jeudi 28 août 2014

Viva - Patrick Deville

Ce livre n’est pas un roman. C’est plutôt une fiction biographique. Certains qualifient le genre d’exofiction, en opposition à l’autofiction que j’exècre. Pour faire court, dans l’exofiction, le romancier n’est pas que biographe, il ne livre pas uniquement le résultat de ses recherches mais il fait également part au fil du texte de ses réflexions, de ses découvertes, il n’hésite pas à se mettre en scène. Bref, tout ça pour dire que Patrick Deville est un adepte du genre et qu’il maîtrise l’exercice à merveille, comme j’avais déjà pu le constater dans l’excellent Peste et Choléra.

On retrouve dans ce Viva l’auteur et ses fameux carnets en peau de taupe dans lesquels il consigne avec méticulosité le fruit de ses investigations, sur les lieux même où ont vécu les personnages dont il retrace le parcours. Direction le Mexique et l’année 1937. « La dictature somoziste est installée au Nicaragua, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne et le stalinisme en Russie. C’est la guerre d’Espagne, bientôt la déroute des républicains et la victoire du franquisme. » C’est aussi l’année où Trotsky arrive à Mexico, accueilli par Frida Kahlo dans sa maison bleue. L’ancien commissaire du peuple, l’ancien chef de l’armée rouge, qui commandait cinq millions d’hommes, n’est plus qu’un proscrit, poursuivant la fuite éperdue entamée depuis qu’il a pu s’extraire des geôles sibériennes où Staline l’avait fait déporter. Cette même année, Malcolm Lowry et sa femme Jan débarquent du paquebot Penssylvania à Acapulco. « Lowry a vingt-sept ans, un physique de boxeur, les doigts trop courts pour atteindre l’octave au piano comme à l’ukulélé. Il vient de subir une première cure de désintoxication alcoolique. Jamais encore il n’a gagné le moindre rond, et vit de la pension que chaque mois son père lui fait remettre par des comptables obséquieux. » Ce n’est ni un fuyard, ni un proscrit, il a choisi le Mexique parce que les alcools y sont moins chers. Il y trouvera certes le mescal et la tequila qu’il était venu chercher mais aussi et surtout le décor de ce qui restera à jamais son seul et unique chef d’œuvre, Au-dessous du volcan.

Trotsky et Lowry. Le révolutionnaire et le génie littéraire. Ces deux-là ne se rencontreront jamais et le texte suit en parallèle leur destin tragique. Mais pas que. C’est là toute la force de Deville. Son ode à ces deux figures mythiques, qui n’a rien d’un panégyrique pleurnichard, ne s’y limite pas. On croise dans ces pages Frida Kahlo, Diego Rivera, la photographe Tina Modotti, Antonin Artaud, André Breton et bien d’autres. Un tourbillon de noms, de faits, d’anecdotes, de rencontres et de rendez-vous manqués. Chronologies et biographies se bousculent, se télescopent parfois, sans que jamais le lecteur ne perde le fil. Le canevas est tissé tellement serré, avec une telle dextérité, une telle érudition, une telle plume, que l’on ne peut que s’extasier devant une fresque aussi saisissante.

Viva est un hymne à la révolution, à la poésie, à l’art. C’est une plongée vertigineuse au cœur d’une époque où l’idéalisme politique et le culte de la littérature bouillonnaient de concert. Une époque où des hommes et des femmes servaient des causes qu’ils mettaient au-dessus de leur propre existence. Une époque depuis longtemps révolue…

« A l’impossible, chacun de nous est tenu. »

Viva de Patrick Deville. Seuil, 2014. 210 pages. 17,50 euros.


Et une seconde participation au challenge
 1% de la rentrée littéraire





46 commentaires:

  1. "exofiction", ça fait plutôt SF (c'est le titre de la collection SF de chez Actes Sud...). Et ce livre, par sa thématique, me rappelle "L'homme qui aimait les chiens" de Padura. Ce genre de fiction biographique me plait beaucoup.

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    1. Moi aussi j'aime beaucoup. du moins quand Patrick Deville est à la manœuvre ;)

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  2. Il me tentait bien et puis j'ai lu un extrait dans les Inrocks et je n'ai pas été convaincu du tout....Après, on va se le dire franchement, un peu assez des auteurs qui n'arrivent plus à écrire des histoires de fiction. Cette année entre ceux qui ne parlent que d'eux et ceux qui s'inspirent des personnages célèbres, franchement, il me manque quelqu'un qui me raconte des histoires....

