samedi 19 octobre 2019

Solénoïde - Mircea Cartarescu

"Je vais donc bâtir ici une histoire de ma vie. Sa partie visible, je le sais mieux que personne, est la moins spectaculaire, la plus terne des vies, la vie qui correspond à mon visage effacé, à mon caractère distant, à mon insignifiance et à mon manque d'avenir. Une allumette presque entièrement consumée, dont ne reste qu'une traînée de cendre blanchâtre."

Depuis fin août j’ai lu une dizaine de romans de la rentrée et en dehors de Jean-Paul Dubois, rien ne m’a véritablement fait grimper aux rideaux. Du moins avant Solénoïde. Parce que soyons clair et ne tournons pas autour du pot, ce pavé est un chef-d’œuvre comme je n’en ai pas lu depuis très, très longtemps. Un truc incroyable qui semble être passé sous les radars. Franchement, si les prix d’automne étaient vraiment littéraires, ce roman ferait forcément partie de toutes les sélections.

Pourtant à première vue, rien de clinquant. Déjà, la couverture quasi illisible n’attire pas l’œil pour deux ronds mais c’est encore pire une fois le livre ouvert tant la police de caractère riquiqui et les interlignes hyper serrés achèvent de convaincre que la lecture des quelques 800 pages risque d’être un long chemin de croix.

Il serait pourtant dommage (voire impardonnable) de s’arrêter à ces détails peu engageants. Parce que Solénoïde touche au sublime avec son narrateur écrivain refoulé devenu malgré lui un pauvre prof de lettres dans un minable établissement de Bucarest où ses minables élèves n’ont rien d’autres que leurs poux à partager. A vingt ans, il croyait dur comme fer que les portes de la gloire s’ouvriraient en grand devant son incommensurable talent. Persuadé de remporter haut la main le prestigieux concours littéraire de son université, il fut englouti sous la sévérité des critiques infligées par un jury cinglant. Une désillusion dont il ne se remettra jamais vraiment, pour notre plus grand bonheur.

Solénoïde est un livre incroyable, journal halluciné d’un gars hallucinant (ou l’inverse) qui lorgne du côté de Kafka et Borges. Un livre brillant, agaçant, enthousiasmant, désespérant. Tour à tour métaphysique, sensuel, surréaliste, pathétique, hilarant. Pénible par moment, souffrant de rares longueurs, mais traversé la plupart du temps par des fulgurances qui laissent sur le carreau et, cerise sur le gâteau, porté par une traduction exceptionnelle.

Je ne vais pas m'étendre davantage, si ce n'est pour insister sur le fait que c'est un roman monumental, de ceux que l’on croise rarement dans une vie de lecteur. Certes il ne se donne pas facilement, il réclame une attention et une concentration dignes de son ambitieuse construction mais au final les efforts fournis sont grandement récompensés. Pour moi c’est LA grosse claque de l’année. Des dernières années même, soyons fou.

Solénoïde de Mircea Cartarescu (traduit du roumain par Laure Hinckel). Édition Noir sur Blanc, 2019. 790 pages. 27,00 euros.






43 commentaires:

  1. Et bien là tu m'intrigues drôlement parce que c'est la première fois que je croise ce livre .

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  2. L'auteur est venu à France Culture, ce qu'il disait faisait assez envie ! Tu confirmes ma 1e impression. Je le note.

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  3. Alors d'abord merci ! Ce livre est l'un de ceux qui me tentent le plus dans cette rentrée littéraire et j'attendais désespérément un retour. Ensuite, second merci, de confirmer que je ne vais pas pouvoir m'en passer. Je ne dis rien pour les prix, le fait de ne voir nulle part " Zébu Boy " d'Aurélie Champagne est déjà pour moi incompréhensible ( autant que le roman réédité " Un autre tambour "ne soit pas plus présent et porté ). J'espère que tu feras d'autres bonnes pioches comme celle-ci.

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    1. Pour connaître un peu tes goûts de lectrice, je suis persuadé que c'est un roman pour toi.

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  4. Eh bien ... que dire, à part te remercier de mettre en avant ce titre, à côté duquel seraient malheureusement passés de nombreux lecteurs, à tort.

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    1. Mon intention avec ce billet est d'offrir modestement un petit espace à ce grand livre.

