité bien différente de celle que l’on a vendue aux lecteurs.

Je n’ai pas lu le roman mais j’ai vu le film avec Lucchini, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette adaptation en bande dessinée du texte de David Foenkinos a donc été en quelque sorte une totale découverte. Et plutôt une bonne surprise. On se laisse prendre au jeu, orienter vers des fausses pistes, balloter entre des infos d’une crédibilité douteuse et des éléments tangibles qui restent malgré tout fragiles. Et puis quel plaisir de se plonger dans la réalité du monde de l’édition germanopratin. Il est appréciable également que le récit prenne son temps, qu’il se déploie avec tous les détails nécessaires, sans raccourcis ni accélérations malvenus.

L’italienne Ilaria Tebaldini signe ici sa première BD et le résultat est plus que prometteur. Son trait est souple et dynamique, le choix des couleurs pertinent et le découpage sans fausse note. Un roman graphique qui se lit tout seul et avec plaisir, jusqu’à la résolution finale du mystère Henri Pick !

Le Mystère Henri Pick de Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini (d’après le roman de David Foenkinos). La Boîte à Bulles, 2024. 180 pages. 28,00 euros.   






mercredi 15 janvier 2025

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire

Se nourrir est longtemps resté un besoin primaire. Les habitudes des chasseurs cueilleurs dans ce domaine ont changé avec l’apparition du feu puis de l’agriculture mais il faudra attendre la naissance des civilisations pour que la diversité alimentaire s’intensifie. Dans l’Antiquité les épices dominent, au Moyen-Age, les nobles se gavent de plats lourds et bien trop caloriques pendant que les paysans se contentent de légumes et de céréales. 

C’est grâce à Catherine de Médicis que la gastronomie et les arts de la table vont gagner en raffinement. Louis XIV prend son dîner en public alors qu’après la révolution, les cuisiniers des aristocrates quittent leurs patrons pour ouvrir des restaurants. Paris devient une référence en la matière en Europe, une position qui se renforcera sous Napoléon. C’est à cette époque que naît une autre révolution, celle des conserves, bientôt suivie par le début des chambres froides. Le 19ème siècle voit aussi apparaître les critiques culinaires dans les journaux et le début du 20ème la première édition du guide Michelin. 

Après les privations de la seconde guerre mondiale, les outils de cuisine et la façon de consommer font un saut dans la modernité. Plus tard, les nutritionnistes entrent en guerre contre la malbouffe, la demande de bio et de végétal s’accroît aussi vite que la construction de fastfood. Finalement, chacun choisit son alimentation selon ses goûts et ses moyens. Manger est toujours vital, mais la cuisine est aussi un marqueur culturel pour tous les peuples du monde. Et une source de revenus pour les influenceurs qui en ont fait leur fonds de commerce.

Pas simple de balayer des millénaires d’histoire de la gastronomie. C’est à la fois trop rapide, trop bavard et incomplet. Les auteurs proposent une présentation chronologique, parsemée de portraits des grands noms de la cuisine française. On a malheureusement souvent l’impression de crouler sous des informations dont on peine à faire le tri entre l’essentiel et l’anecdotique. Heureusement, de petites touches d’humour offrent des respirations bienvenues dans la densité du texte. 

Le projet était ambitieux, sa réalisation souffre d’une trop grande volonté d’exhaustivité. Le résultat final en impose mais il aurait sans doute été préférable de scinder cette histoire de la gastronomie en deux tomes pour la rendre plus digeste.

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire. Delcourt, 2024. 160 pages. 25,95 euros.



Toutes les BD de la semaine sont chez Fanny





mercredi 8 janvier 2025

Au chant des grenouilles T2 : Le concours - Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza

Dans l'épisode précédent, on avait laissé les membres du club du samedi chercher LA recette parfaite pour remporter le grand concours de pâtisserie organisé par le village. On retrouve dans ce deuxième tome nos amis animaux déterminés à créer le gâteau qui leur permettra de rafler la mise en respectant les trois contraintes imposées par le règlement : utiliser un légume, trouver un ingrédient provenant d'un arbre qui ne soit pas un fruit classique et ne rien acheter en magasin. Basil le grillon, Fog le corbeau et Vanille la chouette sont fiers de leur réalisation et ne doutent pas un instant que le jury va succomber à leur douceur. Ils ne vont malheureusement pas se tromper, pour leur plus grand malheur !

Particularité de cette série, chaque tome est réalisé par un dessinateur différent. Dans ce deuxième volume, le trait de Jérémie Almanza est moins rond que celui de Florent Sacré mais l’ambiance chaleureuse qui se dégage de l’environnement sylvestre reste présente. Les décors intérieurs sont particulièrement soignés et donnent envie de s’installer au coin de la cheminée sous un plaid pour papoter avec nos héros. L’histoire est simple, linéaire, et les illustrations pleine page permettant de mieux comprendre les mystères de la nature et les secrets de la forêt continuent d’offrir des respirations bienvenues dans le récit. 

Une lecture apaisante. L'intrigue apporte un semblant de mystère qui n'a rien d'anxiogène, ce n'est clairement pas le but. On évolue plutôt ici dans un environnement "doudou" où il fait bons vivre des aventures simples, sans enjeux démesurés. Franchement, ça fait du bien !

Au chant des grenouilles T2 : Le concours de Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza. Oxymore, 2024. 48 pages. 14,95 euros.

Mon avis sur le tome 1 : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/05/au-chant-des-grenouilles-t1-urania-la.html


Les BD de la semaine sont à retrouver chez Blandine








mercredi 1 janvier 2025

Le top de l'année : les romans


De trop rares excellentes lectures cette années mais les trois qui suivent ont vraiment été de magnifiques surprises.  Des vrais coups de cœur, quoi !




De très loin ma meilleure lecture de l’année. Le propos est dense, profond, poétique et engagé. La réflexion d’une incroyable maturité, intime et pudique, sensible et sans faux-semblants. Un petit bijou d’une grande qualité littéraire ! 

Mon avis complet : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/10/dire-babylone-safiya-sinclair.html




Un texte magnifique, une lecture poignante, où le drame ne sombre à aucun moment dans le mélo. Des personnages qui ne s’oublient pas, dans une langue magnifiée par une traduction incroyable. La littérature irlandaise est décidément pleine de ressources.

Mon avis complet : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/08/parfois-le-silence-est-une-priere-billy.html




Encore un roman sur la guerre d’Algérie. Certes, mais celui-ci est au-dessus du lot, proposant un texte choral, épuré à l’extrême, dans une versification libre qui, loin d’être bancale, est d’une grande puissance. A peine 120 pages et une grosse claque !

Mon avis complet : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/09/lappele-guillaume-viry.html