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    1. Ce genre de biographie/fiction est LA grande mode de cette rentrée avec Foenkinos et Beigbeder en tête de pont. Mais je pense que je vais en rester à Deville.

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  3. convaincue (oui je sais je devrais me relire avant de publier le comm)

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    1. T'inquiète, c'est ma grande spécialité à moi aussi ;)

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  4. Avec Padura, on avait Trotsky aussi!

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    1. Mais pas Lowry ! C'est quand même un gros plus, surtout quand, comme moi, on vient de lire "Au-dessous du volcan" ;)

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  5. Moi ça ne me gêne pas qu'on me parle de personnes réelles mais celui-là, je ne le sent pas pour moi. Je suis sûre qu'il est très bien écrit comme Deville sait le faire mais je passe.

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    1. Je pense que c'est trop décousu (et trop court !) pour te convenir.

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  6. "carnets en peau de taupe" non mais, personne ne relève que Patrick Deville n'a pas besoin de ces malheureuses petites bêtes pour écrire !!?? Plus sérieusement, j'ai aimé Peste et choléra alors celui-ci est un des rares de la rentrée française que je pourrai lire... plus tard.

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    1. Il est peut-être allergique à la moleskine...
      En tout cas si tu as aimé "Peste et Choléra", celui-là devrait te plaire.

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  7. Moi aussi tous ces thèmes me font kiffer mais je vais quand même attendre qu'il soit à la biblio !

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    1. Il ne devrait pas tarder à y arriver, c'est un des "incontournables" de la rentrée.

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  8. Tu as réussi à me convaincre, je note !

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  9. Il a l'air très intéressant. Je ne le lirai pas tout de suite mais d'ici quelques temps pourquoi pas !

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  10. Je l'avais repéré en attendant de lire les premiers avis, maintenant je sais que je vais essayer de le lire !

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  11. Il pourrait beaucoup m'intéresser celui-là, mais je laisserai passer la grande fièvre de la rentrée. Ils me saoûlent déjà tous, le temps fera le tri.

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    1. Moi j'aime la fièvre de la rentrée mais je comprends que tu veuilles laisser le temps faire le tri ;)

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  12. Rien que ton billet me donne le tournis... C'est sûrement superbement écrit, maitrisé... mais je crains que ce genre de "roman-qui-n'en-est-pas-un" n'est pas fait pour moi !

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    1. Je le crains aussi. Mais ce n'est pas grave, ce n'est pas comme si tu n'avais rien d'autre à lire ;)

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  13. hum je crois qu'il est dans ma pal celui-là, tu m'as donné envie là :-)

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  14. Je ne dirais ni oui ni non, ne connaissant pas encore la plume de Deville, le beau monde qu'on y croise m'intéresse mais si c'est décousu, je ne sais pas... Le temps me le dira ! :)

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    1. C'est assez décousu, oui, je ne peux pas le nier.

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  15. Une grosse envie de le lire et ton avis confirme

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  16. Des carnets en peau de taupe ? Ce n'est pourtant pas facile à attraper, une taupe !

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  17. Y a pas à dire, ça donne envie... Chapeau !

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    1. Merci manu, j'aime bien donner envie de temps en temps ;)

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  18. pas pour moi!
    c'est un auteur dont je peux lire des passages mais pas des livres entiers
    Luocine

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    1. C'est un auteur qui se reconnaît au premier coup d’œil en tout cas.

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  19. Dis, une question me taraude ... cette définition de l'exofiction me fait penser aux Essais de Montaigne ... ça y ressemble ou bien je suis complètement à la ramasse ?

    (Pas tentée du tout, mais je reste curieuse malgré tout, et tu en parles si bien que je regarderais sans doute du côté de son précédent que j'avais acheté, alléchée par de nombreuses critiques dithyrambiques.)

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    1. Jamais lu Montaigne, je pourrais pas te dire.
      Et sinon Peste et Choléra est vraiment très,très bien.

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  20. J'ai très envie de découvrir cet auteur. Ce genre (exofiction) m'intrigue...

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    1. Tu peux commencer par celui-là mais "Peste et Choléra" est tout aussi excellent.

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  21. Ce livre me tente bien après une longue discussion avec mon libraire, et ton article finit de me confirmer que je dois le lire. J'avais bien aimé Peste et Choléra même si je l'avais trouvé un peu froid

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    1. C'est un style particulier, très proche de Peste et Choléra. J'espère que tu aimeras.

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