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  5. J'aime bien cette deuxième vague de rentrée, où les titres encensés se prennent quelques claques, et où d'autres, bien plus intéressants, apparaissent...
    Même si je n'ai pas envie de pavé en ce moment, je le garde à l'esprit.

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    1. Il y a toujours excellents romans qui sortent en octobre à chaque rentrée après les poids lourds d'août et septembre.

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  6. C'est aussi un livre qui me tente énormément pour plein de raisons... mais qui me fait aussi un peu peur, pas tant pour son volume que pour sa forme. Mais je pense que je vais tenter le coup.

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    1. Il peut paraître intimidant mais il serait dommage de ne pas lui donner la chance qu'il mérite.

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  7. Eh bien ! Voilà qui attise la curiosité et l'intérêt. Il faudra donc passer outre le corps et l'interlignage... éléments pourtant capitaux. Mais bon, l'éditeur craignait certainement d'atteindre une pagination pouvant apparaître comme rédhibitoire s'il dépassait les 1000 pages. En tout cas, merci, car je n'en avais en effet aucunement entendu parler...

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    1. L'éditeur a fait ce qu'il a pu, c'est vrai. Mais pour un "petit" éditeur, c'est clairement un livre majeur.

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  8. Je ne suis pas encore passée aux livres en gros caractères, mais je ne lis déjà plus les vieux poches à cause des caractères trop petits... Alors pour moi c'est rédhibitoire...

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    1. La taille des caractères peut être un vrai problème en effet.

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  9. "il ne se donne pas facilement, il réclame une attention et une concentration dignes de son ambitieuse construction" : voilà pourquoi sans doute pourquoi il ne figure sur aucune liste de prix... et pourquoi il fait un peu peur... Mais ça fait quand même très envie !

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    1. Les romans exigeants sont de moins en moins mis en avant, c'est vrai.

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  10. Malgré le nombre de pages et la pagination intense, tu me donnes envie d'aller faire un tour du côté de ce livre, si je le trouve à la bib

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    1. Je ne suis pas certain que ta bibliothèque en fasse l'acquisition mais si tel était le cas tu aurais tort de ne pas en profiter !

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  11. oh bon sang!! mais "what?" comme dirait mon ado… Je note, bien sûr!

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  12. quand tu aimes, tu aimes ! bon je sors d'un pavé de 1251 pages (si je l'avais lu en français, je l'ai lu en anglais 880 pages) et je vais enchainer avec un autres de 800 pages. Du coup, je le note mais pas de lyrisme à la Stefànsson ? car tu sais que je ne suis pas fan de ce style ... sinon, je le note !

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    1. Hein, Jérôme: pas de lyrisme à la Stefànsson? Sinon, je suis aussi preneuse. Avec tant d'enthousiasme, difficile de passer son chemin!

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    2. Pas de lyrisme à la Stefansson non, c'est davantage dans l'esprit de "La conjuration des imbéciles" si tu vois ce que je veux dire.

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  13. La police minuscule me fait très peur, je l'avoue. Je vais tout de même l'ouvrir pour voir si c'est jouable pour moi ou pas.
    Tu donnes sacrément envie !

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    1. Je croise les doigts pour que ce ne soit pas rédhibitoire !

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  14. Alors ça, c'est du billet tentateur! Pas vu non plus dans cette rentrée, première fois que j'entends parler de cet écrivain...pas trop le temps de lire des pavés en ce moment (le quel que je me permette, c'est le Oates). Je note donc ce titre pour plus tard...

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  15. Pfouah ! Ça c'est de l'attaque de bouclier anti-PAL ! Pulvérisé, il est !

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  16. Un roman roumain qui détonne ? je suis toujours preneuse.

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  17. Chic, j'ai peut-être trouvé mon prochain pavé de l'été grâce à toi !

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  18. dire que j'ai laissé une toute petite semaine la lecture de ton blog et voilà j'ai failli raté ce titre ....

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  19. whaouh !! en ce moment pas le temps mais comme Noukette, je le garde pour le pavé de l'été !!

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  20. Sacré article, et apparemment sacré livre. Je ne crois pas qu'il soit pour moi, trop long, trop exigent, écrit trop petit… bref je me contenterai de lire les prochains articles des autres bloggueurs.

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  21. Le dernier de J.C Oates m'attend (un sacré pavé...) donc je ne vais pas courir après un autre mais je le note car vu ton enthousiasme, on ne peut pas résister!